… – 5 octobre
Ombre et lumièreTout est noir… Non ! Une lumière apparaĂ®t. Elle s’approche de moi et pourtant elle est partout. Tout s’éclaire, devient lumineux. Comment une lumière si blanche, si vive ne m’éblouit-elle pas ?Je suis bien. Que se passe-t-il ? La lumière dĂ©croĂ®t. Cela devient de plus en plus gris, de plus en plus terne. Tout est sombre. Je suis au milieu d’une infinie grisaille.Brusquement un flot d’images et de bruits m’assaille. La voiture qui se rue sur moi, la rue qui bascule, le bruit du moteur, les cris, un cri surtout… Le cri de Dominique. Tout me revient. Je veux bouger, parler. Mais je ne contrĂ´le pas mon corps, je ne le sens mĂŞme pas. Ă€ dire vrai, je ne sens rien. Mes cinq sens ne me communiquent rien. Ils sont aux abonnĂ©s absents. Une idĂ©e me frappe. Je suis mort. JE SUIS MORT, cela ne peut ĂŞtre que ça. Je ne reverrais pas Dominique, je ne reverrais pas Gwendoline, ni Anne, ni Maman. Je ne connaĂ®trais pas mes enfants. Une grande tristesse m’envahit. Ariane ! Ariane qui est morte il y a six ans, elle aussi Ă cause d’une voiture. Est-elle lĂ Â ? Elle doit ĂŞtre lĂ , je vais la revoir… Mais rien… Il n’y a rien… C’est le vide, le nĂ©ant… Non, ça ne peut ĂŞtre cela la mort.Mon Dieu ; mĂŞme Toi, je ne te sens pas. Pourtant j’ai dĂ©jĂ senti ton souffle sur moi quand je priais pour Ariane et notre enfant…Peut-ĂŞtre suis-je trop occupĂ© de moi pour t’accueillir ?C’est peut-ĂŞtre ça l’enfer ou le purgatoire.Depuis combien cela dure-t-il ? Une minute, un jour, un mois… Je ne sais pas. Ici le temps n’a pas de sens.Parfois je baigne dans une douce apathie, parfois mon esprit travaille Ă toute vitesse. Des questions Ă foison me viennent, mais peu de rĂ©ponses ou alors les souvenirs ressurgissent. Je revois ma vie par bribes, avec ses joies, ses peines, ses doutes, les grandes choses et les petits dĂ©tails. Je sens le soleil se lever sur les pyramides de Tikal, le sel des larmes Ă la mort d’Ariane, le parfum d’Anne la première fois oĂą nous avons fait l’amour, le goĂ»t du vin jaune, la chaleur de ma main après la fessĂ©e de Dominique, le rĂ©confort des bras de Maman après l’explosion de la bombe en AlgĂ©rie, l’atmosphère de la cathĂ©drale de Chartres, le sourire de Papa sur la passerelle de l’avion la dernière fois que je l’ai vu, la douceur de la chatte de Gwendoline quand je m’enfonce en elle, l’odeur d’un champ de lavande en Provence, je revois des tableaux, entends des musiques…Parfois quelque chose vient me bousculer. Non pas vraiment me bousculer, me tirer ou me pousser, plutĂ´t les deux Ă la fois. Au dĂ©but cela me dĂ©range, puis cela m’intrigue. J’essaie de trouver ce que c’est. Cela vient d’ailleurs, d’un ailleurs qui n’est pas moi. J’attends maintenant le moment de sa venue. Je finis par sentir une prĂ©sence. Une prĂ©sence qui n’a plus besoin de venir me chercher, une prĂ©sence qui me soutient, qui m’aide, qui me donne de l’énergie, une prĂ©sence d’amour dĂ©sespĂ©rĂ©e. Ă€ force de sonder autour de moi, j’en perçois d’autres, chacune a son empreinte. Je finis pas les reconnaĂ®tre. Je parviens mĂŞme Ă distinguer les sentiments qui les agitent. Compassion, peine, amour, attentive indiffĂ©rence. Pendant longtemps une prĂ©sence pulse, rĂ©gulièrement, aucune Ă©motion ne s’en Ă©chappe, parfois de petites variations dans le rythme surviennent et je me rends compte que ces variations influent sur moi. Je ne sais pas pourquoi.Lentement, enfin ce qui me semble ĂŞtre lentement, je discerne de plus en plus de choses. Je comprends que je suis dans un hĂ´pital. Je finis par distinguer qui sont les diffĂ©rentes prĂ©sences qui m’entourent et mĂŞme Ă les identifier. J’identifie, Maman, Dominique, Gwendoline, Anne, Parrain, le père Bernier, des amis. Je diffĂ©rencie les infirmières. Seule la première prĂ©sence que j’ai sentie m’échappe. Je ne parviens pas Ă la cerner. Elle vient rĂ©gulièrement, mais je ne sais rien d’elle, hors l’amour, le dĂ©sespoir qui l’habite et surtout cette force qu’elle m’insuffle. Je comprends aussi qu’elle est cette prĂ©sence permanente qui pulse. C’est un appareil, un appareil mĂ©dical qui doit m’aider Ă vivre. J’affine ma perception de ce qui m’entoure. Je perçois mieux les sentiments de ceux qui viennent près de moi et mĂŞme quelques pensĂ©es. Le champ d’action de mes sensations s’élargit. Je sens au-delĂ de ma chambre, le couloir, les chambres voisines. J’apprends vite Ă m’en isoler pour ne pas ĂŞtre submergĂ© par des flots de peur et de douleur. Je me rends compte que parviens mĂŞme, je ne sais trop comment, Ă influer sur les gens qui m’entourent, mais sans parvenir Ă entrer en communication. Ainsi je peux influencer les infirmières pour qu’elles règlent mon appareil de survie, pour un plus grand confort, avant de trouver le truc pour agir directement sur lui.Cette nouvelle capacitĂ© rĂ©vèle toute son utilitĂ© un soir. Je sais que c’est un soir car.je parviens Ă distinguer les moments de la journĂ©e en me basant sur l’activitĂ© qui règne autour de moi. Quand on sert les repas, le temps des visites, le ralentissement de la nuit. Un soir donc quelqu’un entre dans mon rayon d’action, quelqu’un d’inquiet, ce qui n’est pas inhabituel dans un hĂ´pital, mais surtout quelqu’un d’hostile. D’une hostilitĂ© dirigĂ©e contre moi, d’une hostilitĂ© mortelle. Cela m’affole, je suis Ă sa merci. Non pas complètement, je me calme. J’essaie d’augmenter encore son inquiĂ©tude. La personne malgrĂ© son malaise grandissant continue d’approcher. Elle doit ĂŞtre dans ma chambre. Le rythme de mon appareil change. Ma conscience n’est plus aussi claire. Elle s’échappe. Je jette mon esprit vers l’appareil. J’essaie de lui faire prendre une frĂ©quence qui fait toujours intervenir les infirmières. Il faut que j’y arrive… Oui ça y est. SauvĂ©. Non ! Il a un couteau. Je dois le chasser. Je lance toutes mes forces pour accentuer sa peur. Il est submergĂ© d’une vague de panique qui me frappe douloureusement. Je n’avais pas songĂ© Ă me protĂ©ger. Sa prĂ©sence s’éloigne rapidement.L’infirmière n’arrive pas. Je n’ai plus la force de m’occuper de mon appareil. Ma luciditĂ© faiblit.Lentement je reviens. L’appareil bourdonne de manière rassurante, des infirmières sont lĂ . L’alerte a Ă©tĂ© chaude.Quand deux jours plus tard, deux personnes s’approchent, une plutĂ´t inquiète et l’autre excitĂ©e, je me tends. Mais elles ne pensent pas Ă moi, pour elles je n’existe pas. L’excitation grandit. Je n’avais pas compris tout de suite, car c’est la première fois que je la ressens depuis que je suis ici, c’est une excitation sexuelle. Je suis soulagĂ©, cela dĂ©clenche ce que j’appelle, faute de mieux, un fou rire. Quand je me calme, j’identifie l’une deux personnes, c’est une des infirmières qui s’occupe de moi. La signature de l’esprit de l’homme ne m’est pas inconnue, il passe parfois dans le secteur. Il doit travailler Ă l’hĂ´pital. Ils ont trouvĂ© refuge dans ma chambre pour faire leur petite affaire. C’est vrai que je ne dois pas les gĂŞner, s’ils savaient. Je sens la chaleur de leur Ă©treinte. Je perçois le moment oĂą il la pĂ©nètre, la frĂ©nĂ©sie du coĂŻt, la jouissance qui submerge l’homme, suivi de leur dĂ©part rapide.La donzelle est dotĂ©e d’une solide santĂ©, car ses visites accompagnĂ©es dans ma chambre sont quasiment quotidiennes et mĂŞme parfois pluriquotidiennes. Ă€ vue de nez, il n’y a que les nuits oĂą elle n’est pas de service oĂą je n’ai pas droit Ă sa visite. Elle devait avoir un autre lieu pour ses Ă©bats, dont elle a Ă©tĂ© chassĂ©e. C’est maintenant ma chambre qui lui sert de baisodrome. Au moins une demi-douzaine de gars diffĂ©rents est venue s’ébattre avec elle. Je finis par savoir Ă quel genre d’exercice ils se livrent : pipe, cunnilingus, 69, pĂ©nĂ©tration et, je pense, deux ou trois fois sodomie. Une fois c’est une fille qui l’accompagne. Je participe un peu Ă leur jouissance. Cela me permet de dĂ©couvrir le versant fĂ©minin du plaisir, bien qu’elle ne prenne que rarement son pied. Je me fais l’effet d’un voyeur.Les visites que je reçois m’aident beaucoup, elles m’apportent du rĂ©confort. MĂŞme si la peine de me voir tel que je ne me vois pas est souvent prĂ©sente, mais il y a aussi de l’amitiĂ©, de la compassion, des prières, l’espoir et l’amour de Maman et de mes chĂ©ries, tout cela me donne du courage. Mais Ă part ça, il y a cette prĂ©sence anonyme si forte qui m’insuffle la vie.Pourquoi je ne retrouve pas l’usage de mon corps, alors que mon esprit fonctionne comme il n’a jamais fonctionnĂ©. Je rĂ©flĂ©chis et j’ai peut-ĂŞtre une explication. Je tends toute ma volontĂ© vers l’extĂ©rieur, vers ce qui m’entoure. Je devrais peut-ĂŞtre dĂ©ployer la mĂŞme Ă©nergie en la tournant vers moi. C’est le rythme de mon cĹ“ur que je sens en premier. Partant de lui, je me lance sur les pistes du reste. Je les remonte lentement, pour me heurter brutalement Ă un mur de douleur violente. Je me recroqueville, je me replie dans mon esprit, apeurĂ©. Heureusement, la prĂ©sence que j’appelle mon ange gardien m’aide Ă retrouver mon calme. Je puise en elle le courage de repartir. La souffrance surgit de nouveau, mais elle ne me surprend pas. Je tiens bon et continue Ă avancer, mais mon esprit, fatiguĂ© par cette lutte, dĂ©cide de faire une pause. Je sombre dans l’inconscience. Ă€ chaque rĂ©veil, je recommence. Petit Ă petit j’apprivoise la douleur et finis par la dompter. Elle est toujours lĂ , mais cantonnĂ©e, relĂ©guĂ©e Ă l’arrière-plan et non plus omniprĂ©sente. L’aide que dĂ©verse en moi mon ange gardien m’est d’un grand secours.Victoire ! Un doigt, je suis certain d’avoir imperceptiblement bougĂ© un doigt, le majeur de la main droite. Et mon ange gardien qui n’est pas lĂ pour constater ce couronnement. Ă€ partir de lĂ tout s’enchaĂ®ne vite, je sens rapidement tous mes autres doigts. L’ouĂŻe, l’ouĂŻe me revient. Ha ! Entendre des bruits de voix. L’odorat, je n’aurais jamais cru que l’odeur de l’éther et du dĂ©sinfectant soit si merveilleuse. Un jour, j’ouvre les yeux. Je suis Ă©bloui. Je m’habitue Ă la lumière. Je ne vois pas très bien. C’est vrai, je ne dois pas avoir mes lunettes sur le nez. Je suis tellement pris par ces sensations retrouvĂ©es, que je ne sens pas l’infirmière arriver. Son cri me surprend :— Docteur ! Venez vite. Il s’est rĂ©veillĂ©.BientĂ´t le ban et l’arrière ban du service accourent. Toutes ces prĂ©sences excitĂ©es me perturbent. Un mĂ©decin finit par remettre un peu de calme. Il me demande si je l’entends, le comprends. J’essaie de rĂ©pondre, mais j’ai du mal Ă parler. En quelques jours je retrouve l’usage de mon corps, mais je suis faible comme un bĂ©bĂ©, mes muscles ont fondus. Pour bouger, j’ai besoin d’aide, pour manger aussi et de tous ces tuyaux qui m’entravent. Je constate une chose, d’avoir retrouvĂ© l’usage de mes sens habituels, n’a pas fait disparaĂ®tre ma perception psychique de mon environnement. Dès le lendemain les visites s’enchaĂ®nent. Mon ange gardien ne me rend plus visite. Est-ce parce qu’il pense que je n’ai plus besoin de lui ou le tourbillon dans lequel je suis plongĂ© m’empĂŞche-t-il de le sentir ? De toute manière pour l’instant je prĂ©fère ne pas parler de mon voyage intĂ©rieur.C’est le 5 septembre que je suis revenu Ă la vie. Je suis donc restĂ© presque deux mois absent. Les deux sĹ“urs rayonnent de joie et je ne parle pas de Maman, ni d’Anne. Grâce Ă tous mes visiteurs, j’apprends en vrac que les grossesses se passent bien (Ă dire vrai, je le savais dĂ©jĂ , car je sentais la prĂ©sence des bĂ©bĂ©s. Je sais mĂŞme qu’Anne attend une fille et Gwendoline un garçon, mais ne dis rien, car je n’ai pas d’explications Ă ce que j’avance). Gwendoline a rĂ©ussi tous ses examens. Sur ses huit UV, elle en a eu trois avec mention excellent, trois avec mention très bien et deux avec mention seulement, si je puis dire, bien. J’aurais aimĂ© ĂŞtre aussi brillant. Que Dominique s’est mise au travail pour prĂ©parer son concours de vĂ©to. Elle a fini sa vacation Ă la bibliothèque depuis le 1er septembre, ou mon collègue a repris son poste. Une chose l’a bien amusĂ©e, après mon accident, l’administration a envoyĂ© une remplaçante, qu’elle a dĂ» mettre au courant. Que parrain m’a fait transfĂ©rer au Val de Grâce oĂą mon activitĂ© encĂ©phalique a beaucoup intriguĂ© le corps mĂ©dical. Que suite Ă l’accident, outre de nombreuses contusions, j’avais deux doigts fracturĂ©s, un coude fĂŞlĂ©, une Ă©paule dĂ©mise et un traumatisme crânien. Lorsque Dominique m’a parlĂ© du 1er septembre, ça m’a fait penser que j’avais vu sur les papiers d’embauche que c’était son anniversaire. Je lui souhaite donc avec retard ses 19 ans. Ă€ quoi elle me rĂ©pond qu’en me rĂ©veillant je viens de lui faire le plus beau cadeau qui soit.Jeudi 9 septembre : Un ange inattenduC’est d’Anne que j’apprends la nouvelle la plus inattendue. J’ai senti chez elle qu’il y avait quelque chose derrière sa joie. Profitant d’un moment oĂą je suis seul avec elle, je l’amène Ă confier ce qu’elle a sur le cĹ“ur. Elle s’est rĂ©conciliĂ©e avec son mari. En entendant parler de lui, mes doutes me reviennent, avec en plus la certitude que c’est une action dĂ©libĂ©rĂ©e, comme l’a confirmĂ© la tentative qui a eu lieu Ă l’hĂ´pital de dĂ©brancher mes appareils de survie. Bien sur je n’en dis mot. Elle me raconte qu’après leur dispute, ils ne s’étaient plus vus pendant un mois. S’il passait par Paris, il ne venait pas Ă l’appartement. Un jour il est revenu. Ils se sont longuement parlĂ©, comme jamais. Il avait changĂ©. Il Ă©tait devenu humain, et Ă©tait malheureux. Ils se sont pardonnĂ©s. Cette rĂ©conciliation s’est scellĂ©e sur l’oreiller. Je demande :Quand il est revenu, il savait qu’il n’était pas de lui, il l’accueille avec sĂ©rĂ©nitĂ©. Elle s’inquiète si je ne lui en veux pas. D’autant que cela s’est passĂ© pendant que j’étais inconscient. Je la rassure en lui expliquant que mĂŞme si je l’aime, cet arrangement, oĂą je la baisais – j’emploie volontairement un mot cru – alternativement avec ses filles, me gĂŞnait. Le « Allez voir dehors si j’y suis les filles, pendant que je saute votre mère », ne me paraissait pas le top du meilleur goĂ»t. La situation va devenir plus saine, mĂŞme si je ne regrette pas ce qui s’est passĂ©, et cela ne m’empĂŞchera pas d’aimer l’enfant Ă naĂ®tre. Elle est soulagĂ©e de ma rĂ©ponse, un sourire Ă©claire son visage. Pour ne pas s’attarder outre mesure sur ce sujet dĂ©licat, je lui parle de mon ange gardien. Elle m’écoute attentivement, je la sens troublĂ©e. Elle doit croire que je suis exaltĂ©. J’aurais dĂ» en parler au Père Bernier. Mais pour changer la conversation, c’est ce sujet qui me tient Ă cĹ“ur qui m’est venu Ă l’esprit. Ă€ peine ai-je finit qu’elle prend rapidement congĂ©. On dirait qu’elle se sauve, me croit-elle fou ?Ă€ peine plus d’une heure plus tard, elle est de retour accompagnĂ© des filles. Elle me demande de raconter Ă nouveau mon histoire. Quand j’arrĂŞte de parler, un long silence s’installe. Je les sens de plus en plus perplexes, mĂŞme plus que ça, perturbĂ©es. Des sentiments contradictoires les agitent. Croient-elles que la religion m’a dĂ©rangĂ© l’esprit ? Non ce n’est pas ça. Dominique finit par demander :— Quand as-tu senti la prĂ©sence pour la dernière fois ?— Je pense trois jours avant d’ouvrir les yeux.Elles me pressent de question. Je finis par leur apprendre qu’avant de m’éveiller, j’avais progressivement pris conscience de ce qui m’entourait, que je percevais les gens qui m’entouraient, que j’avais fini par les diffĂ©rencier. Savoir que c’était une infirmière ou quelqu’un de proche, elles, Maman, le Père Bernier, Parrain, etc. Que les visites que je recevais m’aidaient, car me donnaient de l’amour, de l’amitiĂ©. MĂŞme quand je sentais de la peine ou de l’angoisse, cela me motivait pour pourvoir les rassurer, leur dire que j’étais lĂ . La prĂ©sence de ce que j’appelle mon ange gardien Ă©tait diffĂ©rente. Je sentais son amour et son dĂ©sespoir, mais rien d’autre. Surtout, elle m’insufflait force et mĂŞme vie. Je ne vois pas trop oĂą elles veulent en venir, et j’ai du mal Ă me concentrer suffisamment pour les « sonder ».Nouveau silence. C’est Ă nouveau Dominique qui se lance Ă l’eau. Elle pense qu’elles ont la clef du mystère. Quelqu’un est venu tous les jours et restait près de moi, souvent jusqu’à ce que les infirmières la mettent dehors, qui disait qu’elle devait ĂŞtre lĂ pour m’aider. IntriguĂ© et avide, je demande qui.Dominique prĂ©cise :— On avait bien remarquĂ© qu’elle avait le bĂ©guin pour toi, mais cet acharnement Ă vouloir rester près de toi, nous paraissait hors de proportion, excessif. Cela serait devenu presque comique, si elle n’avait pas maigri de façon spectaculaire et pourtant par Carole on savait qu’elle mangeait comme quatre. D’ailleurs Carole inquiète l’a traĂ®nĂ©e chez le toubib qui n’a rien dĂ©celĂ©.Je ne demande pas pourquoi elle ne vient plus. Je me mets Ă sa place, maintenant que je suis rĂ©veillĂ©, avec l’existence de Dominique et Gwendoline, elle n’ose pas. Mais je demande :— Comment va-t-elle maintenant ? A-t-elle repris le dessus ?Après un silence Dominique reprend :— Le jour de sa dernière visite, en sortant, elle s’est effondrĂ©e inconsciente dans le hall d’en bas. Elle a Ă©tĂ© hospitalisĂ©e. MalgrĂ© toute une batterie de tests et d’examen, les mĂ©decins n’ont rien trouvĂ©, hors une tension très faible que rien ne justifie. Depuis son Ă©tat ne s’est pas amĂ©liorĂ©.Je reste interdit. Je me reprends et demande si sa chambre est loin, devant la rĂ©ponse affirmative, je vais jusqu’à mon fauteuil roulant et demande que l’on me conduise jusqu’à elle. Ces dames me poussent jusqu’à la chambre, sans hĂ©sitations. Quand je la regarde mon cĹ“ur se serre, elle a les joues creuses, le teint cireux, ses bras sur les draps sont dĂ©charnĂ©s, son souffle est saccadĂ©. Je prends sa main, sa respiration se calme un peu. J’essaie de lui rendre un peu de ce qu’elle m’a si gĂ©nĂ©reusement offert. Mais je ne suis pas au sommet de ma forme. Ă€ ce moment Anne me pose une main sur mon Ă©paule. Je sens que je peux puiser en elle de l’énergie. Je commence par le faire, mais je me ravise. Je ne sais rien des consĂ©quences de ce que je suis en train d’accomplir, si j’en juge par les rĂ©sultats sur VĂ©ronique ça peut ĂŞtre dĂ©vastateur. Or, elle est enceinte. Il ne faut pas que je lui prenne de la force vitale. Je lui retire sa main et demande Ă Dominique de la remplacer en lui expliquant ce que je tente et l’inconnu des consĂ©quences de cette action. Sans hĂ©sitation, elle pose ses deux mains sur mon cou. Je lui demande de me prĂ©venir si elle se sent quoique ce soit d’anormal. Je ne sais combien de temps nous restons ainsi, mais VĂ©ronique finit par murmurer « Bernard » et ouvrir les yeux un pâle sourire aux lèvres. Elle regarde dans notre direction, son sourire se voile en mĂŞme temps que son esprit. MalgrĂ© mes efforts, rien de plus ne se passe. Je suis fatiguĂ©, si je veux l’aider il ne faut pas que je m’épuise. On me ramène dans ma chambre.Dans les jours qui suivent, avec l’aide de sa sĹ“ur, de son frère, de la copine de celui-ci, de mes amis de la boutique, je lui donne de la vitalitĂ©. Je ne vous dis pas la tĂŞte qu’ils ont faite quand je leur ai demandĂ©. D’autant que le rĂ©sultat n’est pas Ă la hauteur de nos efforts. C’est dĂ©sespĂ©rant. Seuls quelques mots qu’elle Ă©change avec sa sĹ“ur donnent quelque espoir. L’effet bĂ©nĂ©fique est plutĂ´t sur moi. J’ai tant envie d’aider VĂ©ronique que mon Ă©tat s’amĂ©liore Ă grande vitesse, d’autant qu’apparemment le soutien que je tente d’apporter n’a pas sur moi l’effet dĂ©vastateur qu’il avait sur elle. Peut-ĂŞtre parce que je me fais assister.Lundi 13 septembre : mauvaise humeurOn a oubliĂ© de me redonner carafe d’eau et verre, je sonne. Une infirmière arrive. Je ne connais pas son visage, mais la reconnais immĂ©diatement, c’est celle qui venait faire les parties de jambes en l’air dans ma chambre. C’est une mignonne petite blondinette d’environ 25 ans, avec un visage d’ange Ă qui l’on donnerait le Bon dieu sans confession. Quelle n’est pas ma surprise en apercevant Ă son doigt une alliance. Après avoir Ă©changĂ© quelques banalitĂ©s, je lui demande si je peux lui poser une question indiscrète, et sans attendre j’enchaĂ®ne :— Pourquoi vous ĂŞtes-vous mariĂ©e ?— Parce qu’on s’aime.LĂ -dessus elle part chercher de quoi me dĂ©saltĂ©rer. Je pense qu’elle a une drĂ´le de façon d’aimer son mari en se faisant culbuter comme elle le fait. Ă€ son retour, je lance :— Je suis dĂ©solĂ© de bouleverser vos habitudes.— Ce n’est rien.— J’espère que vous avez trouvĂ© un autre endroit.— Un autre endroit ? demande-t-elle dĂ©concertĂ©e.— Pour prĂ©server la santĂ© de votre mari.— La santĂ© de mon mari ?Son esprit est rempli d’incertitude.— Si vous n’avez pas trouvĂ© un autre coin tranquille pour Ă©teindre le feu, il risque de s’épuiser.Elle bafouille, l’esprit en pleine confusion. J’enfonce le clou :— Il doit vous ĂŞtre reconnaissant de prendre ainsi soin Ă ne pas trop le fatiguer.MĂ©chamment j’ajoute :— Ça vous permet mĂŞme peut-ĂŞtre d’arrondir les fins de mois.Ses pensĂ©es ne sont plus que chaos. L’incomprĂ©hension, la peur, la honte dominent. Elle me regarde la bouche ouverte, les yeux agrandis. Ces derniers se remplissent de larmes. Elle Ă©clate en sanglot, tourne les talons et s’enfuit.Je regrette immĂ©diatement ma sortie. Je ne sais ce qui m’a pris. Et puis de quoi je me mĂŞle, cela ne me concerne en rien. Elle est libre. Je n’ai pas Ă la juger, d’autant que pour donner des leçons de morale aux autres je suis plutĂ´t mal placĂ©. Mon manque de rĂ©ussite avec VĂ©ronique me rend d’humeur chagrine. Pour soulager cette frustration, je n’ai rien trouvĂ© de mieux que de passer ma mauvaise humeur sur cette pauvre fille. Il n’y a pas de quoi se vanter, bonjour la charitĂ© chrĂ©tienne. Je suis tellement furieux contre moi que je ne parviens pas Ă trouver le sommeil.La porte de ma chambre s’ouvre et Ă ma surprise la petite blondinette entre, les yeux rougis. Mon esprit en Ă©bullition n’a pas senti son approche. Avant que je ne puisse prononcer un mot d’excuse pour mon comportement indigne. Elle Ă©clate Ă nouveau en sanglots et c’est d’une voix hachĂ©e qu’elle se lance dans une longue tirade dĂ©cousue d’oĂą il ressort qu’elle est malheureuse, qu’elle aime son mari, que profitant qu’elle a peur de perdre son travail, on fait pression sur elle pour obtenir ses faveurs mĂŞme, dixit « cette vieille vache d’infirmière-chef ».Je sens son dĂ©sespoir. Elle doit ĂŞtre tellement rĂ©signĂ©e que je n’avais pas senti qu’elle venait Ă son corps dĂ©fendant. Les salauds, je comprends maintenant pourquoi elle prenait si rarement du plaisir. Je lui demande si d’autres filles subissent les mĂŞmes pressions, sa rĂ©ponse est positive. Je crois que je vais donner un bon coup de pied dans la fourmilière. Je lui demande si elle pense pouvoir en faire venir au moins certaines dans ma chambre. Elle pense que oui.Mercredi 15 septembre : mise au pointAu moment du changement de service Carine, la petite infirmière blondinette entre avec trois collègues. Je ne leur fais pas la leçon, mais leur explique qu’elles ne doivent plus cĂ©der aux sollicitations de certains membres du personnel qui profitent de leur position. Que cet abus de pouvoir est indigne. Elles redoutent des reprĂ©sailles. Je leur dis que je me charge de faire passer le message. D’autant qu’il y a un bon point le chef de service n’a jamais eu la moindre attitude Ă©quivoque. J’obtiens une petite liste de personnes parmi les plus assidues Ă ce genre de contraintes. Je crois que vais avoir quelques entretiens qui ne vont pas leur ĂŞtre très agrĂ©able. Je profite de la visite un matin pour arrĂŞter le mĂ©decin-chef et lui glisser quelques mots en particulier. Il est outrĂ©, il m’assure qu’il va mettre les points sur les i pour mettre un terme Ă ces pratiques inacceptables. Il me demande les noms des victimes, mais j’explique que je prĂ©fère ne pas mettre encore plus dans l’embarras ces jeunes femmes. Il n’insiste pas.Je m’arrange ensuite pour rencontrer « la vieille vache ». Elle veut le prendre de haut. Qu’elle ne sait pas de quoi je parle et que de toute manière je ne suis pas militaire. Je lui susurre de se renseigner pour savoir qui m’a fait transfĂ©rer, moi un civil, au Val de Grâce. Car je suis prĂŞt Ă faire savoir ce qui se passe ici. Il sera probablement très intĂ©ressĂ© par l’image que ce genre de choses peut donner de l’armĂ©e. Visiblement elle le sait, car elle se trouble. Après avoir soufflĂ© le chaud, je joue l’apaisement en disant que l’on n’entendra plus jamais parler de ce genre de malentendus, que ce serait dommage de voir l’inspection dĂ©barquer avec ses gros sabots ici. Manifestement le message est passĂ©. Elle est furieuse, mais elle a peur. Mes autres rencontres se dĂ©roulent Ă peu de choses près de la mĂŞme manière, avec les mĂŞmes rĂ©sultats. D’aucuns ne nient mĂŞme pas, arguant qu’elles ne demandent que ça, mais prĂ©fèrent quand mĂŞme Ă©viter les vagues. Certains petits anneaux au doigt y sont probablement pour beaucoup. Bobonne ferait peut-ĂŞtre quelque difficultĂ© si elle avait vent de ce genre de choses.Il m’a fallu plusieurs jours pour arriver au bout de la tâche que je m’étais fixĂ©e. Mes petits entretiens et la sèche note de service du mĂ©decin-chef ont l’air d’avoir portĂ©. Il y a mĂŞme eu un effet domino dans les autres services. In fine de ma crise de mauvaise humeur, il a l’air de plutĂ´t ressortir un bien. C’est tout au moins l’avis de Carine et de ses trois collègues. Par deux fois des jeunes femmes, qui ne faisaient pas partie du quatuor initial, se sont glissĂ©es dans ma chambre pour me remercier. Dont l’une visiblement Ă©tait visiblement Ă bout et s’est Ă©panchĂ©e sur mon Ă©paule de l’enfer qu’elle vivait, fait de sous-entendus salaces, de mains baladeuses, de pièces sordides oĂą on l’entraĂ®nait pour la baiser sans aucun Ă©gard. Plus amusante a Ă©tĂ© la visite de la fĂ©ministe de service, venu me dire que pour un homme, j’avais fait quelque chose de bien et que j’avais eu raison de remettre tous ces machos Ă leur place. Sa tĂŞte quand je lui ai dit qu’il n’y avait pas que des hommes qui profitaient de la situation, m’a mis en joie.Au cours d’une visite de Parrain, je lui reparle de mes doutes quant au cĂ´tĂ© accidentel de ma rencontre avec la voiture. Il est dubitatif, malgrĂ© les incidents prĂ©cĂ©dents. Pour le convaincre, je lui narre la tentative qui a eu lieu ici mĂŞme. Il a l’air sceptique quand je lui parle de mes dons psychiques. Pour le convaincre, je dĂ©cide de lui prouver mes capacitĂ©s. Sans faire de commentaires, je note sur un papier trois choses auxquelles je veux le faire penser. Papa en uniforme, sa maison de campagne et mon dernier dĂ®ner chez lui. En attendant, dans la mĂŞme optique, je lui demande de penser, d’abord Ă une couleur, ensuite Ă une forme, un numĂ©ro, enfin Ă une personne. Visiblement il n’y croit pas, il pense que je fantasme sur mes capacitĂ©s. Quand je lui annonce qu’il a pensĂ© Ă la couleur bleu roi, Ă une pyramide, non pas Ă un numĂ©ro mais Ă une addition 7 + 5 et qu’enfin c’est Ă Isabelle sa femme qu’il a pensĂ©, je prĂ©cise mĂŞme avec beaucoup d’affection. Je lui remets aussi mon petit papier en lui disant qu’il a dĂ» aussi penser à ça. Il me regarde effarĂ© et un peu gĂŞnĂ©, car lorsqu’il a songĂ© Ă sa femme, son esprit a vagabondĂ© vers des moments oĂą il la serrait dans ses bras en l’embrassant. Il bredouille presque :— Ce n’est pas possible.Je lui montre mon appareil de radio et le mets en marche sans y toucher et change les frĂ©quences.— C’est difficile Ă admettre. Je ne pensais pas que ça puisse exister. C’est de la science-fiction, du fantastique.Il se ressaisit :— Depuis quand peux-tu faire… ça ?Je lui raconte comment ça s’est dĂ©veloppĂ© depuis mon accident.— En as-tu parlĂ© Ă quelqu’un ?— Non.— Dans ce cas, continue. Personne ne doit savoir. C’est trop dangereux si une telle chose se savait. Mortellement dangereux. Beaucoup de gens voudraient profiter de tes capacitĂ©s et encore plus de gens n’aimeraient pas savoir que quelqu’un les possède. Peux-tu contrĂ´ler ces pouvoirs ?— Un peu. J’ai appris Ă barricader mon esprit pour ne pas ĂŞtre assailli par les sensations et les pensĂ©es extĂ©rieures. Mais certaines très violentes rĂ©ussissent Ă franchir mes barrages. Il y a deux jours un mourant a Ă©tĂ© amenĂ©, j’ai eu beaucoup de mal Ă m’isoler de sa souffrance et de son angoisse.— Bon je vais mener ma petite enquĂŞte. Je te tiendrais au courant.Jeudi 16 septembre : DĂ©cisions fĂ©mininesÇa fait une semaine que je bataille contre l’apathie de VĂ©ronique et aujourd’hui le rĂ©sultat est spectaculaire. Elle ne me parle pas, mais elle me serre la main et me sourit de nouveau. Quand Dominique et Gwendoline me rendent visite dans la soirĂ©e, je leur fais part des progrès du jour. Dominique m’explique alors qu’elles espĂ©raient un tel rĂ©sultat après leur visite rendue hier Ă VĂ©ronique en sortant de ma chambre. Elles ont discutĂ© avec elle. Je sais ce qu’elles vont dire et je ne me trompe pas. En rĂ©sumĂ©, elles lui ont dit bienvenue au Bernard’s love Club. LĂ oĂą il y en a pour deux, y en a pour trois. Dominique prĂ©cise :— Elle a tant donnĂ© pour toi, que ce n’est que justice qu’elle aussi ait sa part de bonheur et de joie. Ni Gwendoline, ni moi n’aurions pu nous regarder dans un miroir, ni te regarder si nous l’avions laissĂ©e dĂ©pĂ©rir, alors que la solution Ă©tait Ă©vidente.Et Gwendoline d’ajouter avec une naĂŻvetĂ© dĂ©concertante :— Et comme Maman est retournĂ©e avec Papa.Je complète sa phrase intĂ©rieurement « Ça fait une place vacante ». On croirait presque qu’elle parle du siège d’un conseil d’administration, auquel on pourvoit par cooptation. Je ne proteste pas de ce qu’elles ont dĂ©cidĂ© sans me consulter. Je savais que ces derniers Ă©vènements avaient fait de VĂ©ronique quelqu’un qui compte beaucoup pour moi. Mais je n’en assumais pas toutes les consĂ©quences. Maintenant qu’elles m’ont forcĂ© la main, ou plutĂ´t ouvert les yeux je dois bien me l’avouer elle a rejoint les deux sĹ“urs dans mon cĹ“ur, tant j’ai senti la force de son amour. Un amour dĂ©vouĂ©, sans restriction, la menant au-delĂ d’elle-mĂŞme.De ce jour VĂ©ronique et moi reprenons du poil de la bĂŞte Ă grande vitesse, Ă©tonnant mĂŞme les mĂ©decins. Elle se remplume rapidement. On parle de nous envoyer en maison de repos. Je crois que certains ne seront pas mĂ©contents de nous, ou plutĂ´t de me voir dĂ©gager le plancher. Je n’ai pas la naĂŻvetĂ© de me demander pourquoi.Dimanche19 septembre : Visite surpriseJe discute avec VĂ©ronique dans sa chambre, quand on m’avertit que j’ai de la visite. Je regagne ma chambre. Un monsieur m’attend. Il se retourne. Pas de doute je ne l’ai jamais vu qu’en photo, mais je le reconnais : c’est Monsieur Saint Lescure. Il se lève pour se prĂ©senter et me saluer. Je reste un moment sous le choc, avant de me ressaisir. Je sens chez lui de la gĂŞne, de l’apprĂ©hension, mais il est dĂ©terminĂ©. Sa poignĂ©e de main est franche. L’entrevue tant de fois envisagĂ©e va enfin avoir lieu. Et c’est la montagne qui est venue Ă moi. Il ne se perd pas en circonvolutions.— Je veux d’abord vous prĂ©senter mes excuses. Ma conduite vis-Ă -vis de vous Ă©tait ridicule. J’ai agi sans rĂ©flĂ©chir, pris des dĂ©cisions hâtives et fais appel Ă des personnes nullement qualifiĂ©es. Un collaborateur aurait rĂ©agi aussi lĂ©gèrement dans l’entreprise, je l’aurais virĂ©.Après un temps, il ajoute avec humour et franchise :— Sauf bien sur si cela avait rĂ©ussi. Ma seule excuse est que cela concernait ma famille. J’étais d’autant plus inquiet et furieux que vous vous en preniez Ă mes deux filles. Je craignais qu’elles ne soient tombĂ©es sur un godelureau intĂ©ressĂ© par l’argent. Je vais ĂŞtre franc avec vous…— Vous l’êtes dĂ©jĂ .— J’ai Ă©tĂ© amenĂ© ces derniers temps Ă plus rĂ©flĂ©chir sur ma vie que je ne l’avais jamais fait.Je me prĂ©pare Ă dire quelque chose, il me fait un signe de la main :— Laissez-moi terminer, c’est dĂ©jĂ très difficile pour moi. Il y eut une grave crise entre Anne et moi, cela a Ă©tĂ© le dĂ©clencheur. J’ai parlĂ© avec elle et avec mes filles, comme je n’avais jamais parlĂ© avant, non seulement parlĂ©, mais Ă©coutĂ©. C’est ainsi que j’ai pu constater leur amour pour vous et leur angoisse devant votre Ă©tat, que j’ai appris que ce sont elles qui vous ont retenu et ont proposĂ© votre… disons partage de vie. Votre arrangement avec mes filles ne me plaĂ®t toujours pas, mais j’ai compris que si je veux continuer Ă les voir, il faut que je l’accepte. Je gardais des craintes, entre autres sur votre intĂ©ressement, moins aigu qu’au dĂ©but, car en y rĂ©flĂ©chissant un peu plus, je me suis rendu compte que dans ce cas-lĂ , vous n’en auriez visĂ© qu’une seule. Et en plus il y quelques jours un ami de la famille Georges Doucadal, avec qui vous avez dĂ©jeunĂ©, m’a appris que vous n’aviez pas besoin de courir après l’argent, ce qui a achevĂ© de me rassurer.L’homme d’affaire ressortant en lui, il ne peut s’empĂŞcher de parler « business », et de me poser quelques questions sur mes investissements. D’abord l’entreprise que j’ai reprise avec mes amis. Il est un peu déçu quand je lui dis qu’après y avoir travaillĂ©, je l’avais quittĂ©e, ne me sentant pas une âme de gestionnaire et n’ayant, contrairement Ă mes amis, nulle compĂ©tence technique. Par contre il se montre très intĂ©ressĂ© quand je lui dis que j’aide encore Ă la conclusion de certains contrats, avec l’armĂ©e ou avec certains pays africains grâce aux anciennes relations de mon père. Mais c’est ma gestion de mon portefeuille d’actions qui l’impressionne le plus, surtout quand il je lui dis que je m’en occupe personnellement, en m’efforçant de me tenir au courant de ce qui peut influencer les marchĂ©s. Il me dit que les rĂ©sultats que j’obtiens pourraient faire pâlir de jalousie beaucoup d’investisseurs.Quand il prend congĂ© et que je lui dis au revoir Monsieur, il me dit de l’appeler Pierre. Cela s’est passĂ© le mieux du monde. D’autant que durant tout notre entretien, je me suis efforcĂ© de le sonder, car je n’oublie pas les attentats dont j’ai Ă©tĂ© victime. Mais j’ai fait chou blanc. J’en viens Ă penser qu’effectivement après l’attaque du Bois de Vincennes, il n’a plus rien tentĂ©. Mais alors qui ?Un peu plus tard, Anne arrive accompagnĂ©e des filles. Elles Ă©taient au courant de la visite et s’inquiètent de la manière dont elle s’est passĂ©e. Je les rassure et leur fais un petit compte-rendu. Elles sont ravies de la tournure que prennent les choses.Mardi 21 septembre : SortieAvec VĂ©ronique nous sommes priĂ©s d’achever de guĂ©rir ailleurs. Moi en maison de rĂ©Ă©ducation, elle dans ses foyers. Il faut dire qu’elle a vite rĂ©cupĂ©rĂ©. Mes muscles après cette longue inactivitĂ© n’ont pas retrouvĂ© toute leur tonicitĂ©. Et mon bras gauche celui qui a Ă©copĂ© lors de la chute, est encore douloureux et raide. Quant Ă mon crâne, Ă part une nouvelle cicatrice qui s’ajoute Ă celle que je dois au coup de vase de la douce Gwendoline, les toubibs m’affirment qu’ils ne voient pas de sĂ©quelles et que tout est normal. Je dois vraiment avoir la tĂŞte dure. Mais je ne leur ai soufflĂ© mot des petits talents que l’accident a dĂ©veloppĂ©s en moi.Je crois que je n’en ai pas fini avec la rĂ©Ă©ducation. Il faudra que ça aille, car je n’oublie pas que le mois prochain je dois rejoindre l’ENSB, l’école de bibliothĂ©caire Ă Villeurbanne. Les formalitĂ©s de sortie ayant Ă©tĂ© faites la veille, le matin une ambulance doit m’emmener vers le Centre d’orthopĂ©die. Au moment de quitter la ma chambre, VĂ©ronique arrive. Nous sommes debout face Ă face, nos regards accrochĂ©s. Nos esprits se rencontrent. Elle se love dans mes bras qui s’ouvrent, nos lèvres se rejoignent pour notre premier baiser, doux comme une brise de printemps. Nos langues se dĂ©couvrent. Jusqu’à ce jour, nous n’étions pas allĂ©s plus loin que se tenir la main et quelques caresses lĂ©gères sur la joue ou sur la nuque. Nous sommes hors du temps et de l’espace, tout l’un Ă l’autre. Une dĂ©charge nous frappe douloureusement, nous ramenant cruellement dans notre monde. C’est Carine qui nous a effleurĂ© l’épaule :— Je suis dĂ©solĂ©e, il faut y aller, l’ambulance ne peut plus attendre.Elle rayonne de sympathie et de bienveillance, et est vraiment navrĂ©e d’avoir dĂ» nous ramener sur terre. Je la suis. Au moment de monter dans le vĂ©hicule, elle m’embrasse sur la joue :— Et encore merci, de ma part et de la part de quelques autres.— N’oublie pas…— Oui je sais, se dĂ©fendre si on essaie de nous faire des ennuis et t’appeler en cas de problème.— N’hĂ©sitez pas, j’ai la chance d’avoir quelques relations.Lundi 4 octobre : Home sweet homeAprès deux semaines de rĂ©Ă©ducation intensive, on accepte de me laisser partir. J’ai dĂ©jĂ mes rendez-vous de kinĂ© Ă Paris et Ă Lyon. Seuls deux Ă©vènements sont venus rompre la monotonie de mon sĂ©jour. Le 25 septembre ont Ă©tĂ© fĂŞtĂ©s mes 26 ans. J’ai eu Ă cette occasion un nombre record de visites. Et jeudi dernier nous avons signĂ© pour un nouvel appartement. Les deux sĹ“urs, accompagnĂ©es de VĂ©ronique après sa sortie, avaient prospectĂ© pour trouver un appartement plus vaste. Elles en ont trouvĂ© un qui leur semble idĂ©al. Tout le cinquième Ă©tage d’un immeuble Haussmannien dans le quartier des Invalides. Avant d’aller chez le notaire, j’ai pu aller le visiter (heureusement il y a un ascenseur). Ă€ l’origine il y avait trois appartements diffĂ©rents que le prĂ©cĂ©dent propriĂ©taire avait successivement achetĂ©s. Il est composĂ© d’une immense salle Ă manger, de huit autres pièces, d’une grande cuisine, d’une buanderie et de trois salles de bain. Pour la surface ce n’est pas cher. L’achat se fait Ă nos quatre noms. Les parents de Dominique et Gwendoline donnant Ă chacune de leurs filles un quart du prix, Moi mĂŞme j’en apporte 40%. Ça met une claque Ă mes placements monĂ©taires Les 10% restants venant de VĂ©ronique. Cette dernière ne disposait pas d’une telle somme. Comme les sĹ“urs et moi pensions qu’elle devait ĂŞtre associĂ©e Ă l’achat, nous lui proposons d’avancer les fonds nĂ©cessaires. Cela la gĂŞnait terriblement, elle avait l’impression que nous lui faisions l’aumĂ´ne. Finalement c’est sa sĹ“ur, son frère et le premier mari de sa mère qui l’ont aidĂ©e.Entre parenthèses, j’ai le plus grand respect pour ce Monsieur Carrier. Bien que VĂ©ronique ne lui soit rien, il s’inquiète pour elle, en plusieurs occasions l’a soutenue et protĂ©gĂ©e. Ă€ l’hĂ´pital, il lui avait rendu plus souvent visite que sa mère. Il l’avait accompagnĂ©e pour me rencontrer et s’assurer qu’elle n’était pas tombĂ©e sur un oiseau semblable Ă ceux qu’elle frĂ©quentait il y a encore peu. Au moment de partir il s’était un peu attardĂ© pour me glisser :— Vous savez c’est une brave fille, mais jusqu’à prĂ©sent elle n’a pas Ă©tĂ© très favorisĂ©e. Je ne veux pas juger votre manière de vivre, tout ce que je vous demande c’est de ne pas vous moquer d’elle et de ne pas la faire souffrir.Quand il m’a dit ça, je sentis sa rĂ©elle inquiĂ©tude. Ha ! Si tout le monde Ă©tait comme lui. Enfin ne rĂŞvons pas. Je ne passerais que deux nuits Ă Paris, avant de partir pour Lyon oĂą VĂ©ronique m’accompagnera pour mon installation. Le nouvel appartement n’est pas encore disponible. Aussi c’est mon appartement que je rejoins, accompagnĂ© de ces trois demoiselles qui sont venues me chercher. Après le dĂ®ner, VĂ©ronique prĂ©fère regagner son logement. Cela me soulage un peu. Le rĂ´le du sultan choisissant sa favorite de la nuit tandis que le harem attend son bon vouloir, me met toujours mal Ă l’aise.Ça fait bientĂ´t trois mois que les filles et moi n’avons pas eu d’intimitĂ©. Maintenant que je reprends du tonus, je dois bien avouer, que cela me dĂ©mange un peu et mĂŞme plus qu’un peu.Je fais connaĂ®tre mon choix, un moment de gĂŞne est vite passĂ© et je ne vais tout de mĂŞme pas geindre sur mon sort. Et il faut bien avouer qu’il des avantages. Si une de ces demoiselles n’est pas en forme, a la migraine, n’est pas bien disposĂ©e, si, si ce sont des choses qui peuvent arriver, et que j’ai envie de faire crac crac, je n’aurais pas Ă faire ceinture. Je la laisse se reposer, sans l’importuner, ce qui a des chances d’amĂ©liorer son humeur Ă elle. Quant Ă mon humeur Ă moi, la frustration ne la fait pas virer au noir puisque je trouverais quand mĂŞme un rĂ©confort…Après avoir aidĂ© Gwendoline Ă ouvrir le canapĂ©, Dominique et moi nous dirigeons vers la chambre. Nous faisons escale Ă la salle de bain pour une douche commune. Tandis que l’eau ruisselle sur nous. Je la serre dans mes bras, son cĹ“ur vibre et son dĂ©sir croit, le mien aussi d’ailleurs. Je lui soulève le menton pour l’embrasser. Quand nos bouches se sĂ©parent, il faut bien reprendre son souffle, nous disons en mĂŞme temps :Cela nous fait sourire et nous enchaĂ®nons toujours de concert :LĂ nous Ă©clatons de rire. J’explore sa poitrine des mains et de la bouche. En sortant nous nous essuyons rapidement, la canicule est loin et on a moins envie de traĂ®ner mouillĂ©. Je l’entraĂ®ne vers le lit. Ă€ la vĂ©ritĂ©, je n’ai pas besoin de l’entraĂ®ner, je devrais plutĂ´t dire nous nous entraĂ®nons vers le lit. Elle s’y installe Ă quatre pattes, levant haut les fesses. Je m’installe Ă genoux derrière elle et la saisis par les hanches. Ma virilitĂ© pointe naturellement vers ce que la nature a prĂ©vu pour l’accueillir. Après avoir un peu balancĂ©, mon gland trouve sa place, contre ses lèvres congestionnĂ©es. J’entre dans sa grotte d’amour lentement, millimètre par millimètre, voulant savourer chaque moment de la pĂ©nĂ©tration. Ça y est je suis plantĂ© en elle jusqu’à la garde, ses fesses contre mon ventre. Je commence, d’abord lentement, Ă ramoner son conduit si doux. Sa respiration devient saccadĂ©e. Brusquement elle lance :— Tu peux continuer jusqu’au bout. Je prends la pilule.Elle ne croit pas si bien dire, soudainement je sens que je vais partir. Je ne parviens pas Ă me contenir. Je me rĂ©pands en elle. Elle ne m’a pas accompagnĂ©, je sens un bref dĂ©sappointement. Elle n’y arrĂŞte pas, se retourne et prend les choses en mains, je devrais plutĂ´t dire en bouche. Elle s’applique Ă me redonner de la consistance. Elle y rĂ©ussit Ă merveille. Il faut dire que de la langue et des lèvres elle fait tout ce qu’il faut pour.Elle relève un peu la tĂŞte, jugeant le rĂ©sultat obtenu satisfaisant, elle reprend sa position initiale, tendant encore plus la croupe si cela est possible. Je retrouve le chemin tout Ă l’heure dĂ©sertĂ© et le sillonne de nouveau avec entrain. Cette fois-ci, je tiens la distance. Je sens son plaisir monter une première fois. Je la maintiens fermement et continue Ă la pistonner. Une seconde fois elle prend son pied, les mouvements dĂ©sordonnĂ©s de son bassin me font arroser une nouvelle fois sa chatte. Pour une reprise de contact, ça ne s’est pas trop mal passĂ©. Elle se love contre moi. Nous nous endormons rapidement.Mardi 5 octobre : RĂ©vĂ©lation8 h 00, il est 8 h 00 quand un coup de sonnette prolongĂ© nous tire du sommeil. Je suis en train d’émerger pĂ©niblement quand Gwendoline surgit, me disant que quelqu’un dĂ©sire me parler. J’enfile une robe de chambre et la suit. Un enseigne de vaisseau m’attend dans la salle Ă manger.— Le gĂ©nĂ©ral Du Vergier de La Rochejacquemain dĂ©sire vous voir. Une voiture vous attend en bas.— J’arrive.Je fonce procĂ©der Ă la petite toilette que le sommeil qui m’a emportĂ© ne m’a laissĂ©e faire hier soir et m’habille en un temps qui devrait figurer dans le livre des records. J’embrasse mes deux chĂ©ries sous l’œil un peu envieux du marin et le suis.Nous fonçons dans Paris Ă une vitesse qui devrait valoir au chauffeur de se faire clouer au pilori par la marĂ©chaussĂ©e. Nous pĂ©nĂ©trons au 128 boulevard Mortier. On me conduit au bureau de parrain.— Excuse-moi de t’avoir tirĂ© du lit si tĂ´t, mais je savais que demain tu pars pour Lyon et je n’ai pas voulu te gâcher ta première soirĂ©e de libertĂ©. Mais j’ai des nouvelles pour toi. La première, Monsieur Saint Lescure n’est pour rien dans les tentatives d’assassinat contre toi.— Je l’ai rencontrĂ©, nous avons discutĂ© et j’en Ă©tais presque persuadĂ©. Mais si ce n’est pas lui, Qui est-ce ?— Bonne question, et nous avons la rĂ©ponse.