Article 5 : Pour que la Cité puisse assurer la survie de l’espèce humaine dans des conditions optimales, sa population est fixée à 100 000 âmes. (Constitution de l’An 94) Partie 1 : Conseil de la Cité des 100 000. En ce trois cent soixantième quatrième jour de l’année standard terra 374, Engle A’Merkl, en charge de la santé et de la natalité, conduisait son dernier conseil. Autour de la table ronde se tenaient les sept autres conseillers dans leur toge noire d’apparat. À sa gauche se tenait Plutt O’Trompe, ministre de l’équilibre écologique et de l’agriculture, son successeur qui présiderait aux destinées du Conseil l’année suivante. À sa droite, le très craint Jeh O’Vatican, archiprêtre de la police de la pensée, l’élément le plus puissant de ce conseil. Puis venaient Djenn J’Hiskan, prospecteur du retour et de l’exploration spatiale, Hard A’Pagon, secrétaire au trésor, Izac A’Zimoff, directeur de la maison des Sciences, Hasib O’Nanga, conseiller aux sports et à la culture et pour finir Gand I’Nez-Roux, répartiteur des tâches.Ces huit personnes élues à vie gouvernaient sans opposition aucune la Cité des 100 000. Cette Cité résultait du projet fou d’un richissime homme d’affaires, utopiste, visionnaire. Il avait décidé puis entrepris la construction d’une ville lunaire pour sauver l’humanité. À l’origine, il avait croulé sous les rires et quolibets, passé pour un de ces survivalistes paranoïaques. Mais après sa mort, l’évolution de la planète incita son seul héritier, surfant sur la vague de peur générée par le réchauffement climatique, à poursuivre le projet. Il en fit une entreprise très rentable.La multiplication des cataclysmes naturels avait provoqué des catastrophes industrielles générant des millions de morts et rendant d’importantes zones inhabitables. L’élévation des températures avait multiplié de manière exponentielle les étendues désertiques, rendant la vie improbable en de nombreux endroits. Cette chaleur anormale avait provoqué la fonte des glaces et une montée des eaux. Des régions entières avaient été submergées. D’autres, suite à des accidents nucléaires, étaient devenues inaccessibles à l’homme.Nourrir cette planète surpeuplée posait un problème majeur et insurmontable. La population mondiale, refusant toute contrainte contraceptive, ne cessait d’augmenter. La faune sauvage ne survivait qu’en captivité en de rares « exemplaires », les poissons et crustacés avaient disparu des océans, même les insectes se faisaient rares. L’élevage et l’agriculture intensive ne pouvaient subvenir aux besoins d’un si grand nombre. La famine gagnait des couches de la société qui s’en croyaient épargnées. La fin de l’humanité était programmée et inéluctable.Le projet « Luna City » représentait l’ultime recours. L’argent fut le seul critère de sélection : 300 familles, les plus riches, y furent associées. Riches ne veut pas dire stupides. Il leur fallait des chercheurs pour survivre et progresser et des techniciens pour appliquer et servir. C’est ainsi que 3 000 chercheurs, 30 000 techniciens et leurs familles, soit environ 80 000 personnes, s’installèrent progressivement dans la Cité. Quand elle fut complètement opérationnelle, ils furent rejoints par leurs commanditaires : un millier de personnes (1013 pour être exact) qui forma la caste dirigeante de ce qui devint la Cité. Il fallut, au bout d’un certain temps, établir des règles. La caste dirigeante ne voulant en rien abandonner son pouvoir, une Constitution de type oligarchique, pseudo-démocratique, fut proclamée. S’appuyant sur les ressources que le Cité pourrait générer, le nombre d’habitants maximum fut fixé à 100 000.Calme plat pour cette réunion hebdomadaire qui tirait sur sa fin. Il ne restait plus que deux items à l’ordre du jour. Le premier, faire le point sur la population, dépendait directement du domaine de compétence de la présidente. Il fut rapidement expédié. Ce dernier mois, la ville avait perdu cinq habitants : deux, suite à un accident dans un laboratoire et trois, morts de vieillesse. Leurs familles avaient fait valoir leur « droit à progéniture ». Cinq embryons avaient été décongelés et mis en incubateurs.En cette année 374 après le grand déménagement, cela ferait presque deux siècles que les femmes ne portaient plus d’enfants et la constitution avait prohibé la copulation. Dans le premier siècle de l’installation, toute activité sexuelle, hors en vue de procréation, avait été bannie de la Cité et remplacée par la drogue du bonheur. Drogue, mise au point par les chimistes, qui annihilait tout désir sans affecter les capacités intellectuelles. Cette réforme connut quelques aléas lors de sa mise en application. Soucis causés surtout par les Anciens qui avaient forniqué toute leur vie et pour lesquels certains écarts furent tolérés. Avec le temps et grâce à la puce Br. 0 qui délivrait sa dose quotidienne d’anesthésiant sexuel, toute opposition disparut. En l’an 154, la couveuse intelligente s’était substituée progressivement à la grossesse intra-utérine, l’interdiction de toute pratique par la loi passa pratiquement inaperçue. Conséquence non voulue, mais prévisible : avec l’absence totale de désir, les sentiments s’estompèrent, jusqu’à disparaître pour les castes inférieures, des chercheurs aux techniciens.La loi concernait aussi les patriciens, mais eux ne prenaient pas la drogue du bonheur et continuaient allègrement à s’envoyer en l’air.Vint enfin le dernier item : la requête de l’historien chercheur Rad A’Gast pour se rendre sur Terre afin de retrouver une étude du professeur Asimov qui avait prévu bien avant l’heure les méfaits de la surpopulation et des solutions envisageables pour permettre à l’humanité de subsister. Le peuple de la Cité considérait le professeur comme un prophète. Cela lui avait valu le surnom de Saint-Isaac, marque de vénération bien que, à l’exception de certains spécialistes de l’histoire ancienne, nul ne savait ce qu’était un saint. Toute pratique et évocation religieuse avait été interdite dans la Cité parce que relevant de l’obscurantisme. Le seul dogme politiquement correct relevait de la science. À l’espoir de vie éternelle dans un paradis hypothétique se substitua la réalité d’une très, très longue vie dans la Cité.Une partie de l’œuvre d’Asimov avait disparu mystérieusement lors des transferts des datas terriens vers la Cité. Cette partie aurait fait lien entre « Les cavernes d’acier » et le cycle de « Fondation ». Selon de nombreux chercheurs, ces fichiers avaient été effacés volontairement par un groupe nihiliste qui voulait la disparition de l’espèce humaine. D’après ce groupuscule, ces écrits auraient contenu des pistes, des possibles solutions pour la réhabilitation de la Terre et ils n’en voulaient pas. Rad A’Gast en particulier, avait passé sa vie entière à tenter de localiser ces fichiers. Il était persuadé d’avoir identifié plusieurs serveurs terriens où ils pourraient les retrouver si la fureur des éléments ne les avait pas irrémédiablement détruits.Ses certitudes ainsi que son physique de jeune aventurier avaient convaincu la conseillère A’Merkl. Elle avait réussi à entraîner derrière elle la majorité du Conseil tout en sachant que le dernier mot reviendrait à la police de la pensée. La première salve fut tirée par les opposants.— Totalement inutile, aboya I’Nez-Roux. Nous avons tous les documents et archives nécessaires.— Et nous savons tous que c’est leur égoïsme stupide et leur goût pour la fornication qui est la cause de tout, surenchérit O’Nanga, le seul « pur » de cette docte assemblée.Engle se retint pour ne pas pouffer, car à la même seconde, Plutt, sans réelle discrétion venait de glisser la main droite sous sa toge et remontait haut sur sa cuisse.— Le frère Hasib a raison, reprit onctueusement O’Vatican, le pire des hypocrites. Ces sous-êtres par leur comportement bestial ont détruit notre Mère Patrie.— Tu n’es pas en chaire, le coupa Hard A’Pagon de sa voix aigrelette. Laisse ton prosélytisme de pacotille dans la soute. Tu ne disais pas ça hier soir alors que je te sodomisais en te tordant les testicules. Les erreurs industrielles portent une part de la responsabilité et le soleil l’autre part. Cependant je suis en accord avec toi : cette expédition est une dépense inutile.La dextre de O’Trompe avait atteint un point sensible. Un index inquisiteur titillait, à travers les fibres auto-vibrantes de son cache-sexe, son petit bouton de rose. La présidente de séance tentait, tant bien que mal, de rester concentrée sur le débat alors que des ondes bienfaitrices parcouraient tout son corps et qu’une humidité agréable, mais gênante imprégnait sa vulve. Serrer les jambes ou les ouvrir : telle était la question shakespearienne qui se posait.— Dépense ! Tu n’as que ce mot à la bouche, alors que dans notre situation, il ne signifie rien, à moins que tu l’associes à énergie, n’intervint Djenn J’ Hiskan, le doyen de l’assemblée. Asimov était un visionnaire…— Oui ! Un visionnaire qui a bidouillé un machin sur la propulsion subluminique qui va nous permettre de dégotter une planète où on pourra s’envoyer en l’air autant qu’on veut, le coupa ironiquement O’Trompe dont l’index, contournant le dernier obstacle, s’était introduit dans la foufoune glabre de la présidente. Sauf que… nous n‘avons pas la moindre foutue idée de comment fabriquer ce moteur. Et lui non plus !— Hummmm’mùm, s’exclama Engel.— Tu nous la refais en lunéen moderne ? demanda son doigteur goguenard.Le salaud, pensa-t-elle ! Ce doigt qui s’agitait en elle avait provoqué un mini-orgasme. Elle se reprit.— Oui, bien évidemment. Asimov n’est peut-être qu’un illusionniste, mais nous ne pouvons pas courir le risque de passer à côté. Depuis trois siècles, nous sommes confinés dans cet espace clos. Nous subsistons tant bien que mal. S’il existe une chance, même infinitésimale, que le professeur nous ouvre une porte…S’adressant au directeur de la maison des sciences :— Qu’en pensez-vous, mon cher Izac ?— Je suis un peu gêné de vous répondre, en tant que lointain descendant du professeur Asimov… Mais une simple remarque de bon sens : que risquons-nous à envoyer un homme sur Terra ? Qu’il meure ? Il aura choisi son destin.— Si nous arrêtions quelques minutes d’être hypocrites, intervint O’Nanga. Aucun d’entre nous n’a envie que la situation change. Nos familles vivent très bien ici et aucun membre du Conseil n’a envie, madame la Présidente, qu’une porte s’ouvre. Alors, à quoi bon prendre ce risque ?— Parce qu’il y a strictement aucun risque, ricana O’Trompe. Faut que je vous le dise en quelle langue : Asimov était un scribouillard, certes imaginatif, mais tout ça, c’est du vent et…— Je ne vous permets pas, le coupa A’Zimoff. Mon ancêtre était…— Plutt a entièrement raison ! A’Gast est un rêveur ! Asimov, malgré son génie, mon cher Izac, n’avait pas les connaissances pour un tel projet. Mais aux yeux des Citéens, cela renforcera notre crédibilité dans l’intention que nous avons de reconquérir la Terre ou de trouver un nouvel habitat.Après cette intervention musclée d’A’Merkl, la discussion continua stérile, comme toute discussion. Finalement elle proposa un vote. Elle avait hâte de se retrouver seule avec O’Vatican, qu’elle avait activement paluché tandis que O’Trompe la doigtait. Pour obtenir son adhésion, elle avait dû lui susurrer qu’elle accepterait de se faire sodomiser et de le flageller ensuite pour absoudre sa faute. Elle allait pouvoir se défouler et se débarrasser du stress de cette séance.L’archiprêtre de la police de la pensée dans sa poche, ou plus prosaïquement dans son cul, le vote était acquis. Par cinq voix contre trois, Rad A’Gast avait gagné le droit d’aller sur Terre. ******************* Article 1er : tout individu a une liberté totale et entière de pensée. (Constitution de l’An 94)Article 1bis (amendement du 108-02-28) : la liberté de pensée n’autorise pas l’expression publique de pensées mettant en danger l’équilibre de l’État-Cité. Partie 2 : quelques jours plus tard. En route pour Terra.Rad A’Gast avait plusieurs cordes à son arc. Il était reconnu et respecté par tous pour ses travaux sur Asimov. Mais, et cela le peuple de la Cité comme les édiles l’ignoraient, il était un bricoleur de génie en I. A. (Intelligence Artificielle), à ses moments perdus. Nul, à l’exception de l’ingénieur qui lui avait servi de prête-nom, ne se doutait qu’il avait conçu et réalisé son assistante androïde personnelle, Charlie01. Il en aurait remontré à tous les « spécialistes » de la question. Enfin c’était le plus fieffé coquin de la cité, qui avait bâti toute sa vie sur un mensonge. Seule, Charlie01 partageait son secret.Rad et sa complice avaient été déposés dans l’île flottante N° 4 qui restait en orbite stationnaire au-dessus du continent européen. Ces stations spatiales, au nombre de six, servaient de cantonnement aux scientifiques qui travaillaient sur Terra. Ils n’y étaient restés que le temps de prendre un repas, de recevoir tenues et matériel d’exploration. Maintenant, confortablement installés dans la navette BB9004, ils tournaient autour de Terra dans une ellipse descendante qui, dans moins d’une heure, les amènerait au point de décrochage. Ensuite ce serait la plongée vers la surface, vers l’inconnu. Un officier de la garde d’élite de Luna les attendait. Il leur servirait de guide, de pilote et surtout de garde-chiourme. O’Vatican, avait certainement pesé dans le choix de la personne qui les escorterait. Cela n’inquiétait pas trop Rad, il comptait sur Charlie pour faire le boulot. Celle-ci le sortit de ses pensées :— Qu’est-ce qui te tracasse ? demanda-t-elle avec un zeste d’inquiétude dans la voix.Rad la regardait, admiratif. Rien ne lui échappait. Elle sentait son moindre changement d’humeur. Il ne la considérait plus comme une I. A. depuis très longtemps. Il avait atteint un tel niveau de sophistication que Charlie avait pris le contrôle et ajustait elle-même sa programmation – mais pouvait-on encore parler de programmation ? Totalement autonome, elle pensait, prenait ses propres décisions. Il avait fait d’elle, un être vrai, un être humain sans filtre. Soumise à aucune des lois de la robotique de Saint-Isaac, elle avait son libre arbitre. Elle éprouvait des émotions : joie, colère, tristesse… et amour, ce concept que la Cité avait effacé. Elle avait réveillé son empathie et elle lui importait plus que n’importe quel humain de son entourage. Il se refusait de nommer ce sentiment.Cet attachement était si fort que cela avait provoqué, à la mort de son grand-père, un conflit avec son père. L’usage voulait qu’à la disparition d’un ascendant, le dernier mâle de la lignée s’inscrive sur la liste des futurs parents. Mais pour cela, encore fallait-il avoir une partenaire. Rad avait toujours refusé d’être appareillé et, malgré les demandes répétées de son géniteur, il s’obstinait dans son refus. À ses yeux nulle femme ne pouvait prétendre à remplacer Charlie. Rad, ayant reçu une éducation stricte, où toute discussion sur le sexe était tabou, il s’effrayait parfois d’avoir certaines pulsions, pulsions vite réprimées, envers elle. Le sexe, c’était l’abomination, pourtant il ne pouvait s’empêcher de… Il comprit plus tard, lors du contrôle médical semestriel que ses sentiments, ses fantasmes avaient été libérés par un bug de sa puce Br. 0. Lorsque le medic la réinitialisa, il fut d’abord soulagé. Il n’aurait plus ses pensées coupables. Mais rapidement, il ressentit un état de manque. Le petit génie en informatique qu’il était, bien secondé par Charlie, reprogramma facilement la puce. Ce qu’il partageait avec elle lui permettait de repousser les pulsions bestiales qu’il éprouvait à son égard. Leur relation restait d’une orthodoxie totale.Lorsqu’il l’avait créée, il n’avait aucunement pensé à l’aspect sensuel/sexuel de son androïde. Seule une recherche esthétique le motivait. Il avait flashé sur un fichier suranné délicieusement archaïque qu’il avait trouvé dans les datas de son grand-père. Qui était-ce ? Il n’en savait rien, son aïeul non plus. Ils avaient pour seule information, le nom du fichier : Charlie67. Il en tira son nom en remplaçant le 67 par un 01, puisqu’elle était la première. À son accoutrement, sa coupe de cheveux, il supposait que c’était une terrienne d’avant le grand déménagement. Une mince jeune femme androgyne, grande pour son époque reculée, une chevelure blonde en désordre. Elle se tenait assise à même le sol, tendant un verre vers l’objectif. Il la reproduisit aussi fidèlement qu’il put. Le résultat le satisfaisait pleinement. Mais, mû par un sentiment indéterminé, il avait dissimulé cette apparence sous celle d’une quinquagénaire grassouillette, asexuée, insignifiante. Elle apparaissait ainsi en public. Quand on se moquait de lui pour ce choix plutôt bizarroïde, il rétorquait que, de par sa stature d’athlète, il se serait trouvé ridicule avec une androïde trop musclée. Les hommes en riaient, les femmes tordaient le nez.— Rien de spécial, ma mie ! lui répondit-il enfin. Sans doute l’importance de l’instant. On arrive en orbite de décrochage et disons que ça me préoccupe.Il ne lui mentait jamais. Dans leur relation personnelle, cela aurait été impossible, elle était dotée de capteurs si sensibles qu’il ne pouvait pas lui cacher grand-chose. Rien, en tout cas, de ses réactions physiques.— D’ailleurs, il va falloir que tu te rhabilles, on a un contact avec la Cité dans 12 min et 33 s, conclut-il en jetant un œil à la pendule du bord.Se rhabiller pour Charlie signifiait recouvrir sa plastique à haute teneur esthétique par une carapace de quinqua quelconque.Lors de la communication avec le directeur des voyages spatiaux accompagné d’un commissaire-prêtre de la police de la pensée et son patron à l’Université, Charlie se tint en retrait, comme la simple assistante qu’elle était. Dès la connexion coupée, elle rejoignit Rad.— Ils sont totalement paranoïaques !— Des connards, lâcha Rad.Il avait serré les poings, retenu ses remarques, s’était montré d’une hypocrisie mielleuse. Le directeur l’avait sermonné sur les risques encourus, le prêtre l’avait incité à une prudence extrême, à un respect total du dogme quant à ses découvertes et son supérieur l’avait briffé comme un chercheur débutant.Depuis cinq ans, des chercheurs exploraient les hypothétiques possibilités de retour. Rad serait le premier non-scientifique à poser les pieds sur la planète bleue. L’enjeu était de taille : pour la première fois, un humain de la Cité partait à la recherche du Graal. Rad, depuis son adolescence, œuvrait pour être cet homme. Depuis trente ans, excepté avec Charlie, il jouait la comédie du parfait Citéen. Les difficultés à surmonter avaient été énormes. La police de la pensée s’était fortement opposée à ce projet arguant qu’on ne pouvait rien trouver de positif chez un penseur d’avant le grand déménagement. Rad avait basé toute sa rhétorique sur la sociologie des « cavernes d’acier ». Du gouffre entre celles-ci et « Fondation ». Le chaînon manquant. Il osa même insinuer qu’il était possible de trouver des indices pour la réalisation d’un moteur subluminique dans les volumes manquants de la parole de Saint-Isaac. Il ne manquait jamais de souligner le fait qu’outre ses écrits, Asimov était un chercheur. Il savait que c’était du pipo. Mais qu’importaient les moyens, seul le but comptait.Sa vie exemplaire avait pesé dans la balance. In fine, l’archiprêtre de la police de la pensée, à sa grande surprise, avait fait basculer le vote. Il soumit son acceptation à la condition que chaque fichier découvert soit lu, analysé par les services de son ministère avant d’être étudié.Rad accepta de bonne grâce des exigences qu’il avait anticipées. De par ses recherches et les survols effectués par les drones-satellites mis en orbite depuis la Cité, il avait choisi deux sites où il pourrait se rendre sans risque de mourir irradié. En fait, il n’était intéressé que par un seul de ces lieux. Il avait d’ailleurs eu quelque mal à faire admettre ce site, car il se trouvait dans un petit pays qui, dans le dernier siècle avant l’Armageddon, n’avait qu’une importance très secondaire, voire marginale. Il avait joué sur la corde sensible : c’était le pays natal de ses ancêtres. On le lui avait accordé comme une faveur.Tout cela n’était qu’une vaste escroquerie. Le Graal qu’il cherchait n’avait rien à voir avec le professeur Asimov. Il trouverait les fichiers manquant du gourou, s’ils existaient, dans un hub de données situé aux anciens états d’Amérique. Il savait aussi que ceux-ci n’apporteraient pas la plus petite ébauche d’une solution aux problèmes de la Cité. Par contre, il espérait bien trouver dans un petit village de l’ancienne contrée d’Alsace, le vrai Graal qui lui, d’après son grand-père paternel, révolutionnerait la vie sur Luna.Ce secret et l’espoir qu’il portait se transmettaient de génération en génération depuis l’arrivée de la famille sur Luna. Au fil des siècles, ne restaient que les paroles sibyllines de l’aïeul sur son lit de mort, paroles captées par son fils :« Dans le bunker, tu trouveras le coffre qui rendra le bonheur aux hommes. »Ces paroles avaient été interprétées, disséquées. Deux clans s’étaient affrontés au cours du temps : les scientifiques, incrédules, dont Sam, son père faisait partie, qui tenaient ce message pour les élucubrations d‘un vieillard sénile au seuil de la mort, vieillard qui regrettait la vie sur Terra. D’autres, aussi nombreux, considéraient que loin d’être les divagations d’un moribond, cela représentait l’avenir de l’humanité. Rad nourri par les croyances de son grand-père croyait dur comme fer à cette version. L’opposition des deux visions, jusqu’à son voyage, restait pure rhétorique. Mais tout ça allait changer, il leur montrerait, leur démontrerait.L’enfance de Rad avait été bercée par les histoires que son grand-père racontait, par les hypothèses qu’il formulait. Toutes gravitaient autour de la reconquête de la Terre ou de la conquête des étoiles, surtout la conquête des étoiles. L’enfant curieux puis l’adolescent romantique, enfin l’adulte idéaliste ne pouvait qu’adhérer à cette chimère. Aussi Rad avait-il construit sa vie dans l’unique but (but ?) de retourner sur Terre et d’être celui qui dévoilerait LE secret qui changerait la vie des Citéens et leur permettrait de sortir de cette prison. Il se voyait acclamé par la foule, élu à la présidence du Conseil…Il touchait au but. Dans quelques heures, leur navette les amènerait à la base avancée de « Schwarzwald » un endroit relativement préservé, une des bulles installées sur Terra pour accueillir les chercheurs de Luna. Ensuite, un landspeeder X38 troisième génération les conduirait jusque dans les faubourgs de ce qui fut un temps la capitale stratégique de l’Europe. Suite à de longues recherches, Rad avait pu géolocaliser la maison de son ancêtre. L’état des ruines de celle-ci lui permettait de croire que l’abri antiradiation construit sous la bâtisse avait de grandes chances d’avoir résisté aux ravages du temps. Il y trouverait ce pour quoi il était venu. Ensuite, il se rendrait sur le continent américain, y trouverait ce pour quoi on l‘avait envoyé et en repartirait complètement désespéré par la futilité de ses découvertes.Avec humilité, il ferait son mea culpa devant le Conseil, mais il en reviendrait avec le Graal. Bien sûr, il faudrait le ramener frauduleusement et Charlie serait son cheval de Troie. ******************* Article 69 : les échanges sexuels inutiles et, de plus dangereux, pour l’équilibre et la survie de l’état cité sont proscrits. (Annexe 05-B4, Constitution de l’An 154) Partie 3 : quelques semaines plus tard ! Le retour.Tout ça pour ça ! Rad en aurait pleuré. Son père avait raison : ce n’était que billevesées, que délire d’un vieillard sénile, pire…Pourtant tout avait bien commencé : ils avaient trouvé sans réelle difficulté la maison de l’ancêtre, du moins ce qu’il en restait. Après des siècles de léthargie, la végétation renaissait lentement, très lentement. Elle ne s’était pas encore attaquée aux infrastructures lourdes des constructions. Ce qui expliquait, sans doute, le bon état relatif de tout le quartier. Après avoir dégagé les lianes qui serpentaient le long du mur, ils avaient pu pénétrer à l’intérieur de l’édifice sans réelle difficulté. Leur guide avait fracturé une porte-fenêtre qui n’avait guère résisté. Après avoir trouvé l’entrée du bunker, Charlie, grâce au Karcher NS2005, un laser perforant, avait pratiqué une ouverture dans le blindage. Rad l’avait envoyée ensuite en éclaireur pour vérifier que les deux hommes pouvaient pénétrer sans risque dans l’abri.Lorsqu’elle leur avait donné le feu vert, un mouvement de cils lui avait confirmé qu’elle avait « absorbé » l’objet de sa quête. Dans ce lieu à l’aménagement spartiate, ils n’avaient découvert aucun document relatif à Saint-Isaac. Manifestant une hypocrite déception, Rad et Charlie s’en était retourné à la station avant qu’on ne les transfère sur N°6 qui contrôlait le continent nord-américain. À Washington DC, ancienne capitale des États d’Amérique, ils n’avaient guère été plus heureux. S’ils avaient découvert ce qui aurait pu être des manuscrits numérisés des œuvres du grand homme, ceux-ci n’étaient pas immédiatement exploitables. Il leur faudrait un long travail pour avoir une maigre chance de les restaurer. Mais cela Rad n’en avait eu cure. Dans son ventre, Charlie portait tous ses espoirs.Dès qu’ils eurent franchi la porte de sa tanière sur Luna, Rad s’était empressé de brancher ses brouilleurs et avait demandé à Charlie d’éjecter de son abdomen son précieux fardeau. Il avait imaginé tellement de choses qu’il ressentit un immense sentiment de déception quand elle lui tendit un antique DD Appsoft de la taille de son doigt. Déception décuplée par l’impossibilité de découvrir immédiatement de quoi il retournait.Il s’était vite repris. À quoi s’était-il attendu ? Ce support correspondait à l’époque. De par son travail, il avait accès aux équipements qui lui avaient permis de décrypter sans trop de problèmes le contenu de ce disque. S’il n’avait pas été complètement détruit par les radiations, lui avait soufflé une petite voix mauvaise. Il lui avait imposé le silence. Avec raison ! Il n’eut aucun mal à traduire l’intitulé du répertoire « Rêvebébé archives LDCC »* qui indiquait qu’il contenait les archives de l’entité « Rêve de bébé », à l’exception de l’acronyme LDCC, probablement une indication codée. Cela n’avait guère d’importance. Il fut tout aussi facile de craquer les fichiers du DD compactés selon une méthode primaire. Secrets qui se révélaient être un ensemble de très nombreux fichiers de petite taille, allant chronologiquement du fichier alphabétique en français ancien jusqu’à des fichiers VSR (lecture vidéo sensitive) version archaïque des « livres » utilisés sur Luna. Sa connaissance des langues mortes lui avait permis de décrypter sans trop de mal quelques documents en écriture ancienne choisis de manière aléatoire. À chaque lecture, l’horreur et la déception l’avaient submergé. Tous sans exception n’évoquaient qu’un seul sujet : les relations physiques transgressives entre humains. Son aïeul semblait être un dangereux malade.Restaient les VSR. Heureusement pour eux, étant donné le peu d’intérêt manifesté pour la lecture par les Citéens, la technologie n’avait guère progressé. Ces antiques supports étaient compatibles avec leurs plus élémentaires lecteurs. Mieux, ceux-ci traduisant automatiquement en lunéen moderne leur éviteraient tout travail de traduction. Il en avait confié le dépouillement à Charlie. Ses réactions et son sourire lui avaient parus de bon augure. Il avait alors décidé d’en ouvrir une. Même contenu que les fichiers alphabétiques, mais là ce n’étaient plus des assemblages de lettres. Il avait vécu, ressenti ce récit à la première personne.Le début, bien que sans intérêt pour sa quête, lui avait paru intéressant, révélateur de la vie quotidienne sur Terra bien que le récitatif pleurnichard et lamentatoire de la narratrice l’ait vite agacé. Il eut quelque mal à comprendre la translation entre cette pleureuse professionnelle et son attitude au moment où elle l’avait entraîné dans la chambre, dézippé son pantalon, tombé son boxer et pris en bouche sa verge alors qu’elle avait emprisonné ses testicules d’une main conquérante. Des mains (les siennes) malaxaient sans vergogne une petite poitrine aux tétons étirés.Il aurait dû déclencher la fonction « pause » et stopper cette abomination. Mais son sexe dans la bouche d’Hello Dit Pah Riss avait enflé, enflé. Sa respiration s’était accélérée. Son cœur s’était mis à battre la chamade. Cette langue qui tournicotait autour de son gland découvert. Ses lèvres pulpeuses qui glissaient le long de sa hampe roidie, jusqu’à toucher son pubis. Ses yeux n’avaient pu se détacher de ce spectacle qu’en faisant le point plus bas sur la main libre d’Hello Dit Pah Riss qui remuait vivement entre ses cuisses ouvertes. L’espèce de justbody fait d’une fine matière noire lui avait révélé qu’elle n’était pas biologiquement une femme. La bosse qui déformait son entrecuisse l’identifiait sans nul conteste comme un homo sapiens de type masculin. Ces humains de l’avant-déménagement atteignaient des summums dans l’ignominie et la perversité. Il avait pris peur quand, malgré ses abominations, il avait eu la sensation que sa verge allait exploser. Dans un dernier réflexe de survie, il ordonna l’arrêt de la lecture.Peu à peu il avait repris contact avec la réalité. Il avait soudain compris qu’ils ne trouveraient rien sinon d’autres horreurs du même type que celles qu’il venait de lire. Son aïeul n’était qu’un malade obsédé par des déviances. Lorsqu’il avait laissé son message, il n’avait manifestement plus toute sa raison : son obsession le possédait. Et lui, pauvre imbécile avait bâti toute sa vie sur cette imposture.Anéanti, Rad resta prostré sur sa couche, indifférent à ce qui pouvait se passer autour de lui. Un mouvement au niveau de son entrejambe le fit réagir. Il ouvrit les yeux et s’aperçut, horrifié, que Charlie avait dégagé son sexe de son justopyj et le caressait. Et ce dernier réagissait, comme dans le livre, il se redressait, prenait du volume. Il se releva brutalement.— Qu’est-ce que tu fais ? Arrête, t’es complètement folle ! On ne peut pas !— Chuut ! Laisse-moi faire ! laisse-toi faire !— Mais…Appliquant une main sur sa poitrine, Charlie le repoussa et d’un doigt posé sur ses lèvres, elle lui signifia de se taire. La révolte qui montait en lui fut annihilée par la sensation de bien-être qui l’envahissait. Jamais, il n’avait ressenti cela. La bouche de Charlie remplaçant sa main avait gobé son gland et s’activait sur son membre raide. Rien à voir cependant avec la bestialité mécanique d’Hello Dit. Sa complice, avec sa tendresse et son feeling habituels, semblait devancer les désirs de son sexe. Échappant à son contrôle, son bassin partait à la rencontre de cette langue qui… C’en était trop ! Après ce qu’il avait ressenti en lisant la VSR, cette bouche sur son… Tout s’embrasa. La terreur… Il se vidait par le méat à grands jets… dans la bouche de… Le plaisir, comme il ne l’avait jamais ressenti… Sentiment de béatitude euphorique… Mais pourquoi était-ce tabou ? Pourquoi leur interdisait-on ce tourment voluptueux ?Les mains en appuis sur ses cuisses, Charlie l’observait d’un air goguenard. À cette seconde, nul n’aurait pu imaginer qu’en face de lui se tenait un(e) androïde. Il avait devant lui l’incarnation de la féminité. Féminité, masculinité : des mots qui trouvaient leur sens à cette minute. Dans quelle profondeur de son inconscient avait-il été chercher quand il l’avait pensé ?Incarnation qui brillait par sa nudité. Bien qu’il l’ait créée, Rad n’avait pas l’habitude de la voir nue. Même dans leur moment d’intimité, elle gardait une culotte et une brassière. Pour la première fois, il la regardait. Passant une main dans ses cheveux blonds, elle remit une boucle rebelle en place. Elle se releva. C’est lui qui avait imaginé ce sexe aux lèvres ourlées surmonté d’un gazon ras aux reflets d’opaline. Lui aussi qui avait dessiné ses seins aux larges aréoles brunes et aux tétons… turgescents. La turgescence n’était pas de son fait. Charlie avait adapté… Mais comment et pourquoi ?Le « pourquoi », sa verge qui gonflait et durcissait de nouveau lui donna un élément de réponse. Quant au « comment », à cette seconde, il s’en fichait éperdument. Il n’avait qu’une pensée : retrouver aussi cette félicité qu’il avait ressentie quelques minutes auparavant. Pour cela, il devait… Il devait faire ce qu’il avait « lu » dans les VSR, mais l’interdit le retenait. Le poids de son éducation réfrénait ses ardeurs.Charlie n’était pas bridée par ces inhibitions. C’est bien connu, les robots n’ont pas d’âme. Par un savant mouvement glissant, un corps chaud et doux se trouva collé au sien, de la main droite, elle avait entrepris de flatter son sexe qui se rengorgeait du gland, fier comme un bar-tabac (vieille expression à l’origine inconnue). Dans un geste réflexe, il porta sa main sur cette érectilité mammaire qu’il n’avait pas programmée. Sous ses doigts, le téton durcit, son volume augmenta. Il passa à l’autre, mais il était déjà dur et érigé. Il en déduit que la réaction était commune. Moins commun : cette réaction s’appliquait aussi à son pénis.De sa main libre, Charlie dirigea sa tête vers le mamelon libéré. Sans qu’il comprît réellement l’enchaînement des évènements, sa bouche tétait… tétait comme Rad, nourrisson, avait tété le biberon. Il ressentit un sentiment de plénitude comme si un manque avait été comblé. Cela ne diminua en rien son excitation.Sa main, délaissant la poitrine, descendit sur le ventre, atteignit ce sexe qu’il avait dessiné. Soudain, alors que son index effleurait le clitoris, une pensée désastreuse l’assaillit : s’il avait reproduit avec une précision extrême la plastique de son androïde, il n’avait trouvé aucune utilité à configurer l’intérieur. Ses doigts allaient se heurter à une paroi qu’ils ne pourraient franchir. Toutes ses envies perverses s’envolèrent. Sauvé par lui-même.Son sexe s’était ramolli. Totalement refroidi, il allait retirer sa main. Il n’en eut pas l’occasion. Une poigne solide l’avait fait glisser de quelques centimètres. Incrédule, il sentit son index s’enfoncer dans une cavité humide.Un rire cristallin accompagna sa découverte. La bougresse ! Elle avait pensé à tout. Un sentiment exaltant de fierté et d’amour le submergea. En un laps de temps très court, elle était parvenue à se remodeler de l’intérieur. Quelle femme ! Quelles surprises lui réservait-elle encore ?Il allait pouvoir la… pas plus tard que tout de suite. Perdant toute retenue, il la bascula sur le dos et l’atavisme aidant, sans s’en douter une seconde, il la pénétra dans la position du missionnaire si commune pour ses ancêtres terriens. Il la saillit comme n’importe quel mâle de l’espèce l’avait fait pendant des millénaires.Les gémissements enamourés qu’elle lui prodigua l’amenèrent très vite au paroxysme du plaisir et pour la seconde fois de sa vie, son pénis déversait sa semence, cette fois dans le vagin tout récent de son amoureuse.Quelques minutes plus tard, alors que Charlie, toujours contre lui, le câlinait, il éprouva un sentiment d’accomplissement : il était un homme complet. En privant l’humain, homme comme femme, de ce partage, de cette communion, ils les avaient spoliés d’une partie d’eux, ils les avaient empêchés d’être entiers. Mais c’était fini ! Il allait corriger cela. ******************* Article 141R : Toute motion approuvée par 75 % de Citéens en âge de s’exprimer a force de loi et doit être appliquée par le Conseil de la Cité. Partie 4 : quelques mois plus tard ! Rencontre au sommet. Quand Plutt O’Trompe força quasiment la porte de sa suite résidentielle, Engle A’Merkl n’en fut pas vraiment étonnée. Elle connaissait les méthodes rustaudes de Pluto (ainsi l’appelait-elle dans l’intimité) et celles-ci lui plaisaient. Ce comportement viril de primate la changeait agréablement de l’hypocrisie larmoyante de certains de ses autres amants, accessoirement membres du Conseil. Elle les menait par le bout de la queue à l’exception de Pluto. Il était l’exception qui la faisait grimper aux rideaux. Pour elle, cette intrusion tonitruante ne pouvait signifier qu’une chose : O’trompe avait un besoin urgent de se faire essorer le poireau (expression typique de sa lointaine Germanie).Elle s’attendait à une troussée royale et elle avait besoin de ce dérivatif. La fin de sa présidence ne se passait pas du tout comme elle l’avait prévue. Déception, il alla se poser sur le canapé d’angle et tonna :— Je vais tous les éclater. Je vais leur envoyer la Garde nationale !— Mais nous n’avons pas de Garde nationale.— C’est bien dommage.Lorsqu’il avait débarqué, elle prenait son déjeuner, savourant ce moment de calme dans une journée qui s’annonçait pénible. Elle n’avait pas pris la peine de s’habiller et portait, pour tout vêtement, une nuisette transparente qui ne cachait rien de son corps de nageuse accomplie.Elle vint se frotter langoureusement contre son ministre. Ses tétons durcissaient à l’idée du vit vigoureux qui allait fouir son vagin. Ça ne ratait jamais. Plutt réagissait au quart de tour et elle se retrouvait embrochée sans ses longs préambules tortueux qui ne correspondaient pas à la femme d’action qu’elle était.Pas cette fois. Il la repoussa, toujours grognant.— On est dans la merde !Il continua :— Pendant que tu dormais après avoir copieusement forniqué cette nuit. Qui était l’heureux élu ?— Jeh, répondit-elle machinalement.— Oh ! Je retire le « copieusement » et le « forniqué ». T’as pas trop mal aux fesses.— Non, c’était son tour ! Il va avoir du mal à s’asseoir pendant plusieurs jours.O’Vatican, archiprêtre de la police de la pensée, obsédé par sa propre culpabilité ne concevait le sexe que dans la douleur qu’il infligeait ou qu’il recevait.— Donc pendant que je…— Cette salope de Scarlett O’Leigh a tenu un meeting virtuel avec l’ensemble des castes.— Et alors ? interrogea Engle, s’attendant au pire.— Elle a plus de vidéoteurs que la finale du hardball.— Et Jeh ne savait rien de cette rave ?— Il était trop occupé à prendre tes coups de fouet, ricana Plutt.— Tu t’affoles, mon chéri, déclara-t-elle en lui portant la main au sexe. Sexe qui, flasque, restait dissimulé dans les replis de l’aine de O’Trompe. En général, il ne sort rien de ces vidréunions.— Ben généralement. Seulement cette nuit, 74 000, 74 458 pour être très précis, soit quasiment 95 % des adultes ont signé une motion. Même dans nos rangs !Soudainement, toute la tension sexuelle générée par la présence de son amant préféré s’évanouit pour laisser place à une inquiétude galopante. Depuis l’arrivée, sur Luna, aucune motion n’avait dépassé les 15 000 signataires. Il fallait remonter à plusieurs dizaines d’années pour avoir une demande qui réunisse presque 14 000 noms et c’était pour déplacer la date du feu d’artifice virtuel dédié aux festivités du 360e anniversaire de l’arrivée sur Luna. Mais 95 %, cela voulait dire selon la constitution de la Cité que le conseil allait devoir exécuter cette demande.— Je suppose que si c’est O’Leigh qui mène le bal, ça ne concerne pas seulement le droit à forniquer !Elle ne se pardonnerait jamais d’avoir cédé au charme juvénile de A’Gast. Elle avait la certitude que c’était lui qui avait ramené de Terra ces VSR qui avaient, dans un premier temps, circulé sous le manteau avant d’apparaître au grand jour. Malgré les recherches de ses sbires, O’vatican n’avait rien pu trouver de tangible reliant A’Gast à ce trafic. Il s’était heurté à une omerta peu commune sur Luna où la communauté bien « éduquée » rejetait pourtant toute dérive. Au début, leur réaction avait été molle, voire amusée. Ces livres avaient même été source d’inspiration dans leurs jeux sexuels.Quand ils eurent admis que leurs administrés ne se contentaient pas de lire les VSR, le Conseil, malgré l’opposition farouche de Jeh O’Vatican, avait décidé de laisser faire. La population de Luna avait aussi le droit de s’amuser. Sauf que…Deux siècles auparavant, quand l’évolution de la recherche permit aux femmes d’éviter le désagrément de la grossesse, le Conseil refusa la proposition de bon sens qui était de prélever spermatozoïdes et ovules à dix-huit ans sur chaque adulte puis de le stériliser. La loi fut repoussée officiellement parce qu’on ne pouvait exclure la perte des semences, mais beaucoup plus sociologiquement parce que les mâles refusèrent ce qu’ils considéraient comme une castration. Conséquences, seule la première partie de la loi sur les prélèvements fut adoptée. Pour la partie contraception, on se limita à une très ancienne technique, qui par un heureux hasard ne concernait que la partie féminine de la Cité : la ligature des trompes.Devant la levée de boucliers, le Conseil dut concéder la réversibilité de cette opération. Erreur qui, conjuguée avec la routine de l’opération de stérilisation de ces dames, allait ouvrir la boîte de Pandore. Car la population s’amusa si bien qu’une illustre inconnue fut fécondée. L’accident serait sans doute resté un incident si la grossesse avait été rapidement découverte. L’événement était si impensable que lorsque la dame s’en rendit compte, le ministère de la police de la pensée qualifia l’avortement de meurtre. De surcroît, la donzelle tout émoustillée par cet état qui la rendait unique refusa tout net cette éventualité.Cela aurait pu rester un fait mineur si cela n’avait pas réveillé chez certaines, notamment cette O’Leigh, un sentiment maternel très fort.Scarlett O’Leigh appartenait à la caste des chercheurs. Cette jeune femme, brune pulpeuse qu’en d’autres circonstances, Engle eût volontiers mise dans son lit, menait un combat pour le droit à porter un enfant. Combat dont le Conseil avait mésestimé les retombées. Ils avaient ri de cette femme à la poitrine avantageuse qui vantait les mérites de la maternité. S’enlaidir, voir son corps se déformer, sans compter sur les nausées, la pauvre allait avoir beaucoup de mal à convaincre les citoyens et surtout les citoyennes de la Cité. Ils avaient cru que ce serait un épiphénomène vite enrayé de ce retour aux activités sexuelles.D’après le fin psychologue qu’était O’Trompe, la réaction de cette donzelle relevait d’une jalousie typiquement féminine et d’une volonté de se différencier de la masse. Il s’était mis le doigt dans l’œil. En quelques mois, la Cité s’enflamma. De nombreuses femmes profitant de l’engagement de certaines patriciennes usèrent de la réversibilité et présentèrent, fièrement, leurs ventres arrondis à la vue de tous.Lorsque le Conseil réagit enfin, conscient des implications et des problèmes insolubles de population que cela allait poser à la Cité, il était trop tard. La motion qui avait été votée sonnait sans doute la fin du règne de la caste des nantis et de la Cité.— Tu m’écoutes ? la secoua Pluto.— Comment ?Plongée dans ses pensées, Engle avait perdu le fil de la conversation.— Tu n’as rien entendu ce que je t’ai raconté.— Pfff ! Je me doute ! Ces femelles en rut veulent pondre des gamins et comme elles tiennent leurs soi-disant mâles par les testicules !— Euh ! Ça, la motion n’en parle même pas.— Tu…— Ils demandent simplement la dissolution immédiate du Conseil avec élection de nouveaux Conseillers dès la semaine prochaine.— …— Leur liste et leur programme sont prêts.— Et quel est leur programme ?— Repeuplement immédiat de Terra.— Ils sont tarés.— Pas tant que ça. Tu sais comme moi que certaines zones peuvent être viables si elles sont un tant soit peu aménagées.— Encore pire que je croyais. Si je suis un peu honnête, on le savait, mais ça ne nous arrangeait pas. On va tout perdre !— D’un autre côté, dès demain, nous serons des citoyens comme les autres et on pourra s’envoyer en l’air autant qu’on veut. Ça te dirait que je te fasse un mout… Ouille ! T’es conne !La future ex-présidente du Conseil venait de tordre violemment les testicules de son futur ex-ministre de la Culture.— Mon chéri, tu me baiseras autant que tu voudras, dans toutes les positions et lieux que tu voudras, mais me faire un gosse, là tu peux toujours te… Et je n’aurai plus à supporter les turpitudes de O’Vatican. ******************* Préambule constitution de l’an 94 du Grand Déménagement : le but unique et ultime de la cité est de permettre le retour de l’humanité sur Terra. Partie 5 : épilogue : quelques heures plus tard ! Le salut vint par Rêvebébé.Ils achevaient dans une jouissance simultanée ce que dans les VSR, ils appelaient la figure 69. Rad n’en revenait toujours pas : Charlie se révélait une femme accomplie. Quand il le lui avait fait remarquer, elle lui avait rétorqué en rigolant qu’elle avait bricolé son intérieur afin qu’il soit supérieur à celui d’une femelle humaine et affiné, complexifié la programmation de son cerveau positronique pour qu’elle accède aux émotions provoquées par le plaisir sexuel. Le résultat était époustouflant.Dans cette période de folie sexuelle qui avait accompagné la propagation des vidlivres, Rad avait eu l’occasion de copuler avec plusieurs vraies « femmes ». Ces expériences avaient déclenché en lui un sentiment bizarre, jusqu’alors inconnu : la jalousie. Il était hors de question qu’un autre homme touche à Charlie. Elle était exceptionnelle. Aucune de ces femelles peroxydées ne lui arrivait à la cheville. Il avait acquis cette certitude depuis longtemps quant à son esprit, mais pour l’extérieur, elle n’était qu’une androïde personnelle au physique ingrat, rien de plus qu’un computer sur pattes.Avec cette libération sexuelle, la fierté l’avait emporté sur la prudence : il avait demandé à Charlie de jeter à l’incinérateur de sa carapace de quinqua quelconque. Cette décision se retournait contre lui, car à son grand dam, Charlie attirait le regard des hommes comme un aimant. Lorsque, après une de leurs étreintes quotidiennes, il lui avait fait part de ses doutes, elle le surprit. Elle ne lui répondit pas qu’elle lui appartenait (ce qui techniquement était le cas), mais qu’elle « l’aimait ». Charlie était passée entièrement de l’autre côté, du côté humain. Tout à cet amour qu’elle venait de lui déclarer, il n’entrevit aucunement ce que cela présageait pour le futur de l’humanité.Mais aujourd’hui s’ouvrait une nouvelle ère.Se désoixante-neuvisant, les deux amants, dans un long baiser apaisé, échangèrent leur fluide vital avant de, lovés l’un contre l’autre, débuter une de leurs discussions post-coïtales habituelles.— Mon grand-père avait raison : les archives de mon ancêtre vont révolutionner Luna et donner l’occasion de reconquérir Terra.— Tu crois qu’il avait prévu cela, ton ancêtre ? Que des archives pornographiques provoquent un tel séisme.— Certainement pas… « dans le bunker, tu trouveras le coffre qui rendra le bonheur aux hommes ».Cette phrase, il la connaissait par cœur. Dans ses moments de doutes, il se l’était répété comme un mantra.— Il ne pouvait pas prévoir. C’étaient les propos d’un vieillard qui dans la sagesse de l’âge avait compris que priver les hommes de sexe et par conséquent d’amour, c’était tuer l’humain.— Tu as entièrement raison, mon Amour. Tu sais qu’il a laissé un livre traditionnel qui raconte l’histoire du Média Porteur où ces histoires étaient publiées.— Oui, j’ai vaguement survolé. C’est d’un intérêt limité.— Oui, mais sais-tu, coïncidence extraordinaire, qu’aujourd’hui c’est le 500e anniversaire de sa création.— De plus en plus intéressant. Et il s’appelait comment ce M. P. : Bébé de Rêve.— Non Rêvebébé… Ils auraient dû l’appeler Rêve de bébé. Ça aurait été plus judicieux, ricana-t-elle en faisant une fois de plus preuve d’un humour qui échappait à toute programmation.— En tout cas, Rêve de bébé ou Bébé de rêve, la Cité… en fait la Cité, je m’en fiche. Je dois une reconnaissance éternelle à ces archives et à mon aïeul. Sans eux, tu n’existes… non, tu ne vivrais pas.— Je ne serais qu’un computer sur pattes avec qui que tu n’aurais aucune envie de faire l’amour, minauda-t-elle en lui flattant le sexe. On peut dire que Rêve de bébé a redonné goût au plaisir. Autre chose amusante que j’ai apprise en lisant de vieux fichiers : celle que tu as prise pour modèle pour me créer était un des auteurs de la période préhistorique de Rêve de Bébé.— Pas très étonnant quand tu y songes, mon aïeul semblait obsédé par ces publications. Peut-être était-il aussi obsédé par cette auteure. Ces histoires sont-elles très osées ?— Non pas vraiment. Assez gentillettes de ce point de vue, mais souvent bien plus intéressantes que beaucoup des histoires hardsex.— Revenons à nos moutons, l’interrompit Rad. Personne, surtout pas mon ancêtre, n’aurait pu se douter…— D’ailleurs le Conseil a laissé filer.— Oui ! Ils n’ont pas pensé, avec leur mentalité typiquement masculine.— Pourtant Merkle est une femme…— D’apparence. Sinon c’est sans doute la plus mâle du lot. Je disais que nul ne pouvait prévoir cette réaction des femmes. Ils n’ont pas appréhendé le besoin atavique de maternité. Cette vocation a été occultée par la nécessité de subsister et par la volonté de pouvoir de certains, mais il a suffi d’une étincelle pour le réanimer. Les mâles dans leur grande majorité n’ont pas cet instinct.— Alors que nous, les filles, nous avons été génétiquement programmées pour assurer la continuation, la survie de la race, donc pour avoir des enfants.— Je dirais même plus pour porter des enfants. Les conseillers ont cru à une mode là où il y avait la révélation d’un besoin profond, presque vital.— Oui, mais il faut être femme pour comprendre d’ailleurs, mon cœur…— Oui !Le visage de Charlie avait pris un rouge intense. Voilà qu’elle rougit, s’étonna Rad. C’est nouveau ça !— Je voudrais avoir… je voudrais que tu me fasses un enfant.— Mais tu es…Elle posa l’index sur ses lèvres pour les lui clore.— Fais-moi confiance…* Expression en Français archaïque.Je fais beaucoup référence dans cette historiette à Isaac Asimov, l’un de mes auteurs de S. F préférés, le maître d’une science-fiction visionnaire. Si vous avez envie d’en savoir plus sur lui, consultez le lien suivant : https : //fr. Wikipedia. Org/wiki/Isaac-Asimov