Rosyne mit le nez à la fenêtre. Le soleil l’invita à sortir. Elle avait mis sa robe bleue et elle sentait enfin que l’été allait s’installer définitivement. Elle s’avança sur les dalles qui bordaient le jardin, puis elle foula l’herbe que la rosée avait régénérée. Elle quitta ses chaussures et la fraîcheur de la pelouse lui procura une réelle émotion. Elle posait tantôt le talon délicatement, tantôt les orteils comme pour faire des pointes. Elle ne comprenait pas pourquoi tout son corps était en émoi. Le simple fait de marcher pour la première fois de l’année sur cette herbe tiède lui donnait un plaisir intense. Elle avait le cœur qui battait. Elle n’osait jamais se mettre nue à la plage malgré l’insistance de Bernard, son copain, et même de sa sœur (quelle délurée celle-là  !), mais sous ce ciel magique, elle laissa tomber en quelques secondes robe et dessous. Une haie de thuyas la protégeait des regards les plus perçants.Rosyne roula sur le gazon avec ravissement. Elle s’arrêta haletante. Des brins d’herbe se mélangeaient à sa toison qu’elle avait drue et brune. Il lui sembla que des touffes lui poussaient sur les jambes. Une feuille morte se glissa entre ses fesses et lui caressa l’anus, un feuille de rose de l’an dernier. Au fond du jardin bien entretenu, une lande de terre avait été laissée en friche. Y poussaient toute sorte de plantes sauvages. Rosyne s’aventura vers cet endroit plus frais et plus inhospitalier. De fait, elle ressentit aussitôt la piqûre franche d’une ortie sur ses cuisses. Une petite douleur qui l’excita davantage. Elle y retourna et c’est tout son ventre qui prit un couleur rouge piquetée de points blancs. Les orties avaient tellement affolé ses sens qu’elle partit à la recherche du prince chardon. Mais ce n’est pas tous les jours conte de fée. Introuvable le chardon…Néanmoins, la jeune femme prenait tant de plaisir qu’elle savait bien qu’elle mouillait. Elle vérifia le fait avec une satisfaction qui l’étonna. Et c’est alors qu’elle découvrit une fourmilière. Elle décida de s’asseoir dessus. L’orgasme vint presque aussitôt. Elle se fit peloter, doigter, pincer, baiser, sodomiser, fister par des centaines d’insectes qui parcouraient son corps dans tous les sens. Rosyne pensa que Bernard ne lui avait jamais procuré autant de spasmes. Un peu de honte ajoutait encore au bonheur infini qu’elle ressentait. Oui, la honte comme source de plaisir ; elle n’avait jamais pensé à ça. Elle se leva pour s’appuyer contre un arbre ; elle ne tenait plus debout. Mais l’écorce du tilleul lui fournit une nouvelle excitation. Elle pressa le tronc entre ses jambes et trouva au bon endroit une saillie qui la pénétra. Elle cria sans pouvoir se retenir. Elle tremblait de tous ses membres et l’arbre lui-même était secoué. Les fourmis continuaient leur infatigable tâche et s’activaient particulièrement sur ses fesses. Elle s’écroula après un nouvel orgasme au pied de son arbre. Et dire que l’on prétend que prendre un tilleul ça calme ! Rosyne n’avait aucune envie de dormir ; bien au contraire, elle aurait voulu faire l’amour avec la terre entière.Elle continua donc ses explorations et arriva à un endroit où l’herbe se faisait de plus en plus rare, au point de disparaître complètement. Un sol ingrat, sec, sans végétation. Elle gratta la terre de ses ongles qu’elle avait pourtant soignés le matin même et elle recouvrit sa motte de mottes. Un vers de terre glissa sur ses grandes lèvres et la fit une nouvelle fois trembler de jouissance. Ce lombric prenait un malin plaisir à se hâter lentement et, quand il glissa sur le sol, elle le ramena à son sexe. Elle le reprit inlassablement jusqu’à ce qu’il s’épuise lui aussi de plaisir. Elle essaya alors avec une chenille et la caresse devint insupportable (les poils de la chenille processionnaire sont urticants). Elle la dirigea vers son anus, mais au moment suprême elle serra les fesses et la pauvre bête fut écrasée. Un liquide un peu gluant dégoulina sur ses jambes.C’est alors que Rosyne se mit en position pour uriner sur ce sol aride. De fait, elle commença accroupie, mais elle finit sa miction assisse dans sa pisse. Heureuse et ravie. La terre réchauffée lui collait à la peau. Elle s’en badigeonna tout le corps. Elle voulait aussi déféquer, mais rien à faire. Elle voulait aller jusqu’au bout de la honte pour jouir encore et encore. Chier, vous vous rendez compte, se disait-elle. Je vais chier là dans la boue comme un cochon ! Moi qui n’ai jamais osé dire à personne que je suis constipée ou qu’au contraire… Jamais, je n’ai parlé de cela à personne, même à ma meilleure amie, qui pourtant ne m’épargne rien de ses turpitudes et autres laxatifs. Et je vais chier là debout, enfin si j’y arrive. Elle voulait faire cela en marchant comme un animal qui n’y prête même pas attention. Elle marchait en se concentrant et elle réussit enfin une petite crotte qui glissa sur ses jambes et s’étala sur la pelouse. Ne jamais se nettoyer, pensa-t-elle. Rester dans sa merde, le cul décoré. Les mouches s’en mêlèrent et lui occasionnèrent de nouveaux frissons.Rosyne était désormais méconnaissable, surtout pour ceux qui comme moi l’ont connue à la Faculté de Droit. Il faut tout de même se rappeler qu’elle avait quitté ma soirée d’anniversaire parce que Robert avait pété. Elle était couverte de brins d’herbe, de boue, de fourmis, de mouches. Des traces de vert de gris, de merde, de moisissures zébraient son corps. Une odeur d’urine agrémentait le tout. Elle marchait comme une fille ivre, titubait, se relevait, se roulait de nouveau par terre en quête de nouvelles sensations. Mais la nature a des limites. Alors pour se punir de cette matinée d’enfer, elle prit une branche de sapin et se fouetta le sexe. Elle reprit un orgasme et se mit à crier : « du sapin plutôt que sa pine ! » Puis elle se calma, passa par la salle de bain et reprit sa lecture de Madame Figaro. Elle était informée et n’était pas du genre à confondre Pina Bauch avec Bitaschleu.Quand Bernard revint du bureau, il était d’une humeur massacrante. Il téléphona avec une rage rentrée au voisin pour lui dire qu’une nouvelle fois son caniche était venu faire ses besoins sur sa pelouse, qu’il en avait assez, qu’il se plaindrait à l’adjoint au maire et que la prochaine fois c’était le coup de fusil. Il était d’autant plus furieux que son patron lui avait fait une réflexion désagréable devant la Chargée de la Communication qu’il draguait depuis six mois sans qu’elle ne s’en aperçoive. Rosyne avait préparé une omelette aux herbes. Bernard la mangea en maugréant. Puis il prit le canapé pour regarder la télévision. Il enrageait toujours. Au bout d’une demi-heure, il dit à sa compagne :— Fous-toi à poil ! J’en ai marre de ces films intellectuels sur le camping.Bien sûr, d’ordinaire, Rosyne se foutait à poil quand il se foutait en rogne, mais ce soir-là , elle décida de l’affronter.— Bernard, il faut qu’on parle.— Merde alors, pas de pipe ?— Non, Bernard. Il faut que tu entendes clairement ce que j’ai à te dire.— Si c’est que tu veux encore changer de tondeuse à gazon, t’iras te faire voir parce que…— Non, pas question de tondeuse.— Heureusement, parce que les histoires de tondeuses, j’en ai plein le cul.— Bernard, je t’ai trompé…— Putain, l’enculé, cette fois, il va le prendre son coup de fusil sur la gueule !— Mais pas avec le voisin.— Non, mais avec qui alors ? Le facteur, le boueux, le laitier, le livreur de pizzas, le pompier, le témoin de Jéhovah ?— Non, avec le tilleul.