La P. . . . .Il passait tous les jours devant elle. Il prenait un immense plaisir à déchiffrer ses moindres détails ; derrière la vitre de la boutique, elle semblait l’observer du coin de l’œil. Ses longs cils recourbés, ses paupières un peu lourdes, ses lèvres pulpeuses maquillées rouge sang, sa robe moulante collée de si près, son corps de danseuse de tango, le velours pourpre dévoilant son dos jusqu’aux bas de ses reins, le léger dessin de sa colonne vertébrale, cette cascade de cheveux bouclés, bruns, ponctuaient l’albâtre de sa peau. Bon… la chose était sûre, elle était bien roulée, perchée sur de hauts talons, ses pieds fins cintrés d’escarpins vernis.Elle le faisait rêver.Il poursuivait sa route, l’abandonnait là , jusqu’au soir si la chance était avec lui, jusqu’au lendemain si tel était son destin. Il partait s’enfiler un rapide café au bar du coin ; son boulot quotidien, son train-train l’attendaient.Il repassait le soir à la nuit tombée, parfois il l’apercevait dans la lumière des néons, surexposée… pas toujours, ses activités le mettaient parfois en retard sur son horaire, il la ratait de peu, de beaucoup, ça dépendait… il enrageait… il la voyait… un bonheur. Il rentrait chez lui des songes plein la tête. Elle meublait ses soirées solitaires avachi devant la télévision, un plateau repas et le rituel des bières qui défilent, des allées venues vers le réfrigérateur, le rythme syncopé, le battement de tambour des pas sur le parquet.La soif qui anesthésie, qui transporte un peu ; pas d’excès, non, juste une petite bière, encore… et la lourdeur du sommeil qui gagne. Il s’endormait la plupart du temps, habillé déshabillé, ses pensées de cinglé pour seules compagnes. Les réveils en sursaut au son du bip bip tonitruant de la chanson brouillée de l’horloge-radio du salon… son minuscule appartement, salon chambre en un seul et même endroit, canapé-lit, réduction du mobilier pour un gain d’espace ou par flemme de choisir un autre aménagement, faire les magasins l’ennuyait au plus haut point. Comme quasi tous les matins, il se retrouvait le pantalon fripé, la chemise tirebouchonnée, le visage froissé, la cervelle broyée, il filait sous la douche. Une autre journée débutait.Et puis, il allait la voir. Le matin, elle était toujours là , fidèle au rendez-vous, immanquablement, tous les jours de semaine sauf le week-end. D’ailleurs il ne sortait pas, inutile, pourquoi serait-il parti se balader sans chance de la croiser ? Il restait enfermé, son isolement était pesant mais que pouvait-il faire ? La ramener un jour, oui, ça il y songeait ardemment… obsession récurrente. Les autres l’avaient lassé, avec leur complication, leur désir vorace, leur envie tenace, leurs remontrances, les « ne fais pas ci, ne fais ça… non pas comme ça, tu t’y prends mal, tu me fais mal, ou trop de bien… » Enfin, ça n’allait jamais tout à fait comme il le fallait, elles lui prenaient toujours la tête à un moment donné. Il n’était jamais longtemps ce qu’elles avaient souhaité et de ce fait, elles ne l’étaient pas non plus, pas plus… elles se sauvaient, il se sauvait, c’était selon, c’était une loterie, la vie en est une…Il faisait un peu frais ce matin-là , quand il se retrouva sur le trottoir en bas de son immeuble, il entama son parcours le cœur léger, il allait la voir. Oui elle était là , dans son costume de garce, oui, elle avait la grâce magique des garces qui ignorent leurs atours. Puis, c’était peut-être le froid mais ses tétons pointaient sacrement sous le tissu collant de sa robe, ils le narguaient, ses yeux capturés par la raideur, ça transperçait ses pupilles, ça lui clouait le bide. Là , tout de suite, il aurait pu en pleine rue se branler devant elle, histoire de l’ébranler un peu quand même. Elle était toujours imperturbable, ses longs cils… encore, ses lourdes paupières… toujours, ses longues jambes galbées finissant dans les plis pourprés de sa robe. Ses mollets, il aurait pu en manger un morceau de ce muscle tendu, à pleine dent… voir le haut de ses cuisses, la rondeur de ses fesses. Merde ce qu’elle était belle ! Il la voulait pour lui, juste un peu plus, pour une nuit, oui toute une nuit… ENTIÈRE…Il délirait quand il se retrouva devant son sempiternel café matinal, il n’écoutait plus les inlassables litanies du patron, il n’entendait plus grand monde, les habitués, il s’en foutait, seules ses habitudes le rassuraient, leur discours décousu, les problèmes d’ici, d’ailleurs, qu’est-ce qu’il y pouvait… RIEN ! Il entama sa journée, les collègues, les réunions, les discussions, les projets, leur mise à exécution… routine…Et cela dura. Les jours, les semaines s’empilaient avec ces identiques rituels, tout se ressemblait, rien ne bougeait vraiment, course du soleil, course de la lune, ciel déguisé d’étoiles, ciel achalandé en bleus, azur, outremer, outre-tombe quand il vire bleu-gris, quoi d’autre… RIEN.Seule son obsession, sa passion grandissait, lui bouffait la tête, fractionnait ses neurones, réduisait en cendre le peu de résolutions qu’il tentait de prendre. Il devenait morose, il vrillait cinglé, doucement sans heurt, de la mélancolie qui ne pousse pas un cri, de l’étouffement savant. La danseuse de tango lui dégommait le ciboulot, ça jouait à la roulette russe là -dedans, en parfait silence et puis il aimait ça, le silence, mais bon, quelqu’un pour le partager, c’était pas mal, non plus…Il avait cessé les petits expressos bien tassés, il était passé à la bière matinale et n’en démordait plus, il s’était fait livrer un frigo de petite taille, comme ceux que l’on trouve souvent dans les chambres d’hôtel pour maintenir sa boisson au frais… Une fin de journée calquée sur les précédentes, il boucla son attaché-case avec au fond de lui une immense détermination, plus rien n’arrêterait la réalisation de son projet, il la ramenait chez lui. Il lui avait soufflé à l’oreille le matin même, il était pour la première fois entré dans la boutique, il avait osé la contempler sans la barrière de la vitre de la devanture, en vrai, en vrai de vrai, sans rien entre lui et elle, elle était encore plus belle, plus désirable… une putain de si belle garce, de la grâce à l’état pur, de l’or en barre cette nana… il n’en revenait pas…Il revint le soir, fidèle à ses souhaits, gara sa voiture le long du trottoir. Il ne l’avait plus sortie depuis longtemps, mais l’occasion méritait bien ça. Il passa par derrière, la porte restait ouverte, le patron partait s’acheter son frugal dîner à emporter au petit restaurant juste à côté. Il ne prenait jamais la peine de fermer à clef. Il avait passé pas mal de temps à étudier ses faits et gestes, il était au point pour l’exécution de son plan.Il tourna la poignée le cœur battant, bon sang il n’était pas cambrioleur, loin de là . Il faisait sombre, ses yeux mirent quelques secondes à s’habituer à la pénombre. Il se dirigea, à tâtons au début, vers l’endroit où elle se tenait. Ah ! Bon sang, elle était là sa belle, sa princesse, sa reine, son rêve, sa magique silencieuse. Il la prit amoureusement dans ses bras et repartit aussi vite que sa vue lui permettait vers la sortie. Rien ne le freina, il la coucha, confortable sur la banquette arrière, démarra en trombe. Pas plus d’un quart d’heure après, il était devant chez lui, regarda à droite à gauche, il ne voulait pas rencontrer qui que ce soit, n’avoir rien à dire, rien à expliquer, rien à justifier à des gens dont il n’avait que faire, mais qui posaient toujours des questions et à qui, il se croyait obligé de répondre le mieux possible. La meilleure solution était donc de n’en croiser aucun, cela coupait court à tout, pas d’élucubration. La vue était dégagée, il sauta hors de son véhicule, ouvrit à la va-vite la portière arrière, se saisit d’elle un peu dans l’empressement… s’excusa et lui dit :— Désolé ma belle, mais bon, je n’ai pas l’éternité devant moi, pour éviter tous ces cons-là …Il claqua la portière, marcha à grands pas jusqu’au hall de l’immeuble, appuya d’un doigt rageur sur le bouton de commande de l’ascenseur, sa dame dans les bras. Il se jeta, dès l’ouverture du sas, dans la boîte métallique et se retrouva deux ou trois minutes plus tard devant la porte de son appartement le cœur battant, le sourire béat… les clés, la serrure, la poignée, enfin, les pieds dans son antre, son microscopique studio, cuisine, salle de bain et placards intégrés, son paradis pour sa reine muette… sa princesse sourde…Il l’installa juste là , devant le canapé-lit, partit comme un dératé se chercher une bière, seul le pschitt de la capsule perturba le silence. Il avait ôté ses chaussures et vint se poser en face d’elle. Sa boisson à la main, il s’offrit une longue gorgée glacée. Il avait tout son temps maintenant pour contempler ses longues jambes, le petit creux de son nombril se dessinait au travers du tissu élastique, il était juste à la hauteur de ses yeux.Et là , il pouvait être vulgaire ou pas, romantique ou sale con, elle restait toujours tranquille…— T’es une grosse salope, sous tes airs de mijaurée, oui, tu dois être une vraie pute, c’est sûr. Sapée comme tu es, c’est obligé, tu m’aguiches depuis des lustres, hein, tu me snobes, tu dis rien, tu te fous de moi, je vais te coller une baffe tu verras, non, je vais t’en coller une tout de suite… ça peut pas te faire de mal…Il se leva, il assena une magistrale gifle, le long corps vacilla un temps sur ses hauts talons et finit par se vautrer entre la table basse et le canapé, dans un bruit mat et sourd. Il se leva d’un bond… il la releva, la serra fort dans ces bras…— Excuse-moi, ma chérie, je ne sais pas ce qui m’a pris. Oh, merde, tu sais, ces accès de folie, je ne sais pas d’où ça vient. Allez, viens contre moi, plus près, que je te console… que j’arrange tes cheveux, t’es toute décoiffée, tes cheveux sont si beaux, si noirs… t’es un peu espagnole, mexicaine, argentine… tu sens le sud de la chevelure… oh, rapproche-toi, encore un peu, j’ai mal, oh putain ! Je t’ai fait mal…Il l’embrassa à pleine bouche, colla toujours plus près ses lèvres, lécha ses paupières, ses sourcils en accent circonflexe, ses petites oreilles microscopiques et craquantes, descendit sur sa nuque, en relevant sa lourde chevelure, dénoua le lien de sa robe dos nu, découvrit ses seins, suça leur pointe toujours aussi raide…— Ah, je t’excite ma petite chienne, t’es une chienne, oui, toujours prête, rien ne t’embête, prête à tout… Bouge pas de là , je vais me chercher un autre truc à boire, j’ai trop soif, et puis il fait une chaleur d’enfer ici…De retour avec une bouteille perlée de buée, une autre longue rasade, il l’observait depuis l’encoignure de la porte de la cuisine, seul endroit d’où il pouvait avoir un peu plus de recul, il avait fait le bon choix, elle était parfaite, majestueuse, toujours, la robe descendue jusqu’à la taille, la poitrine victorieuse, une très belle plante…Il se perdit un temps en contemplation, termina d’un trait sa bière et retourna près d’elle, la caressa doucement au début, très doucement, l’empoigna plus fort, plus près, lui griffa le dos, encore et encore en de longs mouvements, ascendants, descendants, imprima toujours plus loin ses ongles, les noyant quasi dans ses chairs souples et réchauffées, elle toujours silencieuse, impériale… un sens du sacrifice qui touchait à la perfection…Elle était quasi aussi grande que lui, perchée sur ses hauts talons vernis, il en avait assez de la voir habillée, il s’était mis à poil depuis un bout de temps déjà , il faisait trop chaud et sa queue vivait mieux au grand air, la garder serrée dans son slip et son pantalon était devenu souffrance. Il entreprit de lui faire subir le même traitement, remonter la robe le long de ses jambes, l’intérieur si doux de ses cuisses fuselées, fermes comme une gymnaste adolescente, il poursuivit son ascension, encore et encore sans empressement, il faisait durer son plaisir, durcir sa queue, empirer son mal de ventre, une vrille dans les entrailles, creusant toujours plus profond, et bon sang, elle était lisse, archi lisse, entrejambe glabre, parfaitement, pas une aspérité, pas un duvet qui traîne…— Ah, mais tu es aussi une gamine, tu es, tu resteras une éternelle vierge, une dans qui personne n’est entré et n’entrera, c’est impossible, tu es ange, une étoile, un rêve immaculé… une déesse sans accès… un songe à la peau de lait…Accroupi, à genoux, la tête enfouie dans l’antre de ses cuisses, il léchait, suçait, la langue sortie toujours plus large à couvrir tout l’endroit, tirait sur le tissu pour glisser son crâne et accéder aux plis et replis de son nombril, plantait de temps à autre ses dents plus profond, il goûtait, il dévorait, des larmes coulaient sur ses joues, d’une main il enserrait sa taille, collait son visage au chaud de son ventre et, de sa main libre, il se branlait comme un damné, serrait sa bite à se faire mal, appuyait sur ses couilles d’avant en arrière, d’arrière en avant. Il éjacula, soudainement, son sperme coulait sur ses cuisses…Il abusa d’elle, de la bière, passa même à quelque chose de plus fort en cours de nuit, sortit sa bouteille de whisky des grandes occasions, c’en était une, occasion, et pas des moindres… Ils finirent démembrés, décérébrés sur le sol du salon, sa robe en loque, sa tête en vrac…Le réveil fut difficile, la gueule de bois, le corps fracassé en mille morceaux, du foutre partout, des cadavres de bouteille, des cheveux plein la bouche, un goût bizarre au fond de la gorge, les doigts et le dessous des ongles douloureux, il se redressa, se traîna sur le canapé, la regarda encore, avec mille tendresses dans les yeux, elle était parfaite… vraiment…Il l’abandonna au petit matin, trônant comme une reine défaite, la chevelure emmêlée, les cuisses maculées de sperme, la robe déchirée, au bon milieu du salon, les rideaux grands ouverts, dans la pleine lumière… il fallait refaire sa garde-robe et puis, croissants et café frais, il rêvait de partager ça avec elle… une escale, une trahison à la bière… au whisky, en surplus de la veille…Quand il rentra deux heures plus tard, gai comme un pinson, les bras chargés de paquets, de fanfreluches, de lingerie de soie luxueuse, il n’avait jamais pris autant de plaisir à faire des courses, tout lui plairait, c’était sûr, évident….Deux yeux sans plus de paupières ni de cils le fixaient, agglutinés à même le sol, dans un amas de cire fondue. Il faisait un temps caniculaire cette année-là … et son appartement ne possédait pas le confort suprême d’un climatiseur…Celluloïd attitude, gymnastique rythmique d’un silence de plastique… cire fondue, un fendu de la citrouille qui avait la trouille de la réalité, mais venait de voir son rêve partir en fumée…