Au commencement, Déesse laissait flotter son Esprit sur l’abîme et s’ennuyait ferme.— L’éternité, c’est chiant.Les cinq jours suivants, Elle s’activa à un rythme effréné pour façonner le monde et le peupler.Elle contempla sa Création et vit que cela était beau, certes, mais un rien fade.Le soleil brillait, il faisait doux, l’herbe était verte, le ciel bleu, les petits oiseaux gazouillaient dans les branches, les bêtes gambadaient, les poissons frétillaient dans la mer, les eaux miroitaient, mais il ne se passait pas grand chose. Déesse n’était pas du genre à l’autosatisfaction béate et éternelle : contempler son œuvre et se dire que c’est beau, ça va cinq minutes. Après, il est temps de passer à la suite. Disons aux améliorations indispensables.Le sixième jour, Elle décida donc de créer l’Homme. Son chef-d’œuvre. À son image, bien évidemment, mais au niveau juste en-dessous, histoire qu’il ne la ramène pas trop.Au commencement, Déesse fut ravie : l’Homme était beau, 1, 80 m, 72 kg, musclé, le regard fier et perçant, le pied agile, la main ferme, le bras fort, la poitrine large, le dos puissant, la queue longue, nerveuse et intrépide.Déesse dit alors :— Vois ! Je te donne toute l’herbe pour brouter, et tout arbre portant des fruits pour les cueillir, ce sera ta nourriture. Croîs et multiplie-toi. Parcours ma Création, vois les animaux dans les prés, les poissons dans l’eau, les oiseaux dans les airs et sois leur maître.L’Homme fit comme avait dit Déesse.Elle le regarda faire ses premiers pas parmi les bêtes, cueillir ses premiers fruits, brouter ses premières touffes et vit que cela était bon.Alors, Déesse aima sa Création : le souffle de Son Esprit en animait chaque parcelle, si petite soit-elle. En retour, Son Amour se nourrissait de chaque vibration, de chaque émotion, de chaque sensation.Elle voyait l’Homme dressé sous les arbres, étendant la main pour saisir des fruits parfumés, en caresser les rondeurs dans le creux de ses paumes, en éprouver la fermeté sous ses doigts et y mordre à pleine bouche. Elle trouva cela bon.Elle voyait l’Homme paître paisiblement au milieu des autres créatures, humant l’herbe tendre, s’imprégnant des doux effluves de rosée, léchant les gouttes perlées et la terre humide. Elle trouva cela très bon.Elle voyait l’Homme manifester son contentement en remuant la queue et ça lui donna des idées. Elle s’approcha sans bruit, légère comme la brume et saisit dans sa main l’objet de son désir. La peau était fine et douce comme un voile de soie. Une caresse tout au long du membre suffit à le faire croître et durcir. C’était décidément très, très bon. Elle eut envie d’y goûter. Elle enveloppa le gland de Ses lèvres, avec précaution, et l’Homme gémit. Elle ouvrit la bouche un peu plus et suça le fruit légèrement juteux avec gourmandise. Ce fut encore meilleur.— Quelle trouvaille délicieuse ! pensa-t-Elle, j’ai des idées de génie, parfois.L’Homme accompagnait la divine caresse d’un mouvement régulier des hanches, exprimant son plaisir croissant par des soupirs de plus en plus rauques, une respiration de plus en plus courte. Le plaisir appelle le plaisir : Déesse se trouva aussi trempée et luisante de rosée que l’herbe du pré.Elle se redressa, s’assit sur la croupe de Son Homme et enfila tout ce qu’elle put de la queue dure de désir. Il n’en fallut pas davantage pour que la Créature explose.Il paraît que ce sont les meilleurs qui partent les premiers, mais Déesse vit avec beaucoup de lucidité que cela n’était pas si bon qu’il y paraissait.Le temps pour l’Homme de rassembler ses esprits, Elle réfléchit à une solution : droit au but, sans passer par les préliminaires.Déesse dit alors :— Vois, tu seras ma monture et Je serai ta cavalière, Je te ferai traverser les cieux jusqu’à l’Empyrée, où tu connaîtras la divine jouissance.L’Homme fit comme avait dit Déesse, il lui présenta sa croupe et sa queue toute frétillante de joie, déjà raide à l’idée de recommencer. Elle l’enfila et l’emporta dans une fantastique chevauchée à travers le Royaume des Cieux. D’une main encourageante, Elle claquait les deux globes fermes et rebondis qui s’offraient à Elle, et lorsqu’elle les voyait rougir, elle changeait son attouchement en délicieuse caresse, sous laquelle l’Homme se sentait pousser des ailes.Il goûtait pleinement les sensations chaudes et enveloppantes accompagnant le doux glissement de l’Incréée tout au long de son membre. Le rythme lent et régulier le faisait flotter dans un océan de béatitudes.La main caressante de l’Éternelle s’attarda sur deux autres fruits ronds et mûrs, gorgés de sève, avant de se frayer un chemin entre les deux faces de la lune. La soudaine acuité du plaisir fit décoller l’Homme. Un instant déséquilibrée, Déesse s’accrocha au manche en resserrant les jambes autour de sa Créature et en accentuant la pression autour de la queue vibrante d’amour. Ravie par le bon effet de sa caresse indiscrète, elle poussa son avantage et hasarda un doigt au cul.— Dire que j’ai créé tout ça ! pensa Déesse, je vois que c’est décidément trop bon.Mais c’en fut trop pour l’Homme qui partit comme une fusée et explosa en vol.Les Cieux s’illuminèrent des traces de son fulgurant passage : la première giclée donna naissance à la Voie lactée, les constellations prirent forme aux suivantes.Depuis l’Arbre dans lequel elle avait atterri, Déesse regardait le ciel étoilé. Elle vit que cela était beau mais que c’était dommage de l’obtenir avant d’avoir atteint le cœur de l’Empyrée.Ce n’était pas encore ça. Elle descendit de l’Arbre et dit :L’Homme rassembla tant bien que mal ses esprits dispersés aux quatre vents. Il avait un peu mal à la tête. Il fit quelques pas en titubant et eut honte de son état. Il se cacha dans un fourré, loin de la face de l’Éternelle. Il entendit la voix de Déesse qui l’appelait à travers le Jardin.— Eh bien, ma Créature, où es-tu ?— J’ai entendu ta voix dans le jardin, j’ai eu un peu peur, je me suis caché.— Comment ? Tu n’as pas aimé ?— Si, mais il est tard et je me sens un peu fatigué.— Alors je viens moi-même à toi.Et l’Éternelle écarta les fourrés. L’Homme se prosterna. Elle dit :— Puisque tu crains la fatigue, vois, goûte de ce fruit, il te rendra force et santé.L’Homme fit comme Déesse avait dit. Il avança la main et saisit une rondeur douce comme la soie, tendre comme la chair d’un fruit, qui l’enchanta. Il y porta la bouche et par un mystérieux effet de nature, sa queue se remit à frétiller. Déesse entoura l’Homme de ses bras et saisit le membre qu’elle branla doucement. Elle soupira :Mais quel dommage que cette queue soit placée au bas du dos ! C’eût été meilleur encore de pouvoir la glisser au creux de ses cuisses en même temps. Et puis en l’état, elle était un peu trop longue.L’Éternelle invita l’Homme à goûter les fruits de l’Arbre de Vie. Elle gémit longuement lorsque la langue s’immisça au cœur du bosquet, pour y débusquer le fruit le plus petit mais le plus goûteux.Cette fois, Elle ne trouva pas de mot pour qualifier son bonheur.— Ô my Goddess, dit l’Homme.Il faut croire que les appâts divins furent trop corsés pour lui, qui recouvra si bien son énergie qu’il explosa pour la troisième fois.***Déesse, à quatre pattes dans les fourrés, rassemblait les morceaux épars.— SSSalut Déessssssse, ça boume ?— SSSalut Ssssatan, toujours le mot pour rire ?— Je viens de laisser ton frère. Il m’a envoyé chercher un manche, celui de sa console de jeu, jeté dans un élan d’enthousiasme, ça te dit quelque chose ?Déesse garda le silence. Elle était occupée à ramasser les morceaux quand Sa main rencontra un curieux objet contondant, quatorze centimètres de long, quatre de diamètre.— Dieu fait parfois bien les choses, pensa-t-Elle, voilà la solution à mon problème.Satan poursuivit, l’œil sévère :— Il est furieux : il n’avait pas sauvegardé sa partie. Et toi, tu fabriques quoi ? Un feu d’artifesses pour fêter dignement la nouvelle déco du Royaume des Cieux ?— Je ne parlerai qu’en présence de mon avocat.— Allez, ne fais pas ta coquette, je suis curieux, montre-moi Ton Œuvre !Il ajouta :— Je pourrai peut-être te donner un conseil ou deux.Déesse fit comme avait dit Satan : Elle finit de recoller l’Homme. Puis Elle fit tomber sur lui un profond sommeil réparateur.Elle dit alors :— Vois.— Pas mal. Mais si je puis me permettre : pourquoi lui avoir collé la queue devant et pas derrière comme à tous les animaux ?L’Éternelle soupira en se rappelant les caresses de l’Homme.— Tu ne peux pas comprendre, question d’expérience.— Et pourquoi seulement quatorze centimètres de long ?— Parce que finalement, on l’a mieux en main comme ça.— Eh ! Mais je reconnais ce manche-là !— C’est un emprunt momentané.— Je peux essayer ?— Non, surtout pas ! Tu vas trouver le moyen d’y mettre le bordel.— Quelle mauvaise foi ! Alors que tu fais allègrement exploser ton dernier jouet à force de le gaver de plaisirs divins.— L’Homme n’est pas mon jouet, c’est ma Créature, je l’aime et je recolle à chaque fois les morceaux.— C’est bien ce que je dis. Si tu aimais en vérité ta Créature, tu lui donnerais une compagne à sa mesure qui ne risquerait pas de le faire exploser.— Une autre ? Jamais !— Ou alors tu te ferais Femme pour lui.Déesse regarda l’Homme endormi. Elle dit :— Es-tu sérieux, Satan ?— Tout à fait sérieux. S’il jouit trop vite, c’est que ta Divinité l’impressionne. Il ne peut pas s’élever à ta hauteur, mais toi, tu peux descendre à la sienne.— Tu me tentes.Et Déesse fit comme avait dit Satan. Elle se fit Femme, après de longs atermoiements sur les modalités d’application : blonde, brune ou rousse ? Mini-jupe ou tailleur strict ? 90ABCD… etc. Ou 200Z ? Dentelle ou satin ? String ou culotte ? Peau de bête ou feuille de vigne ? Chatte épilée ou buisson ardent ? Fromage ou dessert ?Le lendemain, l’Homme s’éveilla et s’émerveilla de la nouvelle créature qui lui tendait les bras. Le temps de chanter était arrivé et l’Homme roucoula :Les fleurs paraissent sur la terre,Et la voix de la tourterelle se fait entendre dans nos campagnes.Le figuier embaume ses fruits,Et les vignes en fleur exhalent leur parfum.Lève-toi, mon amie, ma belle, et viens ! *— Ben voyons, dit Satan, Parole, Parole.La Femme répondit :Dis-moi, ô toi que mon cœur aime,Où tu fais paître tes brebis,Car pourquoi serais-je comme une égaréePrès des troupeaux de tes compagnons ? * À ces mots, l’Homme ne se contint plus : malade d’amour il s’approcha de la Femme qui lui offrait sa croupe. Son nard exhalait son parfum, ses seins étaient comme des pommes odorantes et son jus comme un rayon de miel. Il pénétra dans son jardin, cueillit la myrrhe avec les aromates, mangea le rayon de miel avec son miel, but le vin avec son lait…Satan dit :— Et moi, je tiens la chandelle ?L’Éternelle, entre deux gémissements, répondit :— Une partie à trois ? Tu t’es vu ? Toi qui rampes et manges la poussière ? T’es peut-être le plus malin, mais tu ne ressembles à rien.— C’est scandaleux, dit Satan, tu ne vois pas ce qui est bon.— Au contraire, dit la Femme, je vois que j’ai bien fait de céder à la tentation.En Vérité, ce septième jour, l’Homme la fit jouir à maintes reprises jusqu’au soir et soutint sans faiblir les assauts de sa compagne.L’Éternelle vit que cela était diablement bon et dit :— Il n’y a pas photo : vois, l’homme est devenu capable de supporter les plaisirs divins et de me faire jouir des plaisirs terrestres. Empêchons-le maintenant d’avancer sa main, de prendre de l’Arbre de vie, d’en manger, et d’exploser littéralement.— Moi aussi je vois que c’est bon, dit Satan, mais il est temps de me rendre le manche, maintenant.— Hors de question, répondit Déesse.Alors, ils entendirent la voix de Dieu qui parcourait à son tour le Jardin d’Eden à la recherche de son manche. Il criait :— Satan, où es-tu ? Tu as trouvé quelque chose ?— Pas possible, murmura Déesse, c’est le week-end et on ne peut pas être tranquille dans ce Jardin.Elle entraîna l’Homme vers la sortie du Paradis.— Eh Déesse, où vas-tu ? dit Satan, on commence à peine à s’amuser !L’Éternelle soupçonna une demande peu catholique. Après le plan à trois, la partie carrée dont Elle et sa Créature risquaient de faire les frais. Surtout Sa Créature, car les voies de Dieu sont réputées impénétrables. Elle chercha une diversion :— C’est ça que tu cherches ? demanda-t-elle en tendant au Serpent l’ancienne queue de l’Homme.— Peut-être. Fais voir ?Pendant qu’il examinait la chose, la Femme et l’Homme se faufilèrent par la porte.— Pourquoi je flaire l’entourloupe ? murmura Satan.Quand il réalisa qu’Elle l’avait trompée, il se précipita à sa poursuite. Trop tard.L’Éternelle verrouilla la porte. Satan l’interpella de toute la force de son sifflement :— Eh ! Déesse, rentre, on a mieux à la maison !— Tu me prends pour une demeurée ?— Mais je dis quoi à ton frère ?— Je sais pas ! Trouve donc une histoire, toi qui es si malin !— Ouvre-nous !— Non !— Ça se paiera !— Je m’en lave les mains.Elle plaça des chérubins à la porte. Ils agitaient leur épée flamboyante et empêchaient toute tentative d’évasion.C’est ainsi que l’Éternelle libéra l’Homme, et qu’Elle se fit Femme pour l’amour de Créature.— Enfin seuls ! soupira-t-Elle. Viens, partons pour l’Orient, cultivons cette terre, croissons et multiplions-nous pour de bon.Ils firent comme Elle avait dit.(*) Extraits du Cantique des cantiques