VoilĂ , ça y est, j’ai quarante ans. Vous me direz, ça devait bien arriver un jour. Et puis ce n’est qu’un chiffre, après tout. C’est vrai, mais quand mĂŞme. C’est une barrière que je viens de franchir. Un trentenaire, c’est un jeune, juste un peu moins jeune qu’un gars de vingt ans. Tiens d’ailleurs, il n’y a pas de mot pour dĂ©signer les 20-29 ans. Il existe bien trentenaire, quadra, quinqua, etc., mais rien pour vingt ans. Bizarre. Bon ! En tout cas, un quadragĂ©naire n’est pas considĂ©rĂ© comme un jeune.Je ne suis donc plus jeune, faut que je me fasse une raison. Pour vous dire toute la vĂ©ritĂ©, en fait, ça fait un an que j’ai quarante ans. Mais comme ce que je vais vous raconter s’est passĂ© l’annĂ©e dernière, je me remets dans le contexte de l’époque.Quarante ans donc, et tout pour ĂŞtre heureux. Vraiment. Je suis mariĂ© depuis douze ans Ă une femme que j’aime et qui m’a donnĂ© deux magnifiques enfants, qui sont une joie de tous les jours. J’ai une belle situation, avec un bon salaire, qui nous met Ă l’abri du besoin. On habite une grande maison, avec un grand jardin, dans une campagne calme, loin du tumulte des citĂ©s et des embouteillages. On a fait creuser une piscine il y a trois ans. Nos enfants grandissent dans un environnement sain et – on peut le dire – un peu privilĂ©giĂ©.Je vous le dis, tout pour ĂŞtre heureux. Seulement voilĂ , heureux, je ne le suis plus. C’est venu tout doucement, sans crier gare, mois après mois, annĂ©e après annĂ©e, insidieusement. Je ne m’en suis mĂŞme pas rendu compte. C’est quand ce foutu anniversaire est arrivĂ© que je me suis posĂ© la question. On appelle ça faire le bilan de sa vie, paraĂ®t-il. C’est courant pour les gens de mon âge, paraĂ®t-il. Je dis « paraĂ®t-il » parce qu’en fait je n’en sais rien. Que sait-on de la vie des autres ? Ce qu’ils en disent, ou ce qu’ils en laissent paraĂ®tre. C’est-Ă -dire Ă peu près rien, ou plutĂ´t une image dĂ©formĂ©e selon ce qu’ils veulent qu’on pense d’eux. Mais qui sait ce qui se passe rĂ©ellement dans la tĂŞte des gens ?Bref, en ce qui me concerne, je me suis posĂ© la question. Je me suis dit :— Tu as quarante ans, es-tu heureux ? Tu as fait plein de choses, tu as rĂ©ussi, comme on dit, mais est-ce que tout ça t’apporte le bonheur ? Es-tu bien dans ta peau ?Et lĂ , la rĂ©ponse m’a sautĂ© aux yeux : non. C’est fou comme le simple fait de poser une question fait apparaĂ®tre Ă©vidente une situation Ă laquelle on n’avait pas prĂŞtĂ© attention.Pour tout vous dire, ça m’a fait un choc de dĂ©couvrir que je n’étais pas heureux. Ou plutĂ´t que je n’étais plus heureux. Parce que je l’étais, avant. Alors, tout de suite après, je me suis demandĂ© pourquoi. Parce qu’en fait la vraie question, c’est celle-lĂ .Là ça m’a demandĂ© plus de temps pour trouver la rĂ©ponse, pour comprendre comment j’en Ă©tais arrivĂ© lĂ . Alors, j’ai refait le chemin, annĂ©e après annĂ©e. Quand j’ai rencontrĂ© ma femme il y a quatorze ans, ça a Ă©tĂ© le coup de foudre. On s’aimait passionnĂ©ment, et la passion s’exprimait sur le plan charnel. On faisait l’amour tous les jours, plusieurs fois par jour. Le simple fait de penser Ă elle me faisait bander. Elle Ă©tait ouverte Ă tout, on faisait l’amour n’importe oĂą, n’importe quand. Toutes les pièces de l’appartement y sont passĂ©es, bien sĂ»r, mais aussi la plage, la voiture, sa chambre chez ses parents, la forĂŞt, un jardin public… Quand ça nous prenait, on faisait, oĂą que l’on soit. On a passĂ© en revue toutes les positions du kamasutra. Enfin, peut-ĂŞtre, je ne sais pas, je ne l’ai jamais lu.Puis les mois ont passĂ©, on s’est fait rattraper par le quotidien. La passion s’est effacĂ©e doucement. En mĂŞme temps, on savait bien que ça ne durerait pas, on n’est pas complètement idiots non plus. Il y a eu les prĂ©paratifs du mariage qui lui ont mobilisĂ© complètement l’esprit pendant plusieurs semaines. Puis le voyage de noces, une flambĂ©e de passion renouvelĂ©e sous les cocotiers. On a mis le premier enfant en route. En y rĂ©flĂ©chissant bien, c’est lĂ que les choses ont vraiment commencĂ© Ă se dĂ©grader.Nous sommes devenus parents, pour notre plus grand bonheur. J’étais complètement gaga de ma fille. ForcĂ©ment, les premiers mois, entre les suites de l’accouchement et les nuits sans sommeil, le sexe a Ă©tĂ© mis de cĂ´tĂ©. Mais ça ne me dĂ©rangeait pas, j’étais sur un petit nuage, avec notre bĂ©bĂ© dans les bras.Le problème, c’est que la grossesse lui a laissĂ© quelques kilos en trop. Une bonne dizaine, une grosse dizaine mĂŞme. Il faut que je vous dise qu’elle n’a jamais Ă©tĂ© maigre. Elle a toujours eu quelques rondeurs dĂ©licieusement fĂ©minines et une poitrine de belle taille, pour mon plus grand bonheur. Les femmes ont un rapport complexe avec leur corps. Son volume et ses formes sont inversement proportionnels Ă la confiance qu’elles ont en elles. Un kilo en moins et hop ! La vie est rose ! Un kilo en trop : catastrophe, le monde s’écroule !Ma femme n’échappe pas Ă cette règle commune. Ses kilos en trop lui ont mis le moral dans les chaussettes. Une autre chose avec les femmes, c’est l’influence du moral sur leur libido. Un homme fait l’amour pour oublier ses soucis, une femme doit oublier ses soucis pour faire l’amour. Donc, comme elle ne se trouvait pas belle, pas attirante, elle n’avait plus de dĂ©sir. Moi j’essayais de la rassurer en lui disant qu’à mes yeux elle Ă©tait toujours dĂ©sirable, encore plus mĂŞme puisque dĂ©sormais elle Ă©tait la femme qui m’avait donnĂ© notre magnifique bĂ©bĂ©.Et puis de toute façon, rien ne servait d’essayer de maigrir puisqu’on allait mettre le deuxième bĂ©bĂ© en route prochainement. Ce que nous fĂ®mes. Le rĂ©sultat fut le mĂŞme au niveau du poids. Mais cette fois, nous n’avions plus de projet bĂ©bĂ©. Elle pouvait donc commencer Ă maigrir. Le hic, c’est qu’elle voulait perdre du poids en mangeant des bonbons et sans faire le moindre effort physique. Je ne suis pas expert en diĂ©tĂ©tique, mais je ne pense pas que ce soit le moyen le plus efficace !Elle n’a Ă©videmment pas rĂ©ussi Ă perdre significativement du poids. Moi ça ne me dĂ©rangeait pas. Elle Ă©tait toujours la femme qui m’avait sĂ©duite. Je la trouvais toujours dĂ©sirable, mĂŞme avec quelques bourrelets disgracieux. Quand j’évoquais le sujet, gentiment, pour l’encourager et la soutenir, elle se renfrognait. En fait, elle culpabilisait de ne pas maigrir, et encore plus de ne pas s’en donner les moyens. Petit Ă petit le sujet de son poids est devenu tabou. Et dans son esprit l’image d’être une femme non attirante s’est installĂ©e. Elle ne se trouve pas belle, donc elle ne peut pas plaire. Logique toute fĂ©minine Ă mon sens.Et sa libido est devenue une asymptote qui tend vers zĂ©ro, comme on disait en cours de maths. Nos rapports se sont espacĂ©s progressivement. L’échelle de temps s’est modifiĂ©e, on a remplacĂ© les semaines par les mois. Au dĂ©but ça m’a pesĂ©. Le sexe me manquait. J’étais insistant, je lui demandais rĂ©gulièrement. J’essayai de la caresser, de l’embrasser, de la masser pour faire monter son dĂ©sir. Mais la plupart du temps j’essuyais un flop. Alors petit Ă petit je l’ai moins sollicitĂ©e. Je me suis tournĂ© vers les films de cul ou les livres Ă©rotiques pour me procurer le frisson sexuel qui me manquait. Durant cette pĂ©riode j’ai accumulĂ© un peu de ressentiment envers elle. Son image ne me faisait plus bander. Je bandais toujours, mais pas en pensant Ă elle. J’ai dĂ©veloppĂ© des fantasmes oĂą elle n’était pas. Mais après tout, les fantasmes sont faits pour ça. Ce sont des fantasmes, ils n’ont pas Ă ĂŞtre en lien avec la rĂ©alitĂ©.Cette pĂ©riode-lĂ a durĂ© plusieurs annĂ©es. Et puis, tout doucement, sans que j’en prenne vraiment conscience, ma libido s’est mise elle aussi Ă diminuer. Mes fantasmes m’ont abandonnĂ©, les textes Ă©rotiques ne m’ont plus provoquĂ© d’émoi et les films pornos m’ont carrĂ©ment dĂ©goĂ»tĂ©. Je me suis lentement installĂ© dans une vie sans sexe et sans dĂ©sir. Ce n’est pas que je ne bandais plus, c’est que plus rien ne me faisait bander.C’est de ça que j’ai brutalement pris conscience Ă mes quarante piges. Le dĂ©sir avait disparu de ma vie et je ne m’en Ă©tais pas rendu compte ! Triste rĂ©alité…Bon, il faut aussi que je vous parle de mon boulot. Parce que lui aussi, le bougre, il a sa part de responsabilitĂ©Â ! Et puis la suite de l’histoire passe par lui. Alors, voilĂ , je suis directeur financier et des ressources humaines dans une petite PME. Enfin, pas si petite que ça puisqu’elle emploie deux cents personnes. C’est un mĂ©tier qui jusqu’à une Ă©poque rĂ©cente me passionnait. Grosso modo jusqu’à ce que l’on soit rachetĂ© par un grand groupe international.Alors, d’artisan quotidien de la pĂ©rennitĂ© de l’entreprise je suis devenu exĂ©cuteur des basses Ĺ“uvres pour des actionnaires toujours plus avides de dividendes. Ma fonction financière est devenue celle d’un coupeur de coĂ»ts et ma fonction ressources humaines celle d’un coupeur de tĂŞtes. De l’humain, ces gens-lĂ ne voient que le coĂ»t. Un ouvrier, c’est trente mille euros par an. Et l’argent qu’on paye aux salariĂ©s, on ne le paye pas aux actionnaires. Peu importe que cet ouvrier ait mis dix ans Ă acquĂ©rir le savoir-faire qui fait que l’entreprise aujourd’hui est aussi rentable. Le profit Ă court terme a remplacĂ© la stratĂ©gie Ă long terme.Ce changement de nature de ma fonction me pèse. J’étais fier de mon travail, aujourd’hui j’en ai honte. J’étais un fervent dĂ©fenseur du capitalisme, aujourd’hui je me surprends Ă penser comme un syndicaliste. Je ne m’éclate plus dans mon boulot, j’y vais Ă reculons le matin. Mais j’en ai besoin pour nourrir ma famille et payer ma maison. Pris au piège. Contraint Ă faire tous les jours quelque chose que je n’aime pas. Je ne pensais pas en arriver lĂ un jour. LĂ aussi, triste rĂ©alité…VoilĂ le bilan que j’ai tirĂ© de ma vie le jour de mes quarante ans. Pas très reluisant, avouez ! Et c’est pour ça qu’à cette Ă©poque je n’étais pas heureux. Plus de plaisir, et pire, plus de dĂ©sir. De la rĂ©signation, c’est tout.C’est dans ce contexte de moral dans les chaussettes qu’est arrivĂ©e l’affaire Alexandra. Bon, affaire, c’est un bien grand mot, mais vous allez comprendre. Alexandra, c’est cette fille du service commercial que j’ai dĂ» virer pour quelques milliers d’euros de bĂ©nĂ©fice en plus. Alexandra, c’est le genre de fille sur lequel les hommes se retournent. Bien foutue, joli minois et un cul Ă damner un saint. Un cul sur lequel on a envie de poser les mains, la bouche et le reste.Je l’ai donc reçue pour son entretien prĂ©alable. Elle est venue seule, alors que la loi l’autorise Ă se faire assister par une tierce personne. En gĂ©nĂ©ral, c’est bon signe. Bon, des entretiens de licenciement, vous avez compris que j’en ai dĂ©jĂ menĂ© un certain nombre. Un nombre certain, mĂŞme. Par expĂ©rience, on peut diviser les rĂ©actions des convoquĂ©s en deux catĂ©gories : ceux qui essayent de sauver leur emploi et ceux qui ont compris que la dĂ©cision Ă©tait irrĂ©vocable et qui nĂ©gocient le montant du chèque. Il va de soi que je prĂ©fère la deuxième catĂ©gorie, c’est de loin celle qui met le moins mal Ă l’aise.Et le premier signe pour dĂ©tecter dans quelle catĂ©gorie se range le salariĂ©, c’est la prĂ©sence d’un tiers. S’il se fait assister, c’est qu’il veut contester. S’il vient seul, c’est qu’il veut nĂ©gocier. J’ai donc rangĂ© Alexandra d’emblĂ©e dans la catĂ©gorie numĂ©ro deux. Bien mal m’en a pris !Je commence l’entretien par l’exposĂ© des motifs qui conduisent Ă envisager la mesure de licenciement. Du classique bien rodĂ©, la crise, la rĂ©duction des marges qui nous oblige Ă rĂ©duire les effectifs pour prĂ©server la compĂ©titivitĂ©, on sacrifie un emploi pour sauver tous les autres… Les foutaises habituelles. Elle m’écoute sans rien dire, pas une rĂ©action, pas une Ă©motion. LĂ , je me dis : « Elle s’est bien prĂ©parĂ©e, elle a de bons arguments, elle va me demander un gros chèque ».Je lui passe alors la parole pour qu’elle puisse exposer ses arguments. Et lĂ , tranquillement, elle me regarde dans les yeux et me dit :— Je vous ai vu souvent regarder mon cul. Il est Ă vous si vous me gardez.LĂ , je dois dire que je suis restĂ© bouche bĂ©e ! Les rĂ©actions des salariĂ©s, je les connaissais toutes. De la femme qui s’effondre en larmes Ă l’homme qui se lève en tapant du poing sur la table et en profĂ©rant des menaces, ceux qui jouent sur la pitiĂ©, sur l’intimidation, ceux qui sont abasourdis et sans rĂ©action, les diffĂ©rentes phases qui suivent l’annonce, le rejet d’abord pour finalement arriver Ă l’acceptation. J’étais prĂ©parĂ© Ă tout, j’avais un discours et une attitude tout prĂŞts pour toutes les situations. Pour tout, sauf ça.Et puis tout a Ă©tĂ© très vite. Elle a reculĂ© sa chaise, remontĂ© sa jupe et Ă©cartĂ© les jambes. Elle ne portait pas de culotte. Son sexe Ă©tait rasĂ©, j’avais une vue très nette sur sa fente. Elle a portĂ© la main sur son clitoris et a commencĂ© Ă se caresser.J’ai dĂ» rester la bouche ouverte tout ce temps-lĂ . Et puis j’ai retrouvĂ© mes esprits. Je me suis levĂ©, je lui ai dit de se rhabiller et j’ai mis fin Ă l’entretien. Elle est sortie de mon bureau en me jetant un regard langoureux et en remontant sa jupe sur sa fesse nue. Je suppose qu’elle voulait me signifier que la proposition tenait toujours.J’ai Ă©tĂ© incapable de travailler le reste de la journĂ©e. Je suis rentrĂ© tard Ă la maison, je n’avais pas envie d’affronter le regard de ma femme. Je n’avais pourtant aucune raison de me sentir coupable, je n’avais rien fait. Quoique… J’étais complètement perdu dans une foule de sentiments mĂŞlĂ©s. Et ce que je sentais lentement Ă©merger de ce tumulte me mettait mal Ă l’aise.Mon premier sentiment, le plus fort au dĂ©part, a Ă©tĂ© l’indignation. J’ai Ă©tĂ© choquĂ© qu’une femme puisse ainsi offrir si facilement son corps. Ce sentiment-lĂ Ă©tait facile et rassurant. Je rejetais toute la faute sur elle, cette Marie-couche-toi-lĂ prĂŞte Ă Ă©carter les cuisses pour un inconnu. Moi, lĂ -dedans, j’étais blanc comme neige, j’avais refusĂ©.Puis j’ai pensĂ© qu’elle m’avait proposĂ© cela pour sauver son poste. Cette situation de dĂ©part, c’est bien moi qui l’avais crĂ©Ă©e. C’est moi, et pas elle, qui la licenciais. Et pour de mauvaises raisons. Et lĂ a resurgi, dĂ©multipliĂ©e, cette culpabilitĂ© latente qui me taraudait depuis plusieurs mois. Virer des gens juste pour augmenter le profit, et faire travailler ceux qui restent deux fois plus pour compenser la perte d’effectif. Premier motif de malaise, professionnel.Puis mes rĂ©flexions se sont dĂ©placĂ©es sur le plan personnel. Comme elle me l’avait fait remarquer, je l’avais reluquĂ©e Ă plusieurs reprises. Ce n’était pas ma fonction qui me faisait regarder son cul, c’était mon appĂ©tit d’homme. En y rĂ©flĂ©chissant, elle n’avait fait que rebondir sur une situation que lĂ aussi j’avais crĂ©Ă©e. Deuxième motif de malaise, personnel.Puis, au fil des heures, est apparu un autre sentiment, qui a fini par s’imposer comme une Ă©vidence. J’ai rĂ©alisĂ© que j’avais envie d’elle. L’image de son sexe offert revenait me hanter Ă une frĂ©quence de plus en plus grande, comme un stroboscope qui accĂ©lère. Avant de quitter le bureau, j’ai rĂ©alisĂ© avec effroi que je bandais. Troisième motif de malaise, le plus fort.Je suis rentrĂ© Ă la maison, j’ai Ă©tĂ© taciturne toute la soirĂ©e et je suis allĂ© me coucher tĂ´t. Et j’ai rĂŞvĂ© d’elle. J’ai rĂŞvĂ© de son sexe, de son cul, de son corps. Ça faisait des annĂ©es que je n’avais pas fait de rĂŞves Ă©rotiques. Mon subconscient a imaginĂ© ce que je ferais avec elle, ce qu’elle me ferait. Je me suis rĂ©veillĂ© encore plus mal Ă l’aise que la veille.J’ai filĂ© rapidement au bureau pour ne pas sentir le regard de ma femme sur moi. Et lĂ , la tempĂŞte dans mon crâne n’a fait que prendre de l’ampleur. Pour une bonne raison. La loi prĂ©cise qu’il y doit y avoir deux jours francs entre l’entretien prĂ©alable et la notification de licenciement. Je n’avais donc que deux jours pour dĂ©cider de la suite Ă donner Ă cette histoire.Au cours de la journĂ©e, l’image de son sexe m’a hantĂ© de plus en plus. Et en mĂŞme temps que le dĂ©sir grandissait dans mon esprit, corrĂ©lativement, une culpabilitĂ© de plus en plus forte m’envahissait. Cette nuit-lĂ j’ai encore rĂŞvĂ© d’elle. Et la nuit suivante aussi. Cette fille me faisait bander, Ă ma grande honte.Je suis donc arrivĂ© au matin oĂą je devais dĂ©cider d’envoyer la lettre de licenciement ou non. Je ne suis pas allĂ© directement au bureau ce matin-lĂ . Je suis allĂ© prendre un cafĂ© dans un bistrot. Je voulais ĂŞtre seul, et surtout ne pas ĂŞtre dĂ©rangĂ©. J’ai passĂ© en revue tous mes sentiments, les bons, les mauvais, en essayant d’être exhaustif et objectif. La meilleure solution dans ce cas-lĂ c’est de rester froid et de regarder tout ça d’un Ĺ“il extĂ©rieur. Facile Ă dire, moins Ă faire !Je buvais mon troisième cafĂ© quand une Ă©vidence m’a Ă©clatĂ© Ă la figure. En quatorze ans de vie commune, dont douze de mariage, c’était la première fois que j’envisageais de tromper ma femme ! J’ai pris cette rĂ©vĂ©lation comme un coup de poing dans le ventre. J’ai rĂ©glĂ© l’addition et je suis allĂ© au bureau. J’ai signĂ© la lettre.J’étais fier de moi, j’avais pris la bonne dĂ©cision. Au fil des jours qui ont suivi, j’ai progressivement retrouvĂ© la sĂ©rĂ©nitĂ©. J’étais en paix avec ma conscience. Il me restait malgrĂ© tout un souvenir flou, celui du dĂ©sir retrouvĂ©. Mais ce n’était pas dĂ©sagrĂ©able.C’est Ă cette pĂ©riode-lĂ que Florence m’a annoncĂ© qu’elle Ă©tait enceinte. Florence, c’est mon assistante. Bon, il faut que je vous dise deux mots sur elle. C’est une perle. CompĂ©tente, travailleuse et discrète. Et avec ça, le cĹ“ur sur la main. Une crème de femme. Elle est restĂ©e cĂ©libataire longtemps, jusqu’à trente-cinq ans. Elle a rencontrĂ© l’homme de sa vie, ils se sont mariĂ©s. Et ils ont essayĂ© de faire un bĂ©bĂ©. Oui mais voilĂ , ça n’a pas pris. Alors analyses, examens, traitements, tout l’arsenal mĂ©dical a Ă©tĂ© sorti, pour finalement arriver Ă une FIV. Après plusieurs essais et autant de dĂ©ceptions, enfin, les embryons ont pris.Donc, comme je m’y attendais, et comme je l’espĂ©rais ardemment pour elle, elle m’a annoncĂ© en mĂŞme temps qu’elle Ă©tait enceinte et qu’elle Ă©tait arrĂŞtĂ©e jusqu’à la fin de sa grossesse. Et comme les deux embryons implantĂ©s avaient pris, son congĂ© de maternitĂ© post accouchement serait prolongĂ© comme c’est le cas pour les naissances gĂ©mellaires. Cela voulait dire plus d’un an d’absence. Et son arrĂŞt commençait le jour mĂŞme. Une grossesse Ă trente-neuf ans, les mĂ©decins ne voulaient pas prendre le moindre risque.Je l’ai fĂ©licitĂ©e, encouragĂ©e et je me suis mis en quĂŞte de sa remplaçante. J’ai rencontrĂ© plusieurs personnes pour finalement arrĂŞter mon choix sur MĂ©lanie. MĂŞme en y repensant maintenant, je vous confirme que le fait qu’elle ait Ă©tĂ© la plus jolie des candidates ne m’a pas influencĂ©, c’était bien aussi la plus compĂ©tente.MĂ©lanie a donc pris possession du bureau Ă cĂ´tĂ© du mien. Il faut que je vous la dĂ©crive pour que vous compreniez ce qui s’est passĂ©. Comment dire ? MĂ©lanie, c’est un rayon de soleil fait femme. Un corps de rĂŞve, des jambes longues et fines, des cuisses fermes, un cul… Non, il ne vaut mieux pas que je parle de son cul. Un ventre plat, des seins dessinĂ©s par un artiste, et par-dessus tout ça un sourire qui illumine le monde. Vingt-cinq ans, cĂ©libataire. Enfin, je dis ça, je n’en sais rien, on n’a jamais Ă©voquĂ© le sujet ensemble. Je parle du cĂ©libat, bien sĂ»r. Et puis de toute façon, je n’avais surtout pas envie de savoir.On a passĂ© beaucoup de temps ensemble, MĂ©lanie et moi. ForcĂ©ment, c’est mon assistante, et ce n’est pas rien, il y a beaucoup de choses Ă apprendre. Mon assistante, c’est elle qui gère les RH au quotidien. C’est mon rempart, c’est elle qui dĂ©samorce les petits conflits Ă force de sourire et de gentillesse. Il faut de la fermetĂ© aussi, et surtout beaucoup de tact. Ça ne s’apprend pas comme ça, il faut une bonne part d’innĂ© au dĂ©part. C’est elle aussi qui gère mes rendez-vous et mes relations avec les actionnaires. LĂ aussi il faut beaucoup de tact pour ne pas les envoyer paĂ®tre, ces assoiffĂ©s de fric, ces obsĂ©dĂ©s du bas de page.Bref, au fil des jours et des rĂ©unions, il s’est installĂ© entre MĂ©lanie, ma petite perle scintillante, et moi un gentil petit jeu de sĂ©duction. Ça a commencĂ© tout doucement, par des Ă©changes de regards complices après un dossier bien gĂ©rĂ©. Ça a continuĂ© par des sourires Ă chaque fois que l’on se croisait. Puis ça a pris une tournure plus physique. Nos bureaux sont sĂ©parĂ©s par une porte de communication. Quand elle est ouverte, je peux la voir assise Ă son bureau, de trois quarts. Et de face quand elle est Ă son ordinateur, mais alors lĂ je ne vois plus son visage qui est cachĂ© par l’écran.Quand je dis plus physique, rassurez-vous. Je veux simplement dire que l’outil de sĂ©duction s’est Ă©tendu du visage au corps. Rien de plus. Ça a commencĂ© – enfin la première fois que je l’ai remarquĂ©, il y avait peut-ĂŞtre eu autre chose avant, les hommes ne sont pas rĂ©putĂ©s pour ĂŞtre observateurs – par le jour oĂą elle est arrivĂ©e sans soutien-gorge. Avec la poitrine qu’elle a, c’est quelque chose qu’on ne peut pas ne pas remarquer ! Non pas que ses seins tombaient, bien au contraire, on aurait dit qu’ils Ă©taient suspendus dans l’air comme par magie. Non, simplement, le relief de ses tĂ©tons se dessinait très nettement sur son corsage. Et je ne sais pas pour vous, mais moi je trouve ça Ă©minemment Ă©rotique.Puis ça a continuĂ© par des Ă©chancrures de plus en plus profondes, d’abord dans les hauts, puis dans les jupes. Elle me laissait apercevoir, en tout bien tout honneur, le galbe d’un sein quand elle se penchait. Ou elle me laissait espĂ©rer qu’un mouvement calculĂ© pour ĂŞtre un peu trop ample me laisserait dĂ©couvrir qu’elle ne portait pas de culotte.Bon, je sais ce que vous pensez. Je ne suis pas tombĂ© de la dernière pluie non plus. Je vous rappelle qu’à cette Ă©poque j’avais quarante ans. J’avais parfaitement conscience qu’elle Ă©tait intĂ©rimaire et qu’elle essayait de mettre tous les atouts de son cĂ´tĂ© pour pĂ©renniser son poste. Mais j’ai toujours Ă©tĂ© clair avec elle lĂ -dessus. Elle assurait un remplacement de congĂ© maternitĂ©, point barre, pas d’autre espoir.Toujours est-il que ce petit jeu de sĂ©duction, bien innocent vous en conviendrez, illuminait mes journĂ©es. J’allais au boulot guilleret le matin. Pas pour ce que j’allais y faire, mais pour ce que j’allais y voir. Ce qui, j’en conviens Ă mon tour, n’est pas la plus professionnelle des motivations.Et MĂ©lanie, au fil du temps, a fait revivre mon dĂ©sir. Pas de façon honteuse et coupable comme Alexandra. Mais d’une façon lĂ©gère, innocente, agrĂ©able. Je reprenais goĂ»t Ă la vie et au corps des femmes. Ça a durĂ© plusieurs semaines dĂ©licieuses.Puis vint le jour oĂą je suis rentrĂ© plus tĂ´t du bureau. La journĂ©e avait Ă©tĂ© difficile, une vidĂ©oconfĂ©rence de six heures avec les actionnaires qui exigeaient encore des licenciements en prĂ©vision d’une soi-disant crise Ă venir. Ils en Ă©taient Ă dicter les noms. J’avais fait la bĂŞtise de leur communiquer la liste des employĂ©s avec leur fonction et leur salaire. Une journĂ©e sans voir MĂ©lanie, enfermĂ© que j’étais dans la salle de rĂ©union. Ă€ la fin de la confĂ©rence, j’étais excĂ©dĂ©. Je suis montĂ© dans ma voiture et je suis rentrĂ©.Mes trois femmes n’ont pas remarquĂ© que j’étais arrivĂ©. Quand on est dans le jardin, on n’entend pas les voitures dans l’allĂ©e, de l’autre cĂ´tĂ© de la maison. Je n’ai pas dĂ» vous prĂ©ciser que mon deuxième enfant Ă©tait aussi une fille. Mes deux anges tombĂ©s du ciel, comme je les appelle. Je les ai vues par la baie vitrĂ©e, elles jouaient toutes les trois dans la piscine.Et lĂ , je ne sais pas ce qui m’a pris. Au lieu d’aller les embrasser, je me suis cachĂ© et je les ai observĂ©es. Je les ai regardĂ©es pendant une demi-heure, comme aurait fait un Ă©tranger un peu voyeur. Elles plongeaient, nageaient, couraient après le ballon sur la pelouse et replongeaient dans la piscine. Elles riaient.Je suis sorti sans bruit de la maison, comme un voleur, je suis remontĂ© dans ma voiture et je suis parti. Je me suis garĂ© un peu plus loin, sur le bord de la route. Et j’ai rĂ©flĂ©chi. Comme sans doute je ne l’avais jamais fait de ma vie.Au bout d’une heure, j’avais les idĂ©es claires. Ma dĂ©cision Ă©tait prise. Je suis rentrĂ© Ă la maison comme si j’arrivais du bureau.J’ai tout organisĂ© du boulot, le lendemain, dans le plus grand secret. Pour la première fois depuis des semaines, j’ai fermĂ© la porte de communication avec le bureau de MĂ©lanie.Les vacances scolaires commençaient deux semaines plus tard. Ma femme est enseignante, je n’ai pas dĂ» vous le dire.Le vendredi, dernier jour de classe, j’avais posĂ© ma journĂ©e. Je suis parti au bureau le matin, comme si de rien n’était. Je suis rentrĂ© Ă la maison après qu’elles soient parties. J’ai fait les valises et je les ai mises dans le coffre de la voiture. Le soir je suis allĂ© chercher les filles Ă la sortie des classes. Je les ai emmenĂ©es chez ma belle-sĹ“ur. Elles adorent leur tata, elles Ă©taient ravies.Je suis rentrĂ© Ă la maison et j’ai attendu qu’elle rentre. Le temps paraĂ®t long quand on attend. J’ai dĂ» creuser un sillon dans le carrelage Ă force de faire les cent pas.Quand elle est arrivĂ©e, je lui ai mis un bandeau sur les yeux et je l’ai traĂ®nĂ©e jusqu’à la voiture. Je ne lui ai retirĂ© le bandeau qu’une fois dans l’aĂ©roport. Elle m’a souri. D’un sourire que je ne lui avais pas vu depuis longtemps. J’ai vu dans ses yeux qu’elle se rappelait. Autrefois, quand on Ă©tait jeunes et très amoureux, je l’enlevais comme ça le jour de la Saint-Valentin.Nous n’avons pas Ă©changĂ© une parole. Pas besoin. Elle savait ce qui allait se passer. Elle ne savait pas encore oĂą, mais elle me faisait confiance. Je ne l’avais jamais déçue ces jours-lĂ . Elle Ă©tait belle comme la première fois oĂą je l’avais vue et que j’étais tombĂ© immĂ©diatement amoureux d’elle.Le premier mot qu’elle a prononcĂ© a Ă©tĂ© « buon giorno » quand elle a saluĂ© le rĂ©ceptionniste de l’hĂ´tel. Les suivants ont Ă©tĂ© « je t’aime » et ils m’étaient destinĂ©s. Elle les a dits sur la terrasse de la chambre, devant la basilique Saint-Pierre et le monument Ă Victor-Emmanuel II.On a passĂ© une semaine Ă Rome. La solitude Ă deux, le soleil et le chianti nous ont progressivement fait rajeunir. De quatorze ans exactement. La passion est rĂ©apparue. Nous Ă©tions bien, heureux d’être tous les deux. Nous avons fait l’amour tous les jours, plusieurs fois par jour. Mais pas seulement. On a beaucoup parlĂ© aussi. On ne l’avait jamais fait, en fait. En tout cas pas comme ça. On a mis Ă plat nos quatorze annĂ©es de vie commune. On a beaucoup appris l’un sur l’autre. On a rĂ©glĂ© des conflits latents. On a trouvĂ© une solution Ă tous les petits reproches accumulĂ©s au fil du temps.Au bout de la semaine, on n’avait pas envie de rentrer. On l’a fait quand mĂŞme, nous sommes des adultes responsables. Nous avons repris notre vie, mais sur de nouvelles bases. Bien sĂ»r, la passion a disparu rapidement. On savait bien qu’elle ne durerait pas. Mais le dĂ©sir est restĂ©. Et il est mutuel.Toute cette histoire, et ces deux femmes annexes m’ont fait rĂ©aliser que la seule femme dont j’avais besoin c’était la mienne. Je l’avais dĂ©jĂ , pas besoin de chercher ailleurs. Et le manque de dĂ©sir dont je me plaignais, moi seul en Ă©tais responsable. La preuve, c’est que c’est moi qui ai fait changer les choses, pas elle. Elle n’attendait que ça, un signe de ma part. Tout ce temps elle Ă©tait prĂŞte, mais je n’avais pas su le voir. Alors, pour ça, merci Alexandra, merci MĂ©lanie. Et merci Ă mes quarante ans !Ah oui, j’allais oublier ! J’ai dĂ©missionnĂ©. Enfin, j’ai nĂ©gociĂ© mon dĂ©part. Avec ce que je savais, c’était facile ! Ils m’ont fait un gros chèque. Un très gros chèque. Avec l’argent j’ai remboursĂ© ce qui restait de l’emprunt de la maison et j’ai achetĂ© un camion Ă pizza. J’ai suivi une formation de pizzaiolo.Aujourd’hui ma tournĂ©e est bien rodĂ©e, j’ai ma clientèle. Les affaires marchent bien. J’ai retrouvĂ© du contact humain, les gens me sourient. Je leur apporte de la facilitĂ©, un allègement de leurs tâches quotidiennes, un petit plaisir Ă partager Ă deux ou en famille. Ils aiment bien mes pizzas, surtout la SpĂ©ciale du Chef. Si on vous demande ce que je mets dans ma crème, vous direz que vous ne savez pas. C’est un secret. Les gens aiment bien les secrets.Oups, j’allais oublier de vous dire que Florence a accouchĂ© de deux adorables poupons, un garçon et une fille. Tout s’est bien passĂ©. Elle et son mari sont probablement Ă l’heure qu’il est les nouveaux parents les plus heureux du monde.VoilĂ , c’est l’histoire que je voulais vous raconter.Et vous savez quoi ? J’ai quarante et un ans et je suis heu-reux !