1984Le soleil est éclatant et se reflète dans l’eau de la piscine. Sous la pergola, les adultes affalés dans les chaises longues discutent des vacances prochaines. Les piaillements des gosses, le brouhaha des conversations des parents n’arrive pas à tirer Jacques de sa douce torpeur. La journée est magnifique, le ciel sans nuage. La famille est là au complet chez sa fille aînée pour fêter son départ à la retraite. Tous les enfants sont mariés, tout le monde en bonne santé, c’est ça le bonheur. Aujourd’hui, ses trois enfants ont voulu marquer cet évènement, c’est merveilleux. En ce printemps le soleil tape dur. Christine, sa plus jeune belle-fille en a même profité pour se mettre en maillot au bord de la piscine afin de commencer à se dorer, c’est la cerise sur le gâteau, car Régis a choisi comme femme un « canon ». Et c’est sans complexe que Jacques la regarde, sans mauvais esprit, simplement pour sa beauté. D’ailleurs, il aime trop Colette, son amour, sa vie, sa compagne depuis plus de 35 ans.— Alors, Papa, ça va ? lui demande Brigitte, son aînée.— Tu parles, je suis le plus heureux des hommes. Mais surtout je vous remercie encore pour votre cadeau.— On te devait bien ça, reprend Luc, après tout ce que vous avez fait pour nous, Maman et toi.Maintenant que Colette est en préretraite, ils sont libres. Les enfants leur ont offert un voyage à Venise ! Leur rêve depuis toujours. Quand ils se sont mariés, à la fin de la guerre, on parlait peu de tourisme, et surtout, leurs moyens étaient limités. Mais maintenant, ils vont s’en donner à cœur joie. Départ dans trois jours, les bagages sont déjà prêts.— Papa, on va partager le gâteau.Toute la famille s’est retrouvée autour de la table. Grand chahut, les petits se disputent pour avoir une fleur en sucre. Champagne, tout est parfait. René, le copain s’offre pour faire une photo de famille. Tout le monde se range, clic, Marion a bougé, on reprend, clic, Pierre a fait les oreilles derrière sa cousine, encore une, c’est bon cette fois.Le soleil se couche, il est temps de rentrer. Jacques, prudent, sachant qu’il boirait probablement plus qu’à l’ordinaire, n’a pas pris la voiture. Jean, le mari de Brigitte, qui se cantonne à l’eau, les ramène chez eux. Hélène qui veut aller coucher chez Mamé les accompagne. Tous les quatre embarquent. La R11 s’est arrêtée juste avant le passage à piéton, en face de la maison. Avec le passage protégé, pas de danger, il n’y a qu’à traverser. Tous trois attendent sagement, pour passer devant la voiture. Dans l’autre sens, une deux chevaux s’est arrêté également pour leur laisser la priorité. Hélène, malgré les recommandations de sa grand-mère, s’élance en courant. Jacques presse le pas pour la rattraper. Un crissement terrible de pneu fait tourner la tête à la petite. C’est pour voir son papé voler par-dessus le capot d’une voiture lancée à toute vitesse. Mamé est heurtée et renvoyée en arrière. Un pantin désarticulé retombe, teintant immédiatement le sol de son sang.Un cauchemar, c’est un cauchemar. Je me suis entortillé dans les draps, je suis coincé et ça me fait mal, très mal.Jacques entrouvre les paupières, ébloui par la blancheur des murs. Pas moyen de bouger, je suis coincé.Tout à coup, le rugissement des pneus bloqués lui revient aux oreilles. Il s’est fait ramasser par une voiture. Hélène ! Ah non, elle avait déjà traversé, Colette ! Elle était derrière. Ce n’est pas trop grave, je suis le seul à avoir dérouillé. Et il replonge dans le noir.Un murmure de voix le tire de sa léthargie.— Ça y est, il se réveille. Comment vas-tu, Papa ? murmure Régis.Un gargouillement lui répond, pas moyen d’ouvrir les lèvres.— Reste calme, tu es sorti d’affaire, nous sommes là.Autour du lit, ses trois enfants. Ils se sont sapés, pense-t-il. Quelle idée de se mettre en costume pour venir à l’hôpital. Mais Colette n’est pas avec eux ? En tombant elle a dû se faire mal. Dès qu’elle sera remise, elle viendra.Depuis trois jours qu’il a repris connaissance, son corps n’est que souffrance, mais il est l’objet de toutes les attentions, de toutes sortes de soins. Le professeur lui a expliqué que le choc lui avait abîmé le côté droit du corps, il était retombé sur le côté gauche, se fracturant l’omoplate et la mâchoire qu’on a dû immobiliser. Il n’a pu qu’acquiescer à ses explications, pas moyen de s’exprimer. On le prend, le tourne, l’amène pour les soins, la radio, ça n’en finit pas. Heureusement il a la visite des enfants tous les soirs, c’est bon d’avoir une grande famille. Et, même à midi, Christine, qui travaille dans le voisinage, mange rapidement puis vient lui tenir compagnie un moment. Personne ne lui parle de l’état de santé de Colette et il ne parvient pas à le leur demander. Aujourd’hui, quand Christine lui a pris la main, il a appointé trois doigts joints pour lui faire comprendre qu’il voulait écrire. Bien qu’il ait le bras blessé, il peut un peu bouger les doigts. Elle a compris, lui met son stylo entre les phalanges, la main reposant sur une feuille de papier. Il essaie de tracer le nom de sa femme, mais ne parvient qu’à esquisser Un C puis un O. La douleur est trop vive, il lâche tout. Christine a regardé le papier, a levé les yeux vers lui. À sa mine fermée, il croit comprendre soudain. Il grogne, réclame le crayon. Elle lui remet en main, il trace une croix. Sur le visage de sa belle-fille coulent deux larmes : il a compris, elle est morte. Et l’autre jour, ils revenaient de l’enterrement ! Voilà pourquoi ils étaient endimanchés ! Il a fermé les yeux, verrouillé les écoutilles. Plus rien ne compte, lui infirme et surtout Colette morte. Plus la peine de vivre.Les infirmières ne bougent plus qu’un cadavre. Les médecins lui parlent sans provoquer aucune réaction. Il n’ouvre même pas les yeux lorsque les enfants viennent et lui parlent. Il attend la mort. Christine à midi, ses enfants le soir, viennent à son chevet. Il entend des voix, mais ne s’intéresse plus aux paroles, à rien. Pourtant, aujourd’hui c’est un son particulier. Il se force à ouvrir les yeux. Hélène est là, en pleurs, lui serrant la main, lui faisant mal.— Papé, ne meurs pas, je serai trop triste. Mamé est partie, reste-toi, pour moi et les petits. Même Marion te cherche, reviens avec nous.Alors, il a décidé de reprendre le combat, de vivre, pour ses petits. Ses enfants sont heureux de le voir sortir de son désespoir, se battre. Ils lui parlent de la famille, de leurs enfants qu’ils amènent quelquefois, de leurs petits soucis. Il attend aussi à midi, l’arrivée de Christine. Elle prend sa main et la pose dans la sienne. Il a un grand plaisir au contact de cette peau si douce. Malgré la douleur, il la serre, la caresse pour lui exprimer sa joie, sa reconnaissance pour ses visites. On est fin juin, le soleil entre par la fenêtre étroite et haute. Les infirmières sont souriantes, le soignent, le cajolent même, tant il est un patient docile, n’appelant qu’en cas de nécessité. Il fait chaud, Christine vient maintenant en minijupe. Un jour, pour saisir un crayon elle a lâché la main qui s’est posée sur son genou nu. Pour la première fois depuis l’accident, ce contact lui a procuré un plaisir purement sensuel. Il l’a remuée doucement pour une amorce de remerciement. Sa belle-fille l’a regardé, a souri, n’a pas bougé.Le seul moyen de s’exprimer est l’écriture. Mais il n’en use pas beaucoup. La feuille, pour une plus grande facilité d’écriture, est posée sur une plaque sur le lit. Christine lui donne le crayon, lui guide la main. S’il en avait la force, il écrirait un roman pour rester plus longtemps en contact. Il aime, attend, cette relation toute innocente acceptée par sa visiteuse.Maintenant que sa tête n’est plus pansée, tous l’embrassent sur le front en arrivant et en partant. Mais lorsque c’est Christine, son regard plonge dans le décolleté. Le jour où elle s’en est aperçue, son premier réflexe a été de se reboutonner jusqu’au cou. Elle ne l’a pas fait, Jacques a souri pour la remercier. Avant de le quitter, elle a défait un bouton au moment de l’embrasser. Quand elle s’est redressée, Jacques a rougi, elle a pincé les lèvres, souri, puis a remis de l’ordre dans sa tenue. Les médecins sont contents, le malade a bon moral, fait des progrès étonnants. On lui a enlevé l’échafaudage qui lui maintenait la mâchoire en place, on peut maintenant le nourrir à peu près normalement. Car, ses bras étant inutilisables, il faut lui donner la becquée. Et surtout, il peut marmonner quelques mots. La première à en bénéficier a été Christine. Libéré depuis le matin, il a pu lui dire : « Bonjour », puis après avoir examiné le contenu du corsage lors du baiser : « Merci beaucoup. » Une infirmière est venue apporter le dessert, un yaourt, Christine s’est offerte pour lui donner. Elle s’est fait ainsi une amie de la soignante. Jacques a été débarrassé de plusieurs plâtres ou bandages et maintenant on peut l’asseoir dans un fauteuil roulant. Tous ses visiteurs, et surtout les petits veulent le promener, il est devenu leur jouet préféré. À midi, après avoir mangé, Christine, elle aussi, le conduit dans les allées prendre un peu le soleil. Il attend avec impatience le moment de la séparation, quand elle se penche et lui présente ses trésors.Les séances de rééducation ont commencé, Jacques a été changé de service. Il s’applique dans les exercices, même si certains sont particulièrement douloureux. Mais il ne veut pas rester dans un fauteuil roulant, même à moteur, le restant de ses jours.Septembre est arrivé, rentrée des classes pour les petits enfants, à la maison pour Jacques, débarrassé de ses plâtres et accessoires. Il ne sera pas seul. Depuis deux mois, Régis et Christine occupent la villa. Ils ne voulaient pas, mais son frère et sa sœur ainsi que Jacques les y ont poussés, ainsi on évitera un cambriolage, et ils ne paieront plus le loyer de leur petit appartement. Et surtout, quand papa rentrera, ils seront à son service. D’autant que le CDD de Christine n’ayant pas été renouvelé, elle est disponible. Le jugement sur l’accident a été rendu, Jacques a droit à une aide ménagère. Renseignements pris, Christine pourra remplir cette fonction. Il peut se mettre debout avec des cannes anglaises, mais c’est pourtant dans le fauteuil roulant que Jacques regagne ses pénates. Le choc a été terrible, se retrouver chez lui, dans leur maison, sans Colette, il y avait vingt-cinq ans qu’ils habitaient ici, y avaient élevé leurs enfants. Deux larmes coulent sur ses joues. Tous restent silencieux, même les petits. Il conservera leur chambre conjugale, indépendante, le couple les trois autres chambres. Dès le premier jour, ils ont réglé quelques arrangements. Jacques, en accord avec Régis, a exigé que Christine le tutoie. Elle a d’abord refusé, mais ils ont été fermes et l’habitude a été prise. Celui de la toilette également. Le premier matin, Christine est entrée dans la salle de bains avec Jacques, l’a aidé à se déshabiller. Mais arrivé au slip, difficile de le quitter tout seul.— Comment fait-on ? lui demande-t-elle.— Je te tourne le dos, tu le baisses.Elle a fait comme convenu, mais a involontairement jeté un coup d’œil dans le miroir. Quand elle a levé les yeux, elle s’est aperçu que Jacques l’avait vue dans la grande glace, mais n’avait dit mot. Ainsi une certaine complicité s’établit entre eux. Autrefois, le matin, elle avait l’habitude de traîner en nuisette assez courte qui ne cachait pas grand-chose. Désormais elle met un peignoir. Mais un jour, mal réveillée probablement, elle l’a oublié. C’est en préparant son déjeuner qu’elle s’en aperçoit. Jacques ne dit mot mais profite du spectacle.— Voyeur, tu n’as pas honte, regarder ta belle fille !— Non, pas honte du tout. Primo la vue est magnifique, deuzio tu es plus à l’aise, tertio, je ne disais rien ni ne te touchais. Tu peux continuer les autres jours, ce n’est pas moi qui m’en plaindrais.Elle reste stupéfaite de sa franchise. D’un autre côté, cela lui convient bien d’être à l’aise, mais aussi d’être admirée. Elle se méfiera tout de même quand Régis sera là. Et ainsi une grande liberté s’est instaurée entre eux. Elle sort de la salle de bain en sous-vêtements ou avec une serviette. Cela la titille agréablement. Sa petite poitrine ferme n’a pas besoin de soutien, elle a toujours négligé d’en porter à la maison. Mais autrefois, quand quelqu’un devait venir, soit elle en mettait un, soit elle prenait un vêtement à col fermé. Maintenant quelquefois, elle prend un polo très échancré et surprend le regard intéressé de son beau père. C’est entre eux un jeu amusant, elle en montre le plus possible, lui admire, mais seul son regard témoigne de son admiration. Un matin où elle sortait de la salle de bain en culotte et soutien-gorge, Jacques l’a interpellée.— Christine, viens voir ici.— Qu’est-ce que tu veux ?— Tu permets, et il passe la main sur le ventre. Il me semble que bientôt la famille s’agrandira.— Toi, tu as le coup d’œil. Nous avons décidé avec Régis, mais nous attendons confirmation du médecin.Jacques ne s’était pas trompé. Désormais, il ne veut plus qu’elle l’aide, au contraire, au fil des jours c’est lui qui assure pas mal de charges ménagères. D’ailleurs l’ambulance ne vient plus le chercher pour les séances de rééducation, il s’y rend avec le bus, sans ses cannes anglaises. Les derniers mois de la grossesse sont pénibles pour Christine. Avec Jacques, elle sort promener comme le lui a recommandé son gynécologue. À la maison, il assure beaucoup de travaux ménagers, est toujours prêt à l’aider. Pendant sa toilette, elle laisse la porte de la salle de bain ouverte, non par désir d’être observée, mais parce qu’elle a peur de tomber et de se blesser. Une fois, alors qu’elle était dans la baignoire, elle l’a appelé pour qu’il l’aide à se relever. Il est resté extrêmement correct. Et l’évènement est arrivé un après-midi. Jacques l’a conduite à la maternité, a prévenu son fils. Puis il est retourné tenir la main de Christine qui souffrait beaucoup. Certes, elle avait suivi les cours d’accouchement sans douleur, mais cela ne se révélait pas très probant. Une gentille Pauline est née quelques heures plus tard. Huit jours ont passé, et Christine est rentrée à la maison. La vie a repris, elle allaite sa fille au sein. Elle le fait naturellement, en toute liberté, devant Jacques. Ce dernier s’occupe de la petite ce qui permet à la maman de se reposer et se rétablir rapidement.Maintenant le rythme est pris dans la maisonnée. Christine et Jacques se partagent les soins du bébé et les travaux ménagers. Ceci leur donne de la liberté à tous deux, leur permet de partir à tour de rôle. Les week-ends ou congés, les parents sont libres de sortir, ainsi que le soir parfois, s’ils le désirent. De plus, la villa est devenue une mini garderie pour les cousins. Christine, au bout d’une paire de mois, a cessé d’allaiter sa fille. Fin du spectacle pour son beau-père, mais parfois une négligence ou un faux mouvement permet un regard indiscret ou même l’évasion d’un sein. C’est un jeu pour eux, des règles précises et intangibles se sont mises en place tacitement. Spectacle permanent, mais jamais de contact. Christine y a pris goût, le fait d’être admirée sans risque la rassure sur sa beauté. Après la naissance, elle avait conservé quelques kilos de trop. Elle s’est mise au régime et à la gymnastique dès que cela lui a été possible. Elle se pèse tous les jours. Un matin, elle a poussé un cri de joie. Jacques est arrivé rapidement. Nue sur la bascule, elle a montré à Jacques le chiffre, cinquante-huit kilos, elle est revenue à son poids normal en trois mois. Heureuse, elle lui a sauté au cou, l’a embrassé, se collant contre lui. Il a follement apprécié, a attendu, terriblement excité par ce contact, mais a su conserver son calme. Elle s’est rendu compte de la situation, a senti la preuve du trouble qu’elle provoquait, s’est séparée de lui, lui a murmuré : « Merci » Depuis ce jour-là, elle circule parfois toute nue. Un matin, assise dans cette tenue, une jambe repliée, elle taillait ses ongles des pieds. Jacques, assis en face, voyait bailler la fente dévoilant l’intérieur rose. Sans se défaire, il a posé une main sur son sexe et, au travers du blue-jean, a frotté doucement. Christine a levé les yeux, a vu sa manœuvre, mais a continué son travail. Jacques est parti troublé par ce spectacle. Quand il est revenu, elle l’a remercié :— J’ai totalement confiance en toi, tu es un type formidable. oooOOOoooDéjà dix ans que Colette est décédée. Pauline a maintenant un frère et une sœur. Christine a trouvé un travail à mi-temps. Jacques, à la maison, assure les travaux ménagers et la garde des enfants. Certes, à soixante-dix ans, c’est une charge, mais il le fait avec plaisir. Il est vrai qu’il a conservé une excellente forme malgré les douleurs dues aux séquelles de son accident, grâce à une gymnastique journalière et à la marche à pied qu’il pratique surtout le mercredi puisque Christine ne travaille pas ce jour-là.Leur complicité est toujours la même. Christine a trente-cinq ans, elle est toujours aussi belle, peut-être plus qu’avant au goût de Jacques. Une fois, passant nue devant lui, elle lui a dit :— J’ai grossi, je deviens minable.— Tu n’as pas grossi, tu as juste pris des rondeurs là où il fallait.Et son regard se fixe sur les fesses qui, en effet, sont maintenant magnifiques. Elle a souri, lui a dit :— Régis est de ton avis, il trouve que maintenant il a ce qu’il faut dans les mains. Et même cela lui donne des idées bizarres.— Il faut reconnaître que tu es drôlement tentante.— J’apprécie ton compliment, car il n’est pas intéressé, tu es un chic type.Ce week-end, c’est l’anniversaire de Régis. Toute la famille est réunie, ils se sont cotisés afin de lui offrir un ordinateur. Dans l’hypermarché où il travaille, on commence à tout mettre en informatique, et cela l’intéresse beaucoup. Mais Christine ne lui a rien offert. Personne ne l’a remarqué, sauf Jacques qui vit avec eux. Il se promet de lui en faire la réflexion demain quand ils seront seuls. Le lendemain, Régis est parti tout joyeux au travail, probablement l’ordinateur lui a fait plaisir. Jacques a conduit deux de ses petits enfants à l’école. Au retour, Christine sort de la salle de bain où elle fait la toilette d’Alice, la dernière. Jacques se décide à l’interroger sur le fait qu’elle ne lui a pas fait de cadeau.— Régis a été gâté hier, tout le monde lui a offert des cadeaux, mais je n’ai pas vu le tien.— Tu ne risques pas de le voir, mais il en a été drôlement content, je peux te le dire.— Ah oui, qu’est-ce c’était ?— Tu es curieux, je peux seulement te dire que c’est quelque chose qu’il me réclamait depuis longtemps et que je ne voulais pas lui accorder. Hier, je lui ai donné.— Ce doit être agréable pour lui, ce matin il était tout heureux, il a dû se régaler.— Lui, oui, mais pas moi ! Je l’ai senti passer.Et elle part en se tenant les fesses. Jacques comprend tout à coup qu’elle lui a offert sa dernière virginité.— Christine, ne jette pas l’emballage, il pourra resservir.— Oui, je crains qu’il ne l’utilise souvent, et elle éclate de rire, Jacques a compris quel était son cadeau. oooOOOoooPauline vient d’avoir vingt ans. Jacques est ébloui par la vitalité de ses petits-enfants, surtout les enfants de Régis et Christine qu’il voit constamment. Ces derniers sont merveilleux avec lui, l’aiment beaucoup, il est vrai que c’est lui qui les a élevés. Mais Jacques a quatre-vingts ans. Certes, il est encore en forme, mais ses forces déclinent lentement, son opération de la prostate a réglé ses problèmes de libido. Cela lui a été dur au début de constater qu’il n’était plus un homme, comme il dit. Mais, malgré ce, il s’intéresse toujours autant à la beauté de la gent féminine. D’ailleurs il est comblé, car avec Christine, ils ont gardé la même liberté. Certes ils font attention à la présence des enfants, mais elle circule souvent dans la maison en tenue légère et cela ne choque personne. Pourtant quand ils sont tous les deux, Jacques la regarde parfois d’une certaine manière, elle comprend qu’il espère une exhibition. Elle entrouvre son peignoir, sort de la salle de bain nue. Cela fait plaisir à son beau-père, mais surtout cela la rassure sur sa beauté. Elle se surveille et a certes gardé une ligne magnifique, mais tout de même le regard admiratif de Jacques la tranquillise et plus qu’un cadeau qu’elle lui fait, c’est une gourmandise personnelle.C’est arrivé dans la nuit. Jacques a pu se lever de son lit, mais s’est écroulé dans le couloir. Régis a entendu le bruit, a compris la gravité du malaise, a appelé le SAMU. Infarctus, acheminement sur les urgences, Jacques est dans un état sérieux. Le professeur a indiqué aux enfants qu’il risquait de conserver des séquelles s’il en réchappait. Tous viennent voir le papé. Au fil des jours, son état décline. Il est lucide et comprend que c’est la fin. Ses enfants le rassurent, mais ils savent bien que c’est une question de jours. Christine est très touchée, elle aime tellement son beau père, depuis vingt ans qu’ils vivent ensemble. Ce soir, elle est venue lui rendre visite tard, quand Régis est rentré du travail. Elle s’approche du lit, le malade est immobile, on ne sait s’il est conscient. Christine lui parle doucement. Au son de la voix familière, il ouvre les yeux, amorce un sourire. Son regard brille, Christine comprend qu’il apprécie sa présence. Elle décide de lui faire un dernier cadeau. Elle déboutonne son corsage, abaisse son soutien-gorge et lui présente ses seins. Un sourire s’épanouit sur le visage de Jacques, montrant sa satisfaction. Christine amène un bourgeon devant les lèvres du malade. Il entrouvre la bouche, elle se baisse, lui permettant pour la première fois de toucher, de goûter ce fruit défendu. Le visage s’épanouit, se détend. Quand elle se relève, les yeux brillent, le visage est fendu d’un sourire. Elle lui prend la main, il la serre de toute son énergie. Quand elle le quitte, il paraît heureux, détendu.Le lendemain matin, le téléphone a sonné à six heures. L’hôpital annonce le décès de Jacques. La veille au soir, il avait senti sa fin proche, il avait fait une demande aux infirmières : ne prévenir sa famille qu’au matin. Les enfants sont allés rendre hommage à leur père. Ce qui les a surpris, c’est l’air détendu qui est sur son visage. Christine, malgré son chagrin, malgré les larmes qui coulent sur ses joues, se sent heureuse d’avoir pu donner une dernière joie à celui qu’elle aimait chastement depuis si longtemps.