De Versailles, le 14 octobre 1668C’en est fait, ma fille, vous êtes mariée, vous le serez, je vous ai accordée en mariage il y a une heure, et tout cela selon votre désir. Monsieur de Grignan entra ce matin dans mon appartement pour me demander votre main. Il commença par me faire vingt compliments sur ma beauté, bien que je fusse vêtue et coiffée aussi simplement qu’on peut l’être dans son intérieur et à cette heure, encore que les épaules et la gorge un peu découvertes. Arrivé au bout de ses éloges, il se trouva un peu court et embarrassé, d’autant que refusant mon invitation à prendre un siège il était resté debout devant moi assise dans un fauteuil. Enfin, il mit un genou à terre et me fit sa demande, d’une voix aussi tremblante que s’il était un grimaud et non un homme fait qui n’a, je crois, que quelques années de moins que moi. Je le rassurai en disant que cette union satisfaisait aussi bien votre coeur que l’intérêt de nos deux familles.À ces mots, il fut aussi joyeux que vous l’imaginez et se jeta tout à fait à mes genoux, me baisant cent fois les mains jusqu’au coude ; je crois même qu’il baisa un peu mes genoux, m’appelant entre deux baisers la meilleure, la plus généreuse et la plus charmante des belles-mères. Je lui dis, moitié riant, que le proverbe selon lequel pour épouser la fille il faut plaire à la mère n’était peut-être pas à suivre avec tant d’assiduité. Il me répondit qu’il le trouvait quand à lui fort juste, et se releva pour me baiser à nouveau cent fois sur les deux joues, c’est-à-dire un peu au-dessous de mes joues, c’est-à-dire dans le cou, c’est-à-dire à la naissance de ma gorge, c’est-à-dire sur ma gorge ou du moins sur tout ce que mon corsage en montrait.Arrivant au bout de son centième baiser, il se trouva comme les conquérants à qui la terre manque à moins qu’ils n’élargissent le théâtre de leurs conquêtes. Il délaça donc mon corsage et écarta les pans de ma chemise, le tout en croyant bon de s’écrier « ô bienheureux sein qui a nourri ma bien-aimée », ce qui serait déjà ridicule dans un madrigal et l’est bien plus en prose, d’autant que comme tout un chacun dans notre monde vous avez eu une nourrice. Enfin, mes épaules et le bienheureux sein se trouvèrent tout à fait à l’air. Une vieille femme de quarante-deux ans, telle que je suis, n’est sans doute plus avantagée aussi bien que vous ne l’êtes à votre âge ; toutefois l’art de nos corsetiers, et le mélange de palpitation et de raideur dans lequel les caresses de votre prétendant m’avaient mise, me permettaient de lui paraître sous mon meilleur jour. Il en eut l’air charmé, et me le montra aussitôt en portant ses mains là où nulles autres mains d’homme n’ont été, sinon celles de feu Monsieur de Sévigné, votre père, et de… mon Dieu, vous avez connu certaines de mes faiblesses.Pour lui, il y mit non seulement les doigts mais la bouche, et la bouche jusqu’aux dents, si bien que je crus un moment qu’à défaut de ma fille j’allais nourrir mon gendre. Tout au moins me laissa-t-il quelques marques qui me contraindront, pour le restant de la journée et la soirée, à porter un corsage aussi peu décolleté que la plus sévère des jansénistes.De là Monsieur de Grignan se ragenouilla devant moi, non point cette fois pour me baiser les mains, mais bien les pieds, puis les chevilles, puis les jambes, entendez sous mes jupes qu’il troussait à mesure de cette montée. Laquelle montée fut fort rapide, et il ne s’attarda nulle part, sinon un peu au-dessus de mes jarretières, car il ne prit pas même le temps de me déchausser ni de m’ôter mes bas. Vous jugez bien de ce qu’il était pressé de baiser au lieu de mes chevilles ; il le fit en effet, moi l’aidant quelque peu en me renversant en arrière sur le fauteuil. Et par baiser, j’entends que comme sur ma gorge il y fut non seulement des lèvres mais de la langue, au-dehors et au-dedans, et y remit même un peu des dents, ce qui n’est point désagréable même en cet endroit-là.Cette bonté me laissa charmée au-delà de ce qui se peut dire, d’autant que peu fréquents sont les hommes qui songent ainsi à honorer l’organe de leur plaisir, comptant sans doute le nôtre pour rien. Cela dit, vous verrez que Monsieur de Grignan n’oubliait pas le sien, car, s’étant relevé, il défit son haut-de-chausses, et se montra aussi bien conformé qu’une dame qui veut être grand’mère le souhaite à sa fille, ou une maîtresse à son amant.Quoiqu’il fût déjà en aussi bonne disposition qu’il devait l’être pour aller où il convient, je ne trouvai pas mauvais qu’auparavant ma bouche eût pour lui un peu de l’attention que la sienne avait montrée pour moi. Il eut l’air quelque peu surpris de me voir me pencher en avant pour ce faire ; il est vrai que c’est une façon peut-être rare dans notre monde, car toutes les dames de ma connaissance m’ont juré la haïr avec dégoût, et ne vouloir en entendre parler ni avec leurs maris ni avec leurs amants. Mais je crois qu’elles font là un peu les hypocrites, à moins qu’elles ne jugent sans y rien connaître d’une pratique qui ne manque pas d’agréments pour celle qui s’y active. Encore faudra-t-il que je vous en parle plus en détail et de vive voix, car il y faut précaution et habileté des lèvres, de la langue et des dents. Pour moi, je crois en avoir mis autant que Monsieur de Grignan en avait usé sur moi ; toutefois, ni lui ni moi n’avions ainsi commencé pour finir là, et ma bouche se retira bientôt pour laisser place au lieu où l’on va de la façon la plus ordinaire. Il y alla en effet, et fort rapidement, tant son traitement de tantôt, et la disposition d’esprit où je me trouvais, m’avaient bien préparée et amollie. Toute vierge que je vous croie, s’il en use avec vous comme avec moi vous devriez parvenir au même point avec le moins de douleur possible.Ce n’est pas toutefois qu’il mît trop de lenteur ni de précaution dans ses mouvements, ni que je fusse dans une position des plus commodes pour y répondre. Il faut vous figurer que j’étais de nouveau à la renverse dans mon fauteuil, lequel est heureusement fort profond, les mains sur les accoudoirs pour ne pas tomber tout à fait par terre, et Monsieur de Grignan debout devant moi et me tenant par les hanches, de façon que je n’étais plus assise mais en quelque sorte suspendue en l’air, mes jambes et mes pieds allant où ils pouvaient. En somme, une position qui n’est pas la plus aisée ni la moins fatigante pour faire ce que nous faisions, et dont je sentirai sans doute les conséquences pendant un ou deux jours. Je n’en juge pas moins que les plaisirs dits de l’alcôve ne sont jamais plus grands ni meilleurs ni plus piquants que quand on les prend partout ailleurs que dans une alcôve, et le fauteuil de Monsieur de Grignan, au milieu de mon salon, les a relevés d’une façon qui vaut bien quelques courbatures. Pour votre part, vous êtes plus jeune et plus souple que moi ; pour le fauteuil, il était appuyé par derrière à la cloison, et c’est un de nos bons meubles bretons, dont je trouvai ensuite que pas une des jointures n’avait bougé.Enfin, les circonstances que je viens de dire y contribuant chacune en sa manière, je reçus bientôt le plus grand contentement que l’on puisse tirer d’un homme en pareil cas. Je sentis, avec le peu de sentiment qui me restait, qu’il était bien près d’éprouver la même chose, ce qui est, chez l’homme, le même moment que la conclusion que je vous ai autrefois décrite. Quoique toute essoufflée, je trouvai assez de voix pour lui représenter que dans notre siècle, un gentilhomme se mariait pour avoir une dot et des enfants, et non point pour avoir un demi-frère de sa femme qui lui disputerait son héritage. Il comprit fort bien ce que je voulais dire, se retira de là où il était, et, toujours me tenant aux hanches, me mit à bas du fauteuil et me fit agenouiller sur le tapis. Vous conviendrez que c’est peut-être là la posture d’un gendre devant sa belle-mère, mais assurément pas d’une belle-mère devant son gendre. J’avais quelque envie d’y résister, et l’aurais peut-être fait malgré ma faiblesse si, au lieu de se tenir devant moi, il ne s’était tenu derrière et ne s’était agenouillé à son tour, en maintenant mes jupes troussées.Je sentis bien alors qu’il était soldat, habitué à la vie des camps où l’on ne trouve pas toujours de femmes, ou alors toutes gâtées. Cette façon de faire, même quand comme moi on en a déjà eu quelque usage, cause d’abord quelque douleur, d’autant qu’il y entra aussi gaillardement que si c’était la manière habituelle, et je poussai d’abord quelques cris dont je crains bien que mes domestiques ne les aient entendus. Mais nous devons souffrir cela en nous disant que c’est une douce victoire, et qui ne laisse rien à l’autre sexe, de pouvoir offrir à un homme non seulement tout ce qu’une femme lui offre ordinairement, mais aussi tout ce qu’il peut obtenir d’un autre homme. Au reste, tout en me traitant ainsi par derrière, d’une main par-devant il donnait de nouvelles attentions à l’endroit où il venait de me si bien satisfaire. Je dois dire aussi qu’avec tout cela il oubliait un peu la langue de la cour et de la ville, et me disait que sans doute j’étais fort coutumière de ces façons, que ma bouche et mon c… étaient aussi bons que ceux de la meilleure p… des bords de Seine, et que cela augurait bien des fois où il vous traiterait de la même façon. C’est un langage courant aux hommes en pareil cas, et que nous devons prendre comme un compliment et le signe du contentement que nous leur donnons.Enfin, tout cela ne dura point longtemps : comme je l’ai dit, il était déjà près de la conclusion, laquelle fut aussi longue et abondante qu’elle peut être chez un homme. En même temps, sa main par-devant achevait ce qu’elle avait entrepris, et que je trouvai, ce que vous aurez peut-être peine à croire, encore préférable à son précédent exploit; mais je laisse à nos paradoxaux poètes le soin de prouver qu’un mélange de plaisir et de gêne est supérieur à un plaisir sans mélange.Cela fini, il se releva et se rajusta, me laissant le soin de faire de même de mon côté, après quoi il me baisa encore dix fois les mains et me fit vingt remerciements avant de me quitter, disant qu’il envoyait aussitôt son notaire au mien pour l’établissement du contrat. Voilà, ma fille, l’homme que vous allez épouser, et je crois pouvoir dire qu’il ne décevra en rien l’attente de votre coeur ni aucune autre, et que votre bonheur comblera quant à lui les voeux de votre mère qui vous aime.