En pleine rase campagne, un étang vaste et calme. Dans cet étang, une patte levée, pêche un héron. L’oiseau s’ennuie, les proies n’abondent pas. Ni carpe ni brochet, pas même le moindre limaçon. Depuis des heures il attend, immobile pour ne pas effrayer les poissons. S’ils venaient, sait-on jamais ? Alors, gardant un œil sur l’eau, il laisse l’autre divaguer. Son regard s’attache à un groupe de roseaux qui dansent doucement sous le vent. La brise les fait bruisser. Il semble qu’ils chantent et qu’ils rient. On dirait même qu’ils se moquent… Le héron cherche où vont leurs quolibets. À travers les roseaux, en mouvement, se dessine une silhouette haute et massive. Celle d’un arbre. Un chêne splendide et puissant qui semble ignorer avec superbe les frêles plants rieurs.Les roseaux lui chantent, lui crient, lui rappellent sur tous les airs que, malgré son imposante apparence, son orgueil s’effondre face au bûcheron. Que le moindre homme armé de la plus petite hache le fait trembler de toutes ses feuilles . Il paraît même que le vent peut le déraciner. Le vent le plus violent est une caresse pour les roseaux, un jeu. Jamais le vent n’arrachera un roseau. Le vent souffle au gré du balancement des roseaux. Les roseaux commandent au vent, ce sont eux qui abattent les chênes. Voilà ce qu’ils lui disent à cet arbre si fier et si méprisant. On rit, on jase. Et le chêne ne peut que crisper ses racines d’agacement. Il sait que la meilleure solution est de ne pas leur prêter attention, et d’attendre quelques années la mort des roseaux. Ce n’est pas très long. Mais il sait aussi que d’autres petits emmerdeurs pousseront et reprendront la rengaine. Il n’y peut rien, il ne peut que regarder ailleurs.Soudain sa sève se glace. Il vient d’apercevoir deux silhouettes humaines se dessiner à l’horizon. Des bûcherons, il en est sûr. Ils sont venus pour lui. Ça y est, son heure est arrivée. Il va bientôt sentir le froid de la lame, là, juste au-dessus de ses racines. Ils sont deux, alors ce sera une scie. Les frottements des dents qui se feront morsure. Puis, peu à peu, il ne sentira plus ses racines. Il sera coupé du sol, son sol, celui qui l’a toujours porté, toujours soutenu. Celui duquel il a toujours tiré sa force. Puis ce sera le changement de pesanteur, le basculement dans le vide absolu. Pour un arbre, il n’existe rien de pire. Une éternité de chute et soudain de nouveau le contact avec le sol. Violent. Et les branches qui explosent sous le choc. En fin, le long pourrissement qui… Une minute ! Les silhouettes se sont rapprochées. Aucune trace d’offensant objet métallique. L’une des deux créatures n’a pas du tout l’air d’un bûcheron. Elle est menue et sautille joyeusement devant l’autre. L’autre qui est colossale, pour un humain, a tout du tueur d’arbre, de la démarche à la carrure. Mais pas d’arme. Les deux intrus s’avancent comme des planètes. La plus petite tournant joyeusement autour de la plus grosse qui semble vouloir finir sa course dans l’amas de roseau. Ils s’arrêtent, et ils s’enlacent. »J’ai toujours rêvé de faire l’amour dans un étang, au milieu des roseaux. » avoua-t-il. Elle rit. Que cet homme trapu aux allures si rustres puisse avoir des fantasmes aussi romantique et les confier aussi naturellement, sans en rougir, lui paraît presque incongru. Elle se ressaisit. Il est décidément charmant et elle a envie de lui. Au fond, elle, malgré son visage sage, ses yeux rêveurs, et son air ingénu qui lui donne l’air de la jolie bergère de quelque chaste conte de fée, elle brûle de voir sa bite. Elle l’imagine comme l’homme : forte, massive et indestructible. Elle a envie de la goûter, de l’avaler. Et puis après… Après on verra, pense-t-elle, en serrant les cuisses. Elle veut tout de suite un avant goût. Elle se colle à lui et l’embrasse avidement en se frottant contre son bas ventre. Déception, il ne bande pas.Qu’à cela ne tienne, elle va le faire bander. Elle se dégage et lui prend la main. Elle l’attire vers les roseaux. Elle secoue ses pieds pour ôter ses légers souliers et entre dans l’eau. C’est glacé, mais vu son état d’excitation, elle aura raison de l’étang par évaporation avant de souffrir du froid. Cette sensation si violemment opposée à son état lui fouette les sangs et l’excite d’avantage. Elle est debout, de l’eau jusqu’à ses genoux caressant le bas de sa robe légère. Et elle n’a pas froid. Du moins pas tant que son désir de jouissance reste inassouvi. L’homme assiste à la scène de la rive, au sec, l’air pataud. Il n’en croit pas ses yeux. Jamais il n’a vu une femme comme elle. Il la contemple, prenant doucement conscience qu’elle se livre à son fantasme. Il bande comme un cheval. Vite, il faut la rejoindre. Maladroitement, il commence à délacer ses chaussures. Sa queue gonflée le gêne. Ses gros doigts s’énervent sur la ficelle. Elle le regarde langoureusement et commence à danser en balançant doucement ses hanches. Elle a envie que cette eau qui la saisit entre dans sa chatte et en prenne possession. Elle commence à s’accroupir. Tous ses sens lui crient qu’il ne faut pas, que le froid est trop cruel pour son sexe brûlant. Mais cela ne fait que renforcer son excitation. Elle s’enfonce inexorablement, se retenant de crier sous la torture. Elle viole avec délice son propre corps. Elle a maintenant de l’eau jusqu’au nombril. Son excitation est à son comble. Elle touche presque l’orgasme, mais se retient, de peur que la magie ne survive pas au délicieux raz de marée.Enfin, voilà l’homme qui s’apprête à descendre dans l’eau. Il est pied nu et a relevé son pantalon au-dessus des genoux. Il trempe quelques orteils, grimace, et les ressort. Puis il se ravise. Le spectacle qui s’offre à lui l’incite à faire un effort. Elle est à genou, sans égard pour sa robe qui flotte autour d’elle et qui n’est plus sèche qu’au niveau des épaules. L’eau joue avec ses seins. La surface ondoyante lui agace les tétons. Ils sont durs, fin et rouge vif et de sous la toile transparent d’humidité, ils appellent l’homme à entrer dans la danse. Ils lui parlent dans un langage ancestral, quelque part entre l’instinct de survie et le bas ventre. Ils lui promettent toutes les merveilles du monde.Les mains de la femme s’activent sous l’eau. L’une caresse tendrement sa fente, maintenant imminente l’explosion du plaisir. L’autre fouille la vase douce et salissante avec volupté puis l’étend sur ses cuisses. Ce contact la fait frissonner de désir. L’argile rend la caresse étrange et glissante. Elle a l’impression de se recréer en statue. Elle est une artiste qui modèle son propre corps. Elle tressaille et commence à perdre la raison. Les yeux fermés, elle saisit la glaise des deux mains et la ramène en de longues caresses sur tout son corps.Bon sang , mais que fait-il ? S’il n’arrive pas tout de suite, elle ne sait pas comment cela va finir. Elle se calme un peu et écoute, elle ne veut plus ouvrir les yeux. Il lui semble alors entendre des remous. L’homme ? Peut-être que non. La situation est si irréelle qu’elle imagine sans peine une créature d’un autre monde. Oui, une sorte de monstre écailleux, mi homme mi poisson va surgir de l’onde, là, devant elle. Il sera en rut car il aura répondu aux messages alchimiques qu’elle, Vénus, ne cesse d’émettre dans l’eau avec son sexe en faisant l’amour à la vase. Elle même hybride scandaleusement érotique de la terre et de l’eau. Sa chatte, brûlante de désir apporte un troisième élément, le feu. Elle est l’eau, la terre, le feu, et elle avale l’air à grande goulée dans un rythme crescendo. Tout est là, l’invocation commence. « Viens, viens… Viens ! »Voici la créature. Elle ne voit que son sexe énorme et rougeoyant. Il semble que des flammes en naissent à la base et le lèchent sur toute sa longueur. Elle aussi veut le lécher. Elle écarte les lèvres et tend sa langue. Puis elle avance sa tête, attendant l’offrande. Le voilà qui s’approche. Sa queue monstrueuse flamboie. Il va la brûler. En fait, c’est elle l’offrande. Elle est une prêtresse vierge offerte en sacrifice à ce dieu étrange. Elle a froid, elle a chaud, elle a peur, elle se voudrait d’avantage offerte. Elle ouvre encore plus la bouche pour faciliter l’intromission, satisfaire de tout son corps les pulsions cruelles de son dieu. Mais au lieu du contact féroce et vif qu’elle est en droit d’attendre, elle sent se poser sur sa langue quelque chose de doux, chaud, et hélas incongrûment mou.L’eau glacé n’a pas eu le même effet sur l’homme que sur la femme, apparemment. Elle refuse de s’en offusquer. Dans son état, rien ne pourra la refroidir. Elle encercle le sexe de ses lèvres et l’aspire doucement. Puis elle fait rouler sa langue autour. De seconde en seconde , elle sent l’objet grossir et durcir. Cette sensation l’affole. Elle gémit. Lui, emporté par la volupté de cette bouche accueillante, baisse enfin la garde de son monde physique et le désir coule en lui comme un cour d’eau. D’abord timide et ruisselant, puis grossissant, se faisant tumultueux et invincible. Tous ses sens concentrés au bout de sa bite raide, il ne sent plus le monde extérieur. Il erre dans un univers de quelques centimètres : son gland qui subit les plus doux outrages. Sans s’en rendre compte, il commence à onduler du bassin. Elle ne se refuse pas et laisse entrer son membre aussi loin qu’elle le peut. Elle le sent se durcir et vibrer. Elle prend conscience qu’elle pourrait le faire exploser d’un simple coup de langue. Elle ne veut pas, pas avant d’avoir été prise enfin. Elle le laisse continuer un peu, puis se lève, ruisselante. Il a compris, semble-t-il Il se penche, la saisit d’un bras, la bascule sur son épaule et se relève.— Que fais tu ? Prend moi. Prend moi vite !— Pas ici.Un fantasme est un fantasme. Tentant, aguicheur, voire oppressant. Mais passer à sa réalisation peut faire disparaître tout plaisir, particulièrement quand cette réalisation est laborieuse. Il n’est pas très à l’aise dans l’eau, ce n’est pas son élément. Il s’enfonce dans la vase, se gèle les pieds, et manque à tout instant de perdre l’équilibre. Il se sent malhabile et ridicule et ne voudrait pour rien au monde laisser à la femme une mauvaise impression. S’ils font l’amour ici, il est sur qu’il finiront par tomber dans l’eau. Et ce sera lui le responsable, avec ses fantasmes ridicules. Alors il sort de l’étang, en prenant garde à ne pas chuter. Et, toujours son précieux fardeau sur l’épaule se dirige vers un chêne. Arrivé à l’arbre, il la dépose délicatement. Elle, les yeux brillants, s’adosse à la robuste colonne de bois. Il s’approche alors d’elle et la pénètre doucement. Elle gémit de plaisir. Il commence à onduler des hanches, faisant entrer et sortir sa queue de ce fourreau qui n’attendait que çà. Lentement, il accélère. Donnant des coup de reins de plus en plus amples et puissants.Elle accueille chaque invasion de sa chatte par un soupir. La puissance des coups s’accroissant encore, elle commence à crier, et doit se cramponner à l’arbre, bras tendus en arrière. Elle retrouve son délire, redevient prêtresse, et s’offre à nouveau à ce dieu dont l’étreinte est trop forte pour elle. La violence des assauts commence à faire trembler le chêne. Elle hurle. Elle écarte d’avantages ses cuisses pour le recevoir encore plus. Elle veut ressentir pleinement le choc au fond de sa matrice. Entre l’arbre et l’homme, comme entre le marteau et l’enclume, elle ne s’appartient plus. Ses cris ne sont plus que la propulsion mécanique de l’air qui s’échappe par à coup de ses poumons sous la pression des assauts. Ils se mêlent aux plaintes de l’arbre qui subit lui aussi le martèlement du bélier. Loin de ressentir quelque compassion, celui ci, toujours au même rythme, lacère de son écorce sa robe, et laboure la peau si délicate de ses fesses. L’homme, concentré, pousse des « han ! » de bûcheron, la femme crie, les racines de l’arbre gémissent et son feuillage bruisse. Ce bel ensemble forme un orchestre qui s’emballe, jouant crescendo, crescendo, crescendo. Des rives de l’étang, commencent à se propager des vaguelettes, qui font tressauter les roseaux, comme pris de fou rire.Soudain, l’homme est submergé par un tsunami de jouissance. Il s’enfonce une dernière fois violemment dans la femme en l’inondant. Elle hurle longtemps tandis que qu’un craquement quelque part dans le chêne les faits basculer quelque peu. Puis l’homme s’effondre à terre. La femme revient lentement à elle. Retrouvant une respiration plus ample et plus lente.Le héron, perplexe, regarde cette scène tout à coup si calme. Après le déchaînement des éléments, comme le passage d’un typhon très localisé, tout c’est arrêté. Mêmes les roseaux immobiles semblent attendre la conclusion. Peu à peu, les humains se relèvent, ils rient doucement. Ils sont calmes, et semblent sortir d’un rêve. Un peu gênés, ils ramassent leurs vêtements éparpillés, se rhabillent, et s’en vont, silencieusement, main dans la main. Le héron les accompagne un brin du regard, puis fixe à nouveau son attention sur la scène.Le chêne, il y a peu de temps si fier et si orgueilleux est désormais bancal, à jamais infirme. On dirait qu’il vient d’essuyer une tempête. Et les roseaux n’en peuvent plus de rire. Ils proclament à tue tête l’avènement d’un nouveau et terrible fléau pour le chêne si fragile. La moindre petite passion humaine le déracine. Comme toujours, les roseaux s’en sortent à bon compte. L’arbre ne répond pas, il agonise. Le héron, qui de coutume n’a que faire des problèmes végétaux, ne peut s’empêcher de penser que le sort est bien injuste de frapper toujours les mêmes. Tout à coup, il ne supporte plus les railleries triomphantes de la bande des roseaux. Il décide d’aller pêcher ailleurs. De toute façon ce n’est pas un très bon coin ici. Prenant son envol, il s’éloigne vivement, laissant derrière lui les moqueries cruelles. À peine entend-t-il un dernier craquement de l’arbre, pourtant plus fort que les autres, s’achevant dans un magistral bruit d’éclaboussure. Puis plus rien, il est trop loin maintenant. De tout façon, il n’y a plus rien à entendre. Les rires se sont tus, écrasés par les lourds branchages d’un chêne autrefois imposant.