Ceci est l’histoire de Mathilde et Antoine, deux jeunes gens qui avaient tout pour rĂ©ussir leur vie Ă deux. Ils ont vĂ©cu dans un environnement familial, matĂ©riel privilĂ©giĂ©. Ils s’aimaient, du moins ils le croyaient, et pourtant leur vie sentimentale n’a Ă©tĂ© qu’une succession d’échecs. Histoire vraie, les noms, certaines situations ont Ă©tĂ© modifiĂ©s, ajoutĂ©s pour la rendre anonyme.Viry Châtillon Ă©tait une de ces petites villes de la banlieue parisienne dont le destin semblait ĂŞtre de servir de dortoir Ă toute une population faisant chaque matin et soir sa migration quotidienne et qui comprenait une zone pavillonnaire souvent groupĂ©e, tel un pack de rugby, autour d’une petite Ă©glise romane ou gothique face Ă la zone de HLM avec son lot d’insĂ©curitĂ© et de violence. Les parents d’Antoine avaient une maison coquette et confortable. Sa jeune sĹ“ur, qui Ă©tait sa cadette de 5 ans, faisait son cursus scolaire avec Mathilde dont la maison Ă©tait distante d’une centaine de mètres de la leur.Elle Ă©tait très liĂ©e Ă ma sĹ“ur. Le matin les parents les amenaient alternativement Ă l’école. Les mercredis et week-ends elle venait souvent Ă la maison. Leurs loisirs Ă©taient invariablement les mĂŞmes: poupĂ©es et tĂ©lĂ©vision.Après leur entrĂ©e au collège, elles commencèrent Ă solliciter Antoine pĂ©riodiquement pour leurs devoirs. Elles entraient Ă tout moment dans sa chambre et n’en sortaient pas avant qu’il ne les ait aidĂ©es.Lorsqu’il eut son baccalaurĂ©at, il hĂ©sita sur la suite de ses Ă©tudes. Il Ă©tait attirĂ© par de nombreuses matières, Ă©lectronique, philosophie, sciences politiques. Finalement son choix se porta pour sciences po. Il devait poursuivre plus tard par des Ă©tudes de gestion faites Ă l’universitĂ© Paris-Dauphine.Pendant ces Ă©tudes il rentrait souvent tard Ă la maison, les week-ends il allait souvent voir des amis Ă Paris. Il Ă©tait très impliquĂ© par les dĂ©bats politiques de l’époque et pendant de longues soirĂ©es dans la chambre d’étudiants de certains de ses amis il refaisait le monde. Les discussions Ă©taient toujours passionnĂ©es, chacun avait son avis sur tout. Leur dĂ©sir de justice Ă©tait immense. Comme la plupart des Ă©tudiants il fut aspirer par le tourbillon de la contestation et, au grand dam de ses parents il fut interpeller Ă plusieurs reprises par la police. Il ne vit plus, alors, Mathilde que de manière lointaine.Un mercredi alors qu’il Ă©tait restĂ© Ă la maison, Mathilde vint, comme Ă son habitude, voir sa sĹ“ur. Elles Ă©taient toutes les deux au lycĂ©e en classe de première S. Antoine fut frappĂ© par son changement physique. Ses cheveux Ă©taient d’un blond Ă©clatant, son visage s’était affinĂ©, sa silhouette Ă©tait Ă©lancĂ©e et harmonieuse et ses seins pointaient avec fiertĂ© sous son chemisier. Elle se rendit compte du regard diffèrent qu’Antoine portait sur elle. Il y a bien longtemps qu’elle ne pensait qu’à lui.A partir de ce jour leurs relations furent d’une autre nature. Quand elle ne le voyait pas Ă la maison, elle l’appelait au tĂ©lĂ©phone, lui proposait d’aller au cinĂ©ma, Ă un concert, voir une exposition. Autant lui Ă©tait rĂ©servĂ©, autant elle, quoique discrète, Ă©tait enjouĂ©e et gaie.Pendant près de deux ans ils continuèrent ainsi Ă se frĂ©quenter rĂ©gulièrement. Ce fut pour Antoine une curieuse pĂ©riode. Il Ă©tait attachĂ© Ă Mathilde, mais quelque chose en lui l’inhibait, l’empĂŞchait d’aller plus loin que les simples baisers et caresses lĂ©gères. Ă€ la facultĂ© certaines de ses camarades lui envoyaient des signes d’intĂ©rĂŞt mais lĂ aussi il se montrait incapable d’aller plus loin que les simples marivaudages. Certaines d’entre elles, sans doute par dĂ©ception, prenaient leur distance avec lui. C’était un indĂ©cis, probablement trop timide dans ses relations avec les femmes. Peur de l’échec sans doute. Avec le dĂ©veloppement de sa fĂ©minitĂ© Mathilde attendait plus de lui, qu’il prenne des initiatives. La dĂ©ception qu’elle pouvait avoir, elle ne la montrait pas.A 17 ans Mathilde Ă©tait devenue une belle jeune fille. Une de celles sur lesquelles les hommes se retournaient dans la rue. Quand elle se promenait avec Antoine elle paraissait indiffĂ©rente Ă ces murmures d’admiration et de dĂ©sir soulevĂ©s par son passage. Pourtant quand elle Ă©tait seule, elle ne se montrait pas indiffĂ©rente Ă ces regards. Mathilde Ă©tait coquette et comme toutes les coquettes de son âge elle aimait plaire. Son allure Ă©tait Ă©lancĂ©e, mais ses formes Ă©taient pleines avec des seins et des fesses bien ronds, comme les rĂŞvent secrètement tous les hommes.Physiquement Antoine n’était pas ce qu’on appelle un bel homme. Il avait une allure sportive et avenante et ne dĂ©plaisait pas aux filles. Par sa beautĂ© Mathilde aurait pu avoir Ă elle tous les garçons qu’elle aurait voulus, mais celui qu’elle voulait c’était Antoine. C’était son visage qui Ă©tait gravĂ© dans ses rĂŞves d’adolescente. Elle ne concevait pas d’autre homme dans sa vie que lui. Elle ne cherchait d’ailleurs pas Ă frĂ©quenter d’autres garçons, elle les Ă©vitait mĂŞme, convaincue d’avoir trouvĂ© l’homme de sa vie.En 1972, alors qu’elle venait de rĂ©ussir sans difficultĂ© son baccalaurĂ©at ils dĂ©cidèrent de partir pour la première fois seuls en vacances. C’était le premier aoĂ»t et ils avaient trouvĂ© une place dans un camping situĂ© dans la Presqu’île de Giens. Il y avait beaucoup de monde, mais le lieu n’était pas dĂ©sagrĂ©able, sans bruit de voiture, proche de la plage.La tente voisine de la leur Ă©tait occupĂ©e par trois jeunes gens, deux garçons et une fille. Ils Ă©taient particulièrement bruyants, parlaient et riaient fort. La fille semblait disponible pour les deux garçons. L’un des deux Ă©tait un grand brun, Ă la peau basanĂ©e, aux pectoraux bien entretenus. Il lissait constamment ses cheveux rejetĂ©s en arrière et portait un collier en argent autour du cou. Il avait tout Ă fait le genre du sĂ©ducteur des plages, et devait plaire Ă toutes les filles. Il devait avoir 25 ans et semblait sĂ»r de sa prestance. Dès la première minute il avait remarquĂ© Mathilde. Aussi passait-il Ă tout moment devant leur tente, leur faisait des signes, adressait des petits sourires Ă Mathilde. Il avait remarquĂ© que Mathilde et Antoine ne formaient pas vraiment un couple d’amoureux transits. Non loin de leur tente se trouvait une piste de danse et le deuxième soir après leur arrivĂ©e il y avait une animation dansante. MalgrĂ© Antoine qui ne se sentait pas bien, depuis son arrivĂ©e il avait un mal de cĹ“ur tenace et en plus il avait attrapĂ© un coup de soleil, Mathilde insista pour y passer la soirĂ©e.Depuis près d’une demi-heure, Mathilde dansait avec leur voisin. Autant Mathilde Ă©tait blonde, avait la peau claire et les yeux d’un bleu transparent et lumineux, autant lui Ă©tait brun et avait le regard sombre. C’était rĂ©ellement un bel homme et Antoine remarqua que Mathilde n’était pas insensible Ă sa beautĂ© et se montrait attirĂ©e par lui. Ă€ la fin de l’une des danses elle vint lui demander de danser avec elle. Antoine qui se sentait très las refusa de la rejoindre. AgacĂ©e par son refus, elle retourna vers son cavalier Ă qui la scène n’avait pas Ă©chappĂ© et qui se sentit encouragĂ©. Il la saisit par la taille et l’attira vivement contre lui. Mathilde entoura son cou de ses bras.A ce spectacle Antoine se sentit dĂ©semparĂ©. Que pouvait-il faire ? Mathilde acceptait le contact Ă©troit de son partenaire avec plaisir. Elle Ă©tait adulte et savait ce qu’elle faisait. Et puis il n’allait pas l’arracher des bras de son cavalier et faire un esclandre. Il se sentit tout Ă coup de trop, sans intĂ©rĂŞt. Le mieux pour lui Ă©tait de retourner dans sa tente.Antoine ne parvenait pas Ă dormir. D’ailleurs l’aurait-il voulu que le bruit de la musique l’en eut empĂŞchĂ©. Quelques heures plus tard, il devait ĂŞtre 1 ou 2 heures du matin, il retourne vers la piste de danse et les voit toujours ensemble. Ils Ă©taient collĂ©s l’un Ă l’autre, leurs lèvres Ă©taient proches les unes des autres. Lui avait une de ses mains sur sa hanche et la maintenait fermement contre lui, l’autre Ă©tait posĂ©e sur ses fesses, remontait parfois vers ses seins et après une lĂ©gère caresse redescendait Ă sa position initiale. Mathilde paraissait totalement abandonnĂ©e Ă son plaisir immĂ©diat dans les bras de cet homme. La musique, la chaleur, l’ambiance sensuelle rĂ©gnant sur la piste de danse, le flot de parole de son cavalier l’avaient transportĂ© sur une autre planète. Elle Ă©tait sous le charme.  » Est-ce que j’existe encore pour elle en ce moment ?  » se demanda Antoine. Seul l’instant prĂ©sent devait compter pour elle . D’Antoine il ne restait plus, alors, qu’une minuscule image floue perdue dans sa mĂ©moire. Cette image resurgissait par brefs instants et provoquait en elle un imperceptible mouvement de recul, vite maĂ®trisĂ© par son partenaire. Elle s’était Ă©vaporĂ©e dans la chaleur de la nuit.Sa dĂ©cision fut prise : dès les premières heures du jour il rentrerait chez lui. Quand il se leva, Mathilde dormait. Il l’avait entendu rentrer dans la tente 2 ou 3 heures plus tĂ´t et avait feint le sommeil. Alors que, sans faire de bruit, il rangeait ses affaires il se souvint qu’ils avaient mis dans un mĂŞme sac leurs papiers, billets de train, argent et clĂ©s. Ce sac Ă©tait dans les affaires de Mathilde et il ne pouvait la rĂ©veiller. MĂ©content, il se rĂ©signa Ă attendre. Il dĂ©plia son sac de couchage et se coucha. Antoine gisait Ă terre, deux jeunes motards l’avaient pris Ă partie et l’avaient rouĂ© de coups. Mathilde Ă©tait près de lui, le consolait avec des mots doux et nettoyait ses blessures. Une douleur vive Ă l’épaule lui fit ouvrir les yeux. Mathilde, assise près de lui, le regardait avec un sourire radieux, joyeuse. Il s’était assoupi et avait fait un mauvais rĂŞve. Tout en lui reprochant se rester coucher alors qu’il faisait un temps magnifique, elle lui donna plusieurs petits baisers sur la bouche, sur le nez, sur le front, sur son Ă©paule encore rougie par le coup de soleil reçu la veille. Elle le retourna sans mĂ©nagement et appliqua sur cette Ă©paule une crème apaisante qu’elle Ă©tait allĂ©e acheter dans une pharmacie proche. Antoine Ă©tait perplexe. Face Ă tant de prĂ©venances il n’eut pas le courage de faire part de sa dĂ©cision de partir Ă Mathilde.Ils passèrent la journĂ©e Ă se baigner, prendre le soleil et se promener. Le soir Ă 20 heures ils dĂ®nèrent d’une salade variĂ©e que Mathilde avait prĂ©parĂ©e. Le coup de soleil ne laissait pas de rĂ©pit Ă Antoine qui alla s’allonger dans la tente et prit un livre. Mathilde feuilletait un magazine, assise devant la tente. Alors que la nuit commençait Ă tomber Antoine entendit les chuchotements d’une voix d’homme auxquels rĂ©pondaient ceux de Mathilde. La conversation semblait animĂ©e. Après quelques instants il entendit Mathilde se lever et partir. Elle n’était pas seule. Antoine sortit de la tente et aperçut les silhouettes de Mathilde et de leur voisin qui s’éloignaient dans la pĂ©nombre. Il enfila son pantalon, mit ses chaussures et sans rĂ©flĂ©chir dĂ©cida d’aller voir ce qu’ils faisaient. Après avoir chercher quelques minutes il les aperçut au loin. Mathilde Ă©tait plaquĂ©e debout contre un arbre. Son compagnon avait saisi ses deux mains, s’était collĂ© Ă elle et tentait de lui donner des baisers sur la bouche, sur les joues, sur le cou. Mathilde essayait de rĂ©sister. Alors qu’il avait dĂ©cidĂ© d’intervenir Antoine vit Mathilde passer ses bras autour du cou du garçon, sa rĂ©sistance Ă©tait vaincue. Lui avait saisi les hanches de Mathilde et frottait nerveusement son sexe gonflĂ© de dĂ©sir contre son ventre. Antoine fit demi-tour et partit. Sur un morceau de papier il avait inscrit :  » Je rentre Ă la maison « .Alors qu’il quittait le camping, se retournant pour jeter un dernier regard en arrière, il aperçut Mathilde qui se dirigeait en courant vers leur tente. Dans un sursaut elle s’était dĂ©gagĂ©e de l’étreinte de cet homme, affolĂ©e et troublĂ©e par son impĂ©rieuse ardeur.Antoine Ă©tait parti, ils ne devaient se revoir que 10 ans plus tard.A ses parents Ă©tonnĂ©s Antoine justifia son retour anticipĂ© par la nĂ©cessitĂ© de prĂ©parer le concours d’entrĂ©e Ă l’école nationale de la santĂ© publique qui devait avoir lieu en octobre. Bien que pendant ses annĂ©es de lycĂ©e il ne se soit jamais montrĂ© attirĂ© par la mĂ©decine, depuis un an le monde hospitalier l’attirait et ce concours constituait une porte d’entrĂ©e.En attendant d’intĂ©grer cette Ă©cole il avait obtenu par l’intermĂ©diaire d’une amie un remplacement comme maĂ®tre auxiliaire pour l’annĂ©e scolaire 1972/1973. Il trouva une chambre en location dans le 12 ème arrondissement et s’y installa aussitĂ´t. Il lui fallait absolument s’éloigner de ses souvenirs, de son amie volage.Paris au mois d’aoĂ»t est une ville agrĂ©able. La circulation y est plus facile, les gens sont moins pressĂ©s et paraissent plus disponibles, moins renfermĂ©s sur eux-mĂŞmes. Les touristes y apportent une touche d’exotisme charmante. Mais quand on a le cĹ“ur gros, qu’on n’a plus le goĂ»t aux choses de la vie, mĂŞme les lieux les plus beaux du monde paraissent mortels.Ce mois d’aoĂ»t fut atroce pour Antoine. Il Ă©tait envahi en permanence par un sentiment de langueur et de tristesse. Parfois assis sur le banc d’un jardin public il pensait Ă Mathilde, restĂ©e seule dans ce camping. Il l’imaginait dans les bras de cet homme, dans son lit. Il le voyait sur elle, il le voyait en elle. Sa souffrance Ă©tait si forte que parfois il en avait des nausĂ©es. Antoine avait lu une Ă©tude qui montrait une augmentation importante, depuis quelques annĂ©es, du nombre de suicides chez les jeunes de moins de 25 ans. Si une telle pensĂ©e ne lui venait pas Ă l’esprit, il comprenait que dans de tels instants des jeunes gens, Ă peine sortis de l’adolescence, se sentant Ă bout et ne parvenant pas maĂ®triser une trop forte dĂ©ception puissent ĂŞtre poussĂ©s Ă cette ultime extrĂ©mitĂ©.L’arrivĂ©e du mois de septembre fut pour lui une dĂ©livrance. Il devait prĂ©parer la rentrĂ©e scolaire et se jeta avec frĂ©nĂ©sie dans le travail.Au retour de ses vacances Mathilde, qui avait obtenu les coordonnĂ©es d’Antoine par sa sĹ“ur, chercha Ă le joindre de nombreuses fois par tĂ©lĂ©phone, lui laissa des messages sur son rĂ©pondeur. Antoine coupait instantanĂ©ment, sans rĂ©pondre, la communication quand il entendait la voix de Mathilde.Un mois plus tard il reçut une lettre de Mathilde. Elle lui racontait qu’elle avait Ă©tĂ© enceinte et qu’elle venait de subir un avortement. Cette Ă©preuve avait Ă©tĂ© pour elle un vrai traumatisme et avait avivĂ© son amour pour lui. Elle avait besoin de lui, de son amour. Dans son exaltation juvĂ©nile elle ajoutait que, sans lui, la vie ne valait pas la peine d’être vĂ©cue et qu’elle se languissait d’amour pour lui. Sans soleil les fleurs ne s’épanouissent pas, les fruits ne mĂ»rissent pas.  » Je peux exister que par toi. Sans ton amour je ne pourrais vivre  » ajoutait-elle. Le trop-plein de l’amour de Mathilde se rĂ©pandait dans un flot de paroles.La solitude, la solitude, clamait alors LĂ©o FerrĂ©.Cette lettre conforta Antoine dans sa dĂ©cision. Elle s’était abandonnĂ©e dans les bras du premier bel homme qui s’était montrĂ© entreprenant. Elle avait passĂ© tout un mois avec lui. Sa folie amoureuse avait dĂ» ĂŞtre bien grande pour qu’elle en oublie toute prĂ©caution. Toutes ses nuits, ne connaissant personne dans ce camping, elle les avait sans doute passĂ©es dans le lit de cet homme. Peut-ĂŞtre l’avait-il laissĂ© tomber et maintenant elle voulait revenir vers lui, pensait-il. Ce qu’elle avait fait une fois, peut-ĂŞtre sous l’emprise des circonstances, elle le refera. Souffrir par ceux que l’on aime est le pire des châtiments, pensait-il. Aussi valait-il mieux s’en prĂ©munir. Non vraiment il ne ferait pas siennes les paroles du chanteur du temps des cerises qui, ne craignant pas les peines cruelles, acceptait l’idĂ©e de souffrir un jour pour les yeux d’une belle.Antoine ne percevait pas sa part de responsabilitĂ© dans son Ă©chec sentimental. Mathilde Ă©tait une jeune fille douce, tendre et sans complication. L’amour qu’elle ressentait pour Antoine Ă©tait sincère. Cependant sa fĂ©minitĂ© Ă©panouie attendait inconsciemment plus qu’une simple relation platonique, et cela il ne l’avait pas compris. Alors quand, dans ce cadre estival, se prĂ©senta Ă elle un homme empressĂ© et sĂ©duisant, qui se montra en accord avec ses sens, elle se laissa tout doucement dĂ©river vers les rives du plaisir charnel et ce que lui fit dĂ©couvrir ce premier amant fut infiniment plus fort et intense que ce qu’elle avait pu imaginer.Antoine revit Mathilde en septembre 1982. Il venait de sortir d’une rĂ©union et se trouvait debout dans le mĂ©tro. Son mĂ©tier ne lui dĂ©plaisait pas, il lui procurait une situation matĂ©rielle confortable, mais au fond de lui-mĂŞme il avait toujours su que ce n’était lĂ qu’il aurait pu donner la pleine mesure de lui-mĂŞme. Antoine aimait la peinture et pĂ©riodiquement il rĂ©alisait des tableaux. Il utilisait la peinture acrylique qu’il trouvait plus simple d’utilisation que la peinture Ă l’huile. Il peignait des portraits et plus frĂ©quemment des tableaux abstraits oĂą il aimait faire des combinaisons de couleurs et de formes. Kandinsky Ă©tait un de ses peintres favoris. Chaque fois qu’il avait l’occasion de dĂ©couvrir un tableau de ce peintre qu’il ne connaissait pas, il se disait avec irritation qu’il avait dĂ©jĂ peint ce que lui-mĂŞme aurait voulu faire. Perdu dans ses pensĂ©es il n’avait pas prĂŞtĂ© attention Ă ses voisins. Il entendit une première fois son prĂ©nom, Ă la seconde fois il tourna la tĂŞte et vit Mathilde Ă cĂ´tĂ© de lui. Son visage avait acquis une maturitĂ© grave qui la rendait encore plus belle. Il resta figĂ© de surprise face Ă elle.  » Mathilde, mon dieu que tu es belle !  » s’ exclama-t-il. Ces mots Ă©taient sortis de sa bouche spontanĂ©ment. Près d’eux une petite dame âgĂ©e, touchĂ©e par cette spontanĂ©itĂ©, leur sourit les regardant avec une tendresse mĂ©lancolique.Ils sortirent du mĂ©tro. Dehors des nuages sombres couraient le ciel et libĂ©raient sur la ville agitĂ©e une pluie fine. Mathilde se serra contre lui sous son parapluie. Ils marchèrent longtemps bras dessus bras dessous. Ils parlèrent peu. Ils Ă©taient heureux de se sentir l’un près de l’autre, de retrouver les sensations de leur première jeunesse. Ils auraient voulu se prendre dans les bras l’un de l’autre, rester ainsi immobiles, attentifs au seul contact de leurs corps, mais pour cela il aurait fallu que l’un des deux ose. L’heure n’était pas venue. Autour d’eux les piĂ©tons se hâtaient en tous sens, les automobilistes s’énervaient du surcroĂ®t d’embarras provoquĂ© par la pluie. Mathilde et Antoine Ă©taient indiffĂ©rents Ă cette agitation. Ils eurent au mĂŞme moment la mĂŞme envie de se raconter et s’assirent dans le premier cafĂ© qui se trouvait sur leur chemin.Elle lui raconta combien elle avait pleurĂ© et combien elle l’avait dĂ©testĂ© lorsqu’ en ce funeste automne de 1972 il n’avait pas rĂ©pondu Ă ses nombreux appels et messages. Plus elle pensait Ă lui, plus son aversion Ă son Ă©gard grandissait.Avec la candeur et le naturel qui Ă©taient toujours les siens, parlant comme Ă un confident, elle lui raconta sa vie, son mĂ©tier qui la faisait cĂ´toyer beaucoup de gens du monde des spectacles. Elle avait connu beaucoup d’hommes, eu de nombreux amants. Elle Ă©tait très courtisĂ©e et pourtant elle se sentait seule. Pendant son adolescence Antoine avait rempli la totalitĂ© de ses rĂŞves, de ses pesĂ©es. Qu’il soit l’homme de sa vie Ă©tait alors pour elle une Ă©vidence. Ses rĂŞves d’adolescente ne se seront pas rĂ©alisĂ©s, elle avait perdu l’être aimĂ©. Elle n’avait trouvĂ© cet autre homme avec qui elle aurait faire sa vie, avoir les enfants que son dĂ©sir de maternitĂ© attendait. Elle avait pourtant Ă©tĂ© enceinte deux fois, mais elle ne concevait des enfants que dans le cadre de l’équilibre d’un couple avec la prĂ©sence d’un père et d’une mère. En fait inconsciemment elle souhaitait retrouver la douce quiĂ©tude dans laquelle elle avait grandi au milieu de ses parents. L’expĂ©rience des couples Ă©clatĂ©s de son entourage l’avait dĂ©finitivement convaincue sur ce point. Par deux fois elle avait du interrompre sa grossesse. Elle aimait follement le plaisir fulgurant qu’elle ressentait sous l’étreinte virile d’un homme, mais quand elle se retrouvait seule dans son lit parfois elle ressentait le besoin d’un homme sur lequel elle puisse se reposer, qui l’envelopperait de son amour, qui la protĂ©gerait. Dans ses moments de tristesse elle pensait toujours avec amertume Ă son amour perdu.Elle s’arrĂŞta de parler et le regardant avec un serrement de cĹ“ur lui demanda pourquoi il l’avait abandonnĂ©e10 ans auparavant.A cette question Antoine se raidit.  » Comment aurais-je pu rester dans ce camping, sous la mĂŞme tente que toi alors qu’en t’abandonnant dans les bras d’un inconnu, certes beau, tu m’avais percĂ© le cĹ“ur ? « , Lui dit-il.  » As-tu pensĂ© alors un seul instant Ă mon tourment ?  » Il lui raconta combien après son dĂ©part du camping l’image d’elle dans les bras de cet homme l’avait torturĂ©. Il avait acquis la conviction qu’il n’était pas l’homme qu’il lui fallait, que son amour pour lui Ă©tait aussi lĂ©ger qu’un fĂ©tu de paille.Sa vie sentimentale n’avait pas Ă©tĂ© au diapason de sa vie professionnelle. Il avait bien eu quelques liaisons passagères. Il lui semblait que son cĹ“ur Ă©tait devenu comme un vieux tronc d’arbre dessĂ©chĂ©, Ă terre, incapable de donner Ă nouveau la moindre vie.Ils dĂ©cidèrent de se revoir. En le quittant Mathilde lui donna un baiser sur ses lèvres. Antoine lui avait fait goĂ»ter du marsala Ă l’œuf, vin cuit sicilien dans lequel Ă©tait ajoutĂ© un peu de jaune d’œuf sucrĂ©. Les lèvres de Mathilde avaient un goĂ»t exquis de fruit mĂ»r. Ce baiser lĂ©ger et tendre scellait leurs retrouvailles.Pendant près d’un an ils se retrouvèrent une Ă deux fois par semaine. Ils allaient souvent au cinĂ©ma, au théâtre. Elle venait rĂ©gulièrement chez lui. Il habitait un grand deux pièces clair et relativement calme dans le XIV ème arrondissement. Elle s’installait dans sa cuisine et lui prĂ©parait des repas pour plusieurs jours. Elle trouvait qu’il avait des mauvaises habitudes alimentaires et elle voulait les corriger. Ils faisaient Ă©galement l’amour. Tenir son corps nu, lisse et souple dans ses bras Ă©tait pour Antoine un Ă©merveillement. Et puis ce qu’il aimait pardessus tout c’était sa poitrine : caresser, embrasser, lĂ©cher, se noyer dans ses seins biens ronds et toujours fermes. Mathilde pratiquait rĂ©gulièrement la natation et la nage sur le dos lui musclait les pectoraux et maintenait ferme sa poitrine. Pour Antoine les seins Ă©taient le signe premier de la fĂ©minitĂ©. La proĂ©minence de la poitrine chez la femme, au contraire de ce que l’on observe chez les autres primates qui n’ont pas besoin de mamelles rondes pour allaiter leur petit, est une question au sujet laquelle Antoine avait lu plusieurs articles scientifiques contradictoires. La thĂ©orie en laquelle croyait Antoine est que cette proĂ©minence des seins avait pour fonction de donner un signal sexuel, d’attirer le regard de l’homme, d’aviver le dĂ©sir masculin. Chez la plupart des primates les organes sexuels de la femelle sont visibles au mâle et ils le renseignent sur l’état de fĂ©conditĂ© et de chaleur de la femelle. Chez la femme les organes sexuels sont dissimulĂ©s entre les jambes. Le dĂ©veloppement des seins aurait ainsi compensĂ© cette absence de vue.Tout alla très bien jusqu’en ce jour du mois de juin 1983 oĂą, au cours d’un vernissage, Mathilde revĂ®t un ancien ami. C’était un grand antillais sĂ©duisant, au teint clair et Ă l’allure sportive, ancien collègue de travail, lui dit-elle, qui Ă©tait retournĂ© en Martinique il y a 5 ans et venait de rentrer depuis peu de temps Ă Paris. Ils avaient beaucoup de choses Ă se raconter, inintĂ©ressantes pour Antoine, aussi Mathilde lui proposa-t-elle de continuer la visite seul. Ils se retrouveraient Ă la sortie.Antoine en eut fini en une demi-heure, il attendit près de la sortie pendant quelque temps et ne la voyant pas il fit demi-tour. Il les aperçut toujours au mĂŞme endroit. Lui parlait et riait beaucoup. Il agitait ses mains dans tous les sens, effleurant tantĂ´t l’épaule de Mathilde, tantĂ´t ses hanches, tantĂ´t lui prenant la main qu’elle retirait avec une moue faussement rĂ©probatrice. Une ombre traversa l’esprit d’Antoine.Comme il avait soif il sortit de la galerie et s’installa dans un cafĂ© se trouvant en face de la sortie, de l’autre cĂ´tĂ© de la rue.Quelques instants plus tard, Antoine les vit sortir de la galerie et au moment de la quitter son compagnon saisit Mathilde vivement par les hanches et plaqua sa bouche sur la sienne. Après un premier mouvement de recul, Mathilde se laissa envahir par la force du dĂ©sir qui Ă©manait de son ami. Elle se dĂ©gagea nĂ©anmoins de l’étreinte et se dirigea rapidement vers le mĂ©tro.Peu après Antoine sortit du cafĂ©. Il n’avait pas envie de rentrer chez lui. Depuis quelques mois il avait dĂ©cidĂ© de se laisser tenter par l’achat d’une de ces nouvelles chaĂ®nes hi-fi dont on vantait les qualitĂ©s. Il dĂ©cida donc d’aller Ă la Fnac qui ce jour lĂ Ă©tait ouverte jusqu’à 22 heures.Plus tard dans la soirĂ©e, Mathilde qui avait dĂ©jĂ laissĂ© un message sur son rĂ©pondeur l’appelait. Elle Ă©tait inquiète. Elle ne l’avait pas trouvĂ© Ă la sortie de la galerie. Elle Ă©tait passĂ©e chez lui en vain. Il lui expliqua qu’à la fin de sa visite, l’ayant vu avec son ami antillais toujours en discussion, il avait prĂ©fĂ©rĂ© les laisser seuls et avait dĂ©cidĂ© d’aller faire un achat. Il lui donna rendez-vous pour le week-end prochain.Le samedi suivant Antoine Ă©tait chez Mathilde. Elle avait pris deux places pour le Trouvère de Verdi qui passait Ă l’OpĂ©ra-Bastille. Alors qu’elle se prĂ©parait dans sa salle de bains le tĂ©lĂ©phone sonna. Elle lui demanda d’aller rĂ©pondre. En se levant il renversa sur son pantalon le verre de marsala qu’il buvait. Mathilde avait pris l’habitude d’acheter cet apĂ©ritif qu’Antoine aimait. Le rĂ©pondeur se mit en route. Il reconnut la voix caractĂ©ristique de l’ami antillais de Mathilde lui confirmant un rendez-vous dans la brasserie non loin de chez lui. Antoine dit Ă Mathilde qu’il n’avait pu rĂ©pondre au tĂ©lĂ©phone tout occupĂ© qu’il Ă©tait Ă nettoyer son pantalon.C’était un mardi et la brasserie Ă©tait dĂ©jĂ bien remplie et très bruyante. Antoine s’installa dans une place au fond de la salle qui lui permettait d’avoir une vue d’ensemble Mathilde arriva quelques minutes après son ami. Antoine eut un choc: jamais il ne l’avait vue ainsi habillĂ©e, maquillĂ©e, coiffĂ©e. Depuis 10 mois qu’ils se frĂ©quentaient, elle portait invariablement des pantalons, des jupes mi-longues amples, qui, s’ils Ă©taient d’excellente qualitĂ©, ne mettaient pas en valeur ses formes Ă la fois fines et Ă©panouies. Sa coiffure se limitait Ă une queue de cheval. Mathilde portait une minijupe de cuir noir et des sandales noires Ă talons hauts, qui soulignaient la finesse de ses jambes, un dĂ©bardeur dĂ©colletĂ© en soie rouge laissant apparaĂ®tre la blanche pâleur de ses seins dĂ©licats et fiers comme des fleurs. Son maquillage donnait encore plus d’éclat Ă sa beautĂ© et lui donnait une touche de provocation. Tout en elle Ă©tait sensualitĂ© et appel Ă l’amour. Mathilde eut un sourire malicieux. Ă€ la bosse qu’elle vit au pantalon de son ami, qui s’était levĂ© pour la saluer, elle put constater son Ă©moi et voir que le message que son corps lui adressait Ă©tait bien reçu.Toute la durĂ©e du repas fut un supplice pour Antoine. Il les voyait si contents d’être ensemble. Les mains du garçon Ă©taient sans arrĂŞt en mouvement. Il lui caressait les mains, les joues. Parfois l’une de ses mains s’aventurait discrètement sous sa jupe et remontait lentement vers le haut de ses cuisses lĂ oĂą la peau se fait plus fine, douce et chaude. Elle parvenait Ă effleurer du bout de ses doigts l’entrĂ©e de tous ses dĂ©sirs. Mathilde se montrait très rĂ©ceptive Ă ces attouchements et semblait mĂŞme les attendre.Les minutes sont longues Ă celui qui souffre. Lorsqu’ils se quittèrent, Antoine vit avec tristesse le baiser ardent et profond qu’ils Ă©changèrent. Les lèvres Ă©paisses et charnues du garçon semblaient manger la bouche de Mathilde. C’était Ă la fois une prise de possession et un abandon. Les bras qu’elle avait passĂ© autour de son cou formaient comme un collier d’amour. Antoine Ă©tait pĂ©trifiĂ© et se sentait entraĂ®ner inexorablement dans un gouffre, impuissant Ă freiner sa chute. Ainsi donc, 10 ans plus tard il se retrouvait au mĂŞme point et avait ce mĂŞme sentiment d’insignifiance. Le mal est sans espoir aussi valait-il mieux le taire, pensa-t-il.Le lendemain il dĂ©cida d’écrire Ă Mathilde.La journĂ©e avait Ă©tĂ© chaude et mĂŞme un peu Ă©touffante. En cette fin de journĂ©e un petit vent frais entrait par la fenĂŞtre entrouverte de sa chambre. D’un appartement voisin lui parvenait la voix plaintive de Jacques Brel pleurant sa Fanette :Nous Ă©tions deux amis et Fanette m’aimaitLa plage Ă©tait dĂ©serte et mentait sous juilletSi elles s’en souviennent les vagues vous dirontComment pour la Fanette s’arrĂŞta la chanson.Machinalement Antoine poursuivait dans sa tĂŞte :Faut direFaut dire qu’elle Ă©tait belleComme une perle d’eauFaut dire qu’elle Ă©tait belleEt je ne suis pas beauFaut dire que j’étais fou de croire Ă tout celaJe le croyais Ă nousJe la croyais Ă moiIl mĂ®t près de 2 heures Ă faire sa lettre. Alors qu’il Ă©coutait la 5 ème symphonie de Mahler il eut envie d’enregistrer la lettre et d’envoyer la cassette Ă Mathilde. Quant il eut fini Antoine se sentit soulagĂ©. Il apprĂ©hendait la dramatisation inĂ©vitable d’une discussion face Ă face.Le vendredi suivant Mathilde sortit de son travail Ă 18 heures. En allant prendre le mĂ©tro elle passa devant un magasin de lingerie fĂ©minine. Elle vit en vitrine un ensemble soutien-gorge- culotte- porte jarretelles couleur cerise qu’elle voulut essayer et acheta. Pendant son trajet en mĂ©tro elle pensait aux moments voluptueux qu’elle allait vivre dans la soirĂ©e. Son ami antillais avait Ă©tĂ© son amant 5 ans auparavant et elle avait un souvenir très prĂ©cis de ses qualitĂ©s amoureuses.Elle arriva chez elle dans un Ă©tat de grande excitation. Dans sa boĂ®te aux lettres elle trouva au milieu de factures et prospectus divers le paquet contenant la cassette d’Antoine. Elle posa le tout sur sa table et alla dans sa salle de bains. Après avoir pris une douche, s’être longuement maquillĂ©e, coiffĂ©e, parfumĂ©e, elle mis les sous-vĂŞtements achetĂ©s une heure auparavant. Devant sa glace, avec un sourire de contentement elle se dit qu’ils mettaient bien en valeur ses charmes. Ses cheveux blonds rejetĂ©s sur le cĂ´tĂ© gauche tombaient en ondulant sur son Ă©paule et laissaient apparaĂ®tre sur le cĂ´tĂ© dĂ©couvert un pendant d’oreille dont le rouge sombre rappelait celui de ses lèvres. Elle mit un ensemble tailleur minijupe de couleur noire. Le bas de la jupe Ă©tait terminĂ© par une dentelle fine. La veste Ă©pousait parfaitement la forme de son corps et laissait apparaĂ®tre le haut de ses seins ronds qui semblaient vouloir s’échapper de leur Ă©crin. Elle portait des escarpins Ă talons aiguilles qui creusaient la cambrure de ses reins, projetant en avant sa poitrine et accentuant le galbe de ses fesses. Autour de sa cheville droite elle avait mis des petites pastilles autocollantes dorĂ©es qui, Ă chacun de ses mouvements, Ă©tincelaient comme autant de petites lucioles. Qui pourrait lui rĂ©sister ? Un moine tibĂ©tain peut-ĂŞtre pensa-t-elle avec un sourire.Son amant lui avait donnĂ© rendez-vous dans un restaurant mexicain. Il venait pĂ©riodiquement dans ce bar-restaurant frĂ©quentĂ© par nombre d’antillais. Il Ă©tait particulièrement fier de s’y montrer avec une magnifique blonde et pour bien montrer qu’elle Ă©tait Ă lui il tenait sa main dans la sienne. Ils mangèrent rapidement, portant peu d’attention Ă ce qu’ils mangeaient tellement leur esprit Ă©tait tendu vers ce seul objectif : se retrouver seuls, corps contre corps, peau contre peau, l’un sur l’autre, l’un dans l’autre. Ils quittèrent le restaurant Ă la hâte tellement ils n’en pouvaient plus d’attendre.Ils firent l’amour pendant 4 heures presque sans discontinuer faisant juste quelques pauses pour reprendre leur souffle et se rafraĂ®chir. La première fois Mathilde eut une jouissance brève et fulgurante tellement l’attente avait Ă©tĂ© longue et l’excitation grande. Ă€ peine arrivĂ©s dans l’appartement de son amant ils se jetèrent dans les bras l’un contre l’autre. Les lèvres charnues du garçon enveloppaient la bouche de Mathilde. Ils s’embrassaient avec fougue et voracitĂ© comme s’ils voulaient se dĂ©vorer. Il pĂ©trissait fĂ©brilement, après les avoir libĂ©rer de leur berceau, les seins pigeonnants de son amante. Mathilde avait collĂ© son sexe contre le sexe tendu Ă l’extrĂŞme et palpitant de son amant. Une de ses mains Ă©tait descendue vers l’unique objet de ses dĂ©sirs et après s’être introduite dans son pantalon l’avait agrippĂ© avec un soupir de joie. Son sexe Ă©tait long et dur comme un pal. Il se plaça derrière elle, remonta d’un geste impĂ©tueux sa minijupe, fit glisser sa culotte et la pĂ©nĂ©tra instantanĂ©ment. Mathilde l’accueillit avec un petit cri d’amour. Elle Ă©tait surprise par l’intensitĂ© de son propre dĂ©sir, enivrĂ©e par le goĂ»t de cette peau, par l’odeur de cet homme qu’elle retrouvait 5 ans plus tard.. Quant Ă lui, l’antillais, l’idĂ©e d’être Ă ce point dĂ©sirĂ© par une si belle blonde, courtisĂ©e par bien des hommes, dĂ©cuplait son dĂ©sir. Son bas ventre frappait avec force contre les fesses de Mathilde. Il accompagnait chacune de ses poussĂ©es d’un grognement de satisfaction. La puissance de ses va-et-vients ne semblaient pas faire mal Ă sa maĂ®tresse. Dans le calme absolu de la nuit on n’entendait que les claquements des coups de boutoirs mĂŞlĂ©s aux soupirs des deux amants. Quand il retira son sexe il Ă©tait encore tendu. Il avait l’impression qu’il pourrait jouir indĂ©finiment avec cette femme. La retournant vers lui il lui prit Ă nouveau la bouche et debout l’un contre l’autre ils se dĂ©shabillèrent lentement. Il la souleva nue dans ses bras, surpris par sa lĂ©gèretĂ©, et la porta dans sa chambre. Il la dĂ©posa dĂ©licatement sur son lit et se laissa tomber sur elle. Son sexe trouva instantanĂ©ment le chemin de la Grotte tant dĂ©sirĂ©e.Lors de cette deuxième Ă©treinte ils prirent le temps de sentir leur dĂ©sir. Ils explorèrent leur corps avec leurs mains, leur bouche, leur langue. Les petits baisers, semblables Ă des picotements, qu’il lui donnait sur ses fesses, son dos, sa nuque, ses cuisses la faisaient frissonner. Il lui mordillait dĂ©licatement le lobe des oreilles, les tĂ©tons. Il frottait son sexe entre ses seins, entre ses fesses, sur son sexe. C’était merveilleux. Pendant qu’il la chevauchait sa bouche plaquĂ©e Ă la sienne, Mathilde accompagnait les sublimes secousses de son amant d’une lĂ©gère plainte d’amour. Il Ă©tait sur elle. Elle dansait sur lui. Dans cette sarabande amoureuse ils tentaient l’impossible fusion du blanc et du noir. Il Ă©tait son Ă©talon, elle Ă©tait sa pouliche. L’animal Ă©tait en eux. Il Ă©tait le mâle et elle la femelle. Le bassin de Mathilde Ă©tait parcouru de vibrations. Ses mains comprimaient les fesses de son amant, les pressaient contre elle pour qu’il puisse entrer plus loin, plus fort en elle. Elle aspirait en elle ce sexe tant dĂ©sirĂ©. Mathilde se sentait emportĂ©e par une houle dĂ©ferlante de plaisir qui la submergeait. Quand il dĂ©versa sa lave bienfaitrice en elle, elle eut une explosion volcanique qui la libĂ©ra de sa tension nerveuse. Son cri rĂ©sonna dans le calme de la nuit. Une ultime onde de jouissance traversa tout son corps. Elle avait joui plusieurs fois de suite. Leur jouissance fut simultanĂ©e et dans un ultime choc de leurs ventres ils restèrent soudĂ©s l’un Ă l’autre. Alors qu’il restait figĂ© au-dessus d’elle, les mains crispĂ©es sous ses fesses, elle serrait son amant contre elle Ă s’en Ă©touffer Le sexe long et vigoureux de son amant remplissait totalement le sien. Il semblait parfaitement ajustĂ© au sien, un sexe pareil Ă©tait fait pour elle. En de tels moments rien d’autre que l’exaltation de son corps et la possession sexuelle n’existaient pour elle. ApaisĂ©e, elle lui demanda de rester en elle, elle aimait sentir en elle ce membre encore raide et chaud. Ils restèrent longtemps soudĂ©s l’un Ă l’autre. Elle avait lĂ un amant merveilleux, fougueux, endurant et attentif Ă son plaisir, ce qu’elle n’avait pas toujours connu avec bien des hommes qui l’avaient possĂ©dĂ©e, uniquement prĂ©occupĂ©s par leur seul plaisir.La chambre ressemblait Ă un vrai champ de bataille, leurs vĂŞtements jonchaient le sol, le lit n’était plus qu’un amas de draps et de coussins. Il alla chercher dans son rĂ©frigĂ©rateur deux glaces dont la fraĂ®cheur leur fit du bien. Ils n’avaient pas encore totalement apaisĂ© leur faim d’amour, le dĂ©sir Ă©tait toujours lĂ en eux. Le mĂ©lange de leurs odeurs, parfum discret et subtil de Mathilde, transpiration, sĂ©crĂ©tions sexuelles, agissait sur eux comme un aphrodisiaque. Alanguie et complètement abandonnĂ©e près de son amant Mathilde voyait se redresser lentement et inexorablement le sexe de son amant et avec des caresses lĂ©gères et dĂ©licates elle encourageait sa montĂ©e. MalgrĂ© les rĂ©ticences de Mathilde son amant entreprit de forcer le passage de ses reins. Il entra en elle avec lenteur et dĂ©licatesse. Son sexe dur rĂ©duisait progressivement la rĂ©sistance de ses muscles internes. Elle eut un peu mal, tellement il Ă©tait fort. Mais une fois en place il resta immobile en elle. Alors une douce chaleur se rĂ©pandit progressivement sur son bas-ventre et ce fut avec plaisir qu’elle le sentit reprendre ses mouvements. Pendant la saillie de son amant elle se caressait le clitoris. Aussi eut-elle une double jouissance.A la fin, ils eurent envie de remercier leur sexe de tout le bonheur et de toute la jouissance reçus. Ils se donnèrent successivement du plaisir avec leur bouche. Elle avait happĂ© avec gourmandise les deux boules bien rondes qui pendaient sous sexe. Lui avait si bien taquinĂ© son bouton d’amour avec sa langue et aspirĂ© sa vulve gonflĂ©e de dĂ©sir. Vers trois heures du matin, totalement satisfaite et comblĂ©e, Mathilde demanda Ă son amant de la raccompagner chez elle. Lui avait voulu qu’elle passe la nuit chez lui.RentrĂ©e chez elle, Mathilde se laissa tomber sur son canapĂ©. Elle Ă©prouvait une sensation de grande fatigue mĂŞlĂ©e de bonheur physique. Elle n’éprouvait pas d’amour pour cet homme, mais de tels instants somptueux avec un homme qui savait si bien tirer toutes les ressources d’amour de son corps, qui savait si bien faire exulter son corps, valaient bien tout l’or du monde, rien d’autre n’existait alors pour elle que cet instant – lĂ . Mathilde Ă©tait heureuse. Oui vraiment elle aimait le sexe. Sentir resurgir en elle des dĂ©sirs nouveaux, n’était-ce pas cela les plus beaux dĂ©lices de la vie ?Après quelques minutes de repos, elle se leva et se mit Ă parcourir le courrier qu’elle avait posĂ© sur sa table quelques heures plutĂ´t. Elle reconnut l’écriture d’Antoine sur le paquet jaune de la poste. Elle l’ouvrit fĂ©brilement et en sortit une cassette audio sur laquelle Ă©tait inscrit :  » Pour Mathilde « . Elle mit en marche son appareil hi-fi en y engagea la cassette. Dès les premières mesures elle reconnut l’adagio de la 5 ème symphonie de Mahler. Un mois plutĂ´t ils Ă©taient allĂ©s voir le film  » Mort Ă Venise  » de L. Visconti dont le morceau Ă©tait un des thèmes musicaux. Puis la voix d’Antoine se fit entendre. » Mathilde je viens de dĂ©cider d’accepter une mission dans les Territoires d’Outre Mer qui m’a Ă©tĂ© proposĂ©e rĂ©cemment. Elle durera probablement plus d’un an et je pense partir dans un mois. Je te fais donc mes adieux. Je dis  » adieux  » car il vaut mieux que nous nous quittions dĂ©finitivement. Notre relation est sans issue. Une nouvelle fois j’ai dĂ» malheureusement constater que je ne te suffisais pas. Ce dont tu as besoin tu l’as probablement trouvĂ© dans les bras de l’ami antillais que tu as revu il y a peu de temps.Je vous ai vu sortir ensemble de la galerie oĂą nous sommes allĂ©s il y a une dizaine de jours. J’ai vu le baiser profond et ardent qu’il t’a donnĂ© et que tu as acceptĂ©. Je vous ai vu Ă nouveau hier dans la brasserie oĂą vous ĂŞtes allĂ© manger ensemble. L’invitation Ă l’amour que tu lui adressais de tout ton corps, son dĂ©sir en rĂ©ponse m’ont plongĂ© dans une tristesse douloureuse.Tu es belle Mathilde, et moi, sans doute, trop banal pour toi. Tu aimes les hommes et les relations amoureuses fortes. L’amour que tu dis avoir pour moi est de peu de poids quand se prĂ©sente Ă toi la voluptĂ© des caresses et l’amour d’hommes au physique avantageux. Pour la seconde fois j’aurais Ă©tĂ© le spectateur d’une de tes passions naissantes. Je me retrouve aujourd’hui au mĂŞme point qu’il y a 10 ans. La vie est un Ă©ternel recommencement. L’histoire des ĂŞtres humains connaĂ®t toujours les mĂŞmes balbutiements. Ce qui a Ă©tĂ© sera. Il est maintenant clair pour moi que tu ne peux vivre une relation satisfaisante et complète avec moi. Ce constat je me suis rĂ©signĂ© Ă l’accepter. L’adolescente, que tu as Ă©tĂ©, a cru qu’être ensemble, penser ensemble, tout se dire c’était cela s’aimer. L’adolescence est une pĂ©riode inĂ©vitable et dangereuse dans la vie d’un ĂŞtre humain. L’enchantement des premières dĂ©couvertes conduit l’adolescent Ă idĂ©aliser son partenaire et sa relation amoureuse. Il croit alors voir se transformer le monde autour de lui. Devenu adulte il dĂ©couvre d’autres plaisirs, il a d’autres exigences. L’émerveillement initial s’estompe et il constate que ses premiers dĂ©sirs sont devenus caducs. Tu te trouves dans cette situation Mathilde. Tu t’es, inconsciemment, crĂ©Ă© un monde oĂą il y aurait une sĂ©paration entre ta vie sentimentale, qui te procurerait sĂ©curitĂ© et Ă©quilibre psychologique, et ta vie sexuelle, qui s’accomplirait avec divers partenaires te procurant des plaisirs sans cesse renouvelĂ©s. Mais l’amour est nĂ©cessairement une relation englobante, totale, Mathilde. Je ne peux me satisfaire d’une relation dĂ©sĂ©quilibrĂ©e avec toi, car alors je me retrouverais dans la situation de lente dĂ©sagrĂ©gation de ce pauvre Othello anĂ©anti par ses propres angoisses et une jalousie qui l’a conduit Ă la destruction de celle qu’il aimait.. N’as-tu cherchĂ© en moi autre chose que moi ? Tu n’auras pas Ă©tĂ© mon HĂ©loĂŻse, amante inconditionnellement attachĂ©e Ă son aimĂ©.Notre relation depuis un an aura Ă©tĂ© pour moi une parenthèse que je n’ai pas souhaitĂ©e et que je ne regrette pas. Tu as eu de nombreux amants, des beaux, des riches, des blancs, des noirs, et moi je n’aurais Ă©tĂ© qu’un de ceux-ci, sans doute parmi les mĂ©diocres. Je vais reprendre ma vie lĂ oĂą je l’ai laissĂ©e il y a un an. Sans joie et solitaire je ferais mon temps sur cette terre. Profite de tous les plaisirs que ta beautĂ© peut te procurer. Tu m’avais dit un jour que lorsque tu avais 25 ans tu croyais qu’une libertĂ© sexuelle illimitĂ©e te permettrait de t’épanouir. Prends garde, cependant, que les vicissitudes de tes relations successives ne mènent Ă l’anĂ©antissement de ta vie sentimentale. Adieu Mathilde. « Les accents pathĂ©tiques des instruments Ă cordes qui accompagnaient les paroles d’Antoine l’avaient poussĂ© vers un sentimentalisme exacerbĂ©. La fin de son propos fut ponctuĂ©e par la sonoritĂ© grave et puissante des violoncelles et contrebasses qui achevaient le 4ème mouvement de la symphonie de Malheur. Cet adagio Antoine l’avait Ă©coutĂ© et rĂ©Ă©coutĂ© jusqu’à l’obsession tellement il Ă©tait en harmonie avec sa triste mĂ©lancolie.Mathilde Ă©tait effondrĂ©e, sa respiration Ă©tait devenue saccadĂ©e. L’air semblait lui manquer. L’intensitĂ© des Ă©motions qu’elle avait Ă©prouvĂ©es depuis cette fin d’après-midi : dĂ©sir, attente, explosion amoureuse et maintenant dĂ©sespoir, Ă©tait trop forte pour elle. Elle se sentait au bord de la crise de nerf. La voix sereine et amère d’Antoine, le lamento de l’orchestre avivaient encore plus son dĂ©sarroi. Elle ne pouvait accabler qu’elle-mĂŞme. Pourquoi faut-il que je choisisse l’un pour perdre l’autre, se dit-elle. Son cĹ“ur frappait si fort dans sa poitrine comme s’il voulait s’échapper, dĂ©serter ce corps indigne.Elle resta prostrĂ©e pendant de longues minutes. Puis mue par un rĂ©flexe elle prit son tĂ©lĂ©phone.Antoine dormait lorsque le tĂ©lĂ©phone retentit et ce n’est que lorsque la voix de Mathilde, le suppliant de rĂ©pondre, se fit entendre sur le rĂ©pondeur qu’il se rĂ©veilla. Mathilde lui parut très agitĂ©e. Ses propos Ă©taient saccadĂ©s. Elle lui demandait pardon, l’implorait de ne pas la laisser et lui disait qu’elle ne supporterait pas s’il l’abandonnait une nouvelle fois.  » Quelle inconsĂ©quence ! « Se dit-il.  » Me voilĂ transformer en coupable. « Il lui reprocha de l’appeler Ă une heure aussi matinale. Ils pourraient parler plus calmement dans la journĂ©e et puis il avait un rendez-vous important Ă 9 heures du matin. Il fallait qu’il dorme. Ne parvenant pas Ă la raisonner, il raccrocha son tĂ©lĂ©phone. Trente minutes plus tard Mathilde sonnait Ă sa porte.Quand il lui ouvrit la porte, il fut d’abord frappĂ© par sa tenue vestimentaire aguichante. Antoine se dit qu’ainsi vĂŞtue Ă 5 heures du matin, Mathilde rentrait sans doute de quelque rendez-vous agrĂ©able. L’image du grand antillais traversa son esprit. Dans le cadre de son milieu professionnel Mathilde Ă©tait souvent invitĂ©e Ă des cocktails, des rĂ©ceptions et autres vernissages. Sa beautĂ© en faisait souvent une des femmes les plus courtisĂ©es de ces manifestations. Depuis qu’elle avait repris sa relation avec Antoine, elle ne se rendait plus guère Ă ces rĂ©ceptions, ou alors elle se faisait accompagner par lui. Elle se prĂ©cipita sur lui, l’implorant de pardonner sa folie, elle le supplia une nouvelle fois de ne pas l’abandonner.  » Tu n’as pas Ă me rendre compte de tes faits et gestes, tu es libre d’organiser ta vie comme tu l’entends « , lui rĂ©pondit-il.  » Pour ce qui me concerne, je ne veux pas ĂŞtre l’accessoire de ta vie. J’ai souffert comme un damnĂ© par toi, voici 10 ans, je ne veux pas recommencer. Je veux vivre en paix, Mathilde. Ton amour pour moi n’est qu’une chimère. Ce qu’il te faut c’est le piment de la nouveautĂ©, le voyage vers les rives de l’extase que te fait entrevoir un bel homme, l’amour sans cesse renouvelĂ©. Pour toi je ne pourrais ĂŞtre qu’un obstacle Ă la rĂ©alisation de tes dĂ©sirs. « Pendant qu’il lui parlait, Mathilde restait accrochĂ© Ă lui. Avec quelques difficultĂ©s il rĂ©ussit Ă la dĂ©tacher de lui et alla s’asseoir sur son canapĂ©. Tout ce qu’il avait redoutĂ© Ă©tait en train de se produire. Cette scène mĂ©lodramatique le mettait mal Ă l’aise. Il se sentait dĂ©sarmĂ© pour affronter ce type de situation. Mathilde s’assit Ă cĂ´tĂ© de lui, les larmes aux yeux. Sa tĂŞte Ă©tait posĂ©e sur l’épaule d’Antoine. Elle rĂ©pĂ©tait sans cesse les mĂŞmes mots et son refus d’une nouvelle sĂ©paration. Une des mains de Mathilde caressait nerveusement la cuisse d’Antoine. Sans qu’elle l’eut vraiment voulu sa main se posa sur le sexe d’Antoine. D’un geste brusque, comme mu par un dĂ©goĂ»t, Antoine rejeta la main de Mathilde. La brutalitĂ© du geste la surprit. Après un instant de silence, Mathilde se leva et se dirigea d’une dĂ©marche lente et mĂ©canique vers la cuisine. Il la vit ouvrir le tiroir contenant les couverts et poser son bras gauche sur la table. Il eut la vision fulgurante du geste qu’elle allait commettre. D’un bond il se prĂ©cipita sur elle. Quand il saisit son bras la lame Ă©tait dĂ©jĂ sur ses veines.La blessure Ă©tait superficielle, dans la bousculade la lame avait dĂ©viĂ© de sa trajectoire. Pris de panique et commotionnĂ© Antoine s’employa Ă stopper le saignement, lui mit des pansements et l’amena Ă la hâte dans le service des urgences de l’hĂ´pital Saint Vincent de Paul, qui Ă©tait proche de chez lui, oĂą on lui posa plusieurs points de suture. Mathilde semblait ĂŞtre sur une autre planète.RentrĂ©s chez lui, Antoine lui prĂ©para une infusion et lui donna deux somnifères. Leur effet fut rapide. Il l’aida Ă retirer son tailleur et la coucha dans son lit oĂą elle s’endormit rapidement. Avant de la recouvrir avec le drap il ne put s’empĂŞcher d’admirer, avec une certaine amertume, la finesse de ses sous-vĂŞtements.Son rendez-vous Ă©tait dans deux heures. Avant de partir il laissa un mot sur la table l’informant de son retour aux alentours de 11 heures et lui recommandant de l’attendre. Il avait dĂ©cidĂ© de ne pas la laisser seule pendant tout le week-end. Il apprĂ©hendait un nouveau geste dĂ©sespĂ©rĂ© de sa part. Quand il fut de retour elle Ă©tait toujours couchĂ©e. Il en fut soulagĂ©. Il insista pour l’accompagner chez elle afin qu’elle se change et prenne quelques affaires et passèrent le week-end ensemble.Pendant tout le mois qui prĂ©cĂ©da son dĂ©part Antoine se montra très attentionnĂ© envers Mathilde. Il lui tĂ©lĂ©phonait tous les jours, passait la voir plusieurs fois par semaines. L’apprĂ©hension ne l’avait pas quittĂ©. Petit Ă petit Mathilde retrouvait son goĂ»t pour la vie. Antoine faisait nĂ©anmoins en sorte de maintenir leurs rapports sur un strict plan amical. Quant Ă elle, elle savait, dans son for intĂ©rieur, qu’il allait partir bientĂ´t, qu’il prenait ses dispositions en consĂ©quence, mais elle Ă©vitait de le questionner Ă ce sujet.Le dernier vendredi du mois de juin, alors que son dĂ©part Ă©tait prĂ©vu pour le lundi suivant, Antoine vint voir Mathilde pour l’en informer. Mathilde avait le visage des mauvais jours, ses yeux Ă©taient encore rouges, ses joues portaient la trace de larmes sĂ©chĂ©es. Elle avait consultĂ© son gynĂ©cologue qui lui avait confirmĂ© qu’elle Ă©tait enceinte. Elle avait pris la dĂ©cision d’en informer Antoine. Celui-ci avait compris qui Ă©tait l’auteur de la grossesse. Elle lui raconta que sous l’emprise de sa folie elle n’avait pas demandĂ© Ă son amant de mettre un prĂ©servatif.  » Cela s’est passĂ© si vite, en moins d’une minute il Ă©tait en moi  » lui dit-elle. Elle lui demanda s’il voulait qu’elle mette fin Ă cette grossesse. Elle ferait ce qu’il lui dirait. Dans le regard qu’elle lui adressait il crut percevoir comme une supplique : cet enfant elle voulait inconsciemment le garder. Antoine rĂ©pondit d’abord sèchement que cette question ne le concernait pas. Puis se radoucissant, il lui dit que cette maternitĂ© lui apporterait peut-ĂŞtre un Ă©quilibre et des joies nouveaux et que c’était une chance pour elle. Au fond de lui-mĂŞme il se dit que c’était mieux ainsi, il pourrait partir l’esprit tranquille. Dans un soupir il ajouta qu’à 33 ans passĂ©s il aurait aimĂ© lui aussi avoir un enfant. Cette pensĂ©e lui traversait l’esprit parfois. Cet enfant c’est avec elle qu’il aurait voulu l’avoir. Mais Ă prĂ©sent leur relation Ă©tait fichue, elle avait brisĂ© son espoir, tout Ă©tait fini. Mathilde Ă©tait pourtant une femme douce, sans manière, elle n’avait la morgue de ces filles sĂ»res de leur pouvoir de sĂ©duction et Ă qui personne ne rĂ©sistait. Mais elle n’avait pas su rĂ©sister l’appel des sens, elle avait trop facilement cĂ©dĂ© aux avances d’hommes entreprenants. Son amour pour Antoine n’avait pas Ă©tĂ© assez fort pour la dĂ©tourner de la tentation. Maintenant sa vie sentimentale Ă©tait dĂ©truite. Son unique but serait dĂ©sormais de faire Ă©clore cette vie qu’elle avait en elle. Cet enfant serait son seul horizon, son seul soutien. Elle le garderait pour elle seule. Elle n’avait aucune intention d’en informer le père, ni de le revoir.Le lendemain ils dĂ©cidèrent de passer ensemble une soirĂ©e d’adieu. Il l’invita pour une soirĂ©e-spectacle au Moulin Rouge. Ă€ sa demande elle avait mis une magnifique robe du soir et s’était parĂ©e de ses plus beaux atours. Lui-mĂŞme portait son plus beau costume. RentrĂ©s chez lui ils firent l’amour comme jamais ils ne l’avaient fait ensemble. Lui avec une rage ardente, comme s’il voulait prendre une revanche. Elle avec l’abandon de celle qui voudrait que le temps suspende son cours, et que ces minutes restent Ă©ternelles. La lune Ă©tait rousse. La nuit fut belle, mais ils savaient qu’elle n’aurait pas de lendemain.Alors qu’ils se quittaient, savaient-ils que le destin les mettrait, une nouvelle fois, face Ă face 18 ans plus tard ?Mathilde mit au monde une jolie petite mĂ©tisse, qu’elle prĂ©nomma Annette. Elle lui consacra, comme elle l’avait prĂ©vu, l’essentiel de sa vie. Elle eut bien deux ou trois fois un amant de passage, mais elle se refusât Ă toute liaison sĂ©rieuse.Antoine avait rencontrĂ© une charmante jeune femme qui s’était emparĂ© de lui. Il l’avait Ă©pousĂ© et eut d’elle trois jolies filles qui lui apportèrent ses plus grandes joies. Il aimait vraiment les enfants. Mais l’enfance n’a qu’un temps et l’adolescence de ses filles fut pour lui une pĂ©riode beaucoup moins agrĂ©able. Il s’était installĂ© Ă Saint Germain en Laye. Depuis un an il avait pris une disponibilitĂ© pour convenance personnelle et s’était adonnĂ© Ă sa vĂ©ritable vocation : la peinture. Bien des annĂ©es auparavant la pratique de la peinture avait Ă©tĂ© pour lui un exutoire lorsqu’il n’en pouvait plus de son travail, de ses dĂ©ceptions professionnelles.Depuis les annĂ©es 80 dans les pays occidentaux Ă©taient organisĂ©s des fĂŞtes de la musique, du sport, de la science, journĂ©e de ceci, journĂ©e de cela. Le cĂ´tĂ© clinquant et mercantile de ce type de manifestation dĂ©plaisait souverainement Ă Antoine. Cependant en cette annĂ©e 2001 Ă l’occasion de la fĂŞte de la peinture, les tableaux d’Antoine avaient Ă©tĂ© remarquĂ©s dans le cadre d’une exposition de peintres nouveaux.Comme tous les soirs Mathilde et sa fille regardaient les actualitĂ©s tĂ©lĂ©visĂ©es. Elle prĂŞta peu attention au reportage tĂ©lĂ©visĂ© sur l’exposition de peinture dans laquelle figurait Antoine. Quand elle vit Antoine en gros plan interrogĂ© par le journaliste elle sursauta et incrĂ©dule elle s’exclama :  » Antoine, quelle surprise !  » Sa fille la regarda avec Ă©tonnement et lui demanda si elle connaissait ce peintre. ConcentrĂ©e sur le reportage, les yeux grands ouverts, elle ne rĂ©pondit pas Ă sa fille. Voyant sa mère ainsi bouleversĂ©e elle s’abstint de renouveler sa question. Ă€ la fin du reportage, les larmes aux yeux, elle lui rĂ©pondit :  » C’était l’homme de vie, mon seul et unique amour  » Elle prit sa fille dans ses bras, la serra fort contre elle et ajouta :  » s’il l’avait voulu tu ne serais pas ici près de moi. « Annette, qui venait d’avoir 18 ans, avait durant son enfance et son adolescence plusieurs fois questionnĂ© sa mère sur ce père qu’elle n’avait pas, contrairement Ă tous les enfants de son Ă©cole. Mais celle-ci lui avait toujours et invariablement donnĂ© la mĂŞme rĂ©ponse :  » cela a Ă©tĂ© un accident. « Pendant les jours qui suivirent ce reportage, Annette fut intriguĂ©e par le changement de comportement de sa mère. Un vague Ă l’âme s’était emparĂ© d’elle. Elle mangeait avec moins de plaisir, dormait difficilement. Elle l’entendait se lever plusieurs fois dans la nuit. Sa mère ne lui avait jamais parlĂ© de cet homme. La mĂ©lancolie qu’elle voyait chaque jour sur le visage de sa mère faisait monter en elle une haine farouche et juvĂ©nile pour cet homme, entrevu Ă la tĂ©lĂ©vision, qui semblait ĂŞtre le responsable de la peine de sa mère, et qui, cela ne faisait pas de doute pour elle, avait fait du mal Ă sa mère. Sa dĂ©cision fut prise, face au mutisme de sa mère, il fallait qu’elle sache, il fallait qu’elle connaisse un peu de ce passĂ© qui avait conditionnĂ© son existence. Elle irait voir cet homme.Annette Ă©tait Ă©tudiante en arts plastiques et par un de ses enseignants elle apprit qu’une rĂ©ception avait lieu dans une galerie qui exposait les toiles de plusieurs peintres nouveaux, dont Antoine. C’était un jeudi soir la galerie Ă©tait dĂ©jĂ pleine de monde. Les commentaires savants des uns et des autres sur les Ĺ“uvres, un verre Ă une main, des petits fours dans l’autre, allaient bon train. N’ayant vu le visage d’Antoine que de manière furtive, lors du reportage tĂ©lĂ©visĂ©, Annette n’était pas sĂ»re de le reconnaĂ®tre. Elle crut le voir pourtant au milieu d’un petit groupe d’hommes et de femmes. Elle s’approcha et coupant la conversation et fixant du regard Antoine elle se prĂ©senta et nomma sa mère. Il jeta un bref regard ironique sur elle. Il fut frappĂ© par la luminositĂ© des yeux de cette jeune et belle femme de couleur. En voilĂ encore une qui, parce qu’elle est belle, se croit tout permis, pensa-t-il. Regardant toujours Antoine, qui avait repris sa conversation et ne semblait pas avoir compris son propos, elle rĂ©pĂ©ta lentement le nom de sa mère. Antoine se figea et lui demanda ce qu’elle voulait. S’excusant auprès de ses convives il entraĂ®na Annette Ă l’écart. Cette petite Ă©tait bien comme il l’avait imaginĂ© 18 ans plus tĂ´t. Elle avait la beautĂ© plastique de sa mère. D’emblĂ©e celle-ci lui demanda avec un ton impĂ©ratif et agressif quel mal il avait fait Ă sa mère qui depuis une semaine, l’ayant vu dans un reportage tĂ©lĂ©visĂ©, Ă©tait en proie Ă des tourments qui lui avaient coupĂ© l’appĂ©tit et fait perdre le sommeil.  » Vous posez mal la question  » lui rĂ©pondit Antoine.  » La bonne question est ce qu’elle a fait elle, et cela c’est Ă votre mère ou Ă votre père qu’il faut le demander.  » Transmettez mes salutations Ă votre mère.  » ajouta-t-il en retournant vers ses convives.Annette rentra chez elle mĂ©contente et avec toujours la mĂŞme animositĂ© Ă l’égard de cet homme. Elle fit part de cette rencontre Ă sa mère qui s’inquiĂ©tait de sa mauvaise humeur. Elle n’avait pas de mots assez durs contre lui. Mathilde tenta de la calmer en lui disant qu’il n’avait pas tort et qu’en rĂ©alitĂ© elle ne s’était pas montrĂ©e digne de lui. Durant son enfance Annette avait bien remarquĂ© que des hommes sĂ©duisants et Ă©lĂ©gants se montraient empressĂ©s Ă l’égard de sa mère, qui toujours repoussait leurs avances. Alors comment pouvait-elle ne pas ĂŞtre digne de celui-lĂ . D’un autre cĂ´tĂ© elle ne comprenait pas que sa mère n’ait pas de compagnon. Son seul et unique amour avait-elle dit. Le cĹ“ur Ă ses secrets, la vie a ses mystères. Annette aimait sa mère plus que tout au monde. Pendant son enfance et son adolescence elle l’avait totalement absorbĂ©. Elle avait aspirĂ© tout son Ă©nergie, son amour. Cependant elle savait qu’un jour elle la quitterait pour rejoindre l’homme avec qui elle partagerait sa vie et que sa mère se retrouverait seule. Comment pourrait-elle contribuer Ă son bonheur ? Elle eut sa petite idĂ©e sur la question.Peu de temps plus tard elle tĂ©lĂ©phona Ă Antoine pour s’excuser de l’agressivitĂ© dont elle avait preuve Ă son Ă©gard. Elle lui parla de ses Ă©tudes et de son souhait de s’entretenir avec lui au sujet de sa peinture. Antoine lui fit bon accueil, se montra chaleureux et s’enquit de la santĂ© de sa mère. Un rendez-vous fut pris dans un cafĂ© proche de la Sorbonne.Il Ă©tait 18 heures sa mère allait sortir de son travail et viendrait la chercher dans ce cafĂ© comme convenu. Antoine Ă©tait assis en face d’elle. Il lui paraissait plus jeune que ses 51 ans, avait peu de cheveux gris, sa peau Ă©tait toujours lisse et ferme. Son amabilitĂ© la touchait. Ainsi voilĂ la fille de Mathilde soupira-t-il avec mĂ©lancolie. Annette aperçu sa mère qui s’approchait du cafĂ©. Antoine tournait le dos Ă la rue et ne la vit pas venir. Elle-mĂŞme ne pouvait voir qui Ă©tait avec sa fille. Annette pensa que la première partie du plan avait rĂ©ussi. Antoine et Mathilde Ă©taient face Ă face. Antoine parla peu, ne dit aucun mot de sa situation matrimoniale. Il Ă©voqua principalement son passĂ© professionnel et sa nouvelle situation. Annette suggĂ©ra une invitation Ă manger chez elles, mais Antoine prĂ©texta des empĂŞchements.L’entrain que retrouvait sa mère depuis quelques jours conforta Annette dans son action. Puisqu’il ne voulait pas venir vers elles, c’est elles qui iraient Ă lui. Elle entraĂ®na sa mère dans une galerie de peinture oĂą elle savait trouver Antoine. Annette voulait absolument avoir la situation en main. Aussi prit-elle d’emblĂ©e la parole.  » Je crois que vous avez beaucoup de choses Ă vous raconter et Ă rĂ©gler. Je vous laisse  » leur dit-elle. Mathilde et Antoine allèrent s’asseoir dans un coin tranquille.  » Te souviens-tu de la cassette audio que tu m’avais envoyĂ©e en juin 1983 ?  » dit-elle.  » Tu me reprochais les nombreux amants que j’avais eus et me recommandais de prendre garde que ces relations successives ne me dĂ©truisent. Les hommes ont disparus de ma vie et pourtant, s’il n’y avait eu ma fille, ma vie aurait Ă©tĂ© un nĂ©ant depuis cette date. Ma fille aura bientĂ´t sa vie Ă elle et je me retrouverai seule. Cette perspective m’angoisse terriblement. Notre jeunesse s’est enfuie, nous sommes tous les deux sur la pente descendante de notre vie. Je suis sans illusion et pourtant que j’aimerais ĂŞtre Ă tes cĂ´tĂ©s, que j’aimerais que nous prenions une revanche sur ce destin qui nous a Ă©tĂ© si dĂ©favorable.  » Antoine lui parla, alors, de son mariage, de sa femme, de ses enfants. Certes son mĂ©nage marchait cahin- caha au rythme des habitudes conjugales, de la monotonie quotidienne, mais Ă 51 ans que pouvait-il espĂ©rer en se lançant dans une nouvelle relation sentimentale ? . Mathilde avait la beautĂ© de son âge et ses attraits n’avaient plus la puissance d’autrefois. Le prix Ă payer d’une dĂ©stabilisation de son foyer familial serait sans doute beaucoup trop lourd. De ses sentiments pour elle que restait-il ? Rien d’autre que cette compassion qu’il Ă©prouvait Ă l’instant prĂ©sent ;Annette vint les rejoindre d’un air interrogatif. En se levant Antoine lui dit que tout Ă©tait rĂ©gler.antoine47a@spray.fr