Début des années 1970, une braderie comme tant d’autres, un matin de fin de printemps ensoleillé…— Tu m’fais chier, Robert ! T’as qu’à le faire toi-même si t’es pas content !— C’est pourtant pas la mer à boire que de donner le bon prix, non ?— C’est pas mon métier à moi ! Moi, j’y connais rien de rien ! J’suis pas antiquaire et brocanteur comme toi, figure-toi !— Varina, c’est pourtant pas compl…— Écoute, Robert : si j’étais vraiment antiquaire, tu crois franchement que je serais là avec toi sur cette braderie ? Non, je serais à MON compte ! Alors estime-toi heureux que je me lève encore chaque week-end à cinq heures du matin depuis des années pour te suivre et me geler les miches toute une journée à essayer de vendre des cochonn…, des machins auxquels je ne connais rien de rien ! Ok ?Ça fait quelques minutes que ce couple se dispute, sans se préoccuper des badauds qui passent. Elle, une femme plutôt jeune, fine, brune, T-shirt rose, petit short blanc, un cabas informe qui pendouille étrangement à ses côtés ; lui, un homme plutôt mûr, râblé, grosse moustache, pull vert informe, pantalon marron sans âge, sûrement dix ans de plus, voire même quinze.— De toute façon, tu ne connais rien à rien ! Sans moi, tu serais toujours dans le ruisseau à…— La ferme ! Moi, môssieur, je travaille, un VRAI travail ! C’est qui qui paye la bouffe ? Ton essence ? Tes bistros ? Parce que ce n’est certainement pas avec tes ruines qu’on peut avoir des pâtes pour dîner ! De toute façon, ce fric-là, j’en vois même pas la couleur, tu te le gardes en poche !— T’aurais aussi du fric si tu vendais quelque chose, mais voilà, t’es nulle et incapable ! Et tu sais quoi ? Tu saurais même pas te vendre toi-même !— Ah oui ? Tu vas voir ça !En rage, elle se saisit d’un petit carton et y trace à coups de traits rageurs un grand « À vendre ». Puis, avec une ficelle, elle se l’accroche au cou, contre son T-shirt rose. Elle raille :— Tu disais que je ne sais pas me vendre ? On va voir !— Pff ! Même à cent francs, personne ne voudra de toi !— Ah oui ? On va voir !Avec son gros feutre qui rend doucement l’âme, elle ajoute cette somme en bas de la petite pancarte, puis elle croise posément les bras et regarde son compagnon avec un air de défi manifeste. Celui-ci ricane :— Ma pauv’vieille, tu perds ton temps !— La ferme, Robert !— Et toi, tu…Une voix masculine profonde les stoppe dans leurs amabilités :— Cent francs, dites-vous ?— Oui, cent, prix ferme et définitif ! répond, railleur, Robert.— Oui, cent, pas plus, pas moins ! réplique Varina sur le même ton.— Ok, ça me convient parfaitement…Impassible, l’inconnu aux courts cheveux bruns sort un billet tout neuf, le tend à Robert interloqué, puis, tout naturellement, tend la main à Varina, toute aussi stupéfaite, qui obéit machinalement, mettant la sienne dans la large paume qui l’enserre ensuite. Elle constate alors que cet homme est plutôt grand, carré, il domine nettement Robert qui semble être écrasé par sa stature.— Madame a des affaires à elle, mis à part son cabas ?— Non, elle n’a rien à elle, elle me doit tout ! ricane le vendeur.— Ok, c’était pour savoir, répond l’acheteur.— Mais… mais… s’exclame l’achetée.L’homme garde toujours sa main dans la sienne. Il ajuste ses lunettes de son index et sourit à la jeune femme interloquée :— Voici une affaire rondement menée, je suis content de moi. Vous venez ?— Mais… mais !— Votre petit prénom, s’il vous plait ?— V… Varina…— C’est original et peu courant. Ça vous va très bien. Moi, c’est Carol. Sans « e » au bout.— Ce… c’est original aussi…— Comme vous le dites. Ma mère est anglaise de naissance et elle aime beaucoup une certaine littérature de son pays natal. Eh bien, Varina, dites « au revoir » au monsieur et nous y allons.— Mais… mais…Et sous les yeux écarquillés de Robert, ils disparaissent dans la foule des chalands. Il faudra un certain moment pour qu’il réagisse, le billet de cent francs toujours dans la main. Il secoue alors la tête, se demandant s’il n’a pas rêvé, mais le siège pliant vide à côté du sien lui indique que non. –ooOoo–Toujours la main dans la main, l’acheteur et son achat déambulent dans la braderie. Varina, totalement larguée, suit le mouvement sans résistance.— Belle matinée, même s’il faisait assez froid au début. Vous aviez raison à ce sujet.— Vous… vous avez tout entendu ? Depuis le début ?— Disons que vous parliez tous les deux assez fort pour que je puisse entendre.Elle rougit, bien malgré elle. Elle se reprend :— Et vous comptez faire quoi, là, maintenant ?— Eh bien, nous profitons de cette braderie et du soleil, puis nous rentrons à la maison.— À la maison ? Comment ça, à la maison !?— Oui, à la maison. Ne vous ai-je pas achetée, il y a cinq minutes ?— Mais… mais je dois retourner à…— Achetée et non pas louée, Varina, il y a une nuance entre les deux, voyez-vous. Louer, c’est temporaire, en effet. Mais acheter, c’est définitif.— Mais… V-vous ne pouvez pas acheter les gens comme ça !— N’étiez-vous pas à vendre ?— Mais… mais quand même ! Ce… c’était…— Ce fut une très belle transaction, une très bonne affaire, je l’avoue.Et il continue imperturbablement sa route avec une jeune femme complètement dépassée par les événements. De son côté, le dénommé Robert a repris ses esprits, mais il n’ose pas quitter son étal, par peur du vol. Il regarde alors le billet de cent francs qu’il a toujours en main, totalement dubitatif.— Bah, se dit-il, elle est toujours revenue à chaque fois que je l’ai foutue dehors ! Ce ne sera qu’une fois de plus…Mais voilà, cette fois-ci, Varina n’a pas été mise à la porte, elle a été, purement et simplement, vendue. Ce qui risque de changer la donne… –ooOoo–Varina et Carol arrivent à présent à proximité d’une barrière qui indique la fin de la braderie. À peine vingt minutes se sont écoulées depuis l’achat… C’est elle qui prend la parole :— Écoutez, Carol… je ne sais même pas votre nom de famille !— Moi non plus… Carol Pentiez, avec un zed à la fin.— Varina Diez, avec aussi un zed à la f… Ah mais, qu’est-ce que vous me faites dire !? Cette situation est absurde, complètement ! Ce… c’est du n’importe quoi ! Vous ne croyez quand même pas que je vais gentiment vous suivre chez vous pour l’unique prétexte que vous m’avez soi-disant achetée ?— Désolé de vous contredire, Varina, mais je VOUS ai achetée. Pas très cher, je l’avoue, mais achetée quand même.— Mais… !?Sans lui lâcher la main, il se penche vers elle et lui demande :— Honnêtement, Varina, vous voulez vraiment retourner auprès de cet… de ce type-là ?— Vous en savez quoi de Robert ? Et c’est ma vie, pas la vôtre !— Vous parlez d’une vie… Ça va faire un petit bout de temps que je vous observe, facilement trois bonnes années, peut-être quatre et je pense avoir compris diverses choses.— Observé ? Comment ça ?Doucement mais sûrement, ils dépassent la barrière et s’éloignent de la braderie. Elle insiste :— Vous voulez dire quoi par là ? Dites ?— Vous faites parfois les braderies en tant qu’acheteuse, n’est-ce pas ?— Pas très souvent, mais en quoi… ?— Vous avez souvent découvert quelque chose qui vous tentait terriblement mais vous pensiez que c’était hors de prix pour votre bourse…— Oui… parfois, souvent… mais…— Moi, c’est pareil avec vous, vous étiez hors de prix pour ma bourse. Jusqu’à aujourd’hui.— Mais… mais…Elle pile sur place, complètement abasourdie.— Vous… vous voulez dire que… c’est moi que…— Oui, c’est bien vous que je… comme vous le dites si bien.— Mais…— C’est un mot que vous dites souvent…Elle tape du pied au sol :— Assez ! Soyez sérieux au moins une fois !— Je suis sérieux, toujours. À ma façon, il est vrai.— Attendez, attendez ! Si je vous comprends bien, vous vouliez déjà m’acheter auparavant ? Mais vous êtes malade !— Acheter, c’est une façon, un moyen. Disons que j’avais déjà flashé sur vous depuis un bout de temps, mais honnêtement, je ne croyais pas possible d’avoir la moindre chance avec vous. Et puis, je reconnais que je n’ai pas toujours été célibataire et libre comme maintenant.— Et vous croyez maintenant que vous en avez plus, de la chance ? En m’achetant !?Il sourit :— Au moins, nous dialoguons depuis une demi-heure, et je vous tiens même la main de surcroît. Si vous n’appelez pas ça de la chance, vu de mon côté…— Mais !Elle réalise que sa main est toujours dans la sienne. Elle essaye alors de l’enlever, mais il s’y refuse. Elle le fusille du regard :— Et vous vous croyez malin ?— Je fais avec les moyens du bord et les opportunités qui se présentent à moi…C’est alors qu’elle ressent un grand frisson malgré le soleil qui darde ses rayons sur elle. Il en profite pour continuer à avancer, s’éloignant ainsi de la braderie. Estomaquée, elle suit le mouvement, puis, prise d’une illumination subite, elle questionne son ravisseur :— Attendez, attendez ! Carol, dites !— Oui ?— Vous vouliez dire quoi par « flasher » ?— Vous connaissez trente-six significations à ce verbe, Varina ? Vous m’avez tapé dans l’œil depuis un sacré bout de temps, si vous préférez.— Comme ça ? Paf ?— Eh oui, paf, comme ça. Une sorte de coup de foudre. Non, un coup de foudre.— Un coup de foudre ? Comme ça ? Paf !?— Un coup de foudre, ça ne prévient pas, ça vous tombe dessus sans prévenir. Paf, comme vous dites.— Comme vous sur moi aujourd’hui !— Oui, en quelque sorte, il y a de cela, Varina… Paf !Il stoppe près d’une voiture. Sans lâcher sa main, il ouvre la portière arrière et dépose son sac sur le siège. Il se tourne ensuite vers elle et lui dit :— Je sais bien que la réalité n’est pas forcément comme je le souhaiterais, mais… j’aimerais beaucoup passer cette journée avec vous. Après, vous déciderez.— Mais… mais, il faut que je retourne là-bas !— Franchement, vous le voulez vraiment ? Vous êtes vraiment heureuse avec ce type ? Moi, je n’y crois pas du tout. Vous êtes comme un chaton perdu qui est tombé par hasard sur un foyer et qui s’y est accroché, faute de mieux. Je me trompe ?— Je n’ai pas à vous répondre !Un petit silence, elle le regarde furieuse, il se contente de l’observer, puis il s’incline légèrement :— Merci, j’ai ma réponse.— Mais… !?— Décidément, vous vous répétez, mais ça fait partie de votre charme, Varina.— Ah et merde, j’abandonne !— Très bien ! Dans ce cas, veuillez monter.— Mais !— Déjà dit, Varina, déjà dit…— Oh et merde !— Alors, montez ! C’est tout ce que je vous demande. Et cessez d’agripper comme ça votre cabas, je ne vais pas vous le manger ! Vous n’avez aucune crainte à avoir avec moi.Curieusement, elle le croit. Alors elle s’assied à la place du passager avant, le siège sombre faisant un fort contraste avec sa tenue claire, ses jambes et bras nus. Il a un large sourire quand il tourne la clé de contact. –ooOoo–Après quelques kilomètres, la voiture s’arrête dans une petite cité. Ils sortent, le soleil brille de plus belle par-dessus leurs têtes.— Ça fait vachement bourge, par ici ! ne peut s’empêcher de dire Varina.— Vous exagérez ! Enfin, ça dépend d’où vous habitez…— C’est vrai que mon toit est plutôt… délabré par rapport à ces pavillons. C’est ça, votre maison ? Eh bé !— Oh, c’est un pavillon de taille moyenne, sans plus.— Vous habitez tout seul là-dedans ? C’est pas possible !— Il est vrai que je n’ai pas toujours habité seul. J’avais dans l’idée d’avoir au moins deux à trois enfants. Autant tout prévoir dès le départ, ne croyez-vous pas ?— Oui…Ils avancent dans l’allée dallée. Le cabas informe plaqué contre son ventre, elle soupire. Il demande :— Pourquoi ce long soupir ?— Vous, vous voulez des enfants. Pas Robert…— Dois-je comprendre que vous, de votre côté, vous en voulez ? Dans ce cas, pas de problème, je peux vous en faire un ou plus, illico, là, maintenant. Entièrement à votre service !— Holà, holà ! Bon, d’accord, je suis peut-être chez vous, pas tout à fait d’ailleurs, mais pas encore dans votre lit, à ce que je sache ! Alors on se calme un peu, ok ?— Pas besoin d’un lit, vous savez !— Mais oui, mais oui !Il ouvre la porte, il l’invite de la main à entrer. Avec perplexité, elle hésite. Un dernier regard dehors, des enfants s’amusent, des adultes causent. Elle se dit alors que si elle hurle, il y aura bien quelqu’un pour venir à son secours. Alors elle se décide.— Vous voulez boire quelque chose, Varina ?— Oui, quelque chose de frais ! Vous avez quoi ?Il se dirige alors vers un très gros meuble métallique et massif à deux portes qu’il ouvre. Elle s’exclame :— Mais, c’est un frigo, ce gros truc ?— Un réfrigérateur américain. C’est assez rare dans le secteur, je le reconnais.— Vous avez les moyens !— Non, un paiement « en nature » d’un client.Elle répond, un peu sarcastique :— Ah bon, vous faites dans les rétributions « en nature ».— Parfois. Mais avec vous : toujours.Elle rougit un peu. Il en profite pour lui montrer ce qu’elle peut boire. Elle se décide alors pour un Coca. Il lui désigne ensuite une porte ; peu après, ils sont assis dans le salon, l’un en face de l’autre, la baie vitrée, grande ouverte, une petite brise se faisant sentir.Elle pose alors son sac informe dans un coin et s’avance ensuite dans le salon.Détendue, elle dialogue avec lui de tout et de rien. Puis, petit à petit, la conversation glisse sur elle. Varina finit par raconter sa vie, une vie pas très folichonne, de son enfance à Robert ; il l’écoute avec attention. Le temps passe doucement, une bonne heure, presque deux…Après avoir bu un autre verre et posé celui-ci sur la table basse, elle soupire, toute menue dans le vaste fauteuil orange :— Pour faire bouillir la marmite, j’ai commencé à faire des ménages ci et là, et bien sûr, comme débutante, j’ai eu droit à de belles saloperies à nettoyer ! Mais il faut bien commencer quelque part, non ?— C’est vrai…— Puis petit à petit, j’ai pu mener ma barque. Je suis maintenant une sorte de secrétaire bonne à tout faire, mais au moins, voyez-vous, Carol, j’ai un salaire fixe à la fin du mois, même s’il n’est pas mirobolant. En tout cas, c’est quelque chose de concret, et non pas toutes les fumisteries rêveuses de mon ex !— Votre ex, dites-vous ? On dirait que le vent tourne, Varina…Elle met sa main sur sa bouche, stupéfaite. Elle ne répond pas tout de suite, se contentant d’un sourire coincé. Puis elle reprend :— Robert, il ne fout rien. Il n’a jamais rien foutu ! Il était en recherche, me disait-il. Il a même monté un beau jour son magasin. Mais voilà, on ne peut dépenser que ce qu’on a pu gagner. Résultat, quelques mois plus tard, il a bien fallu mettre la clé sous la porte. Le pire, c’est que c’était moi la responsable et pas lui !— Comment ça ?— J’aurais dû abandonner mon travail, peut-être minable mais concret, et faire finalement tout le boulot tandis que môssieur commandait, assis béatement sur son cul, vautré dans son fauteuil en cuir !— Le beurre et l’argent du beurre…— Vous oubliez la crémière, parce que le rôle de la secrétaire sexy agenouillée sous le bureau, c’était aussi pour ma pomme !Il sourit, imaginant la scène. Elle se récrie :— C’est ça, rigolez ! Ces hommes, tous pareils !— Avouez que ce n’est pas désagréable à subir…— Ça dépend qui est du bon côté du manche !Il rit de bon cœur, elle en fait de même, innocemment. Soudain, inquiète, elle consulte l’heure, elle s’exclame :— Il faut que je prévienne Robert !— Est-ce vraiment indispensable ? Je crois savoir qu’il vous a déjà plantée sur place lors d’une braderie, non ? C’est vous qui l’avez dit. Sans parler de toutes les fois où il vous a flanquée dehors, c’est même pour cela que vous vous baladez perpétuellement avec votre grand sac…— Ce n’est pas parce que c’est un tordu que je dois être pareille ! Il faut le prévenir ! On peut pas téléphoner à quelqu’un du coin pour qu’il aille le prévenir ?— Si on pouvait avoir un téléphone sans fil dans la poche, ça serait plus simple. Mais, mis à part les militaires et certaines personnes très fortunées, sans parler du fait que c’est gros comme une valise… Peut-être qu’un jour, dans vingt ans ou trente, on ne sait jamais… Bon, je pense qu’il y a moyen de le prévenir, mais je ne garantis rien. On lui dit quoi, au fait ?— Euh… C’est-à-dire que…— Varina, vous restez ou vous rentrez ?Elle écarquille les yeux, elle vient de s’apercevoir que, finalement, elle ne sait pas bien sur quel pied danser. Carol le remarque aussitôt, il se dit qu’il a sûrement une carte à jouer. Mais il ne sait pas bien quand et comment l’abattre, tout est si tergiversant… De son index, il remonte ses lunettes puis il se lance :— Je propose que vous restiez la journée, et si je dois vous raccompagner, pas de problème.— J’habite assez loin, vous savez…— À peine à trente kilomètres. Quand je dois visiter des clients ou des prospects, trente kilomètres, ce n’est rien du tout !— Ça en fait quand même soixante, aller et retour. C’est beaucoup, là.Il se lève de son fauteuil et s’approche d’elle et lui glisse :— Eh bien, si le kilométrage de ma voiture vous importe tant, restez donc définitivement ici, comme cela, je n’aurais plus à vous reconduire.— Mais… vous… vous plaisantez, là !?— Alors, vous décidez quoi ? Je vous garde pour la journée, pour deux jours, une semaine, un mois, un an, une vie ?— Oh arrêtez ! Je ne sais plus quoi penser !— Eh bien, laissez-moi penser pour vous : restez.— Mais… et mon travail ?— Prendre le train vers le nord, ou le prendre vers le sud, ça change quoi ? Votre travail est situé exactement à mi-distance entre votre ancien chez-vous et votre nouveau chez-vous.— Mon nouveau chez-moi, vous allez un peu vite, là !— J’espère bien qu’à terme, ce sera vite le cas. Excusez-moi de vous le dire ainsi, mais je constate que vous avez maintenant votre travail en ligne de mire, et non plus le fait de retourner chez votre « ex », comme vous le dites si bien.Elle lève les yeux au plafond, la tête renversée sur le haut du dossier, puis se tourne vers lui :— Carol, on peut discuter sérieusement pour une fois ?— Si vous le voulez…— Mettons les choses à plat, mais n’en tirez pas de conclusion hâtive. Toute cette petite histoire depuis tout à l’heure m’a fait constater que je devais sûrement aller voir ailleurs, mais je n’osais pas franchir le pas. Je sais très bien que Robert, ce n’est pas la panacée, mais j’avais au moins une sorte de chez-moi avec lui, un toit. Et puis, partir pour aller où ? À l’hôtel ? Trop cher. En foyer ? Non, plus jamais ! Pas de famille proche, pas vraiment d’amis, à peine des collègues de travail. Un tableau pas très reluisant…— C’est vrai que… dans ces conditions…— Je sais… Je ne le sais que de trop ! Bon, Carol, écoutez-moi bien, j’ai quelque chose à vous demander : vous accepteriez une… une colocataire chez vous ? Je payerai un loyer, ou je participe aux frais. Mais, je dis bien mais, je ne me jette pas pour autant dans vos bras ! Si vous refusez, je comprendrai parfaitement.— Oui.Elle le regarde fixement, le temps passe. Elle finit par demander :— Votre réponse, c’est quoi ?— J’ai déjà répondu, il me semble…Elle s’enfonce un peu dans le fauteuil, intriguée :— Comment ça, vous avez déjà répondu ?— Il me semble avoir déjà dit « oui ».— Mais… mais je croyais que c’était pour le fait que… si vous refusez…— Non, c’était « oui » pour votre colocation.— Non !? Vous êtes d’accord ? Mais, pas de… enfin… comment dire… pas dans votre lit, vous savez…— Tout arrive à point pour qui sait attendre…— L’espoir fait vivre, Carol…Il s’approche d’elle, s’asseyant sur l’accoudoir, un bras sur le dossier ; elle recule encore un peu, par instinct.— Pas de problème pour que vous soyez ma colocataire, Varina. Mais j’aimerais sceller notre contrat par un petit bisou.— Mais !? Comment ça, un bisou ? Vous profitez de la situation !— Oui et non. Tout ce que je demande, c’est un petit bisou, furtif même, sur les lèvres. Votre bisou à vous. Ou bien, vous avez confiance en moi, et vous savez que je ne tenterai rien. Ou bien, vous n’avez pas confiance en moi, et la colocation sera un enfer pour vous, à être toujours sur vos gardes.Elle pèse le pour et le contre. Elle se lève alors pour échapper à sa dangereuse proximité, se plante au milieu du salon ; il se relève, la suit du regard, elle se retourne puis lance :— Juste un petit bisou, sans plus ?— Oui, Varina, juste un petit bisou, sans plus.— Pour vous prouver que… que j’ai confiance en vous. Vous avez des contrats étranges !— Comme déjà dit : Ou bien, vous avez confiance en moi. Ou bien, vous n’avez pas confiance en moi. C’est tout simple. Je vous avoue que je préférerais en obtenir plus de vous, mais je n’ai pas envie de vous voir fuir. Et si je puis me permettre, comme je suis nettement moins pire que qui vous savez, j’ai toutes mes chances. D’ailleurs, si vous n’avez pas un peu confiance en moi, vous ne m’auriez jamais proposé une colocation. Je me trompe ?— Vous n’avez pas faux… Je ne devrais pas vous le dire, mais quelque part en moi, quelque chose me dit que je peux vous faire confiance.— Alors tout est bien qui finit bien !Elle se pince alors les lèvres, prend son courage à deux mains puis s’approche de lui. Elle le regarde intensément, il a quelques difficultés à rester impassible. Elle met ses bras nus, ses mains derrière son petit short blanc, se dresse sur la pointe des pieds et dépose un petit baiser sur ses lèvres. À son propre étonnement, leurs bouches restent délicatement collées un peu plus que de nécessaire. Lorsqu’ils se séparent, elle ne peut pas décrocher son regard du sien, elle en frissonne et rougit violemment. Alors, prestement, totalement écarlate, elle sort de la pièce en courant. Il reste figé sur place, assez surpris, lui-même. –ooOoo–Ça va faire un peu plus de deux semaines qu’elle vit chez Carol. Elle a choisi sa chambre parmi celles qui étaient disponibles. C’est à la sauvette qu’elle est repassée, la première semaine, un mardi, chez Robert, profitant d’une de ses nombreuses tournées dans les bars pour prendre ses affaires et laisser un petit mot sur la table de la cuisine.Elle a alors constaté que sa vie tenait finalement dans une toute petite valise… Elle en a eu un petit coup de déprime. Elle s’est vite reprise.Deux semaines que tout va bien. Non, il n’a pas été la surprendre en pleine nuit dans sa chambre, ni dans la salle de bain ou ailleurs. Enfin, pas encore… Oui, il n’hésite pas à faire certaines allusions, gentilles en général, parfois à double sens. Oui, il continue d’évoquer le fait qu’elle puisse rester ici très longtemps, sans payer de loyer, chambre commune. Mais sans plus.Carol est souvent à la maison, son travail consiste à écrire des programmes de gestion pour gros systèmes. Mis à part quelques rendez-vous et réunions, il peut travailler chez lui grâce à un petit système et deux terminaux.Un « don » de son principal client, cadeau pas tout à fait désintéressé… C’est un homme assez méticuleux, limite maniaque pour certaines choses, la maison reste toujours impeccable, elle n’a pas souvent à faire de ménage quand elle rentre. Finalement, elle ne s’occupe que de sa chambre. Et parfois de quelques commissions.Bref, tout va bien, elle se sent plus détendue, calme et sereine. Le dernier samedi, elle a même été faire des emplettes en vêtements divers, des choses qu’elle n’aurait jamais eu l’idée d’acheter, il y a quinze jours.Maintenant, elle a enfin plus d’argent en main, son « loyer » étant plus que modéré ! D’ailleurs, ça la gêne, elle se sent comme liée, mais impossible de faire entendre raison à Carol, en ce qui concerne un tarif plus actualisé et conforme aux contraintes du marché, la crise pétrolière qui débute entraîne d’ailleurs peu à peu une inflation galopante.Certaines mauvaises langues prophétisent même la fin des jours heureux. Varina s’en moque, c’est maintenant qu’elle vit enfin ses jours heureux, même si sa colocation avec Carol lui semble particulièrement ambiguë…C’est à ça qu’elle songe alors qu’elle se regarde dans la glace de la salle de bain, son visage lui parait si différent. Il est vrai que depuis qu’elle habite ici, plein de menus détails ont changé, elle se sent nettement plus libre. Elle s’adresse alors à son reflet :— Oui, ma fille, la situation est étrange mais je ne m’en plaindrai pas, vu ce que je vivais avant…Ce mercredi en fin d’après-midi, il y a beaucoup d’enfants qui jouent dehors, dans cette cité nouvellement bâtie. La plus vieille des maisons doit avoir cinq ans au plus. Certains jardins sont restés des monticules de terre. D’autres sont déjà des pelouses fournies, comme chez elle, non, comme chez Carol.C’est en petit short rose et T-shirt blanc qu’elle s’aventure sur la terrasse ; Carol y étant déjà, livre en main, plein de papier listing sur la table.— Tiens, tu es exactement à l’inverse de notre rencontre !À présent, ils se tutoient, ça simplifie les choses. Elle jette un rapide coup d’œil sur sa propre tenue :— Ah oui, c’est vrai ! Tu as de la mémoire !— Le premier jour que j’ai pu t’avoir enfin un peu à moi, ça marque ! Tu ne crois pas ? De plus, tu étais très mignonne, comme toujours d’ailleurs.— Flatteur, va !— Le short rose et le T-shirt blanc, ce n’est pas mal du tout, loin s’en faut. Le rose serait un peu moins soutenu que de loin, on pourrait croire que tu n’as rien en bas !— N’importe quoi !Il lui tend un verre, elle le remercie, puis s’accroupit à la limite entre la terrasse et le gazon. Elle regarde le bleu du ciel, pensive. Elle entend un déclic d’appareil photo. Elle ne dit rien, elle commence à avoir l’habitude, lui et sa manie de faire des polaroïds pour un oui ou pour un non.« Capturer l’instant fugace » dit-il. Étrange homme qui semble toujours agir comme si elle pouvait partir demain, alors qu’il sait très bien qu’elle ne veut pas retourner à son ancienne vie.— Tu ne te lasses pas, Carol ? Tu fais quoi de toutes ces photos ? Tu les empiles dans un carton ou quoi ?— Je tapisse petit à petit mon bureau… ça me fait des économies de papier peint !— N’importe quoi ! Enfin bref ! Ça doit te coûter une fortune en consommables, à moins qu’il ne s’agisse encore d’une rétribution « en nature »…— Bien vu !— J’aurais dû m’en douter !Elle l’entend qui vient vers elle, il dépose la photo révélée entre ses mains.— Vois-tu, Varina, à défaut de l’original, je me contente des instantanés…Malgré elle, elle rougit. Elle soupire, photo en main :— Les choses sont mal faites, Carol, tu aurais dû apparaître dans ma vie, il y a six ans environ.— Désolé ; si j’avais pu prévoir, je me serais fait un plaisir d’aller me mettre en travers de ta route à l’époque !Elle se lève, lui redonnant l’instantané, puis elle déambule vers le milieu du jardin, sans cheminement bien rectiligne, comme pour apprécier l’instant qui passe. Elle regarde alentour : mis à part quelques routes de légumes au fin fond, tout est occupé par du gazon, diverses fleurs et quelques arbustes. Ensuite, un champ. Il la suit à distance, elle se retourne pour lui parler :— Même pour le jardin, tu as bien choisi… il est parfaitement clos, dans cet angle de la rue, personne pour voir chez toi.— Tu commences à me connaître : avant de faire certaines choses, je me documente à fond et je calcule tous les paramètres. Je ne suis pas dans les gros systèmes pour rien…— Et moi… tu m’as… « calculée » ?Il se racle la gorge :— Ah-hem… En quelque sorte…Puis, comme très souvent, de son index, il réajuste ses lunettes. Elle s’en amuse :— Toujours ce tic…— On ne se refait pas…— Colle-les sur ton nez ou resserre-les, ça sera plus simple.— Mais moins amusant…Elle s’accroupit pour mieux admirer quelques fleurs :— Je présume que tu tiens ton don pour le jardinage de ta mère, les anglais sont réputés pour cela, surtout pour le gazon.— Sans doute… J’ai toujours aimé faire pousser des plantes, fleurs ou légumes, pour la beauté et aussi pour le côté pratique.— Tu as eu de la chance, un père français, une mère anglaise, tu as même vécu en Espagne durant quelques années. Résultat, tu parles trois langues majeures, les doigts dans le nez.— Ce n’est pas évident de parler avec des doigts dans le nez, tu sais…— Andouille, va !Malgré elle, malgré la bonne humeur ambiante, elle fronce les sourcils. Les parents, ses parents, ce n’est pas un sujet qu’elle aime évoquer, se souvenir par ricochet, même en parlant de ceux des autres. Elle penche la tête pour ne pas qu’il la voit ainsi. Elle fait semblant de s’absorber dans la contemplation des fleurs multicolores.Il pose sa main sur son épaule à demi-dénudée, elle sursaute un peu. Elle tourne la tête vers lui et lui sourit. Il se penche et, avec un naturel désarmant, il l’embrasse délicatement. Figée, surprise, elle se laisse faire.Leurs lèvres s’écartent, elle ne réagit toujours pas.— Tu étais un peu triste, j’ai voulu chasser tes idées sombres…Elle ne répond pas, le regardant au fond des yeux, toujours accroupie au sol.Carol ne sait pas bien ce qu’il doit faire maintenant. Est-ce le bon moment ? Lui, son domaine, ce sont les machines, des zéros et des uns. Ça, il connaît sans problème. Par contre, en femmes, c’est tout autre chose. En attendant, il pose un genou par terre pour mieux consolider sa position.— Embrasse-moi ! dit-elle simplement.Carol en reste tout interdit. Néanmoins, il entoure ses épaules de son bras, l’attire légèrement à lui puis pose ses lèvres sur les siennes. Elle répond à son baiser.Peu après, ils roulent enlacés dans l’herbe, elle sur lui, lui sur elle, sans que leurs bouches ne se séparent, se goûtant l’un l’autre, se dévorant mutuellement, voracement, éperdument, pour étancher, assouvir leur soif infinie juste après être sortis d’un long désert aride.Oui, il a soif, tant soif d’elle, elle a tellement faim de lui. Sans égard, il plonge dans son cou et embrasse sa nuque, ses épaules avec passion, elle se laisse porter par le courant, sentant la bouche enfiévrée poser de multiples marques brûlantes sur sa peau frissonnante.Peu après, son T-shirt blanc voltige dans les airs puis atterrit sans délicatesse parmi les fleurs. Frénétique, son nez plongé entre les seins, il couvre la moindre parcelle de peau de baisers avides. Elle en veut, elle en reveut, elle désire, elle exige cette passion qu’elle inspire, elle veut tout prendre, rien que pour elle !Tel un loup affamé, Carol la dévore, l’incendie.Son soutien-gorge suit le même chemin que le T-shirt, mais elle s’en fiche, elle se laisse consumer par les nombreux baisers enflammés, sa chair frémit, son âme vibre, elle vit un gigantesque embrasement.Ses seins sont mordillés, ses tétons sont croqués, des mains insatiables les caressent, les malaxent. Dans un nouvel ouragan, elle est couverte de baisers du front au nombril, Carol n’oublie aucun coin et recoin entre les deux, aucun répit. Elle en étouffe presque : c’est à la fois si bon et si suffocant !L’instant d’après, son short rose et sa petite culotte s’évanouissent de concert. C’est à présent une langue agile et fouineuse qui explore son intimité, de longs frissons la parcourent, intenses. Elle plante ses doigts dans la pelouse, tant l’effet est fort, intense, intenable !Elle pourrait chasser l’intrus qui fourrage en elle impunément, mais c’est trop bon, trop délicieux, trop…Oh oui, trop !Elle explose une première fois dans mille gémissements, son corps se cabre, ses muscles tendus à l’extrême font mal, un plaisir et une douleur mélangés… Non, oh c’est trop, trop ! Elle tente d’écarter la tête nichée entre ses jambes, mais une langue vicieuse a d’autres projets pour elle !Elle a alors un hoquet de surprise quand une chose chaude et humide s’empare à nouveau de son petit bouton rosé et joue impitoyablement avec. Elle suffoque, sa respiration courte, un poids énorme sur la poitrine, elle perd pied, elle aspire autant qu’elle peut l’air qui se refuse à elle, puis comme un arc dont la corde cède soudainement, son corps tressaille violemment, sursaute, mille éclairs dans les yeux, mille piqûres dans les entrailles, elle crie son plaisir, elle le crie longtemps, comme si elle plongeait dans un puits sans fin… –ooOoo–Une semaine s’est écoulée, le temps est toujours au beau fixe, ils passent beaucoup de temps dans le jardin. Elle adore ça, elle qui n’avait qu’une vieille maison croulante au fond d’une cour pavée, sans même un mètre carré de verdure, mis à part quelques pots de fleurs rachitiques.Aujourd’hui, ils viennent de manger dehors. La table débarrassée, Varina fait quelques pas dans le jardin, s’étirant comme une chatte après sa sieste. Carol la regarde, attendri. Mais il sent depuis ce matin que quelque chose la tracasse.Les yeux perdus dans le vague, elle dit alors :— Je suis étonnée que Robert n’ait pas cherché à me retrouver… Pourtant, il connaît l’endroit où je travaille, il a même le numéro de téléphone de mon service…— C’est trop lui demander, il doit simplement attendre que tu reviennes, puisque tu n’es rien sans lui.— Tu as de la mémoire…— J’ai de la mémoire quand ça va dans mon sens… et dans le tien, Varina.— Tu es… sélectif, très sélectif !Elle s’assied à même le gazon :— Il m’a déjà foutue dehors plus longtemps que ça. Quatre semaines, presque un mois, il me semble. Et puis, il a des sous en réserve, les factures, ce n’est pas pour tout de suite…— Tu as un prélèvement automatique ? Ça existe depuis peu mais c’est pratique.— Tu veux rire ? C’est déjà bien beau que j’aie un compte chez l’Ecureuil ! Non, non, je fais des chèques à chaque fois. Enfin, quand j’avais des sous !— Et tu n’as rien laissé là-bas ?— La première fois que Robert m’a fichue à la porte, je n’avais rien sur moi. Rien de rien. Après, je me suis méfiée ; depuis, j’ai toujours mes papiers sur moi.— Ah oui, le fameux cabas !Elle ne répond pas. Elle frisonne malgré elle. Il s’agenouille à ses côtés, intrigué. Elle se tourne alors vers lui :— Tu sais, Carol, j’ai peur…— Peur !? Mais de quoi ?— Pas de toi… mais de lui…— Comment ça, de lui ? De Robert ?— Oui.Il s’approche d’elle et la serre dans ses bras, elle se laisse aller.— Je suis là pour te protéger…— Je sais… mais, tu sais, avec lui, on ne sait jamais… quand il aura réalisé que je ne reviendrai plus jamais, quand les premières factures seront là, quand il verra qu’il n’a plus d’argent, plus de sortie, de bistrot, de fille facile…— De fille facile ?Elle se blottit plus encore contre lui.— Je n’étais pas aveugle, tu sais…Il ne répond rien, il la serre encore plus contre lui.— Oublie ça…— Je sais…Elle se laisse aller, lève son visage vers lui et tend ses lèvres…Il s’exécute aussitôt. –ooOoo–Ça n’a pas manqué, l’argent évaporé puisqu’elle ne revenait pas, Robert commença sa politique de harcèlement, passant de l’injure aux larmes avec une facilité confondante.Le téléphone sonna souvent dans les différents services de l’entreprise où travaillait Varina, il se répandait alors en flots d’injures, de mensonges, d’affirmations outrancières. Personne ne le croyait, tant ses « révélations » étaient trop extrêmes ou monstrueuses, mais le climat s’assombrissait, et Varina en souffrait.Plus d’une fois, il vint l’attendre à la sortie, plus d’une fois, divers collègues, même une fois la police, durent intervenir. Rien n’y faisait, il revenait toujours à la charge, comme une sangsue assoiffée.Ses délires escaladaient jour après jour de nouveaux sommets. Varina savait par certaines sources que ses ardoises étaient énormes, que de moins en moins de bistrots et autres bars l’acceptaient.Doucement mais sûrement, beaucoup de ses connaissances se détournaient puisqu’il n’avait plus d’argent. Sans argent, on n’est rien dans ce monde-là. Rien du tout.Bien qu’elle le lui cachât au début, Carol ne fut pas long à comprendre. Varina eut toutes les peines du monde à l’empêcher d’aller directement mettre les choses au point avec Robert.Faisant de grands gestes, Carol est totalement furieux, elle tente de le calmer :— Non, Carol, ça n’en vaut pas peine !— Ah oui ? Tu as vu dans quel état tu es ? Ça ne peut plus continuer !— Il se lassera… il se lassera…— Tu te fais des illusions, ma chérie : il se croit tout permis ; de plus, comme il ne sait remuer le petit doigt pour travailler, il veut récupérer à tout prix sa source réelle de revenus. D’après ce que tu m’as dit, il devient peu à peu un paria. Et ça, il veut te le faire payer !— Il se lassera… Et puis, il ne sait toujours pas où j’habite actuellement.— Il finira par le savoir. Pour l’instant, tu as toujours réussi à lui filer entre les doigts à la gare. Mais un jour, il finira par venir ici.Elle pleure doucement dans le fauteuil, sa tête dans les mains :— J’aurais jamais dû te suivre ! J’aurais dû rester avec lui. Je… j’aurais dû garder ma vie d’avant, ce n’était pas la joie mais ça allait quand même…— Arrête tes bêtises ! Tu es nettement plus heureuse avec moi qu’avec lui. Ose dire le contraire en me regardant dans les yeux !Prostrée dans le fauteuil, elle ne répond pas, continuant à sangloter sans bruit. Il s’approche d’elle, doucement, il s’agenouille face à elle, lentement. Elle se jette dans ses bras, se vidant de toutes ses larmes, sans répit, tel un ciel de déluge, sans fin…Le lendemain, Robert l’agresse, portant la main sur elle… –ooOoo–Un petit commissariat de quartier, comme il y en a tant dans ces années 1970, aussi intégré dans le décor qu’une boulangerie, une épicerie, une boucherie ou un café. Un de ces commissariats où le quidam entre pour demander sa route ou simplement tailler une bavette…— Dubois, vous faites quoi, là, à tourner en rond ?— Euh Chef, bin… j’attends…— Et vous attendez quoi, mon petit Dubois ?— Euh… c’est-à-dire… qu’euh…— Ne me dites pas que vous attendez bien tranquillement que l’heure tourne afin de rentrer chez vous ? Hum ?— Euh, bin oui, euh non, Chef !Le commissaire soupire :— Eh bien, mon petit Dubois, allez donc faire un tour dans le quartier pour voir si la force publique ne peut rien faire pour nos concitoyens…— La force publique ?Le commissaire re-soupire :— Oui, mon petit Dubois, la force publique, nous, vous, moi, les flics…— Ah ! Nous !Une fois le subordonné parti, le commissaire soupire une troisième fois :— Avec ce fichu Dubois, je ne suis vraiment pas aidé ! Bon, il est vrai aussi que rien ne se passe jamais par ici !L’avenir allait lui démontrer que si. –ooOoo–Le nez en compote, Robert gît par terre, contre le mur ; péniblement, il tente de se redresser. Il s’essuie la bouche et constate que sa manche est ensanglantée. Rageur, il aboie :— Dégage, t’es chez moi !— Je ne te le redirai pas une seconde fois : si tu emmerdes encore une seule fois Varina, je te tue. Point barre.— C’est ma femme, c’est moi qui l’ai sortie du ruisseau ! Sans moi, elle ne…Une canette explose sur le mur dans une gerbe de bière, au-dessus de sa tête. Hébété, ses rares cheveux à présent mouillés, il regarde l’inconnu aux cent francs s’approcher de lui à pas lents, étrangement calme. Instinctivement, il se recroqueville, il se doute très bien que ce genre d’individu peut être dangereux, il en sait quelque chose, il a trop participé à des rixes de bar pour l’oublier. Carol campe devant lui, le visage de marbre :— Tu l’as sortie du ruisseau, soit. Mais depuis le temps, tu t’es largement rétribué sur ton compte, non ?— C’est moi, son mec ! Elle me doit tout, elle ne peut pas me laisser comme ça sans fric ! Moi, je lui ai tout donné alors qu’elle n’était rien ! T’en sais quoi, toi !?— Écoute, je sais tout ce qu’il y a à savoir. Moi, j’estime qu’elle ne te doit plus rien, solde à zéro. Je comprends parfaitement que tu n’apprécies pas de ne plus avoir la belle vie, de ne plus sortir quand bon te chante, et d’avoir des tas de factures à régler. Mais voilà, tu as trop joué au con, maintenant, tu assumes.— C’est moi, son légitime ! Elle me doit tout, je l’ai sortie du…Une claque le fait taire.— Tu te répètes… Bon, maintenant, j’y vais. Désolé pour le chambard, mais vu l’état général de ton taudis, ça ne change pas grand-chose ! Tu ferais mieux de te laver, de laver ton linge, ta vaisselle et aussi par terre ! Bye !Carol lui tourne le dos, prêt à partir. L’autre se remue un peu, rageur et craintif :— Salaud, pourritu…Carol se retourne, l’autre se tait aussitôt, se ratatinant tel un rat dans son trou. Après un dernier regard méprisant, il lui tourne à nouveau le dos.— À ne plus jamais te revoir, lance Carol s’apprêtant à quitter la pièce.C’est alors que, brusquement, Robert se redresse sur ses pieds, se rue sur lui, empoignant au passage un couteau qui traînait sur la table. –ooOoo–Varina vient juste de rentrer. Elle s’étonne de ne pas voir Carol.— Il est passé où ? Il ne m’avait pourtant pas dit qu’il avait un rendez-vous, aujourd’hui ! Bah, un truc de dernière minute, sans doute…Assez intriguée, elle entre dans la cuisine et découvre un petit papier sur le grand réfrigérateur. Elle y lit :— Problème avec un client, serai de retour avant ce soir. Bisous ma chérie !Elle pousse un soupir de soulagement. Elle se sert un verre, songeant d’un coup que Robert n’a rien tenté aujourd’hui. Pourtant, en général, il se fend au moins d’un coup de téléphone incendiaire en fin de matinée ou début d’après-midi. Un répit ?— Oh que j’aimerais qu’il me fiche définitivement la paix, ce con !Elle ouvre la porte de leur chambre. Oui, leur chambre, leur lit… Elle rougit un peu à l’évocation de ce qu’ils ont pu faire dans ces mêmes draps ! Elle n’aurait pas pensé qu’on puisse se laisser tant aller ! Et elle redemande ! Et elle se sent plus légère, plus dynamique, plus belle, plus tout ! Décidément, l’amour, ça a du bon !Elle ôte ses habits, se change et met une tenue nettement plus décontractée. Puis, une bonne heure passe, elle attend, livre en main dans le salon, que son homme revienne.— Mon homme… je deviens possessive, moi ! songe-t-elle, un fin sourire aux lèvres.Une autre heure passe, elle commence à s’inquiéter : Carol n’a pas pour habitude de traîner dehors, surtout depuis que… oui, depuis qu’ils font chambre plus que commune… –ooOoo–Dans un petit commissariat de quartier…— Chef, c’est le Robert, décès par fracture du crâne, j’en reviens.— Robert ? Le brocanteur ?— Oui, Chef. Les gens du quartier s’étonnaient de ne plus le voir, et surtout de ne plus l’entendre « gueuler », comme on dit. Faut dire que comme chercheur d’emmerdes, il était fort, le Robert.— Quand vous écrirez votre rapport, Dubois, essayez d’utiliser un autre vocabulaire…— Euh oui, Chef… Euh, j’explique la situation : Le Robert, il fait un vol plané, son crâne droit vers le coin de sa cuisinière à charbon, le gros modèle en fonte de nos grand-mères. Et ça n’a pas loupé, il s’est ouvert le crâne, on lui voyait même la cervelle, ça dégoulinait de partout, Chef, et aussi que…— Épargnez-moi les détails, Dubois !— Désolé, Chef. Le problème, c’est que, le Robert, il est solide… il a été seulement assommé, il a perdu beaucoup de sang, y avait une sacrée flaque, Chef ! J’avais jamais vu ça ! Puis il a réussi à ramper pour tenter de sortir de chez lui, j’vous dis pas la trace, Chef ! On l’a retrouvé à un mètre de sa porte, mais dans l’état où il était, il ne pouvait pas atteindre la poignée. Et je ne sais pas s’il a pu avoir la force de crier… Et comme il avait la marotte de gueu… euh, de brail… de hurler pour un oui ou pour un non…Le chef regarde son subordonné, pensif, jouant avec un crayon :— Dubois, c’est vraiment un accident ou…— C’est vraiment la cuisinière à charbon qui lui a ouvert le crâne, pas de doute, il y a des traces évidentes. On a peut-être aidé les choses : le Robert, il avait la tronche amochée. Mais ces derniers temps, on m’a confirmé qu’il cherchait des noises à tout le monde. Il est sans doute rentré chez lui, la gueule… euh, la tronche, la figure en compote.— Décidément, Dubois, essayez de mieux choisir vos mots dans un dictionnaire pour votre rapport… Continuez…— Perso, Chef, moi, je pense qu’il a marché sur une canette, il y en a partout ! Sa case, c’est une porcherie ! On voit bien que sa meuf s’est tirée depuis un certain temps. Tout est crade, plus une assiette de propre ; l’évier, c’est une infection.Le chef se redresse, l’oreille aux aguets :— Sa légitime est partie ?— Tout le quartier est au parfum, Chef ; elle en a eu marre, sa femme, il y avait de quoi ! Au début, le Robert, il a dit « bon débarras », mais c’est elle qui faisait bouillir la marmite, et le Robert, il ne sait pas garder du fric dans les mains, ça le brûle. Bref, tout le monde savait qu’il essayait de la récupérer. On a même eu un rapport des collègues sur ses exatations.— Exaltations, mon petit Dubois, exaltations, avec un « L ». Consultez votre petit Robert…— Euh, je comprends pas bien, Chef. Oui, le Robert, c’était un petit trapu, mais là, je ne pige pas…— Laissez tomber, Dubois, c’était une tentative d’humour…Un silence, le chef cogite, le subordonné attend.— Dubois, vous en pensez quoi, vous ?— Ben, comme je vous l’ai déjà dit, Chef, je pense que, le Robert, il a marché sur une canette et il a été dire bonjour au coin de la cuisinière en fonte. Et comme il devait être bien bourré et castagné quand il est rentré chez lui, il n’a pas pu éviter. Bref, un truc d’ivrogne, une fin à la con. Ah ça, personne ne le regrettera, sauf les patrons de bistrot ! Et encore ! Le Robert, il n’avait plus de fric… Enfin, le médecin légiste nous dira quoi, Chef.— Oui, le médecin légiste nous dira sûrement quoi. Mais je pense que vous avez raison, Dubois. Attendez un peu qu’on en sache un peu plus avant de remplir votre rapport.— Euh, Chef, je suis vraiment obligé de le faire, ce rapport ? Vous savez, je tape avec un doigt, moi ! La paperasserie et moi, ça fait deux…— Dubois, si vous voulez vous élever un peu dans la hiérarchie, et donc gagner un peu plus, il vous faudra, hélas, noircir du papier. Commencez dès maintenant, et ça ira bien mieux ensuite. Quand vous aurez mon âge, vous verrez que j’avais raison. C’est pareil chez les gendarmes et les CRS. Allez, faites-moi un beau rapport dès que le légiste aura communiqué ses conclusions, mon petit Dubois.— Oui, Chef. Vous avez raison, Chef. –ooOoo–À son travail, Varina eut la visite de deux agents qui lui notifièrent le décès de son ex, puis qui l’interrogèrent pour la forme, prenant au passage une photo d’elle pour le rapport. Une fois ceux-ci partis, sa chef de service, qui avait assisté à l’entrevue, dit simplement :— Une bonne chose de faite !Varina ne répondit rien, abîmée dans ses pensées, à la fois soulagée et triste. –ooOoo–Une petite cité au calme. Une chambre plutôt agitée…Allongée dans les draps froissés, Varina récupère, les bras en croix. Carol en fait de même, reprenant son souffle, les yeux contemplant le plafond. Puis il bascule sur le côté pour prendre quelque chose sur sa table de chevet. Elle tourne la tête au même moment, et constate à nouveau cette curieuse éraflure, ce trait rouge sous les côtes.— Tu veux à boire ? demande Carol.— Ah oui, donne ! Merci.Elle boit à son tour ; faire l’amour lui donne toujours soif, elle qui ne boit pourtant pas grand-chose durant les repas et en dehors. Elle lui redonne la bouteille d’eau. Elle se lève ensuite, il la suit des yeux, son corps nu, ses courbes qu’il adore. Elle regarde dehors à travers les jours du volet roulant. Sans se retourner, elle se met à parler :— Ça va faire maintenant presqu’une semaine que Robert n’est plus. Je sais, tu me diras que ce n’est pas le moment, mais je viens d’y penser. J’aurais bien été à son enterrement mais je me doutais bien qu’on m’attendait, factures en main.— C’est vrai qu’il a laissé plein d’ardoises partout…Varina regarde alors le plafond, si blanc, si pur :— Étrange quand même… mille fois, j’aurais bien voulu qu’il meure et maintenant que c’est fait…— Tu le… regrettes ?— Je regrette surtout d’avoir perdu tant d’années avec lui… mais ce qui est fait est fait, et on ne peut pas revenir sur ses pas, vers le passé.— Hélas…Elle se tourne vers lui, puis s’agenouille sur le lit, le dominant de toute sa hauteur. Carol la regarde, la tête toujours enfoncée dans l’oreiller, les bras le long du corps. Puis, féline, elle se met à quatre pattes et avance lentement vers lui. Il sait qu’une nouvelle bataille sensuelle et charnelle commence…Nue, elle s’accroupit sur son bas-ventre, les fesses posées sur la tige encore molle de son amant. Celui sent nettement son intérêt remonter. Elle le regarde, les yeux luisant, la bouche gourmande :— Maintenant que tu m’as réveillée, il va falloir assumer jusqu’au bout !— J’ai toujours assumé…— Alors prouve-le !Et il le lui prouva. De fort belle manière… –ooOoo–Elle sort de la cuisine, le panier à linge dans les bras. Elle passe à côté de Carol agenouillé dans l’herbe en train de s’occuper des fleurs qui bordent l’impeccable pelouse verte. Elle lance négligemment :— Ah, au fait, quand tu veux un chiffon, évite d’utiliser une chemise neuve…— Euh ?— Oui, tu sais, cette chemise-là…Elle pose le panier dans l’herbe puis lui met quelque chose sous le nez. Il répond :— Ah… celle-là… Elle était abîmée, c’est pour cela que j’ai utilisée. Je croyais l’avoir mise à la poubelle.— Eh bien, non, mon cher, elle traînait dans le garage.— Ah bon ?— Oui, et ça ne te ressemble pas… tout comme cette zébrure sur ta peau, celle en dessous de ton bras…— Ah euh… un rosier…Elle le regarde d’un air étrange, elle attend un peu, puis elle reprend :— Je présume que c’est aussi un rosier qui a coupé ta chemise comme ça ? Au même endroit que cette éraflure ?Il soupire longuement, pivote puis s’assied face à elle.— Que veux-tu que je te dise ?— Simplement la vérité.— Tu… me croiras ?Elle s’assied à son tour dans l’herbe sans le quitter des yeux.— Pourquoi veux-tu que je ne croie pas ce que tu vas me dire ? J’ai d’ailleurs une petite idée, mais je veux l’apprendre de ta bouche. Avec tes mots.Alors il lui raconte sa visite chez son ex, l’altercation, avant le coup de couteau.— Et après ? demande-t-elle.— Je l’ai senti venir, aidé par son ombre, je me suis jeté sur le côté, mais pas assez vite. Quant à lui, il a filé tout droit vers la vieille cuisinière en fonte, tête première…Il se tait, inquiet. Il se demande quelle sera la réaction de la jeune femme. Alors il attend. Elle le regarde toujours, les yeux dans les yeux, comme cherchant à lire en lui. Les secondes filent.Pour toute réponse, toujours sans le quitter des yeux, elle se relève et dit simplement :— Tu aurais pu m’en parler plus tôt…Vivement, il lui attrape le poignet :— Tu crois que c’est facile à dire ? Et puis, j’avais trop peur… trop peur de te perdre…— De me perdre ?— Oui… de te perdre…À sa grande surprise, Varina lui sourit :— Je sais très bien que tu n’es pas un meurtrier. Je comprends ta position, ce que tu as pu penser, mais j’aurais aimé que tu me le dises sans que je te tire les vers du nez !— Mais… je…— C’est plutôt en ne me disant rien que tu risques de me perdre !— Et… et c’est le… le cas ?Elle se penche sur lui, lui caresse la joue de sa main libre :— Non, pas aujourd’hui, ni demain… Tu veux bien libérer mon poignet, s’il te plaît ?— Ah… euh oui…Elle s’éloigne de lui, ayant repris le panier à linge. Quelques mètres après, elle se retourne :— Moi aussi, je n’ai pas envie de te perdre, alors ne me cache plus rien à partir d’aujourd’hui. Compris ?— Oui, ma chérie… Compris.Puis comme si de rien n’était, elle suspend le linge sur le fil. –ooOoo–Elle fait glisser ses mains le long de son torse, jouant avec les boucles des poils. Puis, elle se recule sur les jambes de son amant, penche la tête et commence à tracer des fins sillons de salive avec le bout de sa langue. Il soupire d’aise.Puis sans crier gare, elle se saisit du sexe dressé, l’avale et lui fait subir mille tortures très agréables. Il se cabre sous l’intensité des sensations, les doigts crispés sur les draps. Elle s’active plus encore, infernale, fière de sa puissance, de son ascendance sur son amant, son homme rien qu’à elle, sa propriété privée. Une flamme étrange naît en elle, lointaine…Carol serre les dents, il a du mal à se contenir face à cette attaque en règle, il lance :— Arrête un peu, j’ai du mal à me contenir !— Ah hon ? (ah bon)— Oui, arrête, s’il te plait !— Ah hes-hsion ! (pas question)Et elle s’acharne plus sur lui, sa langue chaude et insidieuse sur le gland frémissant, ses lèvres sur la hampe tiède et humide de salive, ses doigts jouant avec des testicules pleins. Elle cherche les grosses veines qui courent le long de la tige de chair, soulignant leurs gonflements, augmentant leurs palpitations.Il jette sa tête en arrière, il voudrait fuir, mais il ne peut pas, c’est trop bon ! Il sait qu’il a perdu dans cette bataille, il se vengera autrement lors de la prochaine en la faisant crier de plaisir. Néanmoins, il essaye de résister, orgueilleusement, même s’il sait pertinemment qu’il va céder sous peu.La bouche avide rivée sur son sexe frissonnant, elle sent instinctivement qu’il va craquer, ça la met en joie ; il est à elle ! La flamme est de plus en plus vive, chaude, brûlante. Elle qui n’a jamais connu ce sentiment de possession, de vouloir tout avoir, de tout prendre, égoïstement !Soudain, serrant le milieu de la colonne de chair, posément, elle tire la fine peau vers le bas, tirant le frein à fond, dégageant absolument le gland écarlate et luisant. Elle s’en empare avidement dans un énorme et suave suçon infernal. La flamme brûle en elle, intense, immense.Elle se déchaîne, oubliant toute honte, toute retenue. Les barrières cèdent, une première salve éclate dans sa bouche. Radieuse, elle s’en réjouit, accueillant le sperme chaud dans sa bouche insatiable, ses dents carnassières, sa langue voluptueuse qui continue sa caresse insidieuse…Sensuellement, goulûment, elle savoure, elle avale, reposée, apaisée. Amusée, elle joue avec la tige de chair qui faiblit petit à petit, ses dernières salves lâchées. Elle léchouille distraitement les dernières gouttes de sperme qui suintent du méat rougeâtre. Elle songe alors qu’elle fait l’amour avec l’assassin de son ex ; incongrue, indécente, la flamme reprend en elle, vive, folle…Il n’en faut parfois pas plus pour raviver le cœur intense d’une jeune femme… –ooOoo–Un après-midi de début d’été. La grande ville bruisse…— Madame Varina Diez ?— Oui ?Varina se retourne et découvre auprès d’elle deux hommes dont l’un est en uniforme de policier. Elle écarquille grand les yeux, étonnée.— Commissaire Plantagenêt, et voici l’agent Dubois.— Plantagenêt, comme les anciens souverains anglais ?— Oui, comme les souverains anglais du Moyen-âge, ceux-ci étaient issus d’une famille française d’Anjou et du Maine. Ceci dit, j’ignore royalement s’il y a une filiation entre eux et mes ancêtres.Clignant des yeux sous le soleil, il lui sourit. Son subalterne a le regard vide, perdu vers l’infini de la ligne d’horizon. Varina sourit à son tour :— Je vois que vous aimez une certaine forme d’humour. Que puis-je pour vous ?— Oh, rien de particulier. J’ai été en charge de votre dossier, plus précisément du dossier de votre défunt compagnon. Votre photo était dedans. Quand je vous vu passer devant moi, je me suis dit : tiens, un visage que je connais, puis j’ai vite compris qui vous étiez.— Eh bé ! Par ma photo ? Vous avez une bonne mémoire !— Dans mon métier, c’est utile ! Les circonstances étaient un peu étranges, ceci explique peut-être pourquoi j’ai gardé souvenir. J’ai lu le rapport de votre interrogatoire, vous étiez partie depuis quelques semaines quand c’est arrivé. J’ai aussi lu que ça n’avait pas été de tout repos car vous étiez en réalité sa source de revenus. Quelque part, sa mort accidentelle est bien tombée, si je puis m’exprimer ainsi…Varina le regarde, légèrement inquiète :— Vous voulez en venir où, monsieur le Commissaire ?— Oh, nulle part. C’est plutôt vous qui allez quelque part, si j’en crois votre silhouette. C’est prévu pour quand ?— Ah euh… Dans trois mois…— Eh bien, félicitations à vous et à l’heureux papa ! Oui, oui, happy daddy…Puis il pivote sur ses talons et s’éloigne. Dubois flotte un bref instant puis trottine sur les traces de son chef. Varina reste figée sur place, dubitative. Elle regarde les deux hommes s’éloigner, jusqu’à ce qu’ils disparaissent dans la foule des promeneurs.Puis elle caresse son ventre et murmure :— Oui, c’est vrai, nous allons maintenant dans une nouvelle et belle direction…