Les consignes étaient claires : « chambre 327, 16 h 30, entrez sans frapper, la suite vous la connaissez… »Je connaissais les règles du jeu, j’en étais même la maîtresse, comme il me l’avait expliqué, puisque sans mon consentement il n’y avait pas de jeu.Je n’avais donc pas peur, il n’y avait rien à craindre, et pourtant… mon cœur battait plus que vite.J’avais vérifié, revérifié, ma tenue, le contenu de mon sac à main, l’heure qu’affichait ma montre, la perfection de mon vernis… et malgré tout, ces derniers pas dans ce couloir jusqu’à cette porte me tétanisaient. Pour peu que je croise quelqu’un, mes yeux parleraient d’eux-mêmes.Finalement il me tardait de passer cette porte pour éviter un éventuel regard… que penserait un inconnu en me croisant ainsi apprêtée dans un couloir d’hôtel en plein après-midi ? La réponse paraissait évidente. Et pourtant ce n’était pas faute d’être mise en valeur, très classe, très féminine.Montée sur mes talons. Je n’avais vraiment rien de vulgaire, je n’avais même jamais été aussi femme. C’était le code. Mais j’avais encore peur du regard des autres, hommes comme femmes, de leurs interprétations. Et pourtant, s’ils savaient…Me voilà devant la porte, j’ai deux minutes d’avance. Vous aurez en permanence le choix, m’avait-il précisé. J’avais donc la possibilité de m’éviter ces interminables secondes devant la porte. Rien ne m’interdisait de franchir cette porte par anticipation. Mais cela changeait la suite. C’était le jeu. Chacune des « versions » du jeu était passée mille fois dans ma tête. Que se passerait-il si j’étais en avance, en retard, à l’heure ? Nous avions évoqué ces différentes possibilités dans nos longs échanges par mail. Cette journée était peut-être la rencontre d’un inconnu, mais pas une découverte de situations inconnues. Bien au contraire, ce jeu était construit sur nos fantasmes et nos envies.Et il y avait donc vraiment un intérêt à être à l’heure. Pourquoi ? Parce qu’en passant cette porte à l’heure, j’allais vivre en conscience ce film tant attendu que nous nous étions décrit durant nos échanges. Je bavais d’envie de vivre cette version du scénario, pas une autre, quand bien même je connaissais les alternatives possibles. Qu’apportait cette contrainte horaire ? Rien… si ce n’est la tension intérieure qu’elle engendrait. C’était là la finalité : mettre en éveil tous mes sens.Encore une minute et trente secondes. Interminable ! La règle était simple. Je devais passer la porte, m’avancer dans la pénombre jusqu’au bureau et poser mon sac à main. Dans cet instant l’alarme de son téléphone devait retentir, m’indiquant que j’étais à l’heure. Pourrait alors commencer le rituel que nous avions convenu. Je devais être « contrôlée », afin de juger de ma conformité aux règles fixées. Vestimentaire bien évidement, mais aussi ma personne. Mes cheveux, mon rouge à lèvres, mes bijoux, mon verni… Et si cette inspection s’avérait conforme, alors je serai apprêtée, intimement… de bijoux que je ne porte jamais. Nous avions déjà tellement détaillé ces instants, tellement été excités de les imaginer, que d’être sur le point de les réaliser engendrait une tension intérieure énorme, mélange de stress, d’anxiété et d’excitation.Tout cela pour quoi ? Pas pour un ébat sur le lit ! Non ! Pour aller faire connaissance au restaurant.C’était notre façon de nous découvrir. Repas d’affaires, m’avait-il précisé ! C’était le jeu… mêler le sérieux de l’instant au bouillonnement intérieur difficilement évitable.Alors oui, je voulais ouvrir cette porte à l’heure. Je voulais vivre ce « contrôle », cette inspection. Je m’y étais méticuleusement préparée. Pour plaire, pour me plaire, pour être femme jusqu’au plus profond de moi.Nos longs échanges par mails avaient largement contribué à restaurer cette confiance en moi. Évidemment, comme la plupart d’entre nous, j’étais dans le doute, je ne m’aimais pas telle que j’étais. Le jeu avait d’ailleurs commencé ainsi. À travers des séries de questions à choix multiples, style QCM, nous avions appris à nous connaître. Il s’agissait sur différents thèmes de classer par affinité nos préférences, voire nos rejets. Pour ce qui était du physique, j’étais bien évidemment pleine de préjugés me concernant. J’étais trop « ceci » ou pas assez « cela »… Alors quand il avait été question de décrire les goûts de chacun et de se décrire il avait insisté : soyez honnête avec vous-même, ne trichez pas ! À quoi bon ? Vous ne savez absolument pas ce qui peut me plaire ou pas. Sortez de vos pseudo vérités. S’il y en a une, c’est ce que nous dégageons de nous-mêmes. À quoi bon des mensurations de « rêves » et un mal-être profond ? Rayonnez telle que vous êtes ! Cela sonnera juste. Et si vous devez franchir cette porte, c’est que vous aurez trouvé la paix avec vous-même.Ces mots m’avaient apaisée, redonné l’envie de plaire, et surtout de croire que je pouvais plaire !Alors je m’étais prêtée au jeu, c’était même excitant de répondre aux questions, de comparer avec ses propres réponses. Ce n’était pas à sens unique, les réponses étaient partagées et c’était leur recoupement fréquent qui m’avait amenée devant cette porte. Toute la subtilité résidait dans cette étrange situation dans laquelle nous nous connaissions franchement en détail, intimement même, alors que nous ne nous étions jamais rencontrés. Je ne connaissais même pas son prénom et lui pas davantage le mien. J’étais « Madame » et lui « Monsieur ». Quand je pense aux détails croustillants de fantasmes que nous avions pu partager, il y avait de quoi sourire de la situation.Alors, durant ces quelques mois la métamorphose avait commencé. Non pas pour faire de moi quelqu’un d’autre, oh non ! Juste pour que celle que je suis au plus profond de moi se retrouve et s’exprime. J’avais donc repris goût à prendre soin de moi. Cela était passé par quelques achats vestimentaires, l’esthéticienne, la coiffeuse, les chaussures, mais aussi quelques achats « coquins ».Il avait à ce sujet fallu que je trouve certains objets, très précis, qui devaient, le jour J, se retrouver dans mon sac à main. Autant avouer que je les avais regardés sous toutes les coutures, mais sans avoir le droit de les essayer. C’était la règle du jeu.Des règles, nous en avions plein. Pas pour contraindre ou soumettre, mais pour pimenter le jeu. Ainsi, j’avais toujours le choix. Comme arriver à l’heure ou pas… L’avance et le retard étaient deux alternatives que nous avions prévues. Le jeu existerait malgré tout, mais différemment. En d’autres termes, Monsieur savait parfaitement quelle situation m’excitait le plus, alors il l’avait associée à cette contrainte horaire… juste histoire de me faire bouillonner un peu plus. Je n’avais pas préparé mon sac à main aussi méticuleusement, selon le cahier des charges du jeu, pour passer à côté de cet instant. Les objets qui s’y trouvaient m’attiraient comme des aimants. Je les voulais. Il m’avait interdit d’en défaire l’emballage alors j’avais fantasmé, rêvé les scènes correspondantes en les regardant. Il n’était pas dupe, il se doutait que pour certains d’entre eux j’avais envisagé un double, pour pouvoir aller au-delà du fantasme. Il me l’avait fait comprendre subtilement… « Il sera facile de mesurer votre degré de préparation le moment venu. Je ne doute pas que vous vous serez entraînée… »Il restait dix secondes, par chance je n’avais croisé personne. Ce qu’il y avait de certain c’est que je comprenais mieux à l’instant le sens de « la relativité du temps ». Pas besoin d’Einstein. C’était évident. Voilà qu’arrivaient à leur terme 90 secondes interminables et que m’attendaient derrière cette porte des minutes que je voulais éterniser.Qu’allait-il donc se passer ? C’est à nous d’écrire la suite – à quatre mains – si vous êtes cette femme.De Vous à Moi.