Ce texte a été diffusé de mars à mai 2006 sur Aufeminin. En seize épisodes, sous mon pseudo Nalar. 1 – La chanceCela fait bientôt deux heures que j’attends l’arrivée du charter avec ma pancarte…Un pincement au cœur et une envie que je contiens avec difficulté.Cela me laisse le temps de revoir ces dernières semaines.J’ai tout loupé dans ma vie. Je suis un gigantesque looser de bientôt quarante ans.Je n’ai jamais été capable de conserver des relations avec une fille plus de deux ou trois semaines. La seule qui a essayé de vivre avec moi a craqué au bout d’un an. Un an d’égoïsme et d’exigences qui ont mis à mal l’amour sincère qu’elle avait pour le pauvre type que je suis alors redevenu.Ah le rêve !Se retrouver seul dans son appart ! Pouvoir se saouler en pensant à toutes les poulettes qui attendent le mâle le samedi soir… Ne pas avoir de remarque lorsque l’on ramène ses copains pour regarder perdre l’OL… Bref une superbe vie de célibataire bien équilibré devant des cassettes pornos toutes plus crades les unes que les autres.Je laisse filer la vie entre mes doigts. Et la seule chose que j’envisage de faire est de me vautrer un peu plus dans mes rêves de luxure.Et me voilà à l’attendre à Charles de Gaulle !Je laisse passer un sourire sur mes lèvres… Je n’en suis toujours pas revenu. J’y croirai vraiment quand je la verrai, la toucherai… Mais visiblement la chance a tourné.Oui, j’ai gagné à l’euro-sexloterie !Comme j’étais un gros client du site ma-video-extra-hard-Sx, j’ai reçu une offre de la loterie : cinquante billets pour le prix de dix…J’en ai pris cent… pensant gagner une place au prochain festival du film hot… ou un lot de cassettes, je n’osais imaginer une place de rêve dans un tournage X… ou même le gros lot.Un gros lot que le site euro-sexloterie-Sx n’avait pas détaillé… juste un texte : « vous gagnez la femme de vos rêves à vous, pour vous… »Je me rappelle avoir cherché l’astérisque… qui disait que bien entendu ce n’était que pour un an et que le cadeau était d’une valeur de 1 000 000 d’euros.Une femme – un an – 1 000 000 d’euros…Il n’est pas précisé si je peux revendre mon cadeau… Mais moi qui cherche un sexy-toy… c’est juste ce qu’il me faut. Et cette attente… le doute sur un tirage bidon… Et puis ce mail disant que mon numéro fait partie des quatre premiers et que pour le valider je dois me connecter avec Webcam sur MSN…À la batterie de question le Belge, les deux Allemands ont répondu comme moi, que le gros lot serait accepté… nous sommes donc tous les quatre sur les rangs pour gagner la pulpeuse blonde de trente-trois ans qui est apparue quelques instants sur l’écran MSN…Le quatrième gagne (tirage en direct oblige)… Le voyage au festival vidéo Hot en VIP… j’imagine la chambre garnie… dommage, mais exit le Belge.Le suspense est à son comble et la page de pub sur les dix dernières vidéos à acheter au prix canon de 300 euros l’unité aussi…Le troisième gagne la possibilité d’assister à un tournage de film X… et une nuit avec son actrice préférée… exit l’allemand numéro 2.Je me rappelle être resté rivé à l’écran… sans voix…Oui… ce n’est pas mon numéro… c’est l’autre… c’est l’autre qui gagne cinq ans d’abonnement gratuit et illimité à ma-video-extra-hard-Sx… de très longues soirées en perspective pour le mec !Et mon portrait en gros sur l’écran… j’ai gagné la fille !Je vais me taper gratis une fille pendant un an… une fille qui ne pourra rien me refuser… le sexy-toy parfait !Il faut juste que je la récupère…Bien sûr je me souviens de la biture qui s’en suivit… mémorable ! Je ne suis pas passé loin du coma éthylique.Et puis trois semaines ont passés, j’ai reçu par mail le scan des papiers de la belle. Le scan de son billet d’avion… Il ne me restait plus qu’à aller récupérer la belle Bulgare…Me voilà donc à attendre avec ma petite pancarte marquée « Aéria ».2 – Aéria arrive à ParisLe vol est enfin annoncé « landing »… L’attente devient pénible. Comment va-t-elle réagir ? Je ne suis pas un mec d’une beauté canon… Mais bon elle est payée pour, non ? Elle fermera les yeux !Les premiers passagers provenant de ce vol commencent à passer. C’est ceux sans bagages. Le flot s’interrompt… elle ne devrait plus tarder la blonde…La file de ceux qui attendent ce vol s’est maintenant dispersée… Mais je ne vois toujours pas une fille correspondant à la photo que j’ai mémorisée. Je sens l’arnaque… Après la pression de l’inconnu, la colère m’envahit. Et puis alors que j’allais exploser, je la vois.Elle est… belle ! Une biche au regard inquiet perdu qui cherche… Je ne bouge pas. Je la regarde, hypnotisé… je remarque ses yeux… rougis par l’émotion ? Elle vient d’apercevoir ma pancarte. C’est bien elle. Elle marche plus vite dans ma direction.— Aéria ?— Si— Marc.Pas de poignée de main, pas de bisous… une gêne est là, visible, entre nous deux. Je viens de m’apercevoir que le sexy-toy respire, a un nom… Et visiblement des émotions.Je me rappelle qu’il faut prendre une photo pour l’envoyer, et valider ainsi que le transfert du sexy-toy s’est bien déroulé. Que de précautions ! Aussi je passe mon téléphone à un jeune couple et nous voilà côte à côte l’instant d’une photo… Sacrée photo… Je compose le numéro et l’envoie immédiatement validant ainsi que j’étais l’heureux propriétaire depuis quelques minutes d’un nouveau jouet.Je réalise alors qu’elle n’a qu’un sac de sport pour bagage. Je lui demande si elle a d’autres bagages. La difficulté de se faire comprendre me choque. Elle ne parle pas français… Au moins, je ne supporterai pas ses jérémiades !J’allais me rendre vers le bus pour rejoindre le parking à tarif réduit, quand de la main elle m’arrête. Elle me tend une feuille de papier avec une enveloppe. Je la regarde. Elle hoche la tête :…Monsieur,Je être joie de venir Francia contre vous.Je suis imposé remettre papiers enveloppe to vous airportJe etre inquiet de vous.Je promet etre openJe demande vous patience and bonJe francia apprend viteMersyDurant ma lecture je sentais son regard. J’imagine les efforts réalisés pour arriver à écrire ces quelques lignes. Je suis touché de la détresse qu’il y a dans les yeux qui me fixent… Mon sourire la rassure.— Tu es la bienvenue.— Si.Je ne sais si elle a compris le sens… mais parler la rassure.J’ouvre l’enveloppe. Il y a son passeport et son visa d’étudiante… Un subterfuge… une étudiante de trente-trois ans. Une étudiante en sciences humaines oui… Ou en arts appliqués…Il y a aussi un long document en bulgare ou une signature est posée à la fin. J’imagine que c’est son « contrat ». Il faudra que je le fasse traduire.Et un document en anglais, un certificat médical où je reconnais des mots : HIV no.Elle est donc saine. Un grand sourire, de grands signes et la voilà me suivant et portant son sac. Nous arrivons à ma Lancia…— Tu sais conduire ?— … ?— Driving licence ?— Non auto.Durant le long trajet nous ramenant dans le centre de la France, le silence entre nous semble lui peser. Difficile de comprendre ce qu’elle pense, elle est étonnée par tout ce qu’elle voit. Je sens qu’elle voudrait poser des questions, mais que les mots manquent. Elle sort un micro-dico de sa poche et les yeux brillants me dit :Je souris et sans faire attention lui réponds comme elle :Je lui montre l’heure… et lui fais comprendre que nous avons encore deux heures de route. Pour elle qui est partie cinq heures plus tôt, la journée doit commencer à être longue.3 – Premier soirNous voilà arrivés. Je gare la voiture devant le pavillon. C’est le seul à n’avoir aucune fleur et le gazon en friche… Un pavillon de célibataire quoi ! Je la fais entrer…— Bienvenue chez moi !— Si.Galamment, je veux lui prendre sa veste. En fait, incrédule, je déclenche une réaction brutale… je la vois se précipiter. Je la stoppe alors qu’elle a déjà enlevé son polo… Elle tremble… Je ne trouve pas les mots.D’une part j’ai la vue superbe d’une poitrine bien ferme en totale liberté et de l’autre je vois un être tremblant de peur… J’aurai envie de la prendre, là, bestialement, immédiatement afin de lui montrer ce qui l’attend ! Mais un zeste d’humanité me fait lui remettre son polo avec douceur.— Je crois qu’on peut attendre, non ?— … ?— Veux-tu à boire ? drink ?Je l’emmène par la main à la cuisine, sort deux verres et là, elle comprend.— Boire ! oui, mersi…Et nous voilà l’un en face de l’autre un grand verre d’eau à la main. Pourquoi ne pas lui avoir proposé de la bière ou de l’alcool ? Je crois que je suis ému, perturbé.Cela ne se passe pas du tout comme prévu. Je m’imaginais la plaquant dès l’arrivée contre le mur, lui roulant une pelle et fouillant son corps de mes mains, la violant brutalement. Et je suis là à faire l’agneau tout doux.Je la prends par la main. Je lui montre chaque rangement de la cuisine et elle répète après moi…— Casseroles— ca se rol— Plat pour four— pla paou fou.Et comme cela nous visitons la maison… Le salon et ses DVD films… Même si on voit quelques pornos non rangés, le plus gros est rangé dans un meuble.Le PC attire son regard, mais elle n’ose pas poser de questions. Cela viendra, je le sais. Les chambres, notre chambre… je lui montre le lit et suis obligé encore de l’arrêter avant que la vision de son corps nue m’oblige à la prendre.— Je plais pas toi ?— Oh si, mais…— Pourquoi ?— …— Je imposé baiser toi. Toi baiser moi ?Je lui souris, m’approche d’elle et la serre contre moi. Je lui dis que oh oui ! je vais la « baiser », oui que nous allons passer de longs moments dans cette chambre, mais que je veux qu’elle s’habitue un peu. Son parfum discret est enivrant. Je pose mes lèvres dans son cou. Le contact de sa peau déclenche immédiatement des sensations dans mon corps. Je m’écarte doucement. Elle pleure. Je passe mes doigts pour essuyer ses larmes. Je viens de comprendre que… non… On verra plus tard. Je termine la visite par la douche. Je règle l’eau, lui donne une serviette, un peignoir. Un bisou sur ses lèvres et je la laisse prendre une douche dé-stressante.Je prépare de quoi faire un bref repas, descends à la cave chercher une bouteille de bordeaux et remonte avec un côte du Rhône (pour faire plaisir aux lectrices) deux assiettes… des crudités avec la sauce « made by Marc »… et me voilà l’attendant.La voilà. Elle est superbe : ses cheveux blonds, longs et mouillés… dans un peignoir bleu clair. Elle me sourit. Je l’invite à s’asseoir. Durant le repas je parle, je parle… Je lui explique qu’aujourd’hui j’ai pris un jour de congé, mais que demain je travaille. Que je suis graphiste. Sait-elle ce que c’est ? Comme il y a peu de travail dans cette branche, je travaille dans une petite boîte de pub. Je ne suis pas payé très cher, mais je pourrais lui payer quelques fringues, vu que son sac est presque vide.Elle m’écoute, elle sourit… je pense qu’elle ne comprend rien, mais il y a un besoin d’échanger, d’éviter que le silence vienne. Durant le repas, le peignoir se relâche. Je peux à loisir admirer sa plastique. Je sais que là, ce n’est pas volontaire. Elle cherche désespérément à comprendre ce que je dis et plus rien ne compte. Le vin lui donne de belles couleurs.Le silence arrive. Nous nous levons ensemble et elle me devance pour laver la vaisselle. Une façon de me montrer qu’elle sera utile. Elle se retourne… Nous sommes là, l’un en face de l’autre… si près. J’écarte un peu plus le peignoir.Mes lèvres ont rencontré les siennes ? Ou est-ce elle ? Je vois son sexe, pardon, je devine son sexe sous le taillis sombre. Elle est superbe. Je le lui dis. Me voilà à genoux, à ses pieds baisant sa peau, remontant doucement vers la source de la vie. Lorsque ma langue se pose sur elle, je sens ses mains sur ma nuque. Je sens qu’elle ne simule pas les soupirs.Cette femme n’est pas une professionnelle ! Quel secret cache-t-elle ?Je me relève, et déballe mon engin. Un instant d’hésitation et la voilà, d’un geste, entièrement nue, à genoux, me pompant avec vigueur. Jamais fellation n’a été aussi réussie… de toutes celles d’un soir qui se disaient expertes, aucune ne m’a donné autant de sensations ! Aucune ne m’a amené au bord de la jouissance, comme elle, avant de stopper et recommencer comme cela. À ses yeux je vois qu’elle y prend du plaisir… que le but est plus que de me faire plaisir, il est de me montrer combien elle sera utile… C’est sa vie qu’elle met dans cette fellation. Je l’arrête, car je veux jouir en elle… Je récupère un préservatif dans un tiroir et m’approche d’elle.— No condom !— Si…— Je être OK !Je l’embrasse pour la faire taire et debout, l’un contre l’autre, mon sexe rencontre le sien. Je ne peux apprécier sa douceur… mais je sens qu’elle est « open » et que lorsque nous nous écroulons l’un contre l’autre, aucun des deux n’a simulé l’orgasme qui nous a terrassés. Je l’emmène dans notre chambre et nous nous endormons nus, l’un contre l’autre…4 – La nuitIl fait nuit depuis déjà plusieurs heures lorsque je me réveille. Le temps d’émerger, je veux sentir encore sa peau… Ma main rencontre un lit vide. Un léger bruit m’inquiète. Je me lève et cherche… Je la trouve assise par terre, complètement nue, sur le carrelage. Son corps est soulevé de longs sanglots. Je m’approche. Elle ne m’a pas entendu. Depuis combien de temps est-elle là ? Je pose mes mains sur son épaule. Elle crie. Un cri strident. Un cri inhumain !Elle est gelée. Je m’agenouille auprès d’elle. L’attire contre moi. Pose sa tête au creux de mon épaule. Ne rien dire. Juste lui faire comprendre que je ne lui veux aucun mal. Mes mains se font discrètes, mais caressent son dos. Je la berce comme on le ferait pour un bébé. C’est marrant que je pense à cela alors que je n’ai jamais voulu d’enfant quand Agnès partageait ma vie…Je caresse ses cheveux mouillés par les larmes. J’embrasse doucement son cou… Pas pour… Non, juste pour qu’elle soit bien. Juste pour elle. Je suis bien loin du rêve promis. Je suis bien loin du jouet… ce jouet-ci a une âme… une âme à dompter ? Je la prends dans mes bras et la porte dans le lit. Je la couvre. L’embrasse… Et quand ses yeux se ferment de fatigue, je m’éclipse et la laisse seule finir sa nuit.Six heures… Je me secoue, un peu raide d’avoir fini la nuit sur le canapé du salon. J’essaie de ne pas trop faire de bruit. Je sors de la maison en silence et cours acheter du pain frais et des croissants. Je n’ai pas fait cela depuis… pffff… des lustres. L’ai-je jamais fait d’ailleurs ? Je ne me rappelle pas.Le temps de verser l’eau et voilà un plateau petit déjeuner royal. Je m’approche d’elle. Elle dort encore. Un dernier scrupule et je pose le plateau près d’elle. Je caresse doucement son visage. Elle sourit, ces cils battent. Le sourire se fige… elle vient de réaliser où elle est. L’odeur du café la rassure sur mes intentions. Son visage s’illumine.— Mersi, toi être gentil.Pour toute réponse je dépose un baiser sur son front, et l’aide à s’asseoir. Je place le plateau sur ses genoux et m’installe en face d’elle. Le drap qui la recouvrait tombe doucement et dévoile sa superbe poitrine.— Tu es vraiment belle Aéria…Ses yeux me montrent qu’elle a compris, mais ne veut ou ne peut accepter le compliment. Je lui rappelle que je vais partir travailler et qu’elle a sa journée pour elle. Elle me demande si elle peut utiliser le PC pour apprendre le français ? Elle a un CD de cours… J’accepte bien sûr… mais lui demande de ne pas surfer et de ne pas sortir de la maison…J’ai à nouveau une envie d’elle… une envie qui dépasse le fait que je sais qu’après elle va pleurer. Elle va souffrir. Je caresse son visage. Je caresse ses seins. Je sais qu’elle a compris. Elle se donne… Ce n’est plus la même personne. Il y a quelques minutes j’ai eu l’espace d’un instant une personne qui me parlait difficilement, mais qui était cultivée. Maintenant, j’ai un jouet qui répond. Je la stimule, elle frisonne et me rend mon plaisir.Je repousse le drap complètement. Assise en tailleur, son sexe est visible… ouvert ! Un appel à plus de vigueur. Je prends ainsi un deuxième petit déjeuner. Son goût est ce matin plus fort… trace de son plaisir nocturne. Je la retourne, elle se laisse mettre à quatre pattes me présentant son cul… Je visite, j’explore toutes les contrées sauvages.J’écarte ses longs poils, je fraye mon chemin… au plus profond d’elle. Son corps ondule, répond à la montée de son plaisir. Je m’attarde sur le goût épicé de son cul. D’elle-même elle place ses mains pour écarter ses fesses et me donner un accès plus précis.Je n’accepte pas ce don… je la sens trop passive, trop « je dois l’accepter », « je dois le faire ». Moi qui voulais un sexy-toy, me voilà regrettant justement que cela soit trop facile… En fait de facilité… elle pince les lèvres, je vois ses doigts blanchir quand je prends possession de son corps… qu’elle est serrée ! Un régal… Je jouis très vite, trop vite…— Ton cul est trop bon… !Je regrette aussitôt ce dérapage verbal… Trop tard, je vois l’effet immédiat. Le plaisir que je pensais partagé se transforme en mur de glace… Je me retrouve avec un pantin… Mon instant est gâché.D’elle-même elle se retourne pour nettoyer mon sexe sale. Je veux l’en empêcher, mais les yeux fermés elle s’exécute comme si elle revivait des moments difficiles.Je l’écarte. Je la redresse. L’un contre l’autre, je lui murmure que je suis désolé… Je l’embrasse… Ma langue partage avec la sienne le goût de mon sperme, de son goût… Je me perds dans ses yeux. Je m’enfuis dans la douche. Je m’enfuis au boulot… Inquiet du comment je retrouverai Aéria le soir même.5 – Le boulotJ’ai du mal à me concentrer… Ma tête est restée avec une blonde alors que je dois terminer un prospectus vantant les mérites d’une crème… Bref, je gribouille… mais à chaque fois je jette à la poubelle. Heureusement pour les arbres et la planète, mon gâchis n’est que virtuel… la poubelle n’est que virtuelle… tout est mirage… rien n’existe… Oui. Rien sauf Aéria… J’y reviens sans cesse. Je me suis surpris à crayonner son visage… son visage triste…J’ai chargé la photo sur le PC… en grand elle fait bien. Certes, elle paraît un peu crispée, mais on pourrait nous prendre pour deux amoureux. On pourrait. Mais ce qui nous lie est bien différent. Je la contemple…Oups… Ses papiers ! Je prends l’enveloppe que je trimbale avec moi. Une idée… Google me fournit l’adresse d’un traducteur en ligne. Je paie le forfait et lui envoie une version scan… Délai 24 h.Je vais avoir le contenu de ce sacré document. Je saurai enfin quel secret elle cache. Mais au bout de deux heures, un mail m’avertit qu’il ne veut pas traduire un document pareil. Il me communique le premier paragraphe… et le dernier ! Le tout accompagné d’une menace de transfert vers les autorités compétentes.Mais j’ai quand même quelques lignes :Moi, Aéria Smazidiask, pour protéger la vie de mon fils, je donne ma vie et j’accepte ce qui suis :… Et là, une énumération sordide… jusqu’à ce que la traduction s’arrête. La fin est aussi explicite :J’accepte l’ensemble des conditions sans contrainte et en étant saine d’esprit.Je m’engage à être loyale, et si mon possesseur n’est pas satisfait, j’accepte de donner ma vie dans un smurf movie afin que mon fils puisse vivre.Signé : Aéria Smazidiask, le 5 mars 2006. C’est à vomir… je comprends qu’elle a signé cela il y a un mois à peine et qu’il y a un chantage énorme. Je sais maintenant que la belle a un fils.Qui peut l’avilir à ce point ? Pourquoi ? Plein de questions qu’il me faudra creuser avec elle lorsqu’elle pourra mieux parler français. Je relis une nouvelle fois le torchon… et commence à m’inquiéter. Tout ceci est complètement illégal… Je m’imaginais qu’elle était payée cher (enfin pour la Bulgarie) pour être mon jouet pendant un an, et là je m’aperçois qu’elle n’est pas libre…Et dans un an ? Son contrat se termine par un… movie mortel ? Me voilà donc complice ? Le trouillomètre gonflé à bloc… me voilà redevenu le looser. J’ai enfin trouvé l’astérisque qui clochait… Blanc comme un linge, je cherche le réconfort de la machine à café… Une sacrée conseillère en général. Mais là, point de possibilité. Je dois trouver une solution seul… Une solution qui passe quand même par de sacrément bons moments… Et là, je revois son cul ouvert… Mon sexe la pourfendant doucement et irrésistiblement. Hummm… Bien mieux que toutes les cassettes vidéo. Un des plus beaux culs que j’ai baisés. Un des plus serrés… Il y a quand même de très bons côtés à cet astérisque qui cloche… Heureusement la machine est proche des toilettes et me permet de faire baisser la pression…Il est l’heure… Je prends les trois ou quatre esquisses ébauchées depuis ce matin et file à la réunion d’avancement de projet… Pour me faire engueuler…Pour vous qui ne connaissez pas, vous ne pouvez imaginer comment la création est bien plus rasoir qu’on ne l’imagine. Et pourtant beaucoup s’y lancent avec cette passion. Cette passion que j’ai eue et qui m’a perdu.Et surprise, la quatrième planche que je présente est appréciée… On y retrouve une sensualité qui, paraît-il, fera vendre la crème… Je réalise qu’en filigrane j’ai inséré le visage qui me hante… Je réalise qu’elle vient d’être acceptée. Elle vient de sauver ma journée… après l’avoir bien perturbée. 6 – Un océanIl est temps de rentrer. Pour la première fois depuis de longues années je prends plaisir à savoir que quelqu’un m’attend chez moi. Le trajet me paraît bien long. J’essaie de m’imaginer qu’elle m’attend sagement et que nous ferons la fête. Mais c’est surtout pour masquer mes peurs. Comment aborder cette nouvelle soirée ?J’ouvre la porte. Le silence règne. Je dépose mon portable, ma veste. Visiblement elle ne m’a pas entendu, ou elle m’ignore ?Je la découvre dans le salon. Studieusement assise devant le PC… La même. Légèrement penchée, le polo bleu moule sa poitrine… trop court, son dos est légèrement découvert et laisse deviner le début de courbes affolantes.Je vois ses lèvres remuer… elle murmure du français. Je m’approche d’elle. Elle relève la tête, m’aperçoit, se lève brusquement :— Oh ! Je pas vu heure !— …— Je désolé être pas prête.Un miracle s’est produit. Elle parle plus facilement français et ses mots sont moins hachés. Elle me montre l’écran :— Je ai passé temps apprendre toi langueLe fait-elle exprès ? Ses mots déclenchent en moi l’envie que je voulais refréner. Je veux sa langue. Sa bouche, son corps. Je la veux à moi… mais… Non, pas comme cela. Je décide de la respecter, du moins ce soir. Je dépose un bisou sur sa joue. Et lui dit que je vais me changer. Sur le chemin, je vois son sac, à la même place qu’hier. Elle n’a donc pas rangé ses petites affaires. La curiosité l’emporte, je l’ouvre. Ce sac est presque vide. Une paire de chaussures à talons de… dix ou douze centimètres… un jean et un autre polo bleu clair. Une brosse à cheveux. Un portefeuille. Rien d’autre. Un sac spartiate ! Je vérifie qu’elle n’a rien déposé dans la salle de bain. Non. Rien.Je quitte mon « uniforme » de travail et me glisse dans mon jean noir. La chambre a été rangée, le lit fait. Il a dû se demander ce qui lui arrivait, lui qui était un modèle de luxure. Elle apparaît dans la porte, visiblement un peu inquiète. A-t-elle bien fait ? Je lui souris. Je lève le pouce et lui montre que je suis content. De quoi ? De la voir un peu plus libre.— Je prépare manger ? j’ai œuf-mlette boulgarr.— Oui, bonne idée.Mon sourire lui donne une charmante couleur.Je la regarde s’affairer dans ma cuisine. Cette fille est un vrai bonheur. Elle a une classe… chaque geste qu’elle fait la sublime. J’ai une fée dans ma maison. Je sens que cela fait quelques minutes que je suis là, planté à l’observer et que… je vais finir par la gêner. Le temps de dresser la table, nous voilà l’un en face de l’autre. Elle cherche à m’expliquer comment on fait ce plat de son pays. Quand j’essaie de parler, elle me dit :— C’est moi parler. Je besoin pour assurance prendre français.Je lui demande si sa journée n’a pas été trop longue… Et elle me confirme ce dont je me doutais : elle a passé près de huit heures à faire des exercices, à apprendre du vocabulaire. L’heure tourne. Nous regardons ensemble les infos. Le film qui s’en suit. Un moyen de l’avoir à côté de moi sans lui demander plus. Un moyen de lutter contre moi. Je me penche… l’embrasse doucement et lui suggère d’aller dormir. À ses yeux, je comprends que la consigne n’est pas assez explicite…La chambre nous accueille. Le temps de respirer et la voilà nue. Attendant que je m’occupe d’elle. Je la prends dans mes bras, la caresse tendrement. Elle sait que je la désire. Elle se laisse aller. Après de longues minutes câlines, je m’écarte, fouille dans l’armoire, trouve enfin un grand tee-shirt… Sa surprise est visible. Certes il est grand, mais elle aussi… si bien qu’il ne cache pas grand-chose… Je l’embrasse et lui murmure « dodo, dodo sage ». Lumière éteinte, elle se rapproche. J’accompagne sa tête sur ma poitrine. Je lui caresse les cheveux… De longues minutes… Des instants où point n’est besoin de parler, les gestes expriment les sentiments…Hummmmmmm… Je sens une main qui me pousse. Je ne suis pas seul dans mon rêve. Un ange partage mon lit. J’émerge.— TOI ronfler ! me dit-elle en riant.Je suis lové contre elle… il y a si longtemps que je n’ai pas passé une nuit en petite cuillère. Je me sens serré soudain dans mon boxer… et elle doit forcément le sentir. Elle se retourne, m’embrasse longuement. Son baiser achève de détruire mes bonnes résolutions.— J’ai envie remercier toi pour gentil… très gentil.Ses lèvres sont si douces… sa langue se donne, m’entortille. Mes mains parcourent son corps, remontent doucement sous le tee-shirt, trouvent ses seins que je contourne, que je caresse… je la sens réceptive. J’aime le toucher de sa peau douce. J’aime son odeur. Elle me grise. Je la mange de mes baisers. Son cou est un parcours si délicieux à déguster. Aux frémissements, je comprends que mes caresses trouvent en elle un écho.Elle cherche à se dégager de mes bras.— Attends, nous avons le temps…— Si, moi vouloir plaisir toi !Et elle glisse de mes bras pour venir déposer ses lèvres sur la bosse brûlante du boxer. Ses mains parcourent mon torse. Ses lèvres pincent le tissu. Elle joue avec moi. Je n’aime pas ce rôle passif, mais dès que je fais mine de bouger d’une main ferme elle me replace.— Laisse-toi faire !Le dernier rempart vient de sauter… Ses lèvres chaudes grignotent chaque parcelle de mon sexe. Elle caresse chaque recoin sans mettre la langue, juste le contact chaud de ses lèvres. Un régal. Je savoure cet instant. Mon sexe excité comme une puce tressaute. Et finit par trouver pour accueil sa bouche ouverte. Une douceur de plus. Un jeu commence. Un jeu où elle excelle. Sa langue s’exerce sur les zones si sensibles que je crois venir de suite. Mais…Je caresse son visage. Cela me fait drôle de ne pas la voir. Dans le noir je trouve cet instant plus… proche ; oui beaucoup plus proche de ce que j’ai vécu avec mes amies d’un soir. Non… Il y a autre chose. Elle accentue l’amplitude… je n’ai jamais été aussi loin dans une bouche. Mon sexe disparaît presque entièrement, une impression de plénitude, un autre sexe m’absorbe. Je décolle, je résiste, mais elle m’achève.Je me vide. Je suis ko… elle me rejoint, se blottit contre moi. Elle caresse d’un doigt ma poitrine. M’embrasse la joue. Nos caressent sont sages. Nous sommes bien. Heureux ? Oui… heureux d’être là tous les deux.Ai-je rêvé cet instant ? C’est la question qui me vient à l’esprit quand le jour me réveille.Non, elle est toujours là, tout contre moi, sa respiration est régulière. Son visage est calme. Une nouvelle journée commence.7 – ShoppingCela fait maintenant près de trois semaines qu’Aéria est entrée dans ma vie. Trois semaines que j’ai appris à aimer entendre son rire. Trois semaines où je lui laisse la liberté de choisir où, quand et comment nos corps se retrouvent. Aucune obligation, rien que le plaisir que j’espère partagé. Ces trois semaines, je crois qu’elles sont les plus importantes de ma vie. Je n’ai pas abordé le pourquoi, le comment. Je me suis contenté de vivre. Avec elle. Et sans me l’avouer, par elle. Trois semaines qui me laissent rêver à un avenir… à quelque chose de bien, de beau, de fort.Je nous revois tous les deux le samedi. Le premier samedi, donc le premier jour que nous avons passé ensemble depuis son arrivée. Une journée découverte de la ville, des boutiques. Son français évolue d’heure en heure. Nous voilà dans le magasin de vêtement. Je la laisse choisir. Elle passe de rayon en rayon, s’amuse comme une gamine. De la voir butiner m’apporte un peu de joie.En mec aux idées bien perverses je lui choisis une micro jupe et lui porte à la cabine d’essayage. En spectateur averti, j’assiste au plus joli défilé de mode que je n’ai jamais vu… Chacun de ses choix la rendait plus belle… je ne savais quoi choisir. Pourtant elle voulait que ce soit moi qui choisisse !Quand elle m’apparaît nue uniquement vêtue de la micro jupe qui recouvre à peine ses fesses, je sens comme une inquiétude chez elle. Cette jupe je la prendrai… un emballage digne de… la poupée. Mais nous sommes venus pour agrandir une garde-robe, pas pour l’habiller en putain. Je choisis de prendre presque tout ce qu’elle a essayé. Elle n’est plus d’accord. Elle me sermonne me disant que tout est trop cher. C’en arrive au point que je pars à rire… et la menace de remettre tout dans les rayons sauf la micro jupe. Encore une occasion de me taire. L’huître s’est brutalement refermée et me voilà encore en position de demander pardon.La revoilà en jean trop serré pour elle et dans son polo bleu à même la peau. Les yeux de biche. Ces yeux qui me font perdre tous mes moyens. Il y a du monde ici, trop de monde pour… mais tant pis, je l’embrasse doucement, au diable les autres ! Au diable les regards… Je ne peux la laisser croire que ce que j’ai dit est important. Je la sens se détendre un peu… si peu. Je lui prends la main. Je la conduis dans le rayon lingerie qu’elle avait visiblement oublié.— Je pas droit porter !— … ?— J’ai écrit pas porter, cul nul obligé.— Je m’en fous ! Tu choisis ! Et tu mettras si je le veux !Ses yeux brillent…Et son baiser enflammé me réchauffe le cœur. Elle parcourt le rayon. Je la vois hésiter. Elle revient toucher pour la troisième fois un lot de mignons petits boxers. Ses yeux se lèvent vers moi, interrogatifs. J’y lis sa détresse… elle ne veut pas choisir quelque chose… Elle imagine que je la vois en string. Je prends un ensemble Tanga en dentelle noire que je présume à sa taille, le lot de trois boxers et lui demande si comme cela ça va ? Elle regarde la taille…, les bonnets… OK ! La carte bleue se souvient encore de l’addition, mais quel plaisir de la voir le soir même dans une superbe robe longue, foncée. Un grand sourire sur le visage. J’ai devant moi la femme la plus jolie de la terre…Oui, trois semaines intenses, où j’ai découvert que le plus important n’était pas soi-même. Certes, je n’ai pas osé aborder les questions qu’il va falloir un jour poser, mais nous avons trouvé chacun le quelque chose qui fait que chaque minute passée sans l’autre est un calvaire. Enfin, j’ose imaginer que ce que je vis est réciproque. Oui. Sinon comment expliquer le changement qui s’est opéré ? Comment expliquer la joie que je vois sur son visage quand je rentre du travail ? Comment expliquer son acharnement à apprendre le français ? Et je dois dire que sa réussite m’impressionne à chaque instant. Oui, j’ose imaginer qu’elle est plus qu’une signature sur cette feuille de papier. Je la regarde souvent. Si souvent, qu’elle s’arrête parfois interrogative se demandant si elle a fait quelque chose de mal… Il y a encore par moment de la peur…Ce qui est drôle, c’est que pendant ces trois semaines, nous n’avons pas vécu de rapports bestiaux comme cette première nuit. Non… que des moments de tendresse… deux corps qui s’apprivoisent, deux corps qui se cherchent, deux cœurs qui se rencontrent.Je dois lui poser ces questions qui me minent… Je ne peux plus faire autrement. Elle a pris trop d’importance pour moi. Surtout depuis que j’ai découvert qu’elle surfe sur un site bulgare. Je ne suis pas capable de comprendre où elle va, mais elle y va. C’est toujours le même. Et il y a un code d’accès, code que je n’ai pas ! J’ai découvert cela cet après-midi… par hasard, en faisant la maintenance du PC. Nettoyage. Je regrette d’avoir regardé l’historique… Il y a mes parcours… peu glorieux, et le sien : juste un site… un seul !Elle est en ville, seule. Elle va rentrer dans quelques minutes… avec une surprise, je pense… et moi je vais devoir partager la mienne. J’ai peur. Peur d’apprendre la vérité. Peur de la perdre.La porte se ferme. La voilà. Le soleil qui fuse fait briller l’or de ses cheveux. Elle virevolte pour me monter l’ensemble d’été qu’elle s’est offert. Je la serre contre moi. Mes yeux lui disent ce que je n’ose pas encore lui dire. Je l’embrasse. Comme je me sens fondre, je m’écarte.— Dis Aéria, c’est quoi ce site ?8 – Apprivoise-moi— Dis Aéria, c’est quoi ce site ?Elle se raidit… me regarde.— C’est du bulgare, je comprends rien.— Tu m’espionnes ? je croyais avoir gagné au moins ta confiance…— Non, je voulais détruire l’historique de mes turpitudes…— Ah…— …— Je te crois. Tu sais c’est… (silence) c’est important pour moi la confiance.— Moi aussi…J’ai peur… très peur, ça me prend le ventre. Ses yeux brillent… je vois son combat intérieur… qui va gagner ? Le mensonge, la trahison ou… la vérité des sentiments ?— C’est un site bulgare.— Oui ça j’ai vu !— Tu paies un droit d’accès, et…— Et ?— Tu as accès à une gigantesque base de données, à des cours, à des profs en ligne.— Explique-moi.— En fait je suis des cours comme cela depuis près de cinq ans… j’ai passé les examens… il ne me restait plus que le dernier. Avant…— … (silence)Ses yeux se remplissent soudain de larmes. Des larmes que j’ai appris à comprendre. C’est profond… Va-t-elle enfin se décider à raconter sa vie ? Est-ce encore trop tôt ? Je suis tendu comme un arc. Le silence me pèse trop.— Tu as donc repris tes cours ?— Oui, grâce à toi.— … (Baiser tendre)— J’avais ma maîtrise en droit, il ne me restait plus qu’à passer un examen. En France je crois que c’est le certificat d’aptitude. En Bulgarie c’est à peu près la même chose. Ils sont moins exigeants, mais je devrais pouvoir passer cet examen bientôt. Je ne sais pas comment… mais je veux être prête.— C’est quoi ce certificat d’aptitude… à quoi ?— (Sourire et tendre baiser) Hummm comment traduire ça ?— (Elle me taquine je le sens)— Non c’est un fruit… Ça ne peut pas être cela.— …?Elle part à rire, ce rire que j’aime… Un fruit ? Je sèche. Et soudain je comprends. Une maîtrise de droit ça ouvre la voie sur plein de choses, dont « Avocat ». Elle voit que j’ai compris.— Je viens de finir l’équivalent de ma thèse. Un sujet compliqué, mais intéressant sur l’interprétation du droit bulgare dans un cas pointu, concernant la défense des citoyens. Sujet chaud. Mais intéressant.Et nous voilà assis par terre à discuter sur la Bulgarie, le droit, le respect des lois… et l’oppression des gens dans son pays. Elle s’enflamme et j’ai devant moi une jeune femme passionnée. Je rêve. Devant moi je la vois s’animer. Puis s’arrêter.— Tu ne m’écoutes plus ?— Si, mais tu es trop belle quand tu parles avec passion.— Flatteur.— …Nos doigts se touchent, nous sommes bien. Sa tête se pose contre mon torse. Je caresse ses cheveux… je savoure l’instant.— Merci— … ?— Merci d’avoir été toi, de m’avoir dit la vérité.Nos lèvres scellent ces confidences. Sa langue s’enroule tendrement autour de la mienne. Elle place ses deux mains sur mon visage et me dévore avec passion. Le souffle me manque. Elle me brûle de l’intérieur. J’ai envie d’elle. Envie de sentir sa peau nue contre moi. Envie de sentir qu’elle partage ce qu’elle a de plus cher au monde… son cœur. Oui… Elle est ma vie. Doucement je la dénude. Ses seins témoignent de son excitation.Elle me laisse respirer. Mes lèvres laissent enfin échapper ce qui n’a jamais eu de sens auparavant pour moi, ces mots qui prennent aujourd’hui un sens dans ma vie :Elle pose son index sur mes lèvres.— Chutttt ! Tu n’as pas le droit de dire cela. Je ne suis rien pour toi. Je ne suis que de passage. Tu me respectes et je t’en remercie, mais je sais que demain je serai ailleurs… Ne me donne pas de faux espoirs, s’il te plaît.Et voilà mon ange qui s’enfuit au moment où je m’attendais enfin à la connaître. Je suis désemparé… je cherche à la rejoindre, mais, chose très rare, elle s’est enfermée dans la salle de bain. Je suis donc là, seul. Brusquement bien seul. Elle vient de m’avouer quelque chose d’important pour elle, je suis sûr que c’est la vérité. Je ne l’ai jamais vu me mentir. Non c’est la vérité. Je lui avoue mes sentiments… et : non ! Je ne comprends pas sa réaction. Cela devrait la rassurer ? Je m’assois derrière la porte, le dos contre la porte. Et le temps s’écoule.Je ne peux bien sûr pas empêcher mon esprit de travailler. Qu’a-t-elle à se reprocher pour refuser ce que je viens de lui offrir ? Le doute est là. C’est ce qui fait le plus mal, le doute. Il y a un fils… donc il y a un père. Compte-t-il encore ce père pour elle ? Ne suis-je qu’un jouet entre ses mains ? Suis-je en train de me faire manipuler ? Il est très dur de partir en vrille et d’atterrir en bon état… Je sens les larmes arriver aux coins de mes yeux. Aéria, tu as pris mon cœur… et tu le refuses ? Que fais-tu dans cette pièce ? Le silence est pesant. J’essaie de reprendre le dessus. Oui, que fais-tu ? J’écoute. Une idée.— Aéria ?— …— Tu ne crois pas qu’on est un peu cons de pleurer de chaque côté de la porte ?Silence.Ai-je vu juste ? Oui. Un léger bruit, comme un frottement et la voilà qui ouvre la porte. Ses joues sont mouillées de larmes. Elle tombe dans mes bras. Ses larmes redoublent. Qui a pu lui faire autant mal ? Qui a pu la détruire autant ? En cet instant… Je crois que je le tuerai.9 – ParenthèseDepuis qu’elle sait que je sais pour ses études, mon étudiante discute souvent maintenant des écarts entre certains points de droit bulgare et ce que nous avons en France. Elle laisse traîner des documents criblés de signes illisibles pour moi. Une sacrée langue. L’autre jour, je lui faisais la réflexion que je ne l’avais jamais entendue parler sa langue. Sa muette réponse ne me laissait pas prévoir la surprise de taille…Samedi après-midi, après des moments câlins dont je ne souhaite pas vous entretenir, elle me colle littéralement dehors de la maison. Elle a oublié d’acheter de l’huile et sans huile, pas moyen de faire à manger ce soir…C’est en revenant quelque vingt minutes plus tard que je voyais… la surprise.Elle avait tout préparé en cachette depuis quelques jours. De quelques morceaux de tissus, de petits bricolages, elle avait réussi à décorer le salon à la mode de son pays. Le vieux tapis qui croupissait dans le garage trônait dans le milieu, démarrant ainsi une nouvelle vie. Et, le soleil au milieu de cela : une jeune femme blonde, finement décorée, en habit traditionnel bulgare, m’attendait.Je restais là… bouche bée. Mon ange bulgare avait visiblement de la ressource. Je voulais la prendre dans mes bras, mais pas question… il fallait passer par la table et goûter ces délicieux gâteaux au nom imprononçable. Je me laisse envoûter par mon ensorceleuse. Un verre de rakia plus tard, voilà Aéria qui prend une guitare et sa voix entame un récital. Me voilà transporté dans son pays. Je la vois vivre devant moi.Musique à rire… Ses yeux qui me suivent veulent me donner sa joie de vivre. Je veux qu’elle brille comme des diamants.Musique à danser… Mais peut-on kidnapper la musicienne pour une danse endiablée sans arrêter la musique ?Je la découvre sous un nouveau jour. Une jeune femme pleine de vie capable de jouer, d’interpréter la musique. Il y a quelques semaines, je l’aurais emmenée en boîte… là, je me dis qu’il faudra trouver quelque chose de plus subtil. Et pour finir une chanson dont l’interprétation ne laissait aucun doute. Une voix à la mélodie plus grave. Un chant triste parlant du pays, de la mort. Oui. Le cœur de ma Bulgare est resté là-bas. Je n’ai plus qu’un souhait… qu’elle y retourne.10 – La véritéEnfin. La journée s’achève. Cela fait maintenant plusieurs jours que l’activité intense au boulot me pèse. Nous devons impérativement tenir les délais pour la sortie d’un catalogue et nous sommes en retard. Il est presque vingt heures. Elle doit m’attendre.En passant, la boutique encore éclairée m’interpelle. Je m’arrête.Quelques instants plus tard, un magnifique bouquet mélangeant toutes les couleurs repose sur le siège passager. Encore un croisement et j’y serai. Pour que la surprise soit totale, la voiture se gare en roue libre, et je pénètre comme un voleur le bouquet caché derrière mon dos.Elle est assise devant son PC. Je l’imagine en train de travailler. Je m’approche pour l’embrasser doucement dans le cou… Et là, je me fige. Elle ne travaille pas. Sur l’écran, des photos défilent en diapo. Je n’ose révéler ma présence. Silence. Un combat. Oui.— C’est ton fils ?Un cri, elle se retourne, me voit avec le bouquet dans les bras, regarde l’écran… Elle se jette dans mes bras grand ouverts.— Comment es-tu au courant ? Que sais-tu ? Que t’a-t-on dit sur moi ?Elle devient tout de suite agressive comme à chaque fois que l’on touche à elle, à ce que je ne sais pas.Calmement :— Je sais que tu as un fils depuis déjà un mois maintenant. Depuis que j’ai réussi à traduire quelques lignes de ton fameux contrat. Je sais que tu as un fils, Aéria, et que tu ne m’en as pas parlé… je n’en sais pas plus. J’attendais juste que tu trouves le moment, le courage, de me le dire.J’ai dans mes bras ma biche perdue. Mes mains qui la connaissent par cœur calment les tremblements.— Je t’aime, Aéria. Tu le sais. Tu comptes plus que tout au monde.Pas question de laisser s’installer le silence. Le silence, ce soir sera mon ennemi. Si elle s’y réfugie, je ne saurais peut-être jamais.— Je t’aime, mon Amour. Je voudrais te connaître mieux. Je crois qu’il est temps que tu partages tout cela avec moi ? Non ?Je vois mes mots parcourir son visage. Je la vois réfléchir… me regarder. Sa bouche s’ouvre. Aucun son ne sort. Puis très faiblement :— Je ne sais pas. Je suis fatiguée.— …— Je t’aime aussi Marc, je t’aime aussi.Ses lèvres rencontrent les miennes. Mon cœur a bondi. Il y a de la joie. Il y a qu’enfin je sais qu’elle ne triche pas…— Je n’ai pas le droit de t’embarquer dans ma galère !— J’y suis déjà, non ?— Si peu…— Parce que vivre ensemble, c’est pas beaucoup ? Parce que tout ce que nous échangeons, cela ne compte pas ?Du coup c’est moi qui deviens agressif. Je me calme, il faut que je reste calme.— Je t’aime Aéria. Je voudrais pouvoir t’aider.— Justement, il ne faut surtout pas !— Laisse-moi comprendre au moins ! Ne me laisse pas imaginer n’importe quoi !— Tu crois que tu pourras encore m’aimer après cela ? Je ne veux pas te perdre…— Comment veux-tu que je t’aide à passer ton diplôme si je ne sais pas ce qui t’en empêche ?Ohhh… Là j’ai fait mouche. Nos mains sont liées. Elle me les serre si fort que… Elle se lève, me regarde :— Après tout, tu as sans doute raison. Tu as déjà fait beaucoup pour moi.— Tu peux peut-être…— Je ne sais pas par où commencer.— …— Oui, ces photos-là sont celles de mon fils. Celles que j’avais stockées sur le serveur de mes études… Je n’ai pas de nouvelles de Jan depuis. Marc. Je ne sais pas si tu peux comprendre. J’ai donné ma vie pour lui… Je ne sais même pas si cela a servi à quelque chose.Je ne dis rien, elle a enfin commencé à parler. La suite va venir. Je suis inquiet, mais sûr que tous les deux nous allons y arriver. Je l’aime, ce grand bout de femme si courageuse. Qu’a-t-elle de si lourd a dire ?— Je m’appelle bien Aéria Smazidiask, enfin c’est mon nom de femme. Mes parents sont d’un petit village proche de Sofia… Papa, c’était un membre important du village. Et puis, alors que je faisais mes études, juste avant l’université, nous avons commencé à avoir des problèmes d’argent à la maison. Papa a craint de ne plus pouvoir marier sa fille. Chez nous la dot est encore par endroit bien implantée. Et si papa ne pouvait plus faire ma dot. Je devenais une paria.Aéria me dit tout cela en marchant doucement dans le salon. Dessinant des figures imaginaires sur le tapis. Me regardant pour vérifier que je comprenais bien son français.— Je n’avais pas encore dix-huit ans quand j’ai épousé mon mari, Ivan. Papa me l’a présenté un soir. Et huit jours plus tard, j’étais femme. Je découvrais la vie dans une grande villa en même temps que je découvrais le pouvoir de l’homme sur la femme. Je ne parle pas seulement de celui qu’a l’homme dans la société bulgare. Non je parle du pouvoir sexuel. J’étais une jeune fille simple. Vierge. Et en quelques heures j’ai appris ce qu’étaient les devoirs d’une épouse.J’ai eu la chance que mon mari me respectât. Bien que plus âgé de douze ans, il m’a considérée comme celle qui lui donnait respectabilité. Donc en public j’étais la femme du petit chef d’entreprise de bâtiment. En privé, il avait entrepris de m’éduquer doucement aux plaisirs de la chair. Si tu apprécies mes fellations Marc, c’est lui qui m’a « éduquée » … J’aurais bien aimé continuer mes études, mais il a décidé que je devais rester au foyer. Il ne voulait pas que sa femme aille à Sofia à l’université. Faire la « putain ». Ce n’est que beaucoup plus tard que je repris les cours grâce à Internet et sans qu’il le sache. Il avait ses secrets. Moi j’en avais un aussi.Tout aurait pu rester comme cela et ma vie aurait été une succession de rêves. Je crois que l’élément déclencheur a été ce moment il y a sept ans. Un soir, comme presque tous les soirs, mon mari avait ses amis à la maison. J’étais souvent présente au début, souvent pour apporter l’apéro, et je comprenais vite que ma présence n’était plus souhaitée. Comme je n’appréciais pas trop ces amis, trop vulgaires à mon goût, je m’éclipsais dès que je le pouvais. Je me réfugiais dans la lecture, le jardin « … » Et la rêverie.Oui, ce soir-là quelque chose a dérapé. Il avait fait chaud, et je crois que ses amis avaient déjà bu avant de venir. L’un deux a profité que je passe avec les verres pour me mettre la main aux fesses… pas une caresse, non, la main direct sous la jupe et les doigts qui farfouillent. Je ne pouvais pas imaginer cela de la part des amis… je laissais tomber tout et l’engueulait vertement. Mon mari est devenu blême. Il m’a demandé ce qui s’était passé. J’ai dû dire devant tout le monde qu’il avait franchi la protection de ma petite culotte… Ivan m’a demandé de venir près de lui. Il tremblait. S’adressant à tous, il leur a dit, je m’en rappelle comme si c’était hier : « Cette fille est ma femme. Compris ? Tu as voulu la toucher, Brahim ? Viens, touche-la. Vas-y. Mets ta main. Entre tes doigts dans son cul. Tu apprécies le cul de ma femme ? Tu n’en toucheras plus d’autres ! »Et devant moi, Ivan a sorti une arme et l’a descendu. Imagine pour moi le choc. Voir Ivan de sang-froid descendre un de ses « amis » ! Je réalisai soudain que je ne connaissais pas mon mari.Je me suis mis à écouter ce que l’on disait au village et j’ai compris qu’Ivan était le caïd, le seigneur de la drogue et de la prostitution du secteur. Il avait besoin pour les autorités d’une façade. J’étais une partie de la façade. Ai-je commencé à avoir peur. ? Non pas de suite. J’en ai parlé à ma mère qui a avoué s’être rendu compte de leur erreur peu de semaines après notre mariage. Mais j’avais jusqu’à présent l’air heureuse. Maman et Papa vivaient avec la peur d’avoir donné leur fille à un vautour.Ivan après cet épisode m’a juste dit que maintenant « je savais »… Que je devais rester moi. Qu’il me voulait comme j’étais. M’aimait-il ? Hummm, à sa manière. Je crois que cela lui plaisait d’avoir une femme et non une putain comme compagne.Pour éviter que ce type d’incident ne se reproduise, Ivan commença à me sermonner pour avoir un enfant. Avec un enfant, je serai plus femme. Moins fille… et il fallait assurer son avenir ! Je cherchais donc dans les moments propices à lui donner satisfaction. Mais au bout de six mois, toujours rien. Rien, si ce n’est une dispute… me reprochant d’être stérile… il envisagea d’avoir l’enfant d’une autre !Tu me connais, la réplique a été cinglante… Je te vois sourire… Tu sais ce que je lui ai lancé ? Que s’il voulait m’engrosser, faudrait peut-être qu’il arrête de larguer son sexe dans mon cul ! Que jusqu’à présent, les bébés, ça se fabriquait toujours dans l’utérus !Aéria se love contre moi. Le silence est une pause salutaire. Elle m’embrasse doucement et reprend :— Trois semaines plus tard, la cuvette des w.c. avait pris un rendez-vous régulier avec mon petit déjeuner… J’étais malade… mais heureuse. Oui, à vingt-six ans j’allais avoir un bébé. Je ne sais si tu peux comprendre. Certes Ivan était un voyou, un meurtrier, un proxénète… mais pour moi c’était mon mari. Un homme, réglo. Je crois qu’à sa manière, il y avait un peu de reconnaissance et d’amour. J’allais lui donner un fils…La grossesse ne s’est pas bien déroulée. J’ai eu des ennuis très vite.À l’occasion d’une visite à Sofia, chez un spécialiste obstétricien, j’ai commencé à réaliser le plan.J’avais besoin d’assurer la vie de cette petite chose en moi. J’avais décidé de reprendre mes études via le net. Seul problème : pas de net à la maison pour moi. Et pas de possibilité financière.Donc ce jour-là, j’ai ouvert un compte bancaire sous mon nom de jeune fille avec l’adresse de mes parents. La carte bancaire me permettant ensuite de payer mes cours.Pour l’ordi et le net, j’ai joué fin. Étant obligée de rester couchée, je me suis arrangée pour qu’Ivan me paye un portable… et la wifi. J’ai donc eu une grossesse studieuse… Mes lectures ont vite viré vers du droit. Et Ivan, souvent absent à ce moment-là, n’y a rien vu.L’arrivée de Jan restera le plus beau jour de ma vie. Je suis devenue mère ! Mon but n’est plus le même. J’ai une nichée à protéger.Je sens les larmes couler sur ses joues. Qu’il est difficile de rester de marbre devant tant de détresse.— Il a quel âge maintenant ?— Cinq ans et demi.— Il te manque.— Oh oui… plus que tu ne peux imaginer.— …11 – L’horreur— Qu’est-ce qu’il s’est passé alors ?Je me suis allongé sur le tapis. Aéria est assise sur moi. Les mains posées sur mon torse. Elle tortille ma chemise. Ses lèvres tremblent.— En Bulgarie, tu as le pouvoir officiel, celui qui devrait être, et qui, en fait, est bien limité. Et puis tu as le pouvoir des mafias, des chefs de guerre. Celui qui veut le pouvoir le prend. Ivan a-t-il été trop ambitieux ? Ou pas assez prudent. ? Certainement un peu des deux.Le 5 mars alors que la petite réunion habituelle du soir est terminée, la famille passe à table. Je tiens à ce moment, car pour structurer un enfant, en couple il y a des instants, des règles à respecter. Le temps de repas, la bénédiction du repas c’est important. Enfin, nous étions donc en train de manger quand quatre hommes ont fait irruption dans la maison. Quatre hommes, dont deux… amis ! Devant Jan, devant moi, en deux secondes ils ont descendu Ivan. J’avais déjà compris quelques secondes avant. Le mode opératoire classique… un futur entrefilet dans la presse : « Règlement de compte entre deux bandes rivales »… on va retrouver nos corps calcinés dans les ruines de notre maison.Je me suis mis en mère poule devant mon fils, le protégeant de mon corps. Et loin de craquer et de crier, j’ai parlé. Je me rappelle ces mots, Marc… ceux qui me reviennent chaque fois que je revis ce cauchemar. « Faites de moi ce que vous voulez, mais par pitié, laissez vivre mon fils ». Quelques secondes d’hésitations, un œil lubrique qui s’anime chez le bourreau et une lueur d’espoir était née.Aéria a maintenant fermé les yeux. J’imagine qu’elle revit cette scène où, devant son fils, les quatre hommes vont faire d’elle une marionnette. Ils vont s’amuser avec son corps à tour de rôle, l’avilir comme jamais sans tenir compte des larmes de désespoir, sans tenir compte de la fierté d’une mère devant son fils.— Non, Aéria, ces moments-là resteront à toi, à nous maintenant.Je garderai au fond de moi que tu as choisi, à ce moment-là, la seule voie possible, celle de la vie. Celle qui t’a permis d’amener Jan au petit matin devant chez tes parents avec un sac… seule concession au nettoyage par le feu de ta vie, de ta maison. C’est complètement nue, souillée, dans une voiture aux vitres teintées que tu as vu ton fils sonner à la porte de ta mère. Et puis la voiture a démarré vers une autre vie, un calvaire.De cette nuit il reste ce papier ce « contrat » où maintenant, en face de chaque ligne écrite de ta main, je sais qu’il y a un supplice. Un papier qu’il t’arrive encore aujourd’hui de relire.La suite est si simple et d’une banalité sordide…Ces quatre hommes, dont deux qui ont mangés à ta table, t’ont « vendue » en cachette, car ils avaient comme consigne de faire place nette… cela voulait dire pour eux danger mortel si tu réapparaissais.Un voyage vers les voisins de Croatie, puis la Hongrie dans le coffre d’une voiture… Le froid, la faim et la peur… à chaque arrêt la servitude, l’horreur de n’être plus rien qu’une serpillière à pervers.Pour quelques dizaines de milliers de dollars, tu as changé de main, combien de fois ? Ton contrat en béton et ta servitude t’ont visiblement fait passer à côté du pire… l’avilissement par la drogue.Ta chance ?La rencontre avec le patron du site de vente qui cherchait un premier prix à son euro loto. A-t-il vu en toi le mélange de sexe et de retenue ? Ou est-ce seulement le prix attractif pour une fille de cette beauté ? Bref, en quelques heures, tu t’es retrouvée mêlée à l’équipe… un mélange de filles se reposant après l’effort, de starlettes à deux sous du porno… et toi, qui pour seul vêtement avait un tee-shirt laissé par une fille compatissante.J’imagine le soulagement quand tu as entendu les ordres… on ne touche plus à cette fille : il faut que ses tests HIV soient OK !Un ordre qui te donnait le droit de manger… Le droit de dormir.Enfin, quand le bruit de copulation des salles d’à côté ne t’en empêche pas. Quand la peur ne te tient pas éveillée.Il y a aussi cette Martha… celle qui t’a lavée. Celle qui t’a maquillée… celle qui t’a donné un peu de dignité, ces deux jeans et polos viennent d’elle…Elle ne parlait pas la même langue… Qu’est-elle devenue ? Celle qui t’a donné sa tendresse… celle qui a pleuré après avoir partagé la seule chose que vous aviez toutes les deux… votre corps, votre cœur. Elle a sans doute eu moins de chance que toi. Puisque tu l’as laissée un matin aux aurores, un aller simple pour Paris dans la main, et une incertitude, tel un poignard au fond de ton ventre.Ce soir-là, je sais que tu m’as tout dit… tu as vidé ton cœur.Dans ma tête tes mots résonnent : « Tu crois que tu pourras encore m’aimer après cela ? Je ne veux pas te perdre… »Non… n’aie pas peur, mon amour…Nous étions lovés l’un contre l’autre. Je t’allonge doucement. Je caresse ton visage qui est tendu. Mes doigts parcourent ton front, jouent avec tes cheveux. Mes lèvres se posent sur tes yeux. Je t’aime Aéria… tu es la femme que j’attendais. Doucement je dessine ton cou, dénude ton corps pour parcourir de frissons ses deux seins qui m’hypnotisent… oui il y a en toi cet équilibre si pur qui fait de toi un joyau.Je t’aime Aéria et je souhaite que tu restes la femme que tu es… que tu deviennes ma femme. Celle qui partagera mes joies, mes peines. Celle qui vieillira auprès de moi. Te voilà complètement nue, offerte à mes caresses. J’ai le plaisir de voir que mes effleurements t’ont déjà mise dans un état de désir.Ce soir, Aéria, je veux te dire tout l’amour que tu mérites, que tu auras…Quand ton corps soupire, je suis aux anges, quand les soubresauts du désir sous la caresse pointue de ma langue se manifestent mon corps vibre à l’unisson. Tu me murmures des mots que je ne veux pas entendre. Non je veux que ton plaisir soit fort, qu’il t’épuise… qu’il te montre que tu comptes plus, toi, que mon propre désir.Repus, allongé l’un contre l’autre, enlacés unis dans un baiser d’amour, je t’affirme que rien ne pourra ébranler les sentiments que j’éprouve pour toi… rien.Non… n’aie pas peur, mon amour… Tu es l’amante rêvée… celle qui a laissé tous ses tabous dans des rêves d’enfant. Celle qui va au-devant des moindres désirs de son homme. Je te veux femme, je te veux amante… quand mon sexe pénètre violemment ce cul si chéri. Je sais que tu te donnes. Je sais combien la femme devra soigner son corps ensuite, mais j’apprécie l’amante qui s’oublie, qui oublie tout pour la furie de la passion qui nous unit.Je sais que nous irons explorer ensemble les horizons les plus fous. Où notre raison aura disparu, où tu donneras beaucoup plus que tu ne recevras. J’aime cette amante qui sous mes caresses, ce soir, devient perverse… joue avec mon corps, les yeux brûlants de désir. J’aime ce corps de braise qui n’attend qu’une caresse pour devenir la plus sexy des call-girls…Je fais ce soir un rêve fou… tu es cette amante… Oui, mon amour… je viens.Je suis sur toi, je suis en toi. Chaque mouvement te pourfend… ballottent tes seins… je me vide dans un râle, m’écroule sur ton dos. Mon baiser te mord l’épaule. Nous sommes deux amants, deux fous unis pour nos délires les plus forts.Non… n’aie pas peur mon amour…J’espère depuis peu de temps que je découvrirai ton fils, qu’il deviendra pour moi, pour nous, notre fils.Je te vois mère des enfants que nous aurons ensemble (surtout si nous n’avons pas de contraception comme en ce moment).C’est à la mère de mes enfants que je fais l’amour ce soir. En douceur.Nos corps luttent, nous roulons sur ce vieux tapis qui nous accueille.La lutte est divine… ton rire, un euphorisant. Je craque lors d’un de nos 69 endiablés.Oui, Aéria, je t’aime sous tes trois visages et c’est comme cela que je veux te rendre heureuse.Le chemin sera peut-être plus long que voulu, mais je sais que nous y arriverons.Le petit jour nous surprend nus, enlacés, comblés.12 – Le visaAéria ! Voilà ma belle qui rentre du jardin et me rejoint auprès de mon ordinateur.— Tu passes ton examen semaine prochaine ! Tout est réglé.— Quoi ?— Oui, j’ai pris contact avec ton professeur maître. Pour le paiement des frais de déplacement, des frais d’hôtels et de repas pour une semaine, trois examinateurs passeront une semaine en France, et trois heures de soutenance pour toi. Ils arriveront lundi, mais l’examen est prévu jeudi après-midi… ce qui te laisse encore un peu de temps pour être prête, non ?— Tu as fait cela ?— Oui… ils m’ont même proposé pour le même prix en fait de te « donner » le diplôme. J’ai dû argumenter que tu souhaitais que ton diplôme soit réel…Un baiser brûlant, deux yeux brillants me confirment que le bonheur habite enfin cette maison.— Passe-moi le PC… faut que je bosse maintenant !Cela fait maintenant deux heures que je dévore des yeux une jeune femme en train de se vendre. Avec passion, elle répond aux questions les plus pointues… enfin je crois, car elle me berce de sa voix chantante… j’aime les intonations, les modulations de ma Bulgare chérie.Même si l’issue est déjà écrite, les trois professeurs la poussent dans ses retranchements. Je vois bien qu’à un moment ou un autre elle doute, elle se reprend, mais la passion est là. J’aurai une jeune femme avocate, cela ne fait pas l’ombre d’un doute.Après une délibération de trente minutes, j’apprends de sa bouche les quelques critiques que ces trois sages lui ont formulées… et serre contre mon cœur la jeune femme que j’aime… froissant par la même occasion le diplôme de format A3.Pour fêter cela, un superbe restaurant quatre étoiles nous attend. Une surprise pour elle. Il y a juste deux heures de route pour sortir de la capitale et rejoindre un havre de paix où la suite a été réservée.La joie ? La fatigue ? En rejoignant le périphérique, je m’arrête un peu brutalement à un feu. Le conducteur suivant nous rentre dedans brutalement juste sous le regard d’un véhicule de police. Ma voiture est bien enfoncée. Et nous sommes un peu choqués.Les policiers présents nous « aident » à remplir les constats et libérer rapidement la chaussée. Juste une formalité… de contrôle d’identité. Aéria donne son passeport et son visa.Le chef de patrouille tique au bout de quelques secondes.— Votre visa est faux, madame.Nous ne comprenons pas bien. Il nous explique qu’ils viennent juste de sortir d’un stage sur les faux papiers et que le visa d’Aéria est un des exemples types de faux visa. Le passeport est peut-être bon, mais pas le visa.Bien sûr, il l’invite à les accompagner au commissariat le plus proche…Pas question qu’elle y aille avec moi… je regarde partir Aéria encadrée comme une criminelle vers la voiture de police. Un comble.Je la retrouve au poste, attendant l’arrivée du gradé… pour vérification. Nous voilà assis, à attendre. Aéria est tendue… je lui dis que tout va aller, que ce n’est rien.Brutalement elle me répond :— Je crois que je sais de quoi je parle, non ? Si mon visa est faux, je suis sans papier. Si la procédure est respectée, demain je suis peut-être de retour en Bulgarie.Silence…Je sais ce que cela veut dire !Deux heures d’attente… c’est long. Sa tête sur mon épaule me rassure.Quand l’inspecteur arrive, je suis obligé d’insister lourdement pour être présent à l’entretien. C’est en vertu du droit d’avoir un traducteur que je peux alors rester !L’inspecteur cherche à savoir où, qui, lui a donné ce visa ?Pas facile de répondre sans mettre en danger Jan… Donc les explications ne sont pas convaincantes du tout.Elles le sont d’autant moins quand arrive le résultat de la recherche dans les dossiers bulgares : Aéria n’existe pas. Pardon, elle n’existe plus. Elle est décédée le 5 mars 2006 dans l’incendie accidentel de sa maison !Qui est-elle alors ? C’est ce que se demande ce policier… Aéria garde le silence sur son lourd secret. Aussi, en attendant la décision concernant son cas, elle est emmenée en cellule. Je suis écroulé, je ne peux rien faire. Je tanne le policier pour savoir comment arriver à la sortir de là. Il ne me laisse aucun espoir. Je ne peux la laisser seule cette nuit entre quatre murs. Je tente donc une folie…Quelques minutes de discussion plus tard, me voilà avec elle, officiellement en dégrisement suite à ébriété sur la voie publique… Un faible sourire m’accueille. Nous avons tout le loisir de saisir l’ampleur du désastre. Il nous faudrait un miracle pour nous sortir de cette situation. Aéria d’habitude si combative est écroulée. Une bien longue nuit que celle-ci.Vers dix heures du matin, nous sommes conduits devant un nouveau policier.Je remarque tout de suite que son objectif est bien précis. Il veut savoir le où, le qui, le comment elle a eu ses papiers. Ce commissaire se fiche visiblement des conséquences, du risque de rapatriement… Non, il veut savoir et il saura. Je retrouve mon Aéria, ma combative. Elle est superbe… elle donne l’impression de répondre, mais en fait à chaque fois on revient sur la réalité.Elle a profité de la loterie pour venir en France, c’est cette organisation qui lui a fait réaliser ses papiers… elle ne comprend pas pourquoi ils seraient faux, puisqu’elle est arrivée par avion normalement, qu’elle a passé les contrôles normalement.Et pour la mort dans l’incendie ? Il y a eu l’incendie de sa maison, oui. Elle a tout perdu, oui… Son mari… Alors elle a voulu partir. Que de la vérité. Mais une sacrée différence.Une différence qui visiblement intéresserait bigrement notre commissaire. Pas dupe du tout. Nous tournons en rond. Alors que je parle peu. Je lance un pavé…Je fais remarquer que nous aurions dû nous décider à nous marier plus tôt qu’attendre qu’elle passe son examen. Aéria est stupéfaite de mon audace. Je viens de mettre sur la table son diplôme. Je vois l’effet sur le policier. Un silence. Et nous voilà en face d’un joueur d’échecs.— Madame, je suis persuadé que vous gardez pour vous des éléments essentiels qui pourraient m’intéresser bigrement. Il se trouve que je suis responsable de la cellule filière bulgare. Nous cherchons depuis plusieurs mois à démanteler un réseau européen de trafic de drogue, de femmes, d’enfant, d’organes… Nous sommes persuadés que la tête de ce réseau est en Bulgarie. Nous connaissons quelques noms. Il nous manque des faits qui pourraient nous permettre de les arrêter. Je suis persuadé que votre petite histoire de maison brûlée ressemble bigrement à ce qui aurait pu arriver à ceux qui faisaient de l’ombre à celui que nous pensons… Il se trouve que vous êtes décédée et bien vivante en même temps. Nous avons la certitude que c’est bien votre identité.— Alors ?— Nous pourrions peut-être considérer que vous étiez en voyage d’études et qu’il faudrait juste refaire votre visa ?Aéria me regarde… Je lis sa tentation, son désarroi puis sa certitude.— Je ne peux pas parler, il y a plus que ma vie qui est en jeu.Ainsi c’est reconnaître qu’il existe bien un plateau d’échec, mais qu’il y a plus que deux joueurs ! Reconnaître et rester silencieux. Notre homme la regarde, la jauge.— Dites-moi seulement si votre maison a brûlé accidentellement ?J’ai envie de répondre pour elle…— Si l’on considère qu’avoir un jerrican d’essence dans son salon est normal alors oui, elle a brûlé accidentellement. D’un mégot malencontreux.Notre commissaire se lève, la regarde en face.— J’aimerais arrêter certaines vilaines choses, madame… il me faut des clefs. J’ai les serrures, mais il me manque des clefs. Vous êtes une de ces clefs. Si vous décidez de parler, si pour parler il faut sécuriser un membre de votre famille… dites-le. Si vous ne dites rien, nous ne pourrons rien faire.Il retourne à son bureau, griffonne pendant quelques minutes. Puis tend une carte à Aéria :— Ceci est ma carte. Si vous avez du remord, vous m’appelez.Puis une feuille… une demande de renouvellement de visa… Signée, il n’y a plus qu’à la faire tamponner par l’ambassade ou le consulat de Bulgarie.Le soleil qui nous accueille à la sortie du commissariat nous éblouit…Une sacrée partie d’échec, oui !13 – ÉchecTrois semaines ont suivi. Je crois que je ne me suis jamais aussi senti loin d’elle… Elle avait accepté une partie d’échecs malgré elle et elle ne trouvait pas l’issue.L’échec à chaque fois laissait une trace. Chaque soir je voyais en elle le combat : parler, se taire. Plus elle attendait plus j’étais persuadé que j’allais la perdre. Il ne me restait plus qu’à entrer, moi aussi, dans la partie d’échecs. Je voyais dans cette partie le moyen de redonner sa liberté totale à Aéria. J’y voyais une possibilité de lui faire récupérer son Jan. Il me fallait juste prendre les pions de la bonne couleur.Je rencontrai en cachette notre commissaire afin de le convaincre de donner un peu plus d’arguments à Aéria, et surtout pour qu’il réfléchisse à une solution si il avait à sécuriser un… enfant. Je l’engageai à la rencontrer une nouvelle fois et, pourquoi pas, dans un autre cadre. J’avais honte de la trahir. Mais une partie d’échecs, ça ne se gagne jamais sans risque et… sans casse. À moi d’essayer de limiter cette casse. Je m’en voulais tous les jours un peu plus.Je revenais de déjeuner quand mon portable a sonné. Elle m’appelle très rarement, la peur de déranger. À sa voix, je sais de suite que quelque chose d’important vient de se passer. Elle souhaite que nous montions dès ce soir sur Paris et que, côté boulot, je m’arrange. Je n’en saurais pas plus. Pas par téléphone. Le temps de croiser le fer avec mon boss, lui demandant l’autorisation de bosser en ligne et en visio, et me voilà ramassant tout ce dont je peux avoir besoin pour les jours à venir. Alors que je rentre très tôt, je découvre ma jeune femme assise, un livre à la main, la valise à ses pieds. Devant mon étonnement, elle place ses doigts sur mes lèvres…— Chuttt. On part, il y a cinq heures de route, nous aurons assez de temps pour discuter.Le temps de sortir de notre petite ville, nous voilà sur l’autoroute direction la capitale. Il est temps de discuter.— On dort où ce soir ?— J’ai réservé dans un petit hôtel en plein centre.— OK. Ils ont le net ?— Oui, j’ai pensé à toi pour le boulot.— Merci.Ma main est posée sur son genou. Je vois bien qu’elle ne sait pas comment me dire… Je devine bien, mais il faut la laisser trouver ses mots. Je conduis, attentif au trafic et à la pluie qui tombe.— Alors, tu m’expliques ?— …— …— Le commissaire est passé ce midi.— …— Soi-disant par hasard.— …— Nous avons discuté autour d’un café. Il m’a expliqué comment il travaillait sur ce dossier depuis bientôt deux ans. Qu’il était au bout. Mais que le boss était bien protégé. Ils n’avaient rien pour lancer l’opération contre lui. Contre ses sbires oui, mais rien contre lui. Il avait juste besoin d’un faisceau de preuves menant à un mandat d’arrêt international.— Et ?— Il m’a donné le nom des lieutenants de ce sbire… et dedans il y avait mes quatre tortionnaires. Je détiens la preuve des meurtres… étant visiblement le seul témoin vivant. Je peux donc l’envoyer en prison pour au moins vingt ou trente ans. Je ne sais pas si j’ai pas fait une grosse connerie, mais nous allons vers des moments difficiles Marc…— Et pour Jan ?— J’ai craqué quand il m’a dit que Jan était en vie, en bonne santé. Que l’enquêteur qui l’avait vu à la sortie de l’école l’avait trouvé en forme. Ce commissaire sait tout de moi, de nous… il m’a dit que Jan pouvait être avec nous quelques heures après un top… Il ne me restait plus qu’à parler. Et j’ai parlé. Je lui ai donné ce que j’avais écrit… puis détruit, puis réécrit. Je lui ai donné juste ce qu’il fallait pour que les quatre meurtriers soient envoyés en prison et avec eux le big boss. Le mandat d’arrêt international était déjà près. J’ai ensuite écrit manuellement une lettre pour maman. Une lettre lui disant que j’étais en vie, heureuse et que je souhaitais mettre en sécurité Jan en France auprès de moi.Une lettre lui disant d’amener discrètement Jan à l’ambassade de France à Sofia, et de rentrer au village. D’être ensuite plus que prudente pendant de longues semaines. Lui suggérant d’aller dans la montagne. Je suis sûre qu’elle me croira, j’ai écrit cela dans le patois de grand-mère. À l’heure qu’il est, il est possible que la copie soit déjà entre ses mains. Notre commissaire voulant profiter de la présence en France de trois des lieutenants pour les coffrer.— C’est quoi le plan, alors ?— On récupère Jan et on se met au vert en plein Paris pendant le temps qu’il faut. Je ne sais pas comment tu peux faire au niveau boulot, mais tant qu’il y a risque, il faudra vivre, bouger… se cacher. Le commissaire m’a promis que s’il a l’accord des juges, il pourra nous faire changer de nom et nous deviendrons la famille Dupont.Je conduis calmement. Ce que j’ai voulu vient de se produire. Mais les conséquences peuvent être terrifiantes. Je vais devoir quitter ma vie… Mon boulot ? La patience de mon boss va trouver quelques limites et à mon avis très vite. Aéria pose sa tête sur mon épaule… elle ne vit plus que dans l’attente.14 – Un espoirIl fait presque nuit quand la mère Tyessa pousse la porte. C’est une longue histoire entre elle et la famille. Une longue amitié qui date des arrière-grands-parents. Il se murmure même qu’un temps le père avait des vues sur elle. Mais que le patriarche en a décidé autrement.C’est dire que la mère Tyessa fait partie de la famille. D’ailleurs tout le village a fait bloc derrière la famille à la mort d’Aéria. Tout le monde aide Papy et Mammy à élever ce petit bout d’homme. La mère Tyessa passe tous les jours. Elle apporte un peu de lait frais de ses chèvres, et les cancans du village ; ceux de la ville aussi puisque sa fille travaille à Sofia et rentre de temps en temps. Justement, aujourd’hui sa fille est rentrée. Les nouvelles de Sofia sont bonnes et celles de son petit ami aussi visiblement. La mère Tyessa n’aime pas trop ce petit ami, mais il apporte équilibre et argent à sa fille. Il faut bien faire avec. Et ce soir elle est surprise, ce jeune homme a remis une enveloppe pour le Papy. Il a même insisté pour que sa fille rentre ce soir au village. Ça n’est pas dans l’ordre des choses. Mais la mère Tyessa vient remettre cette enveloppe.À la question muette du papy, elle hausse les épaules et marmonne :— Comment voulez-vous que je sache le contenu ? Y a qu’à ouvrir et on saura.L’enveloppe contient une lettre et une photo. La main du papy tremble. Il laisse tomber la photo d’Aéria sur le sol. C’est à trois qu’ils lisent les mots tracés quelques heures plus tôt dans ce pays si lointain. Pays synonyme de liberté… la France. Mamy murmure :— Tu es vivante ! Je le savais… je le savais !Elle relit la lettre, la dévore… Sur la photo, Aéria sourit, elle a l’air calme et heureuse. Sa fille. Sa petite fille chérie est en vie. Les larmes coulent sur ses joues.Bien sûr, elle veut récupérer son fils. Bien sûr, elle veut l’emmener, en France où la vie est le paradis. Mais… en relisant bien, les mots tracés lui font peur. Elle comprend. Ne rien dire. Le silence tombe comme une chape de plomb sur eux trois.Pratique, la mère Tyessa, bougonne :— Maria, ma fille, repart à Sofia demain matin à l’aube… elle vous emmènera, c’est le plus simple…Et surtout le plus sûr. Ne rien dire à Jan pour que tout soit normal. Et préparer le village à la surveillance… fuir ensuite dans les bois de la montagne, les alpages…La route pour aller à Sofia est sinueuse et l’état de la chaussée ne permet pas d’excès de vitesse. La petite voiture avance doucement, laissant le temps à Mammy de goûter les dernières heures qu’elle passe avec son Jan. Son Jan qui se fait une fête d’aller à Sofia. Mammy qui lutte contre le doute ; il y a tellement d’enlèvement d’enfants, de trafics. Elle doute, mais les mots de sa fille sont si réels. Elle serre contre elle cet enfant qu’elle chérit.*****Je regarde le jour se lever et éclairer le visage d’Aéria. Je sais combien le sommeil a été dur à trouver. À quoi penses-tu ? À quoi rêves-tu ce matin ? Je sais que nous nous posons tous les deux la question : où est-il ? Que fait-il ? A-t-il déjà eu la lettre ? Nos deux téléphones côte à côte attendent. Je descends du lit. Une douche m’aidera à aborder cette attente qui te consume. Mais là encore… pas de plaisir. Non, des gestes mécaniques. Le temps s’écoule et j’ai vraiment l’impression de compter : compter les secondes, compter les minutes. Nous avons fait cela une partie de la nuit.Il a fallu te convaincre que tu avais pris la bonne décision. J’ai enfin pu me soulager le cœur en te disant que j’avais rencontré le commissaire pour qu’il te contacte avec des faits, des preuves, des noms, des solutions. J’ai l’impression que nous vivons ensemble depuis une éternité, mais quand je fais le compte… c’était hier que j’allais te chercher à Roissy. C’est hier que tes dix mots de français te permettaient de gérer ta peur. Aujourd’hui c’est la peur de tout gâcher, de tout perdre. La mise est énorme, mais l’enjeu aussi. Je te retrouve éveillée. Notre baiser partage notre angoisse. Je dois travailler un peu.*****Enfin Sofia. Nous voilà devant l’entrée de la zone commerciale. Le parcours que nous avons étudié dans la voiture nous amènera logiquement devant l’ambassade. Il permettra de vérifier si nous sommes suivis… La joie de Jan est belle… il n’a plus été à Sofia depuis qu’Aéria nous a laissés. Sa réapparition pose plus de questions que sa mort. Pourquoi nous a-t-elle laissés sans nouvelles ? Pourquoi est-elle en France ? Et Ivan ? Elle n’en parle pas…Je craque pour une peluche… qu’il va falloir caser dans le sac déjà bien plein. Il commence d’ailleurs à être lourd. Nous nous arrêtons pour boire quelque chose de chaud. Et vérifier que personne ne nous surveille. Visiblement nous souffrons de paranoïa… Nous pouvons donc reprendre la progression vers la liberté.*****Nous bondissons en même temps sur le téléphone.C’est le mien. Mon boss qui veut que je regarde une modification sur une présentation. Je boucle cela en quinze minutes. C’est la première fois que tu me regardes bosser. Cela me gêne… même si je suis fier de ce que j’arrive à créer chaque jour. Tu craques… à force de tourner en rond, tu t’éclipses pour me laisser travailler.Une ballade en bord de Seine, une rêverie.*****Ça y est… l’ambassade est dans notre champ de vision. Il ne nous reste plus qu’à changer de trottoir. Jan me donne la main. Quelques marches. Une porte… Un sas en fait. Un grand hall. Et une jeune femme à l’accueil. Nous nous dirigeons vers elle quand un homme, surgi de nulle part, nous aborde.— Veuillez nous suivre, s’il vous plaît.Nous pénétrons dans un couloir. Un bureau. Nous ne sommes restés dans le hall que quelques secondes. L’homme se penche vers Jan et lui demande :— Tu t’appelles comment, jeune homme ?— Jan.— Jan comment ?— Jan Smazidiask.Il me regarde comme pour avoir mon acceptation… puis :— Dans quelques heures, tu seras avec ta maman, tu es d’accord ?— Ma maman ? Elle est morte. Les méchants l’on battue et l’on tuée avec mon papa.— Non, elle est vivante, ta mamy a une photo…Je prends conscience que tout va aller maintenant très vite.Je dois réagir… vérifier… je ne vais pas abandonner Jan sans être sûre !— Je veux l’entendre.— …?— Oui, je veux entendre ma fille me demander de lui envoyer son fils.— Elle vous a écrit ? C’est bien elle ?— Oui, j’en suis sûre, mais je ne veux pas qu’elle soit manipulée. Je veux être sûre que c’est ce qu’elle veut.— Ce n’est pas possible, madame.— Vous avez été capable de me transmettre une lettre écrite de sa main, et vous n’êtes pas capable de me passer en ligne ma fille ? Si elle ne peut pas appeler, c’est qu’elle n’est pas en sécurité. Si elle n’est pas en sécurité, Jan ne me quittera pas. Est-ce clair ?— Oui, très clair. Attendez quelques instants.Et mon bonhomme disparaît du bureau. Oh, nous ne sommes pas restés seuls. Une jeune bulgare est venue nous servir un thé… manière de nous occuper. Et Jan qui, perturbé, ne voulait pas croire que sa maman est vivante. Je lui montre la photo. Je le prépare à entendre la voix de celle qui n’aurait jamais dû le quitter. Quand l’homme revient enfin, je sais que j’ai gagné. Il nous demande d’approcher du bureau. Il compose un numéro.La sonnerie. Une fois, deux fois…*****Aéria a longuement marché sur les quais de la Seine… pour finalement s’asseoir devant Notre-Dame. Une manière de confier à la mère de toutes les mères le poids de son attente. Son téléphone vibre soudain.— Allo !— Ne quittez pas nous allons vous mettre en relation téléphonique avec l’ambassade.— Allo !— Aéria ?— Maman ! Oh maman…— C’est bien toi, ma fille. Comment vas-tu ? C’est bien toi qui m’as écrit ?— Je vais bien maman… très bien. Jan est là avec toi ? Passe-le-moi que je l’embrasse.— Mam ?— Oui mon bonhomme. Mon grand bonhomme. Tu me manques. Je t’aime.— (bruit de larmes)— Tu vas prendre l’avion, mon grand… et dans quelques heures tu seras avec moi. Et on fera… on fera tous les câlins qu’on n’a pas pu se faire.— Aéria ?— Oui maman ?— Ça veut dire quoi, tout ce cirque et la peur que tu as ?— Je ne peux rien te dire, mais Jan sera plus en sécurité en France qu’en Bulgarie. Et je ne sais pas après… non, je ne sais vraiment pas, mais je te donnerai des nouvelles. Faudra juste être patients et attendre que les choses retombent.L’homme intervient…— Il faut y aller maintenant… ou Jan va rater le prochain vol pour Paris !15 – Le choixJe me rappelle l’entrée en bourrasque de ma belle dans la chambre d’hôtel !— Vite, il faut y aller, il va prendre le prochain avion.— Vite quoi ? Sofia–Paris c’est plus de trois heures de vol… Donc on a le temps. Il vole sur quelle compagnie ? On a besoin de le savoir afin de connaître quelle aérogare ? Comment on fait pour le récupérer ? Cela va pas être si simple… non ? Si tu appelais notre commissaire ?Au bout du troisième appel, Aéria, savait. Le vol Air-France venait juste de décoller avec à son bord Jan… Nous avions juste le temps d’aller à l’aérogare 2, et faire les formalités.La voiture parquée au 2D, nous arrivons devant l’entrée… je cherche la petite porte signalée… et après une attente, une jeune femme de la police de l’air nous reçoit. Contrôle des passeports pour Aéria, et nous voilà avec deux badges VIP… donnant accès à la zone internationale. Le panneau nous confirme l’arrivée de Jan dans maintenant vingt minutes…Vingt longues minutes devant un café… J’ai pris sa main… petite illusion dans la mienne. Je la vois chaque minute regarder la grande pendule. D’un sourire, je lui murmure qu’elle n’avancera pas plus vite. Elle n’en peut plus. Pas la peine de lui dire qu’il est dans l’avion, qu’elle a réussi. Elle le sait. Rien ne peut illustrer cette attente. Quelques minutes avant l’arrivée présumée de l’avion, je l’emmène vers le point. Un banc nous tend ses bras. Elle se blottit dans les miens le temps d’espérer que le retard de quinze minutes annoncé ne sera pas suivi d’un autre.Son stress me gagne. Comment Jan a-t-il vécu ces dernières heures ? Comment vais-je être accepté ? Comment me faire comprendre alors que je ne parle pas un mot de bulgare ? Pourquoi n’ai-je pas fait l’effort d’apprendre alors que j’avais le temps ? Et puis tous ces conseils formulés pour notre sécurité, vérifier que nous ne sommes pas suivis. J’ai un peu la trouille. Je puise les forces dans ce que je vis avec elle.D’où nous sommes, nous voyons le bras télescopique où devrait venir l’avion qui est maintenant marqué comme atterri. Mais que fait-il ? Avez-vous remarqué qu’on passe presque autant de temps au sol à rouler qu’en vol ? Le voilà qui approche doucement. Il s’immobilise. Le bras précisément vient se poser sur la porte. Nous sommes là, debout, l’un à côté de l’autre à quelques mètres de la porte où ils vont tous passer. En premier, il y a les pressés, les hommes d’affaires avec leurs valises à roulettes, tous identiques, puis le flot devient continu avec un mélange de touristes, de familles.Aéria, debout guette l’instant où dans ce flot elle verra son Jan…Le flot diminue… s’interrompt. Les derniers passagers passent devant nous et nous laissent un vide… Un vide devant les yeux, une épée dans le cœur. Sa main se crispe et me serre. Il n’est pas là ? On nous a menti ? Son visage exprimant la plus cruelle des souffrances se tourne vers moi, couvert de larmes. Elle s’écroule dans mes bras. Tout cela pour rien ? Je ne sais comment la soulager. Je suis aussi mal qu’elle. Mes yeux sont restés de longues minutes sur la porte. Eh oui ! Là. À côté de cette hôtesse, il y a un bambin ! Aéria ! Regarde !Au même moment le gamin crie et se met à courir pour tomber dans les bras d’Aéria. Je me retrouve comme un con devant une hôtesse au grand sourire.— Je devais vérifier que je le remettais bien entre les mains de sa mère, mais je crois que le cœur a parlé !— Le voyage s’est bien passé ?— Oui, je ne parle pas un mot de bulgare et lui ne parle pas anglais ni français. Mais oui, il a été adorable. Je lui ai fait visiter le poste de pilotage. Mais ça commençait à être long.— Merci.— Vous pouvez me monter les papiers de sa mère ?Je prends le passeport d’Aéria dans son sac. Un grand sourire et l’hôtesse s’éclipse nous laissant tous les trois ensemble… vers notre destinée.Cela fait juste deux jours que nous avons emménagé dans un minuscule studio proche du Louvre. Un minuscule studio loué par « l’État » qui nous coûte quand même la bagatelle de 650 euros par mois… à ce rythme-là, mes réserves financières ne vont pas durer.Nous avons déjà eu trois fois la visite de « notre » commissaire, pour des renseignements complémentaires, pour des informations. Bref, nous sommes sous haute surveillance et la parano a monté d’un cran quand, la dernière fois, il est venu pour nous déménager du petit hôtel tranquille vers cet appart. Notre maison venait d’être visitée, un cambriolage sélectif. La police a fait des miracles et arrêté presque immédiatement un groupe de Roumains à peine âgés de dix-sept ans. Mais pour remonter vers qui ? Vers où ? J’aurais besoin d’aller rencontrer mon boss, mais je ne peux pas. La situation devient problématique. Aéria est tendue comme un arc. Le seul point positif est que Jan est un garçon adorable, plein de vie. Il m’a appris quelques mots de bulgare qui nous permettent de jouer aux échecs ensemble, et de tuer le temps. La promiscuité, la pression, l’incertitude fait que je sens un mal-être entre nous deux. J’ai peur, peur de craquer, de la perdre…Il est bientôt 22 heures, et nous allons replier la table pour installer nos lits.Une promiscuité qui me pèse, car depuis que Jan nous a rejoints, nous devons nous contenter de caresses furtives dans la salle de bain, cela n’arrange pas la complicité entre nous. La sonnette nous interpelle. Aéria attrape Jan et file vers l’issue de secours. Je réponds, la vidéo me rassure, c’est notre commissaire. Que se passe-t-il pour qu’il vienne au mépris de la sécurité, et à 22 heures ? En homme pressé, il s’installe face à nous et nous tend un dossier :— Si vous voulez, je repars avec, c’est les documents qui vous autorisent à changer d’identité. Une fois signés, vous serez mariés, Monsieur et Madame Pierre Moulinier et leur fils Jean. Nous vous avons trouvé un logement en banlieue et il vous faut changer d’employeur. Je pense que vous serez prioritaire à l’ANPE.— Qu’est-ce qu’il se passe pour que tout cela devienne si urgent ?— Il y a eu une attaque en arme dans le village de vos parents, Aéria. La milice organisée par votre père a tué le caïd venu les intimider. La fille qui conduisait le 4×4 a été blessée, mais elle va parler. Associée à votre cambriolage, cela veut dire que nous n’avons pas démantelé complètement le réseau et qu’il doit rester un ou deux types dangereux à coffrer. Il est donc urgent de vous protéger, que vous re-bougiez à nouveau, sous un autre nom. C’est pour cela que j’ai eu l’accord du juge il y a une demi-heure. Nous aurons besoin d’une témoin vivante pour le procès, pas d’un cadavre.— Et mes parents ?— Je n’ai pas d’informations précises, mais s’il y avait un problème, je le saurais.Hummm, le bonhomme n’a pas tout dit. Il nous préserve… J’attrape les papiers et commence une lecture détaillée… pfff… c’est bourré de textes juridiques. Si je veux tout lire, tout analyser, nous ne sommes pas couchés. Je regarde Aéria, ma belle, mais elle est sur une autre planète… un silence de plomb est venu dans la pièce… Notre commissaire attend, comptant repartir avec sa liasse signée.Aéria vient de sortir de son mutisme :— Oui, je crois que nous avons besoin de réfléchir. Vous nous proposez la fuite en avant, ce que j’ai fait depuis le jour de mon mariage. J’ai besoin de temps pour décider.— Mais vous n’avez pas le temps !— Nous allons prendre le temps de réfléchir et de faire le bon choix.— Quel autre choix avez-vous ?Un long silence…— Mon grand-père, alors que j’étais une petite fille de l’âge de mon fils m’a un jour expliqué sa façon de voir la vie. Les récoltes cette année-là avaient été très mauvaises et j’avais surpris ma grand-mère en train de pleurer. Je me rappelle encore, ce vieux visage si ridé, mais si expressif.« Ma petite Aéria, regarde notre récolte cette année. Ce n’est pas la peine de s’en prendre à Dieu, ce n’est pas la peine de s’en prendre au gouvernement. Non, nous sommes responsables. C’est nous qui avons choisi d’être agriculteurs ? N’est-ce pas nous qui avons semé du blé ou de l’orge au lieu de pommes de terre ? N’est-ce pas nous qui avons trop attendu avant de faucher dans l’espoir d’avoir un peu plus et… tout perdre ? Non, ma petite Aeria, nous pouvons prier Dieu qu’il nous aide à faire le bon choix, mais nous sommes responsables de nos choix. »(silence)J’ai choisi d’accepter l’homme que mon père m’a présenté pour époux… le choix de la facilité. J’ai choisi d’accepter d’arrêter mes études pour plaire à cet homme. J’ai choisi de rester avec un meurtrier. J’ai choisi de reprendre mes études sans lui dire.Aujourd’hui, je souhaite choisir ce qui est bien pour Jan, pour moi, pour nous.— Je compte sur votre appel demain matin alors ?— Il me semble qu’il faudra un peu plus de temps, mais je vous rappellerai, promis.Je me réveille après une nuit difficile où mes pensées confuses ont rejoint des rêves funèbres. Je me tourne vers elle… elle a déserté le lit. L’appart est calme. Jan dort encore. Le café vient juste de finir de passer. Je découvre son petit mot.« J’ai besoin de réfléchir seule. Merci de t’occuper de Jan. Ne t’inquiète pas je serai prudente. À ce soir. Je t’aime ! »Je relis le mot…« J’ai besoin de réfléchir seule. »Mon cœur se serre. Quel choix ai-je, moi ?Seize heures. Je commence à trouver le temps bien long. Pas de nouvelles de toi depuis ce matin. Comment dois-je interpréter ce silence ? Je t’ai envoyé un SMS il y a deux heures, juste trois lettres. Juste l’expression de mon cœur. Dur silence.Bip bip bip… Un message :« 19 h baby sitter arrive. Rejoins-moi à 19 h 30 resto des champs. JTM. »Les champs, notre petit restau… Tu es déjà assise à « notre table »… superbe. Tu ne m’as pas encore vu, je t’admire de loin. J’imagine que tu as pris tes quartiers ici depuis déjà un certain temps. En arrivant par-derrière, je te surprends d’un baiser tendre dans le cou. Je me laisse asseoir en face de toi. Je me noie dans tes yeux. Je me noie dans tes lèvres. Je veux parler, te demander quoi ? Tu poses ton index sur mes lèvres…— Je voudrais vivre ce soir une soirée d’amour, comme si nous devions mourir demain. Tu sais… « Si nous devions mourir demain, toi qu’est-ce que tu ferais ? » Eh bien, moi je ferai l’amour avec toi une longue nuit. Je pense que ma décision est prise, que c’est la moins mauvaise, mais je ne veux la partager avec toi qu’après t’avoir aimé jusqu’à plus soif.Bien sûr, je suis un peu inquiet, mais que répondre quand la plus belle femme de la terre, celle que vous aimez, vous invite à une soirée comme celle-là.— Laisse-toi faire, mon amour, cette soirée sera la nôtre.Minuit, Aéria me conduit dans la chambre qu’elle a réservée. Un palace, une suite… Passé la porte, je la plaque contre le mur, ne pouvant résister à toutes les tentations qu’elle m’a offertes durant toute la soirée. J’ai eu du mal à ne pas la violer lorsque nous sommes sortis du restaurant pour marcher un peu vers les jardins. Oui, te savoir nue sous cette robe noire moulante, mettant en valeur ta poitrine, objet de mes désirs. Oui, te savoir disposée à être coquine… sans arrière-pensée, te livrant sans pudeur aux joies d’une exhib discrète, mais bigrement efficace pour l’humble homme que je reste. Et avais-tu besoin dans l’ascenseur de venir prendre mes lèvres en caressant mon dos, ma nuque ?Je t’ai laissé la soirée, je veux ma nuit. J’écarte les fines bretelles de ta robe… et le glissement du lycra dévoile deux superbes seins que je m’empresse de couvrir de mes lèvres. Point besoin de mots, je sais à leurs formes que ma toute belle est dans un état identique au mien. J’accompagne la descente du tissu de baisers tendres et polissons. Ma langue s’attarde sur ton nombril. Humm… J’aime ton corps. Le lycra bien tendu bloque sur tes courbes… il faudra mes mains pour caresser tes hanches… pour dévoiler enfin un pubis couvert d’un soupçon de duvet blond roux… où je souhaite me perdre pour toujours. Nue, tu me serres contre toi, m’écrases et pars dans un rire qui réchauffe mon cœur. J’aime ta joie de vivre… Tu me pousses doucement, mais sûrement vers… la salle de bain. Je t’ai toujours trouvée très douée pour me déshabiller en peu de mouvements !L’eau chaude coule sur nos corps, le sang afflue dans mon sexe. Une bien belle tentation pour ta bouche. Tu t’agenouilles, l’eau couvre tes cheveux, inonde ton visage, mais ta bouche englobe ma virilité. Tu joues de mon corps. Tes mains caressent mes fesses, me plaquent contre toi, un divin supplice. Je te savais experte en la matière, mais il y a quelque chose d’unique dans cet instant ou je te possède. De passif, tu me donnes envie de t’accompagner, d’être plus fort, plus loin en toi. Je te donne ma source de vie… à toi, pour toi. Nos bouches s’unissent dans un baiser tendre, baiser d’amour, baiser de folie.— Te souviens-tu, Aéria, du jeu ?— Je te sèche, tu me sèches ?— Hooo ? Il reste une goutte là ! Un baiser !— Et finalement, il restait toujours une goutte…Je t’enlève dans mes bras pour te déposer tel mon bien le plus précieux sur le grand lit. Je vais pour te caresser, quand tu t’assieds.— Laisse-moi faire… Une femme a trois nids douillets pour accueillir le plaisir de l’homme et bien d’autres moyens encore pour l’achever. Laisse-toi aimer. Laisse-toi aimer.Te rappelles-tu ? J’ai aimé la douceur des caresses de tes cheveux quand après avoir été anéanti par ta passion dévoreuse, après avoir « subi » ta passion selon la porte étroite, tu m’as caressé longuement de tes longs cheveux blonds. Une caresse lascive, sensuelle. Un message sibyllin aussi… quand d’un baiser tu murmurais que tu espérais que j’en avais bien profité… Car dès le lendemain, malgré les pleurs de Jan, tu devenais une grande brune aux cheveux ultra courts…— Te rappelles-tu enfin quand épuisée, j’avais enfin le droit d’exprimer l’Amour qui était en moi ?— Oui, si tu devais mourir demain, je t’aimerais Aéria, je t’aimerais jusqu’à cet instant qui s’appelle la mort… la petite mort. Te rappelles-tu de la peur ? La vraie peur que j’ai eue quand tu es restée inanimée dans mes bras… morte de plaisir.Qui a regardé l’heure ? N’est-ce pas plutôt cette télé de malheur qui nous a clignoté cette heure si proche du lever de soleil ?Ai-je enfin le droit de savoir ? Quel est ton choix ? Quel est le choix, le bon choix ? Tu ne voulais pas gâcher cette nuit, mais je voulais savoir. Et la douche est glacée… Nue, assise dans mes bras, tu m’expliques ta façon de voir notre futur.— La première possibilité, la fuite, c’est de signer, je deviens ta femme. Je perds mon pays, mes parents, ma vie… je donne à Jan la chance d’être Français… de vivre dans un grand pays libre, mais je renie ce qui fait ma vie, ma joie… pourrais-je être heureuse ? En plus, tu perds ton job. On prend le risque de galérer, pour une sécurité qui sera difficile à conserver.La deuxième possibilité c’est de rester comme aujourd’hui, de se camoufler… par exemple je change de tête. On se marie, tu conserves ton boulot, mais on organise notre sécurité, la sortie de l’école. Ça me permettra un jour de revenir vers mes parents, ma vie, quoi.Ai-je le droit de t’embarquer dans une vie où la mort sera peut-être à chaque coin de rue ? Je t’aime… je ne veux pas te voir finir entre quatre planches… ou torturé devant mes yeux. Je n’ai pas le droit de t’embarquer là-dedans.La troisième possibilité est d’affronter, de se battre. Mon pays veut rentrer dans l’Europe, il a besoin de gens honnêtes qui se battent pour amener la justice. Je suis avocate grâce à toi, je peux faire quelque chose… Je peux rentrer, trouver un travail dans un cabinet sérieux, réputé, et me battre pour la justice à ma façon, en m’appuyant sur ma famille, les amis. Je serai en danger mortel ? Oui, mais si je veux donner un sens… J’ai été toute la matinée à l’église orthodoxe de Paris… j’ai prié longuement pour que mon choix soit juste. Pour que mon choix ait un sens. En faisant cela, je donne un sens à ma vie, et je crois que j’en suis capable.Demain, en fait vu l’heure, aujourd’hui, je dirai au commissaire que le temps de trouver un appartement dans un quartier correct de Sofia, le temps d’avoir mon contrat avec le cabinet d’avocat que m’a recommandé mon professeur, je prendrai l’avion pour Sofia avec Jan. Je laisserai mon cœur ici avec toi. J’espère que tu me comprends. J’ai une dette immense envers toi, une dette que je ne pourrais jamais rembourser. Même si j’ai estimé l’argent que je te devrais en espérant que tu seras patient.Sa voix se casse… et ses larmes si longtemps retenues s’écoulent. Je suis brisé, d’un mot elle raye nos projets, notre vie ensemble… mais à la sentir, pas notre amour. Je me rappelle ces mots devant la flamme des bougies, autour du vin qui faisait briller ses yeux… hier soir, il y a un siècle… « Je t’aime Marc… je t’aime à la folie, quoiqu’il arrive, ne l’oublie jamais » Tu savais… Oui… si tu devais mourir demain ! Tu as décidé pire que cela…Le facteur sonne, Aéria vient de sortir, je suis seul dans l’appartement. Un recommandé. Je signe. L’ouvre… Une lettre accompagnée de deux billets. Deux allers simples Paris-Sofia, dans trois jours.Une envie de crier… jusqu’à ce que tout s’arrête.Une image. Un sourire. Une petite gamine, une petite voix douce :— Nous pouvons prier Dieu qu’il nous aide à faire le bon choix, mais nous sommes responsables de nos choixFIN Qu’est-ce qu’y dit ? (épilogue) — Jan ! Quelle heure est-il ?— 19 h 30, mamy.— Maman ne devrait plus tarder, descends donc le chercher, qu’il t’aide à dresser la table.— Je lui ai fait signe, il est au téléphone.Je quitte mon bureau content de cette journée. Les choses se présentent mieux. Un premier contrat se profile à l’horizon. Cela me change, de faire du commercial en plus de la création. J’aime bien. Quelques marches de plus, et me voilà dans l’appartement. Mon grand bonhomme a commencé à mettre le couvert. Un instant important dans notre famille, le repas. J’espérais son coup de téléphone, mais non… nous devrons attendre encore un peu.L’odeur qui s’échappe de la cuisine m’ouvre l’appétit. Mamy laisse échapper un juron ? Je me retourne vers Jan :— Qu’est-ce qu’elle dit ?Jan rigole et avec ses mots me fait comprendre en mi-bulgare, mi-français, que si maman ne se dépêche pas, le repas sera brûlé ! Mamy… maman… des mots que j’aime entendre. Des mots qui m’assurent que j’ai fait le bon choix.La sonnette… le code de sécurité ? C’est elle. Une jolie jeune femme brune au sourire fatigué apparaît dans la porte. Elle lève ses deux pouces. Et murmure : « acquittement ».— Un miracle… quand tu as pris ce dossier, ta première affaire… il n’y avait aucune chance ! Et tu as tout épluché. Tout durant de très longues heures ! Et ce soir la joie du verdict récompense tes efforts, nos efforts. Il y a un début de justice…— Qu’est-ce qu’elle dit ?Aéria rit de son rire qui me réchauffe le cœur et part dans une discussion où mon bulgare naissant n’arrive pas à suivre. L’heure étant dépassée, nous nous asseyons à table… Mamy me regarde… c’est à moi. Je prends la main de ma belle, et la posant ensemble sur le pain :— Merci, mon Dieu, de veiller sur notre famille d’aujourd’hui, de lui donner ce pain pour qu’elle soit heureuse et grandisse.Quelques mots courts, mais mon cœur y est. Quelques mots en français… qui sont immédiatement suivis de mamy :— Qu’est-ce qu’y dit ?Et ma traductrice préférée parle pendant cinq minutes pour expliquer le sens d’une courte phrase. Le repas c’est le moment des échanges quand deux parents travaillent. C’est aussi le moment de lui dire que je vais probablement signer le contrat qui officialisera la filiale bulgare de mon employeur français.— Et j’allais oublier le coup de téléphone du commissaire. Il pense avoir trouvé sa trace en Belgique… Il m’a demandé si tu pourrais faire un aller-retour pour être sûre la semaine prochaine. Je lui ai dit que si c’était Martha… tu ferais l’aller et le retour avec elle. J’attends confirmation de la date, mais je m’occupe de tes billets.Je te sens soucieuse. Il me faut attendre d’être seul avec toi, dans notre chambre pour savoir. Savoir que tu t’es accrochée avec le boss, le patriarche, celui qui impose le respect, uniquement parce que tu as accepté de t’occuper de la fille qui poireautait dans l’entrée. Uniquement parce qu’elle ne pouvait pas payer son avocat. Et surtout parce qu’elle venait de la rue et voulait cesser. Et toi, la nouvelle, pour « un Leva » tu te lances tête baissée…Le patriarche t’a rappelé les domaines d’intervention du cabinet, a fait pression pour que tu abandonnes. Te connaissant, ton retard ce soir au repas vient de là.— As-tu eu le dernier mot ?— Il est trop tôt pour le savoir.Tu sais juste que le nom du cabinet ne devra pas être cité… Que tu le fais en ton nom, sur ton temps. Parce que tu es toi. Et que je t’aime comme cela !Tu t’endors tendrement contre moi. Aéria, ma femme…Le réveil !Que les nuits sont courtes avec toi. Ton visage est encore un peu fatigué. Je file à la cuisine, mais mamy m’a encore précédé. Un grand sourire. J’installe le petit-déjeuner…Aéria a rendez-vous très tôt avec la jeune fille d’hier.Jan nous a rejoints… et même si je me sens un peu à l’écart, le rire, le chahut matinal fait partie de ma joie, ma famille. Je sens sa main se crisper sur la mienne, nos regards se croisent alors qu’elle s’éclipse. Occupé par Jan je ne la vois par revenir. Ce sont les lèvres dans mon cou qui me rassurent. Tout va bien.La mamy nous parle.Je scrute Aéria, cherchant à comprendre… attendant mon interprète. Le sourire qui naît sur ses lèvres est mon rayon de soleil pour la journée. Je ne peux résister.— Qu’est-ce qu’elle dit ?Un silence… Elle dit :— Si vous ne vous pressez pas un peu de passer voir le pope… les petits pieds vont arriver avant qu’vous soyez marieschh !Fou rire de ma femme…The real EndIn memoriamJe dédie ce texte à toutes les « Aéria » de la terre. Qu’elles aient le courage, la chance de se lever et de changer leur vie.Nalar, mars-mai 2006