— Allô ! tonna Germain d’un ton excédé.— Monsieur Germain ?— Ouais, mais j’ai besoin de rien.— Je suis désolée de vous déranger, c’est Mélanie, votre locataire…— Ah… S’cusez-moi, j’croyais qu’c’était encore une de ces pubs au téléphone. Ils nous emmerdent sans arrêt. Alors, dites-moi, qu’est-ce qui est cassé, qu’est-ce qui ne marche pas ?— Euh… Rien, rien, tout va bien… J’ai juste… un petit problème financier ce mois-ci… ma voiture est tombée en panne… j’ai dû la faire réparer… alors pour le loyer…— Oh là là ! Je vois. Ces choses-là, ça se discute les yeux dans les yeux, pas au téléphone. Vous êtes chez vous demain ?— Oui, c’est samedi, je ne travaille pas et je ne sors pas.— Bon. Eh ben, je passerai vous voir, disons… en fin de matinée.— Merci, Monsieur Germain. À demain.— C’est ça, au revoir.Le lendemain, c’était samedi, jour de marché à la ville, et Germain en profitait pour aller se faire un peu d’argent frais. Autrefois c’était la Françoise, sa femme, qui se chargeait de cette vente et en profitait pour faire quelques courses. Mais elle était décédée il y a trois ans des suites d’une longue maladie, comme l’on dit pudiquement. Une fois veuf, il avait pris sa suite, non par nécessité, mais parce que c’était l’occasion de voir des gens, de discuter un peu, de boire un coup. Et puis il fallait bien écouler sa production, encore plus excédentaire maintenant qu’il était seul. Par habitude paysanne, héritée de l’époque où les bras étaient le principal moteur de l’agriculture et où chaque repas réunissait dix ou douze personnes autour de la table, il produisait des légumes en quantité dans le même jardin que travaillait son père, et son grand-père avant lui. Un beau potager nourri du bon fumier de ses vaches. Il n’avait pas d’étal, il lui suffisait d’ouvrir le hayon de son « Berlingo » et en moins d’une heure le fourgon était vide. C’était bon, c’était beau, c’était bio et en plus pas très cher. Il était réputé, certains se bousculaient à son arrivée. Il vendait également des œufs, quelques volailles et un peu du produit de ses vaches, lait, crème, beurre et fromages quand il en avait en excès ; en fin de saison, avant de tuer le cochon de l’année, il négociait le surplus de pâtés, terrines et salaisons pour libérer les récipients.Sa réputation, d’où la tenait-il en dehors de la qualité de ses produits ? En reprenant l’exploitation de son père, décédé prématurément, probablement à cause des produits phytosanitaires utilisés sans précautions, Germain courait comme un fou après la rentabilité. Toujours plus de vaches à viande, toujours plus d’investissements, de nourriture à acheter, de médicaments, de vétérinaire… pour des prix de vente toujours plus bas. Quand il s’était marié, son père avait vendu une vache dix mille francs pour payer la noce. Dix ans après, il n’en tirait péniblement que deux mille euros, alors que le prix des aliments, des engrais et du carburant était presque une fois et demie plus élevé. L’éleveur était au bord de la dépression, endetté, sans percevoir d’issue à l’étau qui le comprimait de plus en plus. C’est la Françoise, infirmière de profession et inquiète pour la santé de son époux, qui lui offrit une solution :— Arrête de te passer la rate au court-bouillon. Fais du bio, du luxe, y a plus que ça qui marche !Il alla à la Chambre d’agriculture pour se renseigner. On le dirigea vers les sous-sols où un type étrange l’accueillit. Genre bobo soixante-huitard, sandales, jean et chemise à carreaux, tignasse hirsute et lunettes en culs-de-bouteille.— Tu me crois si tu veux, mais l’agriculture d’aujourd’hui est totalement obsolète. Tu ne cultives pas, tu tues la terre. Tu n’élèves pas, tu engraisses des multinationales. L’avenir est dans le passé : plus de chimie, plus d’engrais, plus de pesticides, redonne ses droits à la nature et travaille avec elle…Au point où il en était, il n’avait plus grand-chose à perdre, alors pourquoi pas. Déjà, en supprimant les aliments industriels et les intrants chimiques, il économisait presque assez pour être à l’équilibre. Sauf que son cheptel allait crever de faim.— Ben, c’est sûr, lui dit le gars, si tu persistes à faire de la bidoche de supermarché, tu bois le bouillon. Mais si tu fais dans le luxe, alors là, tu te fais des couilles en or. De l’exceptionnel, du réservé aux étoilés, tu n’en fais que la moitié, mais là c’est le jackpot !Il a eu du mal, le Germain. Il a vendu ses cent cinquante bovins au prix du marché et il n’a pu racheter qu’une soixantaine de Parthenaises. Des bêtes magnifiques à la robe cognac, aux yeux comme maquillés au khôl. Moins de bêtes, moins de travail, surtout en stabulation libre, paissant la plupart du temps dans les prés. Et puis il y avait ces aides promises à la conversion qui devaient lui ouvrir des jours plus heureux. Le calcul montrait qu’il avait droit à trente-cinq mille euros par an pendant trois ans, le temps de retrouver l’équilibre… Bizarrement, c’est à ce moment-là précisément que Françoise tomba malade. Elle qui était plate comme une limande, qui ne voulait pas avoir d’enfant, il lui trouva soudain le ventre bien rond.— C’est-il que tu nous prépares une belle surprise, la Françoise, avec ce p’tit bidon bien rebondi ?— Idiot, bien sûr que non. J’ai dû manger quelque chose qui ne m’a pas convenu.— Pourtant, tout est bio, maintenant. Même le fumier que je mets dans le potager.Elle ne voulait pas d’enfant, mais c’est par là qu’elle est morte. On lui a enlevé une tumeur grosse comme un ballon de football, et le chirurgien a dit à Germain qu’il y en avait absolument partout, que ce n’était plus qu’une question de jours ou de semaines. Effectivement, le mois suivant il accompagna la Françoise à sa dernière demeure.Sale coup pour Germain, et à double détente. Car son infirmière de femme gagnait de quoi faire bouillir la marmite, ce que l’exploitation ne permettait pas, et surtout elle s’occupait des comptes et de la paperasse. Si bien que Germain ne toucha que la première avance des aides à la conversion, quinze mille euros, et que quatre ans plus tard il n’avait toujours pas perçu les soixante-quinze mille euros de solde qu’on lui devait. Déclarations en retard, dossiers mal remplis, et un État qui se faisait tirer l’oreille, toujours à court d’argent.— Alors, ma p’tite demoiselle, racontez-moi ce qui se passe.— Ben voilà. Il y a une dizaine de jours, ma voiture s’est mise à ronfler très fort sans vraiment bien avancer, et puis les vitesses grinçaient.— L’embrayage. Le disque d’embrayage mort.— C’est exactement ça. Il a fallu le changer, enlever le moteur ou je ne sais quoi… enfin j’en ai eu pour six cents euros…— Normal, ou à peu près, j’aurais dit cinq cents. Et alors ?— Ben… quand on gagne mille deux cents par mois, c’est la tuile ! D’autant qu’ils m’ont dit que les plaquettes et les disques de freins étaient morts aussi…— D’accord. Ah les voitures, c’est une rente. Mais en quoi ça me concerne ?— C’est que… je vous donne quatre cent cinquante par mois pour le loyer… Alors avec le gaz, l’électricité, l’eau, le téléphone, le carburant… il ne me reste plus rien. Je peux vous donner tout ce qu’il me reste, c’est-à-dire deux cents euros. Mais quatre cent cinquante, je ne peux pas… Je voulais vous prévenir… et puis surtout vous dire que ce n’est pas de ma faute…— Mouais !… M’enfin la voiture, vous pourriez vous en passer, non ?— Ben non, c’est mon outil de travail, j’en ai besoin tous les jours… Sans elle, je perds mon boulot et là… je ne peux plus vous payer du tout.— Mais là, je vous fais expulser et je trouve un autre locataire.— Oui… B… bien sûr… mais… depuis trois ans, je n’ai jamais manqué un loyer, dit-elle en larmoyant…— C’est vrai, c’est un bon point pour vous, et vous n’avez jamais rien demandé.— Je… je me débrouille. Si un truc tombe en panne, je considère que c’est moi qui l’ai usé, je le fais réparer.— C’est bien, c’est un deuxième bon point. Qu’est-ce que vous faites comme boulot, si c’est pas indiscret ?— Je suis aide à domicile. Le matin à huit heures, je vais lever une petite mammy, je lui fais sa toilette et son petit déjeuner. Puis très vite je vais chez d’autres pour faire le ménage pendant deux heures. À midi et demi je reviens chez la mammy et je lui fais son déjeuner, sa vaisselle… Et j’y retourne le soir pour la faire dîner et la coucher. On me donne généreusement une demi-heure pour les déplacements et ça me fait sept heures par jour, trente-cinq par semaine… au SMIC…— Eh bé ! Remarquez, moi je travaille douze heures par jour, tous les jours, parfois même les nuits en période de vêlage, et je ne me sers pas de salaire. Voyez, on n’est pas parmi les riches ! Et justement, comme je ne peux pas me sortir de salaire de l’exploitation, ce loyer m’est indispensable, c’est avec ça que je vis. Vous comprenez ?— Oui Monsieur.— Ça et puis ce que je vends au marché comme ce matin… Cet appartement, c’était celui de ma femme. Elle était infirmière et elle l’avait acheté pour dormir sur place, surtout l’hiver, ça lui évitait des kilomètres et de la fatigue. Depuis qu’elle est morte, c’est ça qui me fait vivre. C’est toujours elle qui me fait vivre, même si elle n’est plus là.— Je suis désolée…— Ne le soyez pas, ça la ramènera pas. Ce que je veux dire, c’est que sans ce loyer, moi j’peux plus vivre. Vous comprenez ?— Oui, je comprends… Mais vous savez, avant de vous appeler, j’ai fait tout ce que j’ai pu. Je suis retournée à la maison de retraite où j’avais fait un remplacement, au tout début, parce que j’ai du temps entre quatorze heures et dix-huit heures, pour faire la plonge ou n’importe quoi. Pas de place, il faut aussi assurer le déjeuner. Pareil pour les cantines. J’ai même demandé à ma patronne de m’occuper de ma petite mammy les week-ends. Mais ça prendrait le boulot d’une étudiante qui, paraît-il, en a besoin. Parlez, elle travaille neuf heures et elle est payée dix-huit parce que c’est le week-end. Mais c’est la fille d’une copine de la patronne… J’ai pas encore trouvé, mais je vous promets que je vais y arriver… Je fais tout ce que je peux, ajouta-t-elle en éclatant en sanglots.— Ah je vous en prie, ce ne sont pas des larmes qui vont m’attendrir. Et votre famille, elle ne peut pas vous donner un coup de main ?— Oh non ! Mon père a disparu du paysage depuis très longtemps, et avec ma mère on est fâchées.— Mouais, ça ne me dit pas comment je vais faire, ça. Moi je ne vois qu’une solution : demander votre expulsion avant la trêve hivernale…— Oh, Monsieur Germain… Non, par pitié… Regardez, je vous ai préparé un chèque de deux cents euros, c’est tout ce qui reste sur mon compte… Je vous en prie, ne faites pas ça… Laissez-moi une chance… Sans adresse, je suis fichue… Plus de boulot, plus rien, plus qu’à… me jeter dans la rivière…— C’est ça. D’abord les larmes, le chantage au suicide maintenant. Savez-vous qu’il y a un agriculteur qui se suicide tous les deux jours en France ? Alors, calmez-vous, sur ce plan-là je suis plus concerné que vous. Moi, ce que je vois très bien, c’est que ce mois-ci c’est l’embrayage, le mois prochain trois cents euros de plaquettes et de disques de freins, et Germain sera payé à la Saint Glinglin.— Oh, Monsieur Germain, je vous en supplie… Ce mois-ci, je vous donne tout ce qui me reste, deux cents euros. Le mois prochain, il devrait m’en rester trois cents, et je vous les donnerai. Je vous devrai donc quatre cents euros, quatre mois à cinq cent cinquante si vous le voulez bien… Et ça, c’est vraiment si je ne trouve rien d’autre entre temps… S’il vous plaît… Je vous en prie…Le bonhomme, qui avait prôné une discussion « les yeux dans les yeux », détournait souvent la tête, marchant de long en large et regardant par la fenêtre. Il ne voulait pas montrer ses faiblesses. Bien sûr, qu’il n’allait pas la faire expulser pour un peu de retard, il n’en mourrait pas et disposait de quelques réserves pour patienter. Ayant tout pour se nourrir, n’achetant que le sel et le poivre, entre loyer et vente au marché, il ne dépensait même pas les mille euros de revenus. Mais il éprouvait une certaine jouissance à terroriser cette jeune femme qui, il le sentait bien, aurait fait n’importe quoi pour ne pas se retrouver à la rue. Et puis… et puis il l’avait trouvée pâlotte et amaigrie en arrivant, d’après le souvenir qu’il en avait en signant le bail trois ans auparavant. Cependant, elle restait encore mignonne, malgré ses joues creuses et ses pommettes saillantes. Le reste surtout le troublait beaucoup. Elle portait un leggings et un sweater moulants qui laissaient deviner une paire de nénés plus qu’honorable et un cul particulièrement généreux. L’opposé de la Françoise, tout pour remplir les mains d’un honnête homme. Plus il la regardait et plus sa virilité palpitait, et quand elle se jeta à genoux pour supplier sa bienveillance, il lui vint une idée saugrenue. Tellement qu’il s’entendit lui dire sans y croire lui-même :— Remarquez… on pourrait p’têtre trouver une sorte… d’arrangement…— C’est à dire ?— Ben… j’suis veuf, un homme seul… alors si… vous me faisiez une petite gourmandise, dit-il en avançant le bassin…— Vous voulez dire que je… vous…— Juste une petite gâterie qui n’engage à rien… comme ça, le genre de truc qu’on oublie vite, mais qui soulage le bonhomme…— Bon…Ben merde alors, pensa-t-elle. Il veut que je le suce, le cochon. Il abuse de la situation. Enfin, si c’est indispensable pour ne pas me retrouver à la rue… Oh putain ! Mais c’est qu’il est monté comme un bourricot ! La vache, je vais m’en voir pour avaler ça. Pourvu que… non ça va, il sent bon la savonnette…Germain n’en revenait pas. La petite s’était laissé faire sans barguigner. Non seulement ça, mais, après un instant d’hésitation, elle le pompait divinement. Ah, ce n’était pas le petit coup de langue vite fait de la Françoise avant de lui tendre ses fesses avec dédain. Là, c’était du grand art : coups de langue sur le méat, sur le frein, gland gobé et malaxé, succion forte, mais sans excès, gorge profonde, branlette de la hampe, coups sur la langue et sur la joue, couilles malaxées et grattouillées, bref, le grand jeu. Elle y mettait le paquet, la salope. Il ne savait que pousser des grognements et lâcher des « Oh pu-tain » sporadiques. Et puis il y avait ce regard aux yeux révulsés pour guetter dans les siens la montée du plaisir. Elle le retardait comme elle le souhaitait et quand elle décida que ça suffisait, elle accéléra brutalement la branlette, augmenta la succion et pressa plus fort les testicules. Il ne put que se rendre, giclant à longs jets trop longtemps retenus. Elle avala tout sans sourciller et lui nettoya le matériel presque avec gourmandise.— Excusez-moi un instant…Il s’affala dans le canapé clic-clac et l’entendit se laver les dents. Il avait la tête et les couilles vides et planait sur un petit nuage de félicité. Elle revint.— Vous voulez boire un thé ?— Euh… pas vraiment à cette heure. Z’auriez pas une’tite bière ou un coca à la rigueur ?— Hélas non, voyez vous-même. Mon frigo est vide, il ne me reste qu’un yaourt…— Ben… qu’est-ce que vous allez manger ce week-end ?— Ce yaourt et j’ai un reste de pâtes dans le placard.— Mon Dieu, misère ! C’est-y possible ? Une jeune femme comme vous dans la force de l’âge, il faut que ça mange.— Ben oui, mais quand on n’a plus de sous, on fait comme on peut.— Et le reste de la semaine ?— Oh, je grignote un peu en préparant les repas de ma petite mammy. Et puis des fois, certains me donnent une petite pièce, de quoi m’acheter un bout de pain…— Ouais, mais ça c’est pas possible. C’est votre santé qui est en jeu. Bon Dieu de nom de dieu, c’est pas vrai qu’une jeune femme qui travaille n’aie pas de quoi manger ! Merde alors ! Tous des exploiteurs. Et ils ne peuvent pas vous fournir une voiture de service ? Y en a qui le font…— C’était prévu, mais ils n’ont pas eu la subvention, de l’état ou de la région, je sais plus. Y a plus de sous nulle part…— Décidément, on vit mieux à la campagne qu’à la ville. Bougez pas, vous ne sortez pas dans l’après-midi ?— Ben non, si je n’ai pas d’argent pour manger, j’en ai encore moins pour sortir…— Je reviens un peu plus tard. Et… merci pour… c’était rudement bien, un vrai travail de pro !— Je ne sais pas si c’est un compliment, j’veux dire d’être professionnelle de la chose…— Non, je ne voulais pas vous insulter, c’était admiratif. Où avez-vous appris à faire ça ?— Ah !… C’est ma mère. À quinze ans, elle m’a dit « ma fille, si tu ne veux pas qu’un homme te saute, il faut le sucer ! », et elle m’a fait m’entraîner avec une bouteille de Perrier. Et croyez-moi qu’avec une bouteille, si les dents ne sont pas rentrées, on s’en rappelle !— D’accord, remarquez elle n’avait pas vraiment tort sur le fond. Mais la bouteille, ça ne fait pas tout ?— Exact. Alors après, elle m’a fait m’entraîner sur son copain. Je crois que ça l’excitait et lui aussi, ce salaud. Tous les soirs quand il rentrait de boulot ou d’ailleurs, il venait dans ma chambre pour sa « petite sucette », comme il disait.— Ah la vache ! Il s’en passe des trucs dans les familles…— Ouais. Et puis un jour, c’était grève générale : pas de lycée et lui pas de boulot. Juste ma mère a voulu y aller quand même, elle tenait une boutique de fringues avec une copine. Alors il est venu dans ma chambre dès son départ, j’étais encore en chemise de nuit. Il m’a dit qu’on allait faire quelque chose de nouveau, que j’avais les nichons pour. Il m’a ôté ma chemise de nuit et il m’a demandé de le branler avec mes seins. Au début tout allait bien, mais il a voulu aussi me les tripoter, me les sucer, disant qu’ils étaient beaux, gros et fermes. Et là, tout a basculé. Ces mains d’homme sur mes seins m’ont… comme électrisée, ça m’a rendue folle. Évidemment, il en a profité un max. Il m’a pris ma fleur et puis, comme il ne voulait pas me mettre « en cloque », comme il disait, il m’a retournée et m’a prise aussi par mon petit trou. J’ai eu mal, mais je ne savais plus où j’étais tant qu’il me pétrissait les seins… Folle hystérique… Et c’est à ce moment-là, quand il m’enculait sauvagement en levrette, que ma mère s’est pointée : pas de bus ni de RER, elle avait renoncé. Je gueulais tellement fort qu’on ne l’a pas entendue venir. Et c’est comme ça que je me suis retrouvée en pension ici, à quatre cents kilomètres, parce qu’il y avait une vieille tante qui pouvait m’héberger le week-end. Finies les études, même si je réussissais bien. Un CAP, et au boulot, je n’ai pas eu le choix…— Pauvre petite. Il ne sera pas dit que le monde entier te laissera tomber, foi de Gégé.— Gégé ?— Oui, c’est comme ça que les copains m’appellent. Ce sont mes initiales…— Gérard ? Guy ?..— Hélas non. Gustave. Chacun sa croix… Mais je t’interdis de m’appeler comme ça. Gégé, si tu veux.— Non, moi je préférerais Gus. C’est pas mal, Gus, ça fait un peu américain : « Gueusse ».— Gus, si tu veux. Bon, j’y vais et je reviens tout à l’heure.Il revint en fin d’après-midi chargé d’un grand couffin.— Scuse moï, mais les vaches, faut s’en occuper un peu. Tiens, remplis ton frigo.— Oh là là ! Qu’est-ce que c’est que tout ça ? Mais c’est beaucoup trop…En effet, il y avait sur le dessus des œufs, une bouteille d’un litre et demi de lait frais, un gros pot de crème, une motte de beurre, un pot de fromage blanc, la moitié d’une miche de pain dans un torchon, des tranches de jambon sec dans de l’alu, deux bocaux de pâté, une terrine, le tout sur un lit de légumes frais, carottes, poireaux, pommes de terre, navets, chou, salade, et puis du persil, de l’ail, des oignons, des échalotes, du thym, du laurier, du romarin et pour finir une bouteille de vin. Une véritable épicerie ambulante.— Mais vous êtes fou, c’est beaucoup trop.— Mais non, ça fait du volume comme ça, mais une fois cuit. Tout ça, c’est ce que je produis dans ma ferme, enfin… surtout dans le potager et pour mon usage personnel.— Je ne veux pas vous priver…— Tu rigoles ? J’en ai bien trop et je vends le surplus au marché tous les samedis matin. Ça, c’est fait avec le cochon de l’an passé, on arrive à la fin. Les laitages, ben, les vaches qu’ont eu des veaux elles ont du lait. C’est pas des laitières, mais elles ont du lait quand même. J’en prélève un peu, je récupère la crème et puis je fais un peu de beurre. Il est fort et jaune, mais les gens aiment ça, ça les change du supermarché. Et le pain, il est fait avec mon blé, moulu chez mon copain meunier et pétri par mes petites mains potelées. J’en cuis une fournée par semaine et il tient bien jusqu’à la prochaine, regarde.— Rhooo ! Ça me donne faim.— Ben tu m’étonnes. Allez, fais-toi une tranche avec du pâté, moi je vais préparer une bonne soupe. T’as bien un mixer ou un truc comme ça ?— Oui, une moulinette, là dans le placard.Il éplucha carottes, navets, poireaux et pommes de terre et mit le tout à cuire dans de l’eau salée avec quelques condiments. Quelques minutes plus tard, une suave odeur emplit le petit appartement.— Mais ça me donne encore faim, se plaignit-elle.— Depuis combien de temps, tu ne manges pas à ta faim ?— Oh, je ne sais plus trop… Vous savez, avec mille deux cents euros, quand vous avez retiré le loyer, l’eau, le gaz, l’électricité, le téléphone, deux cents euros de carburant (un plein par semaine), les assurances et les imprévus, il me reste tout juste cinquante euros par semaine, en gros trois euros par repas. Alors…— Je vois. En fait, tu ne manges jamais à ta faim, pas de sorties, pas de resto, pas de cinéma. Une petite vie triste, quoi. Je dis ça, mais moi non plus je ne sors pas. Mais au moins, j’ai la télé. Remarque, je m’endors devant… et puis y a que des conneries. Un film de temps en temps.— Moi j’écoute la radio, ou je lis un bouquin. Mais je suis tellement crevée que je m’endors très vite aussi.— Ouais, pas une vie, quoi. Moi au moins, je m’éclate dans mes champs et avec mes bêtes.— J’aime aussi ce que je fais, mais il y a des petits vieux qui ne sont pas faciles… Je fais avec.Il moulina la soupe quand elle fut cuite, jusqu’à en faire un velouté. Une bonne cuillerée de crème dans chaque assiette, une grosse tartine de pain grillé, et ils dînèrent ensemble. Elle mangeait avec tant d’appétit qu’il dut la freiner, de peur que son estomac ne supporte pas ce soudain afflux de nourriture. Il y avait encore au fond du couffin un petit fromage maison, quelques fruits et un pot de confiture. Elle se régala et se confondit en remerciements.— Écoute, tout ça ne me coûte rien, qu’un peu de travail, mais sinon je m’ennuierais. La terre est généreuse chez moi et maintenant que je suis en bio, je la soigne bien. C’est juste un peu de partage avec une chic fille qui en a besoin. Vraiment, ça me fait plaisir. Mais une dette est une dette, n’oublie pas que tu me dois de l’argent.— Pas de souci, c’est promis. Je vais faire tout ce que je peux pour vous rembourser au plus vite. Et ce sera plus facile avec le ventre plein, j’aurai plus d’énergie.— Allez, je repasserai samedi prochain, après le marché.Il repassa, avec un couffin de nouveau rempli. En guise de remerciement, elle le gratifia de nouveau d’une gâterie. Et ce fut ainsi durant plusieurs semaines. Mélanie avait meilleure mine, ses joues se remplissaient et elle prenait goût à la vie. Non seulement cette visite hebdomadaire ne la dérangeait pas, mais elle l’attendait, parfois même avec impatience. Comme ce jour où elle avait préparé une tarte aux pommes, avec la farine qu’il lui avait apportée. Instant de partage, bref, trop bref, où l’un et l’autre se sentaient bien. Elle lui donna fièrement un chèque de trois cents euros, il ne lui restait plus qu’une dette de quatre cents. Mais hélas, elle n’avait pas trouvé d’activité complémentaire. C’est lui qui eut la bonne idée :— Mais dis donc, ma cocotte, j’y pense. Si tu n’as pas froid aux yeux, tu pourrais travailler chez moi. Je dis ça parce que c’est un peu le bordel… beaucoup même. À dix euros de l’heure que je ne te donne pas, en quarante heures ta dette est effacée, genre dix semaines à quatre heures.— C’est une super idée ! Je commence quand ?— Quand tu veux. Cet après-midi si tu veux. Prends ta voiture et suis-moi.— Mon blouson, mes baskets et j’arrive…Au bout d’une petite route improbable, le corps de ferme se dressait fièrement sur un tertre dominant une plaine vaste, parsemée de bosquets. Elle tomba en arrêt. Dans le creux, un étang calme reflétait un vaste champ de fleurs multicolores.— Comme c’est beau ! Qu’est-ce que c’est ?— Des lupins. On peut en faire des bouquets, mais les graines me fournissent de la protéine végétale, de la bonne nourriture pour les vaches l’hiver. Ça et puis la luzerne, c’est aussi bien que les farines de poissons ou de carcasses.— C’est pour ça qu’elles sont si belles, vos vaches ?— Non, ça, c’est dû à la race. Ce sont des Parthenaises, avec une belle robe marron glacé et maquillées comme les danseuses du Lido ! Regarde-moi ça, viens-là, toi… et pas farouches avec ça, très calmes. Regarde ces muscles ; que de la viande d’exception, persillée à souhait. Je t’en ferai goûter, c’est extraordinaire. Les chefs se l’arrachent à prix d’or. Avant, je vendais mes Charolaises à quatre euros le kilo, maintenant je vends mes Parthenaises bio à seize euros ! Quatre fois plus cher, trois fois moins de bêtes et trois fois moins de boulot. C’est le Pérou ! Et en plus, je vends les peaux qui sont très appréciées. C’est pour ça que je n’ai plus aucun barbelé, pour ne pas qu’elles se blessent. Ils en font des sièges de bagnoles de luxe.— Ben, dites donc, ça marche bien alors ?— Ce serait parfait si l’état me donnait les subventions promises. Ils me doivent quatre-vingt-dix mille euros depuis trois ans.Concernant les bâtiments, ce n’était pas tout à fait le même rêve, mais bien le « bordel » annoncé. Construits en U autour d’une grande cour rectangulaire, ils avaient dû avoir bel aspect il y a près d’un siècle. Mais depuis, l’usure du temps et les mauvaises habitudes successives avaient fait leur œuvre. Un coin de la cour ressemblait à une décharge, vieux socs, roues de charrettes et diverses ferrailles. Le reste était la proie des herbes folles et de quelques ronces où quelques poules égarées cherchaient pitance. Fenêtres et volets avaient l’urgent besoin d’un coup de peinture, quant à la façade, quelques fuites de chenaux avaient taché le crépi, cloqué par endroit.— Quel dommage, ne put s’empêcher de s’exclamer Mélanie !— Quoi ? Ça ne te plaît pas ?— Si, mais… ça pourrait être tellement mieux avec quelques travaux…— Ouais, ben ça, ce sera quand on m’aura payé ce qu’on me doit. Pour l’instant, il faudra se contenter de ça.— Tout de même, Gus, un coup de fil à un ferrailleur et un coup de débroussailleuse, ça aurait une autre allure, non ?— Peut-être… Mais tu sais, perdre sa femme, passer au bord de la faillite, tout ça, ça n’aide pas.— Oui, mais moi, je vais vous aider, et vous allez le faire pour me faire plaisir. D’accord ? De si beaux champs et de si belles vaches méritent une jolie ferme, non ?— On verra…L’intérieur valait l’extérieur, c’est-à-dire qu’aucun ménage n’avait été fait depuis… quatre ans ! Plusieurs jours, voire semaines, de vaisselles sales s’empilaient sur l’évier et les paillasses.— Gus, vous avez un lave-vaisselle. Je sais bien que tout n’y passe pas, mais quand même. Au moins les verres et les assiettes.— Attends, ce machin réclame du sel et du liquide de je ne sais quoi, il veut plus marcher. J’y comprends rien et ça m’agace…— Je vois. Bon, allez vous occuper des vaches ou du jardin et laissez-moi faire.Piteux, Germain ne rentra qu’à la nuit tombante et resta un brin médusé. Sa cuisine semblait impeccable, même si elle ne l’était pas encore complètement. Mais plus de vaisselle sale, le lave-vaisselle terminait son troisième tour, l’évier, la table et les plans de travail propres, le sol de tomettes balayé et lavé paraissait presque neuf.— Ben dit donc…— Si vous alliez nous cueillir une salade ? J’ai trouvé des œufs et du jambon, je vais nous faire une omelette.Il ressortit tout étonné par la capacité de travail de cette fille, pensant qu’il avait eu une sacrée bonne idée de lui proposer ce marché. Ils dînèrent agréablement, même la télé était plus claire et plus nette sans poussière grasse. La seule ombre au tableau, c’est que Mélanie repartit aussitôt après, sans lui avoir offert sa petite gâterie habituelle. Mais elle promit de revenir le lendemain pour le déjeuner, puis de s’attaquer aux chambres. Tout espoir n’était pas perdu.Elle revint effectivement le lendemain et commença courageusement par le couloir, l’escalier puis les chambres. Dans sa tête, le compteur de sa dette tournait à huit heures par semaine, soit seulement cinq semaines pour s’en libérer. Cette fois, c’est la machine à laver qui tourna tout l’après-midi. Le soir, elle avait les yeux cernés et ne voulut même pas rester dîner. Il lui fit reculer sa petite voiture sous un hangar et lui fit le plein.— Je veux bien que tu viennes ici, mais j’veux pas que ça te coûte. C’est du rouge, réservé aux engins agricoles, mais personne ne se fait contrôler…Au fil des week-ends, la maison devint plus coquette, plus claire et plus agréable. Elle fit les vitres, lava stores et rideaux, draps, couvre-lits. Elle emporta même couettes et couvertures pour les déposer au pressing. Elle constata que le comportement de Germain avait changé, maintenant il faisait attention. Il ne rentrait plus en bottes, lavait sa vaisselle, aérait. Elle lui fit une dernière surprise en téléphonant à un ferrailleur pour qu’il dépose une benne. Gus fut bien obligé de la remplir avec la fourche du tracteur. Il en profita même pour faire le tour des granges et des hangars et les vider de toutes les vieilleries métalliques. Près de trois tonnes de déchets qu’on lui racheta trois cents euros. Ça fit un vide dans la cour, tel que les herbes et les ronces parurent soudain plus envahissantes. Il ne put se soustraire à la débroussailleuse, puis au nettoyeur haute pression.— C’est vrai au fond, bougonna-t-il pour lui-même, pas la peine de disposer de tout le matériel pour ne pas l’utiliser…Le samedi suivant, Germain passa voir son copain boucher qui lui achetait de temps en temps, et de plus en plus souvent, une Parthenaise. Il en vendait la viande à prix d’or, bien que traînant les pieds sur le prix des bêtes, faisant au passage un bénéfice substantiel. Ça commençait à se savoir et l’on venait de kilomètres à la ronde pour goûter de cette fabuleuse viande. Puis il passa aussi chez Mélanie pour lui apporter un panier de victuailles. À sa grande et agréable surprise, elle le pompa délicieusement, comme elle l’avait toujours fait auparavant.— Ça alors, s’exclama-t-il, pourquoi tu ne me fais jamais ça chez moi ?— Parce que chez vous, je suis au boulot pour solder mes dettes et je ne mélange pas le travail et la bagatelle.— Ah ben vrai… fallait le dire plus tôt !— Mais je ne m’appelle pas Pluto, plaisanta-t-elle. Cet après-midi, je viendrai cirer les parquets. Et demain…— Non, demain tu ne travailles pas, tu seras mon invitée. J’ai une surprise.Quand la jeune femme arriva à la ferme, elle se planta au milieu de la cour, mains sur les hanches, et interpella Gus :— Eh bien, ça commence à ressembler à quelque chose ! Alors Gus, c’était très, très, très difficile ? Et ça vous a pris beaucoup, beaucoup de temps ?— Oh, rien qu’une bonne demi-journée. Pas le bout du monde.— Mais ça change la vie, non ? Honnêtement ?— C’est vrai, j’avoue que c’est beaucoup mieux. C’est comme dans la maison avec ce que tu y fais…— Alors je vais vous dire : je comprends que refaire les façades, ça coûte un bras et que vous ne puissiez pas pour le moment. Mais ces gouttières percées, regardez, j’ai fait les vitres et ça gicle dessus, c’est à refaire. Moi qui voulais repeindre les volets, si l’eau coule sur la peinture, c’est même pas la peine. Vous n’auriez pas un copain couvreur qui pourrait arranger ça, au moins provisoirement ?— Si, y en a un au village, maçon-couvreur. J’te promets que je vais lui demander.— Bien, je compte sur vous. Je vais encaustiquer les parquets. Allez bosser aussi, ouste, hors de la maison.Curieux comme avec cette fille énergique il se retrouvait comme un petit enfant. Avec la Françoise, ce n’était pas pareil. Elle était acide, revêche, prompte aux reproches et le houspillait d’entrée. Résultat ils s’engueulaient et il foutait le camp dans ses champs pour avoir la paix. Mélanie, ce n’était pas pareil. Peut-être l’habitude de parler aux vieux pour les obliger à faire quelque chose. En tout cas, elle semblait sûre de son fait et l’amenait à sa raison, un peu comme faisait sa mère. Il ne pouvait rien lui refuser, d’autant qu’il avait encore la sensation de sa bouche sur son zob. Il changea les vaches de pré, nettoya l’étable et en profita pour pailler les zones vides du potager. Paille et fumier allaient décomposer lentement tout l’hiver en protégeant et nourrissant la terre. Quand il rentra, il alla se laver, Mélanie s’activait toujours sur ses parquets et la maison sentait bon la cire. Il la regarda longuement avant qu’elle ne s’en aperçoive. Progressant accroupie du fond de la chambre vers la porte, elle lui offrait une vue inédite sur son large postérieur, sa taille fine et son dos en V. Juste vêtue d’un leggins et d’un t-shirt, il regardait ses muscles jouer sous le tissu, tandis que deux larges auréoles de sueur marquaient ses dessous-de-bras. Sacrée bosseuse, cette fille. Et bien bâtie de surcroît. Une trique pas possible lui tendit la salopette, juste au moment où elle se retourna.— Ah vous êtes là ? Je ne vous avais pas entendu…— Ce que t’es belle…— Arrêtez, Gus, laissez tomber, je ne vous crois pas. Je suis une fille très ordinaire, un peu grosse depuis que vous m’engraissez. Justement, je nous ai prévu un peu de potage et de la terrine avec une salade. Allez donc faire chauffer la soupe, au lieu de raconter des bêtises. La casserole est sur le feu et j’ai presque fini…Il fit demi-tour à regret et descendit l’escalier. À mi-chemin, il se retourna et lança :— N’empêche que t’es rudement belle !Il l’entendit prendre une douche rapide et elle lui cria :— Je peux vous emprunter un t-shirt ? Le mien est à tordre…— Bien sûr, sers-toi dans l’armoire.Quand elle descendit, il eut un coup au cœur. Elle portait bien un de ses t-shirts, mais rien que ça, tous ses vêtements roulés en boule sous son bras.— Désolée, mais j’ai sué comme dans un sauna et mon leggins a les genoux marqués. Faut dire que les parquets n’avaient pas vu de cire depuis une éternité : ils ont bu comme des éponges.— Putain, mais… tu pourras pas rentrer comme ça, tu vas te geler.— Mais non, avec mon imperméable ça ira. Je serai convenable et assez protégée pour faire vingt mètres jusqu’à ma voiture… Ho-Ho ! Gus, revenez sur terre…— Hein ? Ouais… c’est que… quand un mort de faim voit un beau gâteau comme toi, il salive.— Gus, vous avez déjà eu une gourmandise ce matin. Vous n’allez pas me sauter dessus, tout de même.— Ah non, ça j’oserais pas. Mais, bon dieu, j’ai le sang qui bout !Eh oui, et quand elle bougeait c’était pire. Non seulement il voyait ses jambes pour la première fois jusqu’au raz des fesses, mais en plus le soutif devait avoir pris aussi la sueur, et ce qui se trémoussait sous le t-shirt était bien des seins en liberté. À peine plus bas que d’habitude, vibrant et pas ballottant donc fermes, bien écartés, bien drus et repoussant loin le coton. Gus renversa trois fois sa cuillère de potage, elle faisait mine de ne rien voir. Quand elle partit, elle lui dit qu’elle laverait son t-shirt et lui rapporterait la semaine prochaine.— Ah surtout pas ! Tu me le rapportes demain et sans le laver, surtout. Viens vers midi et, je te rappelle, tu es mon invitée. Pas question de travailler.Quand la petite Fiesta rouge s’arrêta dans la cour le lendemain, Germain avala sa salive avec difficulté. Mélanie en descendit dans un accoutrement inhabituel : petite robe de lainage noir très moulante, collants noirs, escarpins à talon noirs avec bracelets qui faisaient oublier ses fortes chevilles, petite veste blanche. Superbe ! Elle tenait à la main une petite pyramide de papier issue d’une pâtisserie.— Bonjour Gus, vous allez bien ?— Bonjour ! Purée, tu es magnifique…— Merci, c’est la seule tenue « de sortie » que j’aie. Je l’ai mise en votre honneur en tant qu’invitée. Et comme il faut toujours apporter quelque chose, j’ai fait une folie à quatre euros, deux éclairs pour notre dessert.— Il ne fallait pas, je sais combien ton budget est serré.— Ah, écoutez, pour une fois, et comme vous me nourrissez gratuitement depuis des semaines…— Mais tu es trop belle, il faut que j’aille me changer.— Non, je vous en prie, restez comme ça. Pour faire la cuisine, on ne sait jamais, une tache est vite arrivée.— T’as raison, et je ne suis pas très doué. Je t’ai fait une recette spéciale que m’a donnée mon boucher, avec des produits… spéciaux.— En tout cas, ça sent rudement bon.Elle posa sa veste et proposa son aide qu’il refusa. Sa pomme d’Adam faisait du yoyo. Putain ce cul, ces nibards, ces cuisses musclées qui tendaient la jupe… à tomber. Le menu aussi était à tomber. En entrée, foie gras maison. Eh oui, à temps perdu, il engraissait deux ou trois oies, faisait du foie gras et du confit. Vint ensuite le clou du repas, un rosbif de Parthenaise, le dessus grillé au beurre, presque croûté et l’intérieur rosé, cuit à basse température très lentement.— Tu fermes les yeux, tu serres les fesses, c’est le petit jésus en culotte de soie !— Ah c’est vrai que je ne suis pas folle de viande rouge, mais là, je dois dire que je n’ai jamais rien mangé de tel. C’est plus que bon, c’est… je ne trouve pas les mots. En tout cas, j’aime. Et ces champignons, hum…— Cueillis ce matin dans le petit bois, poêlés avec beurre, ail et persil de la ferme, et la grenaille, des petites pommes de terre rissolées avec leur peau dans la graisse d’oie. Et la verdure se mange aussi, c’est du cresson. Il en pousse un peu sous la bonde de l’étang.— Je n’arrêterais pas d’en manger, c’est trop bon.— Tu vas emporter tout le reste, tu continueras de te régaler.— Ah non ! Un peu, je veux bien, mais on partage.Épuisés par ce repas pantagruélique et une bouteille de vin presque vide, ils restèrent un long moment à table, à bavarder en sirotant un café. Puis Mélanie se leva.— Je vais débarrasser et faire notre petite vaisselle.— Oh, j’ai encore une petite surprise pour toi. Je reviens…La jeune femme libéra la table, remplit le lave-vaisselle et allait laver les plats quand Gus revint avec un petit étui cartonné bien enveloppé.— C’est pas grand-chose, mais… j’ai trouvé ça au marché. J’ai pensé que ça t’irait bien.Mélanie déplia et déballa un petit tablier blanc bordé de dentelle.— Qu’il est mignon ! Et avec ma robe noire, je vais faire tout à fait soubrette. Oui, Monsieur, bien sûr, Monsieur, Monsieur désire-t-il quelque chose ?— Ben… Oui et non… Enfin, j’avais pensé… Non, mais c’est pas grave.— Mais si, Gus, dites. À quoi avez-vous pensé ?— Ben que… enfin que ce tablier, il t’irait bien, mais sans rien dessous. Voilà !— Oh le coquiiiiin ! C’était un coup prémédité, hein ? Vous ne seriez pas un peu cochon sur les bords ?— Cochon peut-être, curieux sûrement… C’est toi, l’autre jour avec mon t-shirt qui m’a donné des idées.— Et vous voulez en voir plus, c’est ça ? Vous voulez vous rincer l’œil. Je vais voir dans la chambre…Elle s’éclipsa vers l’étage, torturée par des idées contradictoires. Si elle faisait ce qu’il voulait, c’est sûr, ça allait mal finir. Si elle ne le faisait pas, elle passerait pour une pimbêche et une ingrate. C’est vrai, il était si gentil avec elle. Certes, il avait vingt ans de plus, pas très beau, pas le prince charmant dont elle rêvait. Mais il y a les rêves et la réalité. La réalité, c’est un homme sympa qui la désirait, libre comme elle, qui se mettait en quatre pour lui faire plaisir. Elle n’en était pas amoureuse, mais elle était bien avec lui, en confiance. Elle était sûre qu’il ne lui ferait pas de mal, et ça ne ferait pas non plus de mal à quiconque. Et puis déjà, elle le suçait presque chaque semaine, c’était une suite logique. Du reste ça l’excitait énormément et à chaque fois, après son départ, elle se masturbait comme une folle. Elle qui n’avait pas fait l’amour depuis si longtemps, il est vrai que Gus était particulièrement bien doté par la nature. Et imaginer ce braquemart dans sa petite chatte la rendait aussi folle qu’un pelotage de seins. Ce n’était pas totalement par hasard qu’elle l’avait allumé avec son t-shirt et aujourd’hui avec sa petite robe moulante. Elle aimait bien qu’il la désire, qu’il bande pour elle. Consciente de l’enjeu, elle posa sa robe, ses collants, ses dessous et enfila le petit tablier devant le miroir. Pour être coquin, c’était très coquin. Allez, arrivera ce qui arrivera.— Gus ? Fermez les yeux, s’il vous plaît… Là, vous pouvez les ouvrir, dit-elle en se campant devant lui, bien droite, seins et sexe bien cachés, rouge comme une pivoine. Et voilà, pas de quoi en faire un fromage…— Tu rigoles, répondit-il d’une voix étranglée. C’est très… très beau, merci, merci infiniment.Sur ce, elle se retourna et marcha jusqu’à l’évier pour récurer les plats, exposant ainsi son dos presque nu et son généreux postérieur.— Nom de dieu de bon dieu de bordel de merde, s’exclama Gus ! Mélanie, ces jambes, ces cuisses et… ce cul ! Ah ce cul !…— Ben quoi ? C’est un cul comme les autres, mais c’est le mien ! Il est gros, je sais, mais… il me sert à m’asseoir et à faire caca !— Non-non-non ! C’est un cul sublime, d’un ovale, d’une rotondité parfaite. Charnu, musclé, rebondi, serré comme un coffre de banque, ton cul est unique et magnifique. Le plus beau que j’ai jamais vu, conclut-il en tombant à genoux devant l’objet de son délire. Tu permets que je le touche ?— Ben, c’est pas très correct, Monsieur Germain…— Dis, est-ce que je râle quand tu me branles et que tu me suces ?— Non, bien sûr…Gus palpa les globes, les pétrit, les écarta en plaçant ses pouces près du sillon. L’œil du cyclope lui fit coucou et il découvrit deux belles touffes de poils jaillissant des grosses lèvres charnues.— Ah ! La belle touffe !— Désolée, Monsieur Germain, tout ça c’était pas prévu. Je ne me suis pas épilée…— Surtout pas, malheureuse, sacrilège ! Encore une mode à la con, ça. Toutes les femmes veulent ressembler à des petites filles. Mais on n’est pas des pédophiles ! C’est si beau, un beau pelage, long, bien fourni, qui sent bon le foin et la mouille…Et le paysan fou de désir fourra son groin dans le sillon écarté et lapa comme un forcené, reniflant bruyamment pour bien percevoir toutes les fragrances. Il entama par une « feuille de rose » bien appuyée, étonné qu’un orifice ayant déjà servi fût redevenu si petit et serré. Cela provoqua juste des :— Oh Monsieur Germain… Ouh ! Qu’est-ce que vous me faites ?…Mais les protestations n’allèrent pas plus loin. Au contraire, la belle écarta insensiblement ses pieds et se cambra de plus en plus, bien appuyée sur l’évier, offrant au gourmand tout loisir de lui déguster la vulve. Il ne s’en priva pas, fouissant l’abricot dodu à grands coups de langue, tandis que ses mains palpaient le galbe musclé des colonnes du temple tendues par l’effort. Il y sentait des contractions et des vibrations qui encourageaient ses efforts pour débusquer le petit bouton de plaisir bien caché sous sa capuche de chair tendre et l’épaisse toison. La mouille coulait déjà sur son menton, une liqueur acidulée et fade qu’il trouva délicieuse. Pour mieux atteindre l’objet de ses convoitises, il se retourna, laissant au passage sa salopette en chiffon sur le sol. L’occiput contre le placard, bien cramponné aux hanches puissantes, le cou entre les cuisses si douces, il aspira enfin le clitoris bien gonflé, le tritura entre ses lèvres et la pointe de sa langue. Mélanie se crispa et gémit à nouveau :— Monsieur Germain… Monsieur Germain…Puis elle eut un instant de tétanie et se recula flageolante pour mettre fin à cette délicieuse torture. Gus se releva lentement, collé au corps voluptueux de la jeune femme, son sexe bandé à éclater frottant tout au long de ses cuisses jusqu’à venir se caler tout contre le sillon humide. Il enserra la taille fine de ses grosses paluches rugueuses, il pouvait presque en faire le tour si ce n’est le petit ventre formé et bien rempli par le repas. Puis les mains remontèrent le long du beau thorax en V à la rencontre de ces généreux nichons qui l’excitaient tant.— Oh non, Monsieur Germain, pas les seins… non s’il vous plaît, pas les seins… pas les seins…Trop tard ! Les mains en coupe avaient saisi leurs proies et en évaluaient déjà volume, poids et consistance. Après tout, ils n’étaient pas si gros qu’il l’aurait cru. Gros certes, débordant largement les mains de l’homme, mais pas énormes comme la silhouette le laissait supposer. C’est que la belle avait un poitrail très évasé et des pectoraux bien développés, qui projetaient loin en avant ces deux glandes fermes et drues, aux tétons durs comme de la gomme. Elle se laissa aller sur sa poitrine, la tête en arrière et les yeux révulsés. Il palpait, pressait doucement, pinçait et pelotait avec délice.Ce fut le déclic, la bascule. Mademoiselle Mélanie devint Miss Hyde. Une chatte aurait ronronné, Mélanie grondait. Un grondement qu’il sentait naître au plus profond de sa poitrine qui vibrait contre son propre torse. Et soudain, elle se mit à parler avec une voix qu’il ne lui connaissait pas, grave, rauque, profonde. Un instant il pensa à la petite fille du film « l’exorciste ».— Mon gus. Tu profites, hein ? Tu abuses, même. Tu vas me baiser, hein ? C’est ça que tu veux, dis ? Je la sens ta grosse queue. Tu vas la fourrer dans ma petite chatte, hein, mon salaud ? Vas-y, elle a faim, elle meurt d’envie de la dévorer, ta grosse queue…Germain en était tout ébaubi. Était-ce vraiment la douce Mélanie qui tenait ces propos triviaux, le tutoyait et agitait son cul sur sa queue ? Il se poserait des questions plus tard, l’heure était venue de conclure. Le petit tablier rejoignit la salopette et la jeune femme se retrouva à plat dos sur la table, les fesses juste au bord et les cuisses relevées. Ah ces cuisses ! Blanches, douces, charnues, Gus n’en revenait pas d’une telle aubaine. D’une main leste, l’autre pressant toujours un téton, il dégagea la fente des poils qui l’encombraient, décalotta son gland turgescent et le présenta à l’entrée de la grotte. Il admira son chibre surgonflé pénétrer à la base de ce bel éventail d’astrakan, dru et épais. Puis il ferma les yeux pour mieux apprécier cet instant unique, divin, celui de la première pénétration d’une chatte inconnue.Oui, mon Gus, c’est bien toi. T’es là et tu fourres ta bite dans une petite de vingt ans, et sur la table de ta cuisine, encore. Ah, c’est pas avec la Françoise que ça aurait pu arriver, paix à son âme ! Regarde-moi ce petit bijou qui frétille au bout de ta queue, chaude comme une baraque à frite, mouillée comme une couche de bébé. Et elle est bâtie comme une déesse en plus. Putain, c’te chance !Et l’autre qui commentait avec sa voix d’outre-tombe, en appui sur les coudes, tête en arrière :— Oh je la sens bien, mon salaud, ta grosse queue. Tu me remplis complètement. Allez, vas-y, défonce-moi. Fais-moi jouir, Gustave Germain !Gustave sentit enfin ses couilles s’écraser contre la pointe des fesses de la belle. Il fit une pause pour mieux profiter de l’instant, malgré les imprécations de cette femme possédée. Puis il se mit en branle et la laboura comme une terre fertile, de toute la puissance de son soc. La fille feulait comme une panthère. Elle pouvait toujours gueuler, la ferme la plus proche était à deux kilomètres. De temps à autre, elle se redressait, obligée de se planter le menton dans la poitrine pour le regarder de ses yeux révulsés, le regard fou entre ses mèches éparses.— Elle est bonne ta grosse queue, mon Gus. Tu vas me faire jouir mon salaud…Elle était déjà couverte de sueur et partit soudain en convulsions, braillant et frappant la table du plat des deux mains. Il empoigna ses cuisses pour ne pas déjanter et la maintenir de toutes ses forces, comme les pattes d’une vache en plein vêlage. Le souffle court et rauque, elle le stimula de nouveau :— Ouais, vas-y, vas-y, mon Gus, fais-moi jouir encore. Tu prends ton pied, hein, salaud ? Mais fais gaffe, ne me colle pas un polichinelle dans le tiroir. T’as pas intérêt à cracher ton jus dans ma chatte… Je suis sûre que tu vas me la mettre dans le fion, hein ? Tu l’as bien léché tout à l’heure. Tu vas m’enculer, hein ? Gros cochon…C’est elle qui l’aura voulu. Gus se contrôla jusqu’à ce qu’elle jouisse à nouveau, puis il la fit descendre de la table et la retourna. Heureusement qu’à chaque orgasme la belle lâchait une grande rasade de mouille qui inondait la toile cirée et dégoulinait jusque par terre. Le flot de cyprine passait forcément par son entrefesse, lubrifiant sa rosette. Malgré tout, il retourna se graisser un instant dans sa chatte puis ressortit pour viser plus haut. Ah ce cul, offert comme un gros fruit mûr ! Et ce trou de balle bien relâché par le plaisir qui palpitait comme un clignotant. Il fallut une sacrée poussée et une bonne claque sur les fesses pour franchir l’anneau très musclé du sphincter.— Aaaahhh ! Tu m’encules, Germain ! Salaud, profiteur, cochon ! T’as l’air d’aimer ça, hein ?C’est comme si elle n’avait pas mal, et pourtant ça devait sérieusement la secouer. Le conduit était étroit et palpitant de contractions, mais tant qu’il lui pétrissait les seins, elle semblait ne se soucier de rien, que de jouir. Il la bourra sans ménagement jusqu’à l’orgasme. Ses longs jets de sperme brûlant semblèrent en provoquer un chez Mélanie qui, d’un coup, devint une chiffe molle entre ses mains. Elle glissa lentement à terre, lâchant des séries de pets humides. Germain se posa sur une chaise et se servit un verre de vin. Nom de dieu, quel round !Mélanie se ramassa comme elle put, échevelée, et les yeux injectés de sang. Elle saisit une serviette de table pour colmater ses fuites et courut à la salle de bains. Quand elle revint, une serviette en turban sur la tête, les yeux bordés de reconnaissance et encore un peu rouges, elle était toute penaude d’être encore nue. Gus souriait, ravi de mater sa conquête. Il était toujours à poil lui aussi, s’étant juste rincé la queue dans l’évier. Il avait remis du bois dans la cuisinière et sirotait son second verre de vin.— Tu en veux ?— J’en veux bien un peu.— Ben, dis donc, pour une partie c’était une partie, une vraie.— J’vous avais dit, il ne faut pas me toucher les seins. Ça me rend folle, je ne sais plus ce que je fais, je ne suis plus moi-même.— J’ai bien vu, en effet. C’est curieux le changement que ça te provoque. Remarque, j’ai bien aimé.— Moi aussi… c’est ça le pire. J’ai de la chance d’être tombée sur vous, parce que vous êtes gentil. Mais j’ai peur de ça, parce qu’il me semble que ça pourrait le faire avec n’importe qui. Remarquez, je n’ai pas essayé, juste le copain de ma mère… Il faudrait que je vive loin du monde pour ne pas courir ce risque.— Viens t’asseoir là, sur mes genoux, je ne te toucherai pas les nichons. Juste pour profiter de toi, de ce joli corps. Et tu peux me tutoyer, tu l’as bien fait pendant une heure…— Je vous dis, ce n’était pas moi. Une autre qui habite en moi. Peut-être ma vraie nature, je ne sais pas.— Un reste d’enfance chahutée, peut-être. En tout cas, si tu veux t’éloigner du monde, tu peux venir te réfugier ici, on ne voit jamais personne.— Ce n’est pas une mauvaise idée, je vais y réfléchir.— En tout cas, merci. Tu m’as offert les plus belles émotions érotiques de ma vie. J’ai profité de toi et j’ai joui comme un fou.— Tant mieux, parce que moi aussi j’ai eu beaucoup de plaisir. Vous… Tu sais t’y prendre avec les femmes.— Oh, si tu savais. À part quelques tours au bordel quand j’étais à l’armée, je n’ai connu que la Françoise. Mon père est tombé malade à cause de tous les produits chimiques qu’il a utilisés sans précautions, il a fini par en mourir très jeune, il avait guère plus de cinquante ans. Et ma mère ne s’en est pas remise, elle a développé un cancer et six mois après c’est elle qu’on conduisait au cimetière.— Et Françoise ?— C’est à ce moment-là que je l’ai connue. Je revenais du service et j’ai dû me mettre au boulot pour sauver la ferme. Elle venait tous les jours pour soigner l’un, puis l’autre. Comme c’était la seule femme que je voyais, j’ai fini par la trouver mignonne. Quel con ! Elle, je pense qu’elle avait flairé le benêt, héritier d’une assez grosse exploitation. Deux cents hectares, cent cinquante vaches, des bâtiments, du matériel, dans sa petite tête ça devait représenter un beau patrimoine. Tu parles, beaucoup de boulot, beaucoup d’emmerdes et un déficit qui se creusait chaque jour. Elle est vite devenue très amère, elle a tourné vinaigre comme un mauvais vin en constatant la réalité. C’est elle qui tenait les comptes. C’est elle aussi qui m’a poussé à passer en bio, si je ne voulais pas finir comme mon père. Et puis pas de sorties, pas de vacances, tu vois bien, la vie de paysan… Pas une vie de rêve, quoi…— Je crois qu’elle a eu raison et qu’elle t’a rendu un grand service, il faut le reconnaître.— Oui, c’est vrai. Parce que j’ai cinquante mille euros d’emprunt, à cause des subventions pas versées, mais je les rembourse sans problème et je travaille moins… Enfin, c’est pas pareil. Je m’occupe bien moins des vaches, je travaille moins la terre, mais je fais beaucoup plus de choses : du vin, du pain, des fromages, du beurre, des légumes en pagaille, des conserves… Tiens, je ne t’ai pas montré mon laboratoire.— Ton « laboratoire » ? C’est quoi ?— J’appelle ça comme ça. C’est là que je fabrique tout, à côté, dans le bâtiment d’origine, le premier qui avait été construit bien avant celui-ci. J’y ai installé tout mon bazar pour le pain, le lait, les conserves, les pâtés.— Ce doit être un sacré bazar, j’imagine. Encore du boulot pour moi.— Détrompe-toi, là, je n’ai pas intérêt à déconner. C’est nickel et c’est contrôlé tous les ans. T’imagines si quelqu’un s’intoxiquait avec mes produits ? Je serais foutu !Elle enfila sa petite robe et lui sa salopette et ils allèrent dans le bâtiment voisin, plus bas, plus vieux, couvert de tuiles plates moussues et non pas d’ardoises comme l’autre. Sur le linteau de l’entrée, 1654 gravé dans la pierre. Mais passée la lourde porte de bois aux gonds de fer forgé, c’est un autre monde. D’abord un sas, servant à se changer et enfiler des vêtements de protection, combinaison, charlotte et chaussons jetables. À droite, « le fournil » ainsi nommé par Gus, car il y fait le pain chaque semaine, là aussi où il fait ses pâtés, ses conserves et où il prépare ses volailles. Dans l’ancienne cheminée, la porte en fonte d’un four à pain, au sol un brûleur avec un gros autoclave pour les conserves. Et puis partout les matériels nécessaires, couteaux, hachoir, billot… C’est un peu noirci par la fumée, mais c’est propre et bien rangé. C’est pour aller de l’autre côté qu’il faut enfiler des combinaisons, exclusivement masculines, ce qui oblige Mélanie à quitter sa robe au grand bonheur de Gus. La laiterie est impressionnante, toute carrelée de blanc du sol au plafond et éclairée de puissants néons. Il y a là tout ce qu’il faut pour la confection du beurre et des fromages. Ça sent fort le caillé, ce n’est pas immense, mais parfait pour travailler seul. Au fond, une chambre froide et une porte donnant sur un petit escalier de pierre descendant à une cave d’affinage.— J’avais la cave, l’espace, le lait, j’ai monté ça pour faire un complément de revenus. Mais tout seul, le cœur n’y était plus… Je manque surtout de temps pour tout faire, et j’ai tendance à me disperser : un jour le pain, un jour les fromages et le beurre, et puis tout le reste, les champs, les vaches, le jardin, les volailles… à la saison, le vin, les champignons, le bois pour se chauffer, les châtaignes, les noix. De la folie ! Et en plus, des fois on me demande du poisson !— Du poisson ?— Ben tiens, l’étang est rempli de carpes, de sandres, de truites, de gardons, de brèmes, et même des écrevisses, mais chut ! Ça, il ne faut pas le dire, je les garde pour moi.— Ah c’est bien, moi j’adore le poisson.— Eh bien, je vais te sortir une terrine de carpe, tu m’en diras des nouvelles.— En somme, tu as tout ici.— Oui, c’est pas mal. J’achète très peu de choses. Je suis verni par la qualité des terres. Le gars de la Chambre d’Agriculture m’avait fait une étude avec les cartes géologiques. On est en bordure du bassin parisien, bien qu’à trois cents kilomètres de Paris. Et les couches successives affleurent en léger arc de cercle. Derrière c’est la colline pouilleuse, des cailloux, bonne pour la vigne ; ici, une grande bande d’alluvions très fertiles, j’y fais le potager ; juste au-dessous l’argile où j’ai creusé l’étang, et au-delà une plaine assez sablonneuse idéale pour les prés, le blé et les autres cultures. De temps en temps, des accidents rocheux, c’est là qu’il y a les bois et les bosquets. Tu vois, c’est varié et c’est pour ça qu’il y a un peu de tout et que l’élevage intensif qu’on y faisait avant était une hérésie. C’est comme toi dans cette tenue : les couches affleurent et y a tout à y gagner.Pointes de seins, fesses et hanches apparaissaient tout particulièrement à travers l’intissé semi-transparent de la combinaison, par ailleurs ridicule. Et tout cela mettait Gus en émoi. Il ne put se retenir de palper creux et bosses.— Mais c’est qu’il serait capable de recommencer !— Oh oui !— D’accord, je reste. Mais sors-nous ta terrine de carpe.— Pas de problème, et avec un petit coulis de tomates, ce sera parfait. J’en ai quelques boîtes au congélateur.Mélanie sur la table de la cuisine, c’est bien. Mais au lit, c’est encore mieux. Le bougre se lança dans la dégustation intégrale de sa belle, ne laissant pas un seul centimètre carré de peau en paix. Il la trouvait si belle qu’il lui répétait sans cesse, lui suçant autant les orteils que le bout des seins, et Mélanie adorait. Quand le réveil sonna à six heures, ils avaient bien peu dormi. Germain partit s’occuper de ses vaches et Mélanie de ses petits vieux, chargée de victuailles pour la semaine.Le vendredi suivant, elle téléphona.— Gus, je voudrais bien venir chez toi dès ce soir, si tu veux bien.— Mais bien sûr, évidemment, viens quand tu veux.— Il faudra m’attendre un peu pour dîner. Je finis à vingt heures trente et le temps de la route…— Ne t’inquiète pas, je te prépare encore une surprise.— Tu es trop gentil… Mais Gus, je voudrais qu’on parle, qu’on mette des choses au point.— Comme tu voudras. À ce soir.En guise de surprise, il lui avait préparé des écrevisses, issues tout droit de l’étang et du ruisseau, un bonheur. Après le dîner, la voyant tourmentée, il la poussa à parler :— Alors, quelles choses faut-il mettre au point, ma belle ?— Eh bien… Euh… Voilà… Ce n’est pas très facile, je ne voudrais surtout pas te froisser, mais je suis franche de nature et je tiens à le rester.— Allez, vas-y, accouche !— Eh bien Gus, je suis bien avec toi, très très bien, même. Je me sens en sécurité, je me sens bien ici, c’est un vrai paradis, au point que j’aimerais y rester pour y vivre et t’aider au quotidien. En plus, et ça ne gâte rien, tu me fais jouir comme personne, et j’adore ça…— Alors ? Que demande le peuple ?— Rien, mais… Ne le prends pas mal, je ne suis pas amoureuse de toi. Je t’aime beaucoup, mais je sens bien que ce n’est pas une passion dévorante, tu vois ce que je veux dire ? Désolée, ça ne se commande pas, j’y peux rien…— Tu as dû constater que pour moi, c’est plutôt l’inverse. Tu me rends raide-dingue ! Mais rassure-toi, je sais où je suis. Pour moi, ton arrivée dans ma vie c’est inespéré. Alors je prends, sans trop me poser de questions. Mais je sais bien que j’ai vingt ans de plus que toi, que je ne suis pas un apollon même si je suis très costaud, que mon bronzage sera toujours agricole et que mes cheveux tombent comme les feuilles en automne. Je le sais. Je sais que je bosse douze heures par jour, trois cent soixante-cinq jours par an, sans vacances, sans sorties, etc. Que je préfère rouler en fourgonnette parce que c’est pratique plutôt qu’en voiture de sport. Et toi tu sais que tout ça, tu ne le changeras pas, parce que c’est ma vie, celle que j’ai choisie.— Oui, je le sais, et crois-moi, c’est aussi pour ça que je t’admire et mon souhait n’est pas de te changer ou de te faire changer de vie. Au contraire, cette vie me plaît et m’attire, j’aurais envie de la partager avec toi. Mais je ne veux pas tricher ou te mentir : ce serait avec beaucoup d’affection, mais sans amour.— Au moins t’es droite et ça a le mérite d’être clair. Alors je vais te dire, d’expérience et de tout ce que la vie m’a appris par ailleurs. L’amour fou, l’amour passion, ça ne dure qu’un temps et après tu payes les conséquences. Les couples qui durent, ce sont souvent les moins passionnés, les plus lucides, ceux qui font un choix de vie.— C’est sûrement vrai, mes petits vieux me le disent. Y en a pas un qui n’a pas un enfant, petit-enfant neveu ou nièce qui ne soit pas divorcé, désespéré, perdu… La mammy chez qui je vais tous les jours, quand elle entend un mariage klaxonner dans les rues, elle dit « ah ! ils feront moins de bruit le jour du divorce ! ». Et elle a bien raison.— Voilà, alors si tu veux partager ma chienne de vie, les bons moments et les moins bons, si tu veux me laisser t’aimer à sens unique, moi ça me va parce que tu es belle, pas sotte, courageuse et que tu me plais. Maintenant, je comprendrais que tu trouves mieux ailleurs, plus jeune, plus beau, plus tout. Je te demande seulement une chose : que je ne sois pas le dernier informé. Pas de trahison, ce serait trop moche. Pas de coucheries à droite à gauche qui ramènent des maladies. Tu me le dis clairement, avec ta franchise habituelle, tu prends le temps de faire ton paquetage et au revoir Mélanie. Sans histoires sombres.— Juré, Gus, jamais je ne te ferai de coup tordu, tu as été trop gentil avec moi. Y a juste une chose qui m’embête, c’est de faire trente bornes deux fois par jour pour aller travailler…— Non, mais attends, le boulot, il est ici. Pas question que tu continues avec tes mémés. Tu vas m’aider ici et faire tout ce que je n’ai pas le temps de faire.— Ben oui, ce serait le mieux, mais si j’arrête, plus de couverture sociale, de retraite, etc.— T’inquiète, j’y ai pensé. Je vais t’embaucher comme « employée de maison ». Je me suis renseigné, c’est la même caisse que celle que tu as actuellement. Je paye les charges sur un SMIC comme si je te le versais, mais je ne te donne rien. Tu es logée, nourrie et quand tu as besoin de quelque chose, tu prends dans la cagnotte.— Quelle cagnotte ?— Celle des marchés qui devrait augmenter grâce à toi. Et puis il y a ton appartement qu’on va déménager et louer à nouveau.— Ah oui, pas mal. Le loyer, c’est pour payer le fonctionnement, l’eau, le gaz, le courant, le téléphone. Mais l’histoire de la cagnotte du marché me plaît bien : c’est au mérite. Si je fais vendre plus, je peux prendre la différence, pour mes fringues ou des bricoles. Je ne suis pas très dépensière, tu t’en doutes, et ici je ne vais pas faire trop de style. Mais des fois, même une petite culotte ça s’use.— Ouais, pis des fois ça fait plaisir à voir.— Bon, ben… Dans ces conditions je vais donner mon préavis à ma patronne… et à mon « propriétaire » aussi, ha-ha-ha !Mélanie s’installa à la ferme pour la nouvelle année. Le déménagement fut rapide, un seul tour de fourgonnette suffit, en plus de sa petite voiture. On était pourtant au creux de l’hiver, mais pour Gus la maison s’illumina. Il redoubla d’enthousiasme et d’activité, courant des vêlages au bois avec toute une semaine consacrée à la « Saint Cochon », le jour où on lui fait sa fête ! Une fête certes, mais que de travail entre les jambons à saler, les boudins les saucisses et saucissons, les pâtés, les terrines et toute cette viande à découper, emballer et congeler. Mélanie aidait de son mieux et surtout apprenait. Si bien qu’en quelques semaines, le « laboratoire » devint son domaine. Elle comprit vite la technique des fromages et rivalisa bientôt de qualité avec son employeur et amant. Comme pour le pétrissage du pain, spectacle que Gus essayait de ne pas manquer, car la belle en t-shirt léger lui offrait la vision de ses seins ballottant tandis que ses bras dodus plongeaient jusqu’au fond du pétrin. Ils adoraient chahuter avec de grands éclats de rire, Gus farinant ces seins magnifiques, Mélanie protestant de sa voix caverneuse :— Mais Gus, tu vois bien que je ne peux pas me défendre. Tu vas en profiter, mon salaud, tel que je te connais…Et il en profitait outrageusement. Il n’était pas rare que la jeune femme terminât la séance le cul dans le pétrin, relâchant quelques flots de mouille et de sperme mélangés dans la pâte. Ils appelaient ça leur « pain d’amour ». En retour, l’agriculteur essayait de devancer les désirs de sa belle et faisait de son mieux pour tout remettre « en ligne » sur l’exploitation, sans laisser de recoins à la bonne volonté du hasard. C’est qu’elle était exigeante, la bougresse, et surtout elle avait l’œil…— Gus, on n’a pas assez de légumes d’hiver, on n’a plus grand-chose à vendre… Gus, et si on avait une serre, on pourrait produire plus longtemps, non ?Eh oui, et donc avant la nouvelle saison, Gus installa un grand tunnel de culture le long de l’étable, bien exposé et bien abrité. Il suffisait d’ouvrir quelques-uns des vasistas du bâtiment donnant dans le tunnel pour que la chaleur animale empêche les gelées. Il espérait ainsi gagner trois ou quatre mois de production entre printemps et automne pour les légumes abrités. Le reste du potager s’agrandit presque jusqu’au ruisseau, profitant de la zone humide pour multiplier les cucurbitacées, citrouilles, potirons, butternuts, courgettes, cocombres, cornichons. Le poulailler se déplaça vers le verger, les arbres donnant de l’ombre aux volailles qui nettoyaient le terrain et l’amendaient de leurs fientes. Tôt un matin, Mélanie vit Gus avec surprise partir vers la colline pouilleuse avec… le cochon au bout d’une corde. Il ne revint que vers midi, un panier au bras et rouge d’excitation.— Putain de facteur, s’exclama-t-il ! Moi qui le prenais pour un âne, il avait raison ce con-là. Regarde…Il souleva le torchon qui couvrait le panier, elle pensait voir des champignons dont elle percevait un peu l’odeur. Mais non, il ne s’agissait que de sortes de cailloux noirâtres.— Beuh… Qu’est-ce que c’est ?— Tuber melanosporum !— Mais encore ?— Des truffes, ma chérie, des truffes ! Une fortune ! Genre mille euros le kilo !— Non… ça ? C’est fou !— Sens-moi ça, hume ce parfum… Oh putain ! Cette terre m’aura vraiment tout donné.— Et le facteur dans tout ça ?— Un jour qu’il buvait un coup, on parlait terre et je lui disais que j’étais gâté, sauf la colline pouilleuse, là derrière, de l’autre côté de la route. Mais quand même, j’avais réussi à y faire pousser de la vigne avec un petit résultat agréable, le pinard qu’on était en train de boire. « Vouais me dit-il, mais m’étonnerait pas qu’il y pousse des diamants noirs, ça ressemble à chez mon cousin dans la Drôme, il en trouve plein… ». Je m’suis renseigné, paraît que les cochons adorent ça, alors je l’ai emmené. Il était fou ! J’pouvais plus le tenir, pourtant il est jeune le bestiau. Il grattait partout aux pieds des chênes rabougris par le vent. Et voilà le résultat. Ça ma cocotte, t’en parles à personne.— Promis-juré ! Qu’est-ce que tu vas en faire ?— J’vais voir avec un restaurant que je connais, il achète ma viande régulièrement.— Mille euros le kilo, tu dis ? Ça vaut le coup.— Tu m’étonnes, deux-trois fois par an, ça met du beurre dans les épinards. Et sans fatigue, pas besoin de semer.Il alla donc un matin voir ce restaurateur dans la ville voisine, un peu intimidé par le cadre des deux macarons Michelin. Mais le bonhomme était simple et sympa, et l’accueillit chaleureusement.— Qu’est-ce qui vous amène Monsieur Germain ?— D’abord, je voulais savoir si vous étiez toujours satisfait de ma viande de Parthenaise.— Ah formidable, une viande d’exception. D’ailleurs, pour être honnête, je vous dois en grande partie mon second macaron. J’en fais un tournedos Rossini à mourir.— Et puis, j’voulais savoir ce que vous pensez de ça, dit-il en sortant une boulette soigneusement enveloppée dans un mouchoir.— Oh ! Pas mal, belle odeur. Attendez, juste un coup de brosse… Hum ! Parfait, vous permettez ?Il en coupa une lamelle avec un couteau.— Magnifique ! Elle vient de chez vous ? Une truffe locale, incroyable. Vous avez cinq minutes ?Il enfila son tablier, sortit une poêle, la graissa de beurre et cassa quatre œufs en ayant soin de bien séparer blancs et jaunes. Il fit sauter les blancs à la poêle, prit une mandoline pour trancher quelques lamelles de truffes. Puis il déposa délicatement les jaunes dessus et passa le tout au four quelques minutes. Quelques instants plus tard, Germain dégustait les plus incroyables œufs sur le plat qu’il n’ait jamais mangé, en compagnie du chef.— Elles sont parfaites ! Vous en avez d’autres ?— J’en ai un petit panier dans la voiture.— Ne les laissez pas n’importe où, c’est de l’or et c’est fragile.Il alla les chercher, on pesa, un kilo deux cents.— Germain, à combien vous me les faites ?— Je sais pas, j’ai jamais vendu ça… Je sais que c’est cher, du côté de mille le kilo.— Germain, je vais être honnête avec vous, parce que je veux que vous m’en apportiez à chaque fois que vous en trouvez. Je les fais venir du Périgord à deux cents euros les cent grammes. Là, on est en local, pour ainsi dire entre amis. Si je vous en donne mille cinq cents le kilo, ça vous va ?— Je trouve ça honnête, j’aurais pas osé demander tant.— Alors, serrons-nous la main, et je suis votre client exclusif. Tenez, reprenez celle-ci pour faire goûter à votre famille. Vous avez vu, c’est facile. Ah si, je vous recontacterai. Y a la télé qui veut tourner un film sur la cuisine du coin, vous savez, « Les cahiers de Sophie », la nana avec sa coccinelle jaune décapotable. Je pensais lui montrer la viande sur pied, vos vaches en somme. Je vous rappellerai.Gus rentra avec mille huit cents euros en poche, plutôt content de sa matinée. Mélanie trouva fantastique la perspective de recevoir la télé, et en profita pour inciter Gus à faire venir le couvreur le plus vite possible. Elle fut exaucée dans la semaine suivante et put s’attaquer à la peinture des volets, mais aussi des portes, du portail et presque de tout ce qui lui tombait sous le pinceau. Ce n’est que quelques mois plus tard que le restaurateur se manifesta, souhaitant venir reconnaître les lieux avant d’y amener la télé. Il demanda des précisions sur la route à suivre, car son GPS ne connaissait pas la ferme de Montclou. Un Porsche Cayenne débarqua dans la cour. Gus avait pris soin de ramener les vaches dans un enclos tout proche, mais l’homme fut ébahi par le paysage. Les lupins commençaient à fleurir, les blés à dorer, le colza et les tournesols explosaient de jaunes divers.— Putain, que c’est beau ! Mais c’est le paradis, ici ! Tu m’étonnes que la viande est bonne, avec un tel environnement…Il fit quelques pas vers les vaches et aperçut soudain le potager. Il y courut. Gus, avec son bon sens paysan, se dit qu’il était un peu zinzin, ce type. L’autre exultait, arrachait une carotte, un radis, un navet et goûtait tout ça avec des exclamations enthousiastes.— Mais Germain, vous avez une fortune ! Je n’ai jamais rien goûté d’aussi bon…Soudain il les entraîna vers la maison, regardant autour de lui comme s’il craignait d’être espionné. Une fois assis autour de la toile cirée, il ouvrit les vannes à son discours.— Germain, ce que vous avez là vaut une fortune. Qu’est-ce que vous en faites ? Vous ne mangez pas tout ça à deux ?— Ben non, le samedi on va vendre sur le marché. Remarquez, ça part bien.— Vous m’étonnez ! Et combien ça vous rapporte ?— Cette année, on est bien entre cent cinquante et deux cents par semaine.— Ridicule ! Et vendu à n’importe qui… Bon ! Moi je ne fais que de l’exceptionnel, macarons obligent. Un repas chez moi, c’est en moyenne cent euros. Juste le repas sur la carte. En fait, avec les apéros, les vins, les cafés, à la caisse c’est plutôt deux cents euros. Ben oui, j’achète une bouteille de whisky quarante euros et je vends dix whiskies à seize euros, fois quatre. Mais c’est ça qui paye les extras, la bagnole, l’appartement à Sainte-Maxime et celui de l’Alpe d’Huez. Il faut bien que Madame ait des compensations. Et je sers trente couverts par jour, cinq jours par semaine, pas plus, c’est de l’artisanat, pas de l’industrie. Il n’empêche que j’aligne un chiffre d’affaires de près d’un million et demi par an.— Mazette !…— Sur un repas à cent balles, il y en a cinquante en frais de personnel, un chef de salle et deux serveurs, moi, comme chef de cuisine, un second et un pâtissier ; trente euros pour le lieu, la déco, l’éclairage, le linge de table, la vaisselle, etc. Restent vingt euros pour ce que je mets dans l’assiette… Si vous trouvez que c’est peu, dans les cantines c’est deux euros ! Vingt euros par assiette, soit trois mille par semaine, douze mille par mois. Que des produits d’exception, du frais, du bio, comme votre viande. Mais la viande, je l’achète à un boucher, qui vous la paye combien ?— Seize euros.— Bon, il a aussi ses frais, et tous les morceaux ne se valent pas. Mais moi, je lui paye le filet quarante euros, voyez-vous ? Ce que je veux dire, c’est qu’on peut faire du direct avec les légumes. C’est primordial aujourd’hui les légumes, avec cette mode végétarienne et ces conseils de manger moins de viande. Pour en avoir des beaux et bons, il faut que je me lève à trois heures du matin pour foncer à Rungis et ramener de quoi faire la semaine, puis enquillier ma journée derrière. Je n’en peux plus de ce régime-là. Si vous me livrez un chargement de produits frais deux fois la semaine, mercredi pour la reprise et samedi pour le week-end, avec ce que j’ai vu là, je vous laisse mille euros chaque semaine. Et je ne parle pas des choses exceptionnelles, comme la truffe ou les écrevisses, ça c’est à part, occasionnel.Mélanie et Gus se regardèrent. Passer de cinq à six cents euros de revenus à quatre mille par mois, le choix était vite fait. Et grâce aux « extras » selon les saisons, châtaignes, noix, champignons divers, truffes, écrevisses, truites, etc. Ce serait plus près de cinq mille euros.Les chenaux et les gouttières furent réparés et les façades crépies de neuf pour l’arrivée de la télévision. En fait, on ne vit presque que Sophie, l’animatrice, et le chef cuisinier dans un délire dithyrambique, Germain n’eut que quelques mots à dire et Mélanie fut oubliée. Peu importait, ce fut quand même un événement. Pour les remercier, le chef les invita un soir à dîner dans son établissement prestigieux. Ils en profitèrent pour apporter avec eux la livraison normalement prévue pour le lendemain matin, débarquant donc en fourgonnette au milieu de limousines de grands prix. Ils préférèrent donc entrer discrètement par les cuisines. Gus n’était pas à l’aise dans ce cadre cossu, avec tous ces mecs en costumes d’alpaga. Mélanie s’y sentait plutôt bien et regardait de tous ses yeux, accentuant cet air perpétuellement étonné que lui donnaient ses sourcils hauts et arqués.— La table à côté, c’est le député et le préfet avec leurs épouses, lui marmonna Gus à l’oreille.Queues d’écrevisses sur un velouté de butternut à la cannelle, tournedos de Parthenaise Rossini accompagné d’une purée de panais truffée et de quelques branches de cresson, mi-cuit fondant au chocolat sur une duxelle de rhubarbe. Gus retrouvait bien tous ses produits, mais n’en revenait pas, tant ils étaient sublimés part l’art du chef cuisinier. Celui-ci fit son apparition en fin de service, en toque et veste de MOF (Meilleur Ouvrier de France), venant comme à son habitude recueillir les félicitations des convives. Mais il s’arrêta près de Gus et réclama l’attention de l’assemblée :— Mesdames et Messieurs, vos hommages me vont droit au cœur. Cependant, sans des produits d’exception, il me serait impossible de vous servir des plats exceptionnels. Et ces produits, je les dois à un producteur et ami qui, tout près d’ici, élève et cultive des merveilles. Tout le mérite lui en revient.Applaudissements debout de toute la salle, Germain écarlate ne savait plus où se mettre. Bien sûr, toujours plus ou moins en campagne, le député vint serrer chaleureusement la main calleuse du paysan qui marmonna un vague remerciement. En revanche, Mélanie très à l’aise cramponna la main tendue, en profitant pour s’exprimer :— Monsieur le député, si vous avez apprécié ces bons produits bio, sachez que c’est peut-être la dernière fois. Car hélas, quand on a incité Monsieur Germain à effectuer cette transition vers le bio , l’état lui a promis des aides, à hauteur de cent quinze mille euros, trente-cinq mille euros par an pendant trois ans.— C’est possible, c’est… fonction de la surface concernée, je crois.— Vous croyez bien, mais seule une avance de quinze mille euros est arrivée depuis cinq ans ! Et depuis cinq ans, Monsieur Germain est endetté et au bord du dépôt de bilan. Tout cela à cause de promesses non tenues. Je crois que pour un élu, ce serait un cheval de bataille intéressant et populaire en milieu rural que de rétablir un peu de justice pour ces oubliés de la république, car Monsieur Germain n’est pas seul dans ce cas, hélas. D’autres ont déjà jeté l’éponge.— Je vous remercie d’attirer mon attention sur ce problème. Croyez bien que dès lundi je poserai la question à l’Assemblée et au ministre concerné. Donnez-moi les coordonnées de Monsieur Germain…Quand ils retournèrent à la voiture, après un petit digestif en tête-à-tête avec le chef, Gus s’exclama :— Ben vrai ! Tu l’es gonflée, toi, mine de rien. Je savais plus où me foutre…— Gus, c’est un élu. C’est nous qui l’avons élu. C’est nous qui le payons, cher. Et c’est avec notre pognon qu’il se tape des restos à cinq cents balles. Car tu as vu comment le champagne coulait à flots à leur table. Merde alors, on ne lui doit rien, c’est lui qui nous doit tout !— Au fond, tu as raison. Mais t’es quand même gonflée, j’aurais jamais osé. Et puis je ne suis pas vraiment au bord de la faillite…— Et tu crois que lui, tout ce qu’il raconte est vrai ? Écoute, je ne sais pas si ça servira à quelque chose, mais si ça peut te rendre service…— Vraiment, je t’admire. Tu es une sacrée petite bonne femme. Ça m’en donne envie de toi.— Mon Gus, pour ça tu es toujours prêt, hein, dit-elle en posant sa menotte sur sa braguette ?Ils n’eurent pas le temps d’arriver à la ferme, il fallut garer la fourgonnette dans un chemin creux, et Mélanie connut le bonheur de se faire trousser sur le capot tiède, à la lueur de la pleine lune à laquelle elle montra la sienne, ronde, pleine, ouverte et blanche, comme un écho.Dans les semaines qui suivirent, l’émission fut diffusée un samedi après-midi, heure de peu d’écoute, mais la presse locale et le bouche-à-oreille avait mis tout le canton devant les téléviseurs. Une large place était faite au chef étoilé et à ses recettes de cuisine, mais on y voyait aussi le boucher, Germain et quelques autres personnes qui cuisinaient des recettes locales. À force de recommencer les prises, le paysan n’était plus paralysé par le trac et semblait assez naturel, Mélanie le trouva plutôt télégénique. Il s’extasia sur un plan montrant ses vaches et le paysage de son exploitation, avant que le restaurateur ne parte en diatribe dans le potager. Quelques jours plus tard, comme par hasard, la Chambre d’Agriculture téléphona. Il paraissait que certains formulaires n’avaient pas été renvoyés à temps pour toucher les aides, Gus ne s’étonna guère, c’était juste au moment de la maladie puis du décès de sa femme, il avait d’autres chats à fouetter. Pas de courrier ni de démarche à effectuer, un conseiller viendrait le lendemain pour remplir les fameuses paperasses. Germain le reçut poliment, mais avec sa tête des mauvais jours.— Vous vous déplacez aujourd’hui alors qu’il y a cinq ans je n’ai pas eu le moindre rappel ni la moindre relance. Vous faites bien tout pour nous faire couler… Je me demande ce que ça vous rapporte. La FNSEA n’aime pas les « bios » c’est ça ?Les paperasses furent remplies, elles étaient indispensables pour que le dossier ne soit pas contestable. Il ne fallut pas plus de quinze jours pour que le secrétariat du député ne téléphonât, annonçant la venue de l’édile avec la télévision régionale pour la remise d’un gros chèque.— Qu’est-ce que c’est que ces guignols qui ne se déplacent plus sans la télé ?— Hélas, mon Gus, nous vivons sous l’empire de la communication. Du moment que tu lui sers à se faire mousser, tu vas peut-être enfin obtenir ton dû.Mais cette fois, Germain était remonté et rien ne se passa comme prévu. D’abord, le député s’étonna :— Mais… mais… je viens sauver un agriculteur de la faillite, je le pensais misérable dans une exploitation délabrée… Et ici tout a l’air d’aller bien, très bien, même…— Monsieur le député, ce n’est pas parce que le marin sait nager qu’il n’a pas besoin d’une bouée de sauvetage. Le chèque que vous apportez, j’aurais dû l’avoir par tranches depuis cinq ans. Donc en plus, vous, sous-entendu l’état, m’escroquez de cinq ans d’intérêts, à hauteur de ceux des emprunts que j’ai été obligé de contracter.— Je… je comprends. Mais tout de même, je viens vous sauver de la faillite…— N’exagérez pas. Il y a cinq ans, j’avais besoin d’aide, vous n’avez pas bougé. Là, les élections approchent et vous rappliquez avec la télé. Arrêtons ! Je ne suis pas un faire-valoir, je suis un type qui bosse de six heures du matin à vingt heures le soir, et la nuit quand il le faut pour les vêlages et les moissons. Et ça, trois cent soixante-cinq jours par an. Alors donnez-moi mon dû et brisons là, parce que je peux dire la même chose devant la caméra.— M… monsieur Germain. Voyez tout de même que votre situation s’est débloquée. C’est positif ça, non ?— C’est vrai. Et pour les arriérés, les intérêts de retard ?— Eh bien je ne sais pas… Je… euh… Les députés, nous disposons d’une enveloppe que nous pouvons utiliser à discrétion. Vos intérêts se montent à combien ?— Environ… cinq mille euros.— Ah quand même ! Bon… Eh bien… Attendez, je vais chercher mon attaché-case dans la voiture…Le mec revint avec le chèque dû de quatre-vingt-dix mille euros et en rédigea un second de cinq mille sur sa « cassette » personnelle, en demandant de promettre de ne rien dire à la presse. Il fit demi-tour avec FR3.— Alors mon Gus, pas télégénique aujourd’hui ?— Non, ce guignol cherchait la misère, on est trop propres pour lui. Mais j’ai réussi à lui tirer cinq mille balles, et j’en suis ravi !Sur ces bonnes paroles, les deux s’étreignirent et firent la fête, foie gras et confit arrosés par une « roteuse », c’est ainsi que Gus appelait la bouteille de champagne, puis fête charnelle comme il se doit. Revenus à la réalité, la soirée se passa en une discussion serrée sur la manière d’utiliser le pactole. Germain voulait rembourser son emprunt et ainsi être libéré de toute dette. Mélanie voyait les choses autrement :— Gus, réfléchis. Qui n’a pas d’emprunt aujourd’hui, pour une maison, même une voiture ou une télé ? Est- ce que tu as du mal à rembourser les traites ?— Oh ben non, depuis trois ans que je vends trente vaches par an, mon chiffre d’affaires est de plus de trois cent mille euros. Les quatre cent cinquante par mois, c’est pas grand-chose…— Bien. Et puis il y a tout le reste, maintenant, ce que l’on fournit au restaurant, les fromages encore sur le marché…— Ah ben ça… En fait, je le mets sur mon compte, pas sur l’exploitation. Je devrais ?— Bien sûr que tu devrais. Il vaudrait mieux te verser un salaire.— Ah oui ? T’as peut-être raison.— Ce serait logique, Gus. S’il y a un contrôle, comment tu justifieras ?— Ben, c’est mon potager. J’en ai un peu trop, alors je le vends.— Non, Gus, c’est une activité maraîchère et commerciale. Tu es éleveur et maraîcher, maintenant.— Oh là là ! C’est bien compliqué pour moi. Tu voudrais pas t’occuper des comptes, si tu as le temps ? Parce que vraiment, je n’y comprends pas grand-chose…— C’est d’accord, si tu m’achètes un ordinateur pour les faire et un pétrin électrique pour faire le pain. Ça, ça m’use le dos et ça me prend un temps fou.— Pas de problème, répond-il en agitant les deux chèques. Mais tout ça ne me dit pas comment je vais utiliser ce pognon.— Il faut s’agrandir, Gus, et se diversifier. Pouvoir affronter toutes les difficultés. Le restaurant nous demande d’élever des cochons rares, et il veut aussi des pigeons et plus de volailles. Il veut de la farine bio aussi. Il te faudrait un peu plus de terres et peut-être de l’aide, autre que moi.— Sors-nous des comptes clairs, que je sache où je suis. Et puis on avisera. Mais je me méfie, avec un seul gros client, on peut couler avec lui…Mélanie s’équipa, ordinateur et logiciel de comptabilité spécialisé pour l’agriculture, et elle se mit à compiler des années de factures et de papiers, de relevés et déclarations. Elle intégra les ventes au restaurateur, du moins celles payées par chèques, éliminant le produit des marchés tant les sommes étaient petites, nombreuses et en liquide. Elle sortit des courbes et des « camemberts » qu’elle présenta à son mentor.— Voilà, Gus, au jour d’aujourd’hui, l’exploitation a un chiffre d’affaires de quatre cent trente mille euros l’an, en progression d’environ cinquante mille euros depuis que le restaurant est client. Ce ne fut pas toujours le cas, puisqu’il y a encore trois ans, tu étais en déficit d’environ trente mille euros. Il y a cinq ans, le fonds de roulement précédent et l’avance de quinze mille ont permis d’être à zéro ou presque, mais les deux années suivantes, le déficit a été en partie couvert par l’emprunt, en partie rattrapé par la première vente de vaches qui est tombée à point nommé, car tu étais en découvert bancaire important. À retenir, les dépenses annuelles de fonctionnement sont d’environ cinquante mille euros, mais depuis cinq ans les salaires et investissements sont à zéro. Et ça, ce n’est pas bon du tout pour une entreprise. Des choses vont lâcher : les machines, le tracteur par exemple, et d’autres qui sont obsolètes.— Pfiou ! Bien M’dame. Mais, là, où j’en suis ? Le compte est-il approvisionné ?— Oui, pas de souci. Il y a aujourd’hui sur le compte de l’exploitation six cent quatre-vingt mille euros.— Bon, ben je crois que le chèque du député de mes deux, je vais me le mettre sur mon compte.— Tu peux, il est à ton nom et pas au nom de la Ferme de Montclou, contrairement à l’autre.— Et tu l’as compté là-dedans ?— Non, il n’est pas encore sur le compte.— Ouah ! On est riche alors !— Pas tant que ça. Si tu avais un contrôle fiscal, par exemple, comment justifier des salaires à zéro ?— J’ai le droit de ne pas me payer, non ? Je suis mon propre patron !— Alors comment peux-tu justifier, si tu n’as aucun revenu, que tu me verses un SMIC par mois, comme c’est déclaré pour les charges ?— Ah merde ! Les pièges sont nombreux. T’es maligne, toi, heureusement. Donc il faut que je me verse un salaire ?— Oui, au moins égal à deux fois le SMIC depuis que je suis là, c’est à dire un an, pour que ce soit logique. J’ai fait une simulation, l’exploitation te doit environ soixante mille euros, cent mille si tu veux rattraper les trois années précédentes au SMIC. Tu vois, ça ne la met pas en péril. Je te propose la chose suivante : il faut se mettre d’accord avec les impôts, leur expliquer que c’est un rattrapage sur cinq ans, sinon ils vont te matraquer. Ensuite on place cent mille euros en obligations ou un placement sûr comme ça, pour survivre un an ou deux en cas de gros pépin, épidémie ou autre. Ensuite, tu planifies des investissements matériels ou achat de terres pour cinq cent mille euros, et ça, toi seul peux le faire.— Bien Madame, je vais y réfléchir. Tu as d’autres conseils à me donner ?— Écoute, tu es en bio et pratiquement en autarcie, la ferme est très isolée. À ta place, moi, j’enfoncerais le clou, c’est le cas de dire à Montclou, vers l’indépendance énergétique totale. Capteurs solaires, éoliennes, biocarburant, tout ça… Mais c’est toi qui vois.— Han-han. Ça aussi, ça demande réflexion…Se savoir à la tête d’un demi-million d’euros donnait des ailes à Germain. Qui l’eut cru il y a cinq ans, alors qu’il tirait le diable par la queue ? Il prit ses décisions posément, après mûre réflexion, en homme de la terre. D’abord, il rencontra le percepteur du secteur pour voir comment il pouvait se verser des arriérés de salaire sans être accablé d’impôts. Un SMIC, il y a cinq ans n’aurait pas donné lieu à impôt sur le revenu. Mais cinq années cumulées et il allait être taxé comme un gros riche. Il ne devait pas être seul dans ce cas-là, tout était dans la façon de le déclarer. Il ne serait imposable que sur les deux dernières années, quand son salaire est augmenté, mais raisonnablement. L’exploitation, elle, risquait d’être fortement taxée s’il ne faisait pas d’investissements, il allait en faire. Il passa voir son notaire et fit le tour du cadastre. Les terres et exploitations à vendre ne manquaient pas, hélas. Celles réputées les meilleures étaient cependant fort éloignées de la sienne, pas une bonne solution. Il finit par tomber sur un petit élevage caprin d’une soixantaine d’hectares, dont le propriétaire partait à la retraite. Un seul repreneur s’était manifesté, des jeunes qui n’avaient ni certification ni financement, de doux rêveurs qui voulaient quitter la grande ville. Les terres n’étaient pas fameuses, tout juste bonnes pour le pâturage et le foin. Mais elles avaient un énorme avantage : elles se situaient juste au bout de celles de Germain, après le bois derrière les lupins. La vieille ferme donnait sur une tout autre route, et il fallait faire plusieurs kilomètres en repassant par le village pour l’atteindre. N’importe, il suffirait d’ouvrir un chemin direct, d’un bon coup de tractopelle. Justement, il est grand temps de le changer, le tracteur de son père qui fume noir, demande deux ou trois réparations par an, assis en plein vent hiver comme été, juste de quoi mettre une petite bâche trouée pour se protéger un peu de la pluie et du cagnard. Germain ne lésina pas. Il prit deux billets de train et en route pour Paris, au grand bonheur de Mélanie. Ils allèrent au salon du matériel agricole, le SIMA, où Gus put choisir l’engin de ses rêves, puis au salon de l’agriculture où la jeune femme trouva toutes les machines et tous les accessoires qui allaient lui simplifier la vie, tant à la maison qu’au laboratoire. Et une nuit romantique en apercevant la tour Eiffel par la fenêtre de la chambre d’hôtel, une promenade en bateau-mouche le matin avant de reprendre le TGV.Gus n’avait jamais pris autant de plaisir à aller travailler que depuis l’arrivée de son nouveau tracteur. La cabine suspendue, climatisée, insonorisée avec la stéréo, il se croyait dans son salon. Pire, il installa un paillasson sur le marchepied, tellement il voulait que son nouveau jouet reste impeccable. Plus puissant en même temps que plus économique, plus silencieux également et tellement plus pratique. Les accessoires, socs, broyeur, fraise, godet, pelleteuse, débroussailleuse, avaient tous des supports de rangement et des repères électroniques. Il suffisait de se laisser guider par les bip-bip et toc, il ne restait plus qu’à verrouiller. Que de fatigue et de tours de reins épargnés ! En quelques semaines, l’exploitation pourtant déjà propre devint un modèle d’entretien parfait. De son côté, Mélanie programmait son pétrin, lançait son robot aspirateur et allait s’occuper des comptes en attendant que les machines aient terminé. Elle recevait également quelques représentants d’entreprises auxquelles elle avait demandé des devis. Elle voulait une nouvelle cuisine ouvrant sur une vaste véranda qui servirait aussi d’entrée et de salle à manger de tous les jours, pour profiter du paysage et des beaux jours.Ils adhérèrent à une association d’agriculteurs bios permettant aux uns et aux autres d’échanger sur leurs pratiques, de se refiler les bons tuyaux et de partager les expériences. Les réunions mensuelles étaient tournantes, une fois chez l’un, une fois chez l’autre, on apportait quelques produits et on terminait par un bon repas bien arrosé. Non seulement c’était sympa, mais Gus apprit beaucoup de choses. Parfois même, les collègues se donnaient un coup de main pour des installations difficiles. Ainsi vinrent-ils à une demi-douzaine avec tracteurs, prêter main-forte à Gus pour ériger son éolienne au sommet de la colline pouilleuse. Haute de douze mètres et d’une puissance de cinq kilowatts, elle venait compléter les cent cinquante mètres carrés de panneaux photovoltaïques qui recouvraient désormais l’étable. L’installation en autoconsommation avec revente de l’excédent à EDF, financée avec de nombreuses aides, couvrait 80% des besoins de la ferme et de la maison. En fait, Gus ne payait plus de courant, mais recevait de l’argent d’EDF, car le global était excédentaire, mais certains jours assez nombreux dans cette région, ou le ciel est gris sans vent, la production était nulle.Un collègue avait trouvé la solution en Allemagne, un « digesteur » dans lequel on mettait les déchets organiques de toute sorte. Ils ressortaient en compost après avoir produit en fermentant une bonne quantité de méthane, gaz qui servait à alimenter la cuisine et un petit groupe électrogène. La bonne solution pour rendre l’exploitation totalement autonome, puisque dès la moisson suivante le tracteur fonctionnerait avec le biocarburant, de l’huile extraite des graines de colza, comme le 4X4 récemment acquis réglé pour le diester. Le nouveau « Berlingo » destiné aux livraisons hebdomadaires était électrique et se rechargeait déjà sur l’installation.Quand Germain eut la possibilité de basculer définitivement l’alimentation du compteur électrique sur « Off », ils firent une petite cérémonie avec tous leurs amis « bios », occasion également d’inaugurer la nouvelle cuisine et la véranda, surmontée au dernier moment par un balcon ouvrant sur la chambre que Mélanie avait transformée en bureau. Ainsi, du haut de son perchoir, elle pouvait apercevoir son Gus dans la plupart de ses activités, et surtout profiter d’une vue sublime sur cette belle propriété. Ce fut l’occasion d’un fantastique repas que leur ami, chef étoilé, avait gentiment concocté, uniquement avec les produits de la ferme.Tout semblait parfait désormais et Mélanie jubilait d’avoir apporté sa contribution à cette perfection. Pourtant elle travaillait beaucoup, les comptes, les volailles, le pain, les fromages et le beurre, les livraisons, l’entretien de la maison et du laboratoire, sans compter la cuisine, la lessive, le repassage, etc., etc. Mais elle aimait cela, se sentait utile, vivante et à l’aube de la trentaine, avait le sentiment d’être une femme accomplie. Pour rien au monde elle n’aurait souhaité être ailleurs. Elle s’en confia à Gus un soir où il semblait ne pas avoir le moral. Lui approchait de la cinquantaine et trouvait qu’il fatiguait de plus en plus. Il est vrai qu’il courait partout à longueur de journée, des vaches aux cochons, du potager à la vigne, des champs aux étables, et ainsi de suite. Et il y avait les vêlages en hiver et leurs nuits d’insomnie, les pépins naturels comme la grêle, les orages et les tempêtes, le gel ou la sécheresse, les maladies animales, les contrôles vétérinaires… et cette fatigue intense qui l’envahissait parfois sans crier gare et le ramenait à la maison en grande sudation, même par temps froid. Heureusement qu’il y avait cette adorable fille dont il était toujours éperdument amoureux, et qui ne refusait jamais une séance de plaisir.C’est lorsque l’un des membres de leur groupe eut un accident que Gus se posa des questions d’avenir. Le pauvre garçon ramenait une remorque lourdement chargée de paille lorsqu’une roue a éclaté sur un silex du chemin. Il a dételé le tracteur, est allé chercher une roue de secours et a voulu l’installer. Mais la remorque avait pris de la gîte, le chargement avait dû commencer à glisser un peu et s’est écroulé sur l’agriculteur, écrasé par des tonnes de paille. Il était jeune, à peine trente-cinq ans, et sa petite compagne s’est retrouvée à la rue après avoir trimé plus de dix ans avec lui. Ils n’étaient pas mariés ni pacsés, elle n’était pas déclarée, pour payer moins de charges et vivre plus « libres », comme ils l’entendaient. Oui, mais… Germain retourna voir son notaire pour savoir comment, lui qui n’avait aucun héritier, il pouvait tout léguer à Mélanie en cas de pépin.— Elle est votre employée et ça ne lui donne aucun droit à héritage. Mariez-vous ou pacsez-vous, et l’affaire est dans le sac.— Non, vous comprenez, j’aurais voulu faire en sorte que, si je casse ma pipe, elle puisse continuer à habiter là, à faire ce qu’elle fait déjà, qu’elle n’ait juste qu’à embaucher un ou deux ouvriers pour faire ce que je fais et que l’exploitation continue. Sans qu’elle soit ni démunie, ni à la rue. Mais nous marier serait un peu ridicule, avec une telle différence d’âge…— Oui, je vois. Vous pensez qu’elle ne voudrait pas, peut-être. Dans ce cas, créez une société, une SARL par exemple ou une SCEA, Société Civile d’Exploitation Agricole, encore mieux et plus adaptée. Un capital de deux cents euros, vous en mettez cent chacun, et vous la déclarez. Si l’un des associés meurt, la loi dit que cela ne dissout en rien la société.— Ah pas mal, ça.— Oui, ça peut répondre à votre souci. Mais sachez que tout ce qui vous appartient en propre, et qui n’est pas au nom de la société, elle n’en verra pas la couleur, matériel comme financier. Pour cela, il faudrait vraiment passer devant Monsieur le Maire. Pensez-y…Pendant quelques jours, les paroles du notaire le travaillèrent un peu.— Qu’est-ce qui ne va pas, mon Gus ? Tu as l’air soucieux et tu dors mal…— Je ne cesse pas de repenser à ce pauvre Lionel, mort écrasé sous sa paille. Pourtant, il n’avait rien fait de mal, il voulait juste se dépanner… Et sa copine, Cécile, une fille si gentille…— Oui, d’ailleurs je lui ai proposé de venir habiter ici quelque temps. Elle aurait pu me donner un coup de main, à la maison et au labo. Mais elle préfère mettre de la distance, elle repart chez ses parents, dans la Drôme.— Oui, c’est triste pour elle qui a tant travaillé avec Lionel pendant plus de dix ans, se retrouver sans rien, comme elle est arrivée… C’est pour ça que j’ai pensé qu’il ne fallait pas qu’on fasse la même bêtise.— Oh-oh ! Aurais-tu l’intention de me demander en mariage, Gustave Germain ?— Ben, je… Là tu me prends de court. En fait, c’est que… Pourquoi ? Tu aurais refusé, je suppose ?— Qu’en savez-vous, Monsieur Germain ? Il faudrait essayer pour le savoir.— Bon, je t’explique. Le mariage, ça ne résout qu’une partie du problème : tu hérites de ce que je possède en propre. Mais vu la valeur actuelle de l’exploitation, si tu veux la garder, tu aurais des droits de transmission très importants que tu ne pourrais pas payer, même avec l’arriéré de salaire que je t’ai versé. Non, le mieux pour ça, ce serait de monter une société. Nous serions associés et en cas de pépin, d’un côté comme de l’autre, le survivant peut continuer. Même s’il faut embaucher du personnel, les bénéfices sont suffisants pour couvrir la dépense.— Ça, c’est intelligent. Je suis d’accord pour la création d’une société, cher associé. Mais j’attends toujours…— Quoi ?— Eh bien, ta demande ?— Rhooo !… Bon, ben comme ça je serai fixé. Mélanie Cotine, voulez-vous m’épouser ?— Ah ! Enfin ! Attends, je réfléchis… Hélas… Mais… Oui, mille fois OUI, Monsieur Germain.— Ben ça alors… J’y comprends rien. Tu m’as dit que tu m’aimais pas…— Non, je n’ai pas dit ça. Je t’ai dit que je n’étais pas amoureuse de toi, nuance. Mais je t’aime beaucoup, mon Gus, j’ai énormément d’affection pour toi, je suis bien avec toi, c’est bien ce qu’on fait ensemble, non ? Et puis tu me fais toujours autant jouir et j’adore ça, tu le sais bien. Je n’ai pas envie d’être ailleurs, et si tu restes comme tu es, tu feras un très bon mari.— Merde alors, tu me surprendras toujours.— Je suis un peu déçue cependant. Tu n’as pas fait ta demande dans les règles, un genou en terre et un écrin à la main !— Non, c’est vrai… Je n’avais pas anticipé. Mais j’y pense, attends-moi une minute… (il s’échappa en courant vers les chambres et revint vite). Tiens, essaye ça, elle me vient de ma grand-mère, à une époque où le grand-père était un propriétaire terrien aisé, c’est lui qui a construit cette maison.La bague était superbe, une émeraude sur un médaillon ouvragé d’or blanc parsemé de petits diamants. De plus, elle allait parfaitement au doigt de Mélanie, émue et ravie.— Tu vois, celle-là, la Françoise pouvait pas la porter, les doigts trop fins. Toi, tu as des doigts de paysanne, solides et forts. Désormais, elle est à toi.Le mariage eut lieu quelques semaines plus tard. Gus aurait bien voulu que ça se fasse vite fait, dans l’intimité avec deux témoins, mais Mélanie a trahi leur projet auprès d’une copine du groupe bio, à laquelle elle demandait d’être son témoin. Alors ce fut la fête avec tout le groupe, repas chez le chef étoilé un jour de fermeture, il était également le témoin de Gus. La mariée était très belle, dans un tailleur rétro gris perle et bibi à voilette noir. Elle en paraissait plus âgée et mieux en accord avec Germain, très digne dans son costume sombre, pour une fois bien coiffé et rasé de près par le figaro du village, il en paraissait un peu plus jeune. Avec sa maladresse habituelle, il cassa un peu l’ambiance en début de repas, dédiant cette journée à Lionel, leur copain décédé, et sa copine Cécile, incitant tous les couples du groupe à faire comme lui pour préserver l’avenir de leurs exploitations et de leurs compagnes.Le chef se surpassa, leur faisant notamment un rôti de foie de veau (Parthenay bien sûr) en croûte, prétranché avec des tranches de foie gras intercalées. Une folie agrémentée de truffes, de morilles et d’une sauce aux coteaux du Layon. Le tout servi avec un Tariquet à tomber. Après quelques chansons et danses, tout le monde rentra chez soi en fin d’après-midi, élevage oblige. Mais une fois les bêtes traites et soignées, Gus s’occupa longuement de la jeune mariée, désormais également son associée.Le premier malaise véritablement marquant de Germain eut lieu quelques semaines plus tard. Il prêtait main-forte à l’un de ses collègues pour ériger une éolienne, comme il avait fait chez lui. Maintenant, la technique du groupe était rodée. Socle de béton coulé avec fixation du pied, quatre plots d’amarrage également en béton, éolienne couchée en position, un tracteur et son godet, un bras élévateur et quelques hommes avec des cordes pour conserver l’alignement jusqu’à la verticale. Les cordes étant doublées, il suffisait ensuite de lâcher un brin et de tirer sur l’autre pour les retirer sans grimper au mât. En plein effort, Germain s’affala sur le dos. On arrêta tout, on se précipita, il était un brin dans les pommes, mais revint à lui très vite.— Ne vous inquiétez pas, j’ai simplement glissé et je suis bêtement tombé sur la nuque, prétendit-il.On rigola rassuré et on lui donna un petit verre de gnôle. C’est à l’écart de tous et en toute discrétion qu’il alla vomir tripes et boyaux. Surtout, ne pas inquiéter Mélanie pour rien, elle allait l’envoyer droit chez le toubib, voire à l’hosto, des gens qu’il avait en horreur et qu’il avait trop fréquentés avec sa première femme. Pourtant Mélanie remarqua bien sa mine de papier mâché, son peu d’appétit et son peu d’entrain. Elle ne l’agaça pas avec la médecine, mais insista lourdement pour qu’il se fasse aider. Là encore, un pas qu’il n’était pas prêt à franchir. Fine mouche, elle joua sur le voyage de noces, juste un week-end à la mer, elle qui ne l’avait jamais vue, lui non plus. Elle contacta le service de remplacement de la chambre d’agriculture, mais ils manquaient de personnel. Impossible avant des mois. C’est tout à fait par hasard, sur le marché où elle vendait toujours quelques produits, qu’un stand attira son attention. C’était celui d’un CFA, Centre de Formation d’Apprentis, qui faisait sa publicité, cherchant à recruter à la fois des apprentis et des maîtres d’apprentissage. Elle discuta, prit des imprimés et rentra en parler à son époux.— Je ne veux pas voir quelqu’un faire n’importe quoi sur mon exploitation. J’ai eu assez de mal à l’amener à ce niveau de qualité. Et puis en pur bio, avec des races particulières, ça ne peut pas intéresser un apprenti. En plus, ça coûte, il faut le payer.— C’est vrai, Gus. Mais on peut se le permettre, le problème n’est pas là. À mon avis, un apprenti c’est mieux qu’un remplaçant, puisque c’est toi qui le formes. Il ne fera pas n’importe quoi, que ce que tu lui diras.— Oui, mais non, je ne vais pas laisser l’exploitation dans les mains d’un gamin de seize ans.— Je serais d’accord avec toi, seize ans c’est trop jeune, et puis ce sont des CAP débutants, des gosses qui ne savent pas faire grand-chose. Mais regarde, il y a des BTS, des jeunes qui ont déjà un Bac professionnel et qui continuent leurs études. Ils ont plutôt vingt ou vingt et un ans et une bonne connaissance des animaux. Tu pourrais le former à prendre en charge toute cette partie-là : les vaches, les cochons et la basse-cour. Ce serait varié pour lui et soulageant pour toi.— C’est vraiment risqué, ce que tu me demandes. Les bêtes, c’est notre fonds de commerce. Si jamais il y a un pépin…— C’est vrai, mais c’est aussi ce qui nous coince ici, même pour un week-end.— Et s’il vient de perpète, il faudra le loger, on sera plus libre chez nous.— J’y ai pensé. Il suffirait d’aménager un appartement convenable dans l’autre ferme, celle que tu viens d’acheter.— Allez ! Encore des dépenses !— Gus, ne sois pas pingre. On est associés, maintenant, j’ai aussi mon mot à dire. Et je dis qu’on peut se le permettre et qu’en plus ce sera une dépense à déduire des impôts, logement pour un apprenti.— Ouais, bon, tu auras toujours raison. Mais je ne suis pas près de le laisser seul ici, même pour deux jours. Et puis il faudra trouver l’oiseau rare, un garçon sérieux.— Tu as raison, prends le temps de le connaître et de bien le former. Laisse la confiance s’installer, sinon on en changera. La dame du CFA m’a dit qu’il y avait justement un jeune du bourg qui cherchait une place en production animale, le fils du quincaillier.— Decorde ?— Oui, c’est ce nom-là.— Ah, il est sérieux, le papa du moins. Et il ne veut pas prendre la suite de son père ?— Je ne sais pas, il faudra lui demander…Dans la semaine qui suivait, ils reçurent le jeune Julien Decorde, un grand gars costaud d’un mètre quatre-vingt, blond-châtain, qui arriva en scooter. Un peu gauche et timide, il expliqua que la quincaillerie n’était vraiment pas son truc, enfermé à l’année dans un magasin ou une réserve, et des comptes sans fin. Il préférait le grand air et les animaux, choix soutenu par sa mère, mais qui l’avait mis un peu en froid avec son père. Il tomba en extase devant les Parthenaises, sautant la barrière pour aller les caresser, s’émerveilla devant les cochons laineux Mangalitza, doux de poil et de caractère, race pour lui inconnue, et conclut en félicitant Germain pour ses élevages originaux, intéressants et rentables. Germain ronronnait de plaisir et lui assura que dans quelques jours son futur logement serait prêt avec tout le confort : salon, chambre, cuisine aménagée, salle d’eau et toilettes.— Le midi, tu mangeras avec nous et le soir tu te feras ton petit frichti tranquille. Et si tu as une copine, ne te gêne pas, tu seras ici chez toi. En passant par l’autre route, on n’en saura même rien.— Oh vous savez, Monsieur Germain, le principal pour moi, ce serait d’avoir un bureau ou une table pour travailler. Le BTS, c’est très dur, faudra que je bosse beaucoup. C’est pour ça qu’on passe plus de temps au CFA que sur l’exploitation. Mais là, je serai tranquille. Juste une chose, comme avec mon père, ça ne va pas trop bien, je voudrais bien venir ici dès le vendredi soir et y passer les week-ends. Ça vous soulagera un peu et puis moi, ça m’évitera des discussions désagréables…— Pas de problème, mon gars. Tu auras ta clé et tu seras chez toi.La collaboration semblait bien embarquée. Et au fil du temps, une certaine complicité s’instaura entre les deux hommes. Surtout au moment des vêlages, quand Julien ne rechigna pas à se lever à toute heure de la nuit pour aider aux naissances avec Gus. À table, il était peu causant, le nez dans l’assiette, et rougissait à chaque fois que Mélanie s’adressait à lui. Cependant, fort poli, il n’omettait jamais de terminer le repas en disant :— Merci, M’dame, c’était rudement bon.Souvent, elle lui faisait une petite boîte de restes pour son dîner, ce qu’il acceptait volontiers.Germain avait un peu plus de temps à consacrer à ses autres activités, mais aussi à son épouse, toujours très portée sur les ébats sexuels. Il semblait même que la présence de ce jeune homme, plutôt pas mal de sa personne, lui ait donné un regain de gourmandise. Il lui arrivait, lorsqu’elle était seule dans son bureau haut perché, de le regarder évoluer de loin avec les vaches et de se doigter, jupe relevée et culotte baissée, en rêvant à l’ardeur de cette jeune queue toute fraîche. Pour elle c’était certain, Julien était puceau vu ses réactions, et elle aurait bien aimé le soigner de cette tare, d’autant qu’il y avait moins d’écart d’âge entre elle et lui qu’elle en avait avec son mari. Mais cela en restait au stade du rêve érotique, et elle se rattrapait le soir en chevauchant Germain comme une amazone.De son côté, le jeune homme ne pensait guère à « la patronne », comme il la désignait, si ce n’est que ses gros nichons et son cul rebondi l’impressionnaient et lui faisait perdre ses moyens. Timide, il n’avait jamais dépassé le stade du baiser avec les filles, et ne connaissait du corps féminin que les vidéos d’Internet qui l’aidaient à soulager les pulsions de ses jeunes hormones.La scène se produisit un beau jour de printemps. Julien était monté dans le grenier de l’étable pour déboucher la trémie qui délivrait les compléments de nourriture aux vaches. Depuis qu’ils avaient mis au point, avec le patron, ce système de distribution automatique, ils avaient encore moins de travail et en plus ils pouvaient suivre et contrôler la ration consommée par chaque bête munie d’un collier. Ça et les rouleaux de brossage, presque comme ceux qui lavent les voitures, une musique douce diffusée dans l’étable et les vaches semblaient plus heureuses, moins nerveuses, plus productives en lait comme en viande. Mais parfois la machine s’enrayait, souvent pour peu de chose, une branche oubliée, un caillou ou un bloc de graines agglomérées. Il fallait grimper la débloquer, ce qui fut fait. Il allait redescendre quand il entendit une course sur les pavés de la cour et de grands éclats de rire.— Attends ma salope, tu vas voir comment je vais t’arranger, criait Germain.— Attrape-moi si tu peux, répondait « la patronne » en riant.Germain la rattrapa et la projeta dans le foin, elle semblait n’attendre que ça. À cheval sur ses cuisses, il déboutonna la robe de cotonnade et s’empara à pleines mains des gros seins qui étaient nus et libres sous la fine étoffe.— Putain, dire que j’ai même pas remarqué ça en mangeant, se reprocha Julien.Plus Germain pelotait ces superbes nichons, plus « la patronne » semblait excitée. D’une drôle de voix, elle invectiva son mari :— Tu vas me sauter dans le foin, mon salaud, tu vas fourrer ta grosse queue dans ma petite chatte…Germain se redressa pour quitter sa salopette, l’espace d’un instant Julien aperçut les belles cuisses charnues et le superbe triangle velu de la femme. Mais aussitôt, Germain se mit sur elle et il ne vit plus que le dos puissant de son patron, agrippé par les quatre membres de son épouse qui râlait comme une louve, tête renversée en arrière.— Putain, qu’est-ce qu’il lui met !La vision n’était pas érotique en soi, c’est la situation qui l’était. Surtout lorsque la jeune femme se tétanisa, s’arqua puis se replia en avant, rugissant comme une panthère. À cet orgasme, Germain se redressa à genoux et la femme en furie goba son sexe et le pompa comme une déchaînée. Puis elle se retourna, offrant sa croupe généreuse aux assauts de son mâle, pire, elle jetait ses fesses voluptueuses sur le sexe tendu de l’homme immobile. Ce fessier blanc et charnu venant chercher son plaisir, cette taille fine, cette peau laiteuse et ces cris rauques d’encouragement mirent Julien en grand émoi. Il bandait comme un cerf au brame et commençait à se toucher le sexe à travers sa combinaison.— Nom de dieu, comment elle est en chaleur cette meuf ! Quelle salope ! Elle est chaude comme une baraque à frites !Germain semblait déguster l’instant, les yeux fermés et la bouche ouverte, se contentant de claquer de temps en temps le gros fessier qui lui donnait tant de plaisir. Puis le foin vola, la jeune femme exulta à nouveau bruyamment et sollicita son amant de sa voix d’outre-tombe :— Ah tu me fais jouir, mon salaud ! Et je te connais, mon Gus, tu vas m’enculer maintenant, hein ? Tu vas me défoncer le fion comme à la salope que je suis. Vas-y, mon Gus…Le paysan ne se fit pas prier. Il écarta les hémisphères charnus de ses pouces, y lâcha un gros mollard et fourra son mandrin dans le trou du cul qui n’attendait que ça. La femme rugissait, l’homme ahanait.— Putain, c’est pas vrai ! Elle se fait enculer… Une vraie folle de la queue,, c’te meuf !Julien avait sorti son sexe et se masturbait à tout va. Quand l’homme et la femme exultèrent ensemble, son sperme gicla à gros bouillons sur le plancher du grenier. Germain se rhabilla vite en marmonnant :— J’vais bosser, le pt’it va s’demander où j’suis passé…Mélanie traîna un peu plus longtemps, revenant doucement à la réalité en étirant son corps dans le foin, souriant à chaque pet bulleux qui s’échappait de ses fesses. Puis elle se redressa, épousseta toutes les brindilles collées par la sueur, bouchonna son cul d’une poignée de foin et prit tout son temps pour caresser ses seins, sa chatte et ses fesses endoloris avant d’enfiler sa robe légère qu’elle laissa ouverte pour traverser la cour. Le jeune homme n’en revenait pas de ce moment d’intimité qu’il venait d’observer depuis sa cachette.— Putain, la vache ! Avec son air de sainte-nitouche, elle est gaulée comme une déesse, cette meuf. Elle respire le sexe et l’amour par tous les pores de sa peau. Quel cul ! Quels nichons ! Il s’emmerde pas le Germain…Il continuait de caresser sa queue encore humide, mais restée bandée, regrettant de ne pas avoir son smartphone avec lui pour immortaliser ce spectacle. Il ne pourrait compter que sur sa mémoire pour se masturber chaque soir à l’envi. Sûr que désormais il ne regarderait plus « la patronne » du même œil. Il fut d’ailleurs plus timide, plus gêné et plus rougissant que jamais au repas du lendemain. Mais il ne pouvait s’empêcher de suivre le trajet bondissant des nichons ou les oscillations fascinantes de ce cul magnétique. Gus le remarqua :— J’crois bien que le p’tit en pince pour toi, ma belle, dit-il après le repas.— Tu rigoles, mon Gus, à son âge ce sont les minettes de dix-huit ans qui les intéressent, pas les vieilles de trente ans comme moi…Cependant, Mélanie fut un brin émoustillée par cette remarque et se doigta fougueusement après le départ de son mari.Julien apporta un dimanche le premier jet de son rapport, dont la note comptait beaucoup dans l’obtention du BTS. Il l’avait intitulé « Produits bios et d’exception, les clés de la réussite ». L’essentiel du texte était là, avec déjà quelques photos, mais il souhaitait en faire d’autres.— Voilà, Monsieur Germain, si vous voulez bien y jeter un coup d’œil, savoir si je ne raconte pas de bêtises. Et puis… il y a toute une partie qui me manque, c’est l’étude économique. J’veux pas être indiscret, mais si je pouvais avoir quelques éléments…— Y a pas de problème, mon gars. Mais concernant la finance, faut voir avec mon associée.— Ah ? Vous avez un associé ?— Ben oui, benêt, c’est Madame Germain ! T’es d’accord, Mélanie ?— Aucun problème. Il faudrait juste qu’on passe un peu de temps ensemble, si ton maître d’apprentissage veut bien te confier à moi une demi-journée, je te montrerai tout. Tu verras, tout est déclaré au fisc, donc il n’y a pas de mystère.Gus était tout fiérot de lire la description de son travail, l’historique de l’évolution de l’exploitation, les remarques dithyrambiques du jeune homme. Il y avait quelques petites rectifications à apporter, mais dans l’ensemble tout était rigoureusement exact. Comme il n’aimait pas écrire, il demanda à son épouse de noter ces corrections sur des feuilles de carnet qu’elle inséra dans les pages du rapport. Mais Mélanie s’arracha un peu les cheveux à poignées en constatant l’orthographe déplorable de l’étudiant. Elle souligna chaque faute au crayon avant de lui rendre le document la semaine suivante.— Ce n’est pas pour te faire des reproches, Julien, seulement pour t’aider à avoir une très bonne note. Et puis aussi pour t’aider tout simplement à écrire mieux.— Pourtant l’ordinateur m’en corrige beaucoup…— J’imagine. Mais l’ordinateur c’est comme un dictionnaire, si le mot existe, il est d’accord. Quand tu écris : Monsieur Germain à terminer de traire, par quoi peux-tu remplacer « terminer » ?— Euh… « fini », par exemple ?— Exact, « fini », le participe passé et pas « finir », l’infinitif. Donc « terminer » ?— Ah oui, « é » et pas « er ».— Voilà. Il suffit de te poser la question à chaque fois avant de faire la faute. Je remplace par voir ou faire ou finir. OK ?— Oui, M’dame.— Et si ça se passait hier, on dirait : Hier, Monsieur Germain…— Euh… « avait terminé de traire ».— Et « avait », c’est quoi ? Quel verbe ?— Avoir ?— Exact. Depuis quand y a-t-il un accent sur le « a » de avoir ? Là aussi, tu remplaces : je vais à l’école, vers l’école, dans l’école, à accent. Sinon, si on peut dire avait ou aura, pas d’accent. Compris Julien ?— Oui, M’dame.— C’est gentil de dire « oui, m’dame », mais tu en as au moins deux cents à corriger comme ça. Tu seras puni, obligé de faire ça tous les soirs de la semaine. Allez, passons aux comptes…Enfermés tous les deux dans le bureau de l’étage, Mélanie lui montra patiemment tous les documents et lui expliqua le fonctionnement et la situation financière de l’exploitation. Il buvait ses paroles, humait ses fragrances féminines, sentait ses seins lourds toucher son épaule quand il était devant l’ordinateur. Il s’étonna du redressement des comptes depuis le passage en bio.— Eh oui, expliqua-t-elle. Quand tu vends quatre-vingts vaches à quatre euros le kilo, ça représente environ deux cent cinquante mille euros. Belle somme, pense-t-on. Mais quand on retire les aliments, farines et autres, le vétérinaire, les médicaments, les intrants pour les champs, etc., etc. Il ne reste pas de quoi se payer. Alors qu’en vendant trente vaches à seize euros, ça fait trois cent quatre-vingt mille euros, sans acheter le moindre aliment, sans intrants, quelques visites du vétérinaire et d’un ostéopathe, de la musique et une brosse pour les gratter, et surtout des prairies pour paître en liberté. Et pareil pour les cochons.— C’est vraiment super ! Mais là, vous avez des vaches d’exception, une race particulière.— C’est vrai, mais tu sais que même une Limousine ou une Charolaise bio se vend plus du double d’une bête « traditionnelle », neuf à dix euros le kilo ! Tu vois, je suis ça de très près pour ne pas me faire avoir dans les ventes. Moralité : deux fois moins de vaches, deux fois moins de travail et de soucis pour le même prix de vente et pas d’aliments à acheter si on a des terres suffisantes. Tout bénef !— Ah, ça donne des idées, c’est génial ! Mais vous faites un bénéfice incroyable ?— Tiens, regarde…— Oh la vache ! Ça donne le tournis ! Et tout ça, c’est pour vous ?— Non, enfin, oui et non. C’est à la société dont nous sommes actionnaires. Mais il faut bien voir que chaque année nous faisons des investissements lourds : de nouvelles terres, de nouvelles machines, les panneaux solaires, l’éolienne, le digesteur et le groupe électrogène à gaz, la presse à huile, etc. Tiens, je te montre des photos du jour où Monsieur Germain a coupé l’arrivée du courant d’EDF, on avait fait une petite cérémonie avec les copains du groupement bio…— Vous voulez dire que l’exploitation n’est plus raccordée au réseau ?— Si, bien sûr, mais pour vendre du courant. En gros, ça couvre ton salaire et même plus.— Incroyable !— Et maintenant, à part le sel et le poivre, on n’achète plus rien. Pas de nourriture, on a tout, pas d’électricité, pas de gaz, l’eau de la source, et plus de carburant non plus.— C’est fantastique ! L’autonomie totale, l’autarcie en somme.— Oui, mais c’est toujours risqué. Un mauvais orage, une épidémie et tout peut basculer. C’est aussi pour ça qu’il faut un matelas confortable en cas de pépin. La seule chose qui me manque, c’est un peu de vacances de temps en temps…— Mais je suis là, moi. Vous pouvez partir huit jours si vous voulez… enfin, tant que je serai là. Vous… vous croyez que Monsieur Germain me gardera après mon BTS ?— Je l’espère bien. Je crois qu’il a confiance en toi, maintenant. En tous cas, moi je le souhaite, et n’oublie pas que je suis son associée.— Merci, M’dame. C’est vrai que moi, pour m’installer, j’aurais du mal sans terres et sans argent… J’aimerais bien continuer à travailler ici.Mélanie ne pouvait s’empêcher, durant les cinq à six heures qu’ils passèrent ensemble, d’admirer l’excroissance qui dilatait la salopette de Julien.Je le fais bander et ça me ravit. Et quelle santé ! Il a la gaule sans discontinuer depuis le début de l’après-midi. C’est dingue comme ça m’excite, je suis toute mouillée. S’il savait… Elle lui confia de nombreux documents sur une clé USB, et le rapport s’enrichit d’un important chapitre sur la situation financière. Du coup, la conclusion passa de « l’exploitation est en bonne santé » à « l’exploitation est dans une excellente situation matérielle et financière ». Gus se rengorgea. Mélanie apprécia l’effort en orthographe en corrigeant encore quelques fautes. Ça sert d’avoir fréquenté l’école des sœurs avec des méthodes dites dépassées. Julien obtint son BTS haut la main, ce qui est normal pour un garçon sérieux. Il aurait bien intégré une licence professionnelle, mais il fallait partir dans un autre centre à l’autre bout de la France où il n’était pas certain de retrouver un aussi bon maître d’apprentissage, un aussi bon logement. Son contrat ne se terminait qu’en septembre, mais il obtint de Germain, bien poussé par Mélanie, la promesse d’un contrat au premier octobre, comme employé cette fois.— Mais à une condition, gamin, que tu mettes en pratique tes préconisations. Elles me paraissent avoir du bon sens.De fait, le rapport de stage devait comporter quelques préconisations, contribution de l’apprenti à l’évolution de l’exploitation. Julien était bien ennuyé pour en faire, compte tenu du niveau de la ferme frôlant la perfection. C’est en étudiant les maladies et les épidémies qu’il lui vint quelques idées, comme par exemple, installer une seconde clôture autour de la parcelle des porcs, faite de rouleaux de barbelés fixés dans le sol, pour préserver le cheptel d’une éventuelle contamination par des sangliers de passage, toujours attirés par les femelles. De même, il conseillait de couvrir la basse-cour d’un filet empêchant d’éventuels migrateurs de s’y poser. Grippe aviaire, fièvre porcine étaient en effet des épidémies redoutées et redoutables. Pour les vaches, c’était plus difficile à cause du mode d’élevage en plein air. En principe, une contamination de type « vache folle » semblait impossible, aucune farine n’entrant dans leur alimentation. Un virus ne pouvait donc qu’être transmis par l’homme, rapporté d’un autre élevage lors d’une visite. Il conseilla donc d’installer un sas d’entrée dans la stabulation avec un pédiluve par précaution, si une mesure de confinement devait être prise. Mais surtout, il invita à envisager l’installation d’un robot racleur pour garder l’étable toujours propre.Ils allèrent donc tous les deux chez un fournisseur, choisir et commander le matériel le plus adapté. Julien était très fier, c’était la première fois que Monsieur Germain l’emmenait dans son gros 4X4 et sollicitait son avis. Ils passèrent tout juillet à installer tout cela en plein cagnard, débroussaillant, étirant des centaines de mètres de barbelés très coupants. Gus peinait visiblement, devait souvent s’arrêter, suant sang et eau, essoufflé. Julien mit cela sur le compte de l’âge, ignorant qu’à cinquante ans un homme en bonne santé est plutôt au sommet de sa force et de sa résistance physique. Il fallait aller vite et avoir terminé avant la moisson, le blé n’attendrait pas. Ils enchaînèrent donc par la moisson, Germain au volant de la moissonneuse et Julien à celui du tracteur. Une bonne récolte, le pain serait bon et les animaux bien nourris.C’est peu après, un peu avant les vendanges, qu’un soir Mélanie s’impatienta. Gus n’était pas rentré, la nuit tombait, et la carpe farcie desséchait dans le four. Elle appela sur son portable, sans réponse.— Ils sont encore en train de discuter et d’élucubrer sur d’autres projets, marmonna-t-elle en appelant le portable de Julien.— Non, M’dame, il n’est pas avec moi. Il est passé voir les cochons, mais… y a au moins deux heures de ça.Mélanie sortit dans la cour, fit le tour des granges et des étables, pas de Gus. La nuit était déjà noire quand elle revint vers la maison. Dans le silence, elle perçut au loin un bruit de moteur.— Ah, quand même ! Il ne va plus tarder…Elle sortit la carpe et se prépara à la découper. Mais toujours pas de Gus. Elle ressortit et entendit encore exactement le même bruit de moteur, cela venait du chemin reliant les deux fermes. Elle sauta dans le 4X4, supposant qu’il avait un problème ou une panne. Passée la colline, juste dans le creux boisé, elle vit le tracteur dans la lumière des pleins phares. Il était en fâcheuse posture, le nez dans le fossé, moteur tournant. Elle courut jusqu’à la cabine, trouvant Gus affalé sur le volant. Elle coupa le contact et essaya de secouer son mari :— Gus ! Mon Gus ! Ça ne va pas ? GUS !Il bascula sur le côté, inerte. Ne sachant que faire, elle rappela Julien.— Julien, viens, viens vite, Gus a fait un malaise…— Mais où ?— Viens vite, sur le chemin de la ferme dans le petit bois.Le jeune homme arriva en trombe sur son scooter. Mélanie essayait de couvrir Gus avec un plaid trouvé dans la voiture.— Il faut le sortir de là, dit Julien. Mais d’abord,j’appelle le SAMU.Sortir un homme de cette corpulence d’une cabine de tracteur le nez piqué dans un fossé ne fut pas aisé. Mais l’angoisse décuplait leurs forces, ils parvinrent à le déposer délicatement sur le chemin. Ils avaient à peine terminé cette opération que l’hélicoptère du SAMU faisait un point fixe au-dessus d’eux, cherchant de son phare un endroit pour atterrir. Trois types arrivèrent avec brancard et mallettes.— Madame… je suis désolé, mais… il est déjà froid…Alors Mélanie entra dans sorte d’hystérie, exigeant qu’ils fassent leur métier, qu’ils l’emmènent de toute urgence à l’hôpital, qu’ils le raniment, qu’ils le soignent. Elle était comme folle, prête à les griffer, les mordre, les frapper. Elle hurlait sans pouvoir la calmer. Alors les sauveteurs se regardèrent, mirent Germain sur la civière et l’embarquèrent. De nouveau seuls, Julien reçut un torrent de larmes sur son épaule et, au bout d’un long moment, il put lui dire :— Je vais m’habiller correctement et prendre mes papiers. Faites-en autant et je vous emmène à l’hôpital.Conduire ce gros engin pour la première fois de nuit sur des routes de campagne n’apporta pas au jeune homme le plaisir qu’il en espérait en l’admirant. L’hôpital était à une quarantaine de kilomètres, ils mirent plus d’une heure. Compte tenu de sa crise d’hystérie, le médecin et les infirmières prirent mille précautions. Mais le temps du voyage, le cerveau de Mélanie avait intégré la réalité. Elle aussi avait bien senti qu’il était froid, que sa salopette puait de tous les liquides qui quittent le corps au moment de la mort. Elle en avait toiletté des petits vieux partis pendant la nuit. Elle ne dit donc rien, son regard fixé sur la pointe de ses souliers. Elle voulut le voir une dernière fois, il gisait sur une table sous un drap blanc, livide. Julien avait été informé par une infirmière, il pleurait doucement sur un banc dans le couloir, attendant sa patronne.… À suivre…