Depuis qu’il est gamin, Julien a l’habitude, pour aller à la boulangerie, de sortir de chez lui par l’arrière de sa maison ; par la grange, dont le mur extérieur est en fait le rempart de l’enceinte moyenâgeuse de la ville. Une poterne donne sur l’ancienne douve, puis sur ce que certains verbicrucistes malins (voire retors) nomment mail et qui n’est autre qu’une promenade publique, petit chemin piétonnier plus ou moins caillouteux et agréablement ombragé. Julien traverse juste la sente et passe alors par le jardin d’une maison inoccupée depuis deux ans maintenant : la boulangerie et autres commerces ne sont plus alors qu’à moins de 100 m alors que s’il était sorti de l’autre côté de chez lui, il aurait dû contourner tout le pâté de maisons et parcourir un circuit de 600 m environ.Le jardin du pavillon, immense, est un véritable labyrinthe où on louvoie entre haies désormais monumentales et pergolas en bois vermoulu dont certaines ne tarderont pas, faute d’entretien, à s’écrouler sous le poids des rosiers grimpants, glycines folles ou chèvrefeuilles odorants. Julien connaît bien son chemin, il pourrait le parcourir les yeux fermés, à l’aveuglette. C’est d’ailleurs un peu ce qu’il fait en ce moment : les yeux rivés sur son téléphone, il essaye de lire un mail (il s’agit bien d’un e-mail cette fois !), mais l’éblouissante lumière du soleil dominateur de la fin juin rend l’écran quasi illisible. Julien néanmoins s’escrime à déchiffrer tout en marchant d’un pas relativement vif.Ne regardez pas l’écran de votre téléphone quand vous descendez ou montez un escalier, vous risquez de faire une chute, nous recommandent les urgentistes. Ils devraient ajouter qu’il en va de même lorsque l’on marche sur un terrain inégal.Arrive ce qui devait arriver : au détour d’une haie de thuyas, l’imprudent bute contre une racine semi-enterrée, le pied se tord, la cheville vrille, Julien effectue un vol plané et s’étale de tout son long sur le sol, ou, pour être précis, sur l’extrémité d’une chilienne en bois. Plus exactement même sur les pieds et chevilles de l’occupante du bain-de-soleil qui, surprise (on le serait à moins !), pousse un grand cri. Complètement ahuri, notre bonhomme, à moitié à cheval sur la chaise longue, tente, tant bien que mal de se redresser sur ses coudes et se tourne vers la jeune femme en répétant « Désolé, désolé ». Il se confondrait bien davantage en excuses, mais ce qu’il découvre ne fait qu’accroître sa confusion et lui cloue le bec : non seulement l’occupante du transat est une bien jolie jeune femme, mais elle est surtout aussi nue qu’au jour de sa naissance. Piquant un fard, Julien détourne son regard, tente de se relever, mais retombe, à plat ventre. À côté de la chaise longue cette fois, le nez dans l’herbe. Sa cheville lui est douloureuse, mais bien moins que son genou qui a violemment buté contre l’arête du cadre du bain-de-soleil en bois. Sans oublier une douleur à l’aine.— Attendez, je vais vous retourner, annonce la jeune femme qui s’est portée vers lui et a posé le matelassage mousse du transat au sol. Je vous aide et vous allez rouler sur la mousse.Rouvrant les yeux, Julien a vue alors sur la poitrine et autres courbes parfaites de son aimable secouriste, installée à côté de lui à croupetons, fesses aux talons, buste incliné. Embarrassé, Julien rive son regard vers le ciel : sa sauveteuse, n’a pas pris la peine de se couvrir tant soit peu et est en train de lui palper les jambes.— Là , vous avez mal ? Et là  ? Et quand je fais ça ?La jeune femme palpe, presse, effectue de légères torsions qui arrachent quelques plaintes à son patient.— Vous êtes médecin ?— Non, kiné, répond-elle. Bien, dit-elle quelques instants plus tard, inutile que je vous dise de ne pas bouger, de toute façon, vous n’iriez pas bien loin ! Je reviens dans deux minutes, Julien.Ni une, ni deux, la ravissante kiné l’abandonne pour se diriger vers la maison, toujours aussi nue qu’au premier matin de l’humanité : son patient a le bonheur d’admirer son joli petit cul bien pommé et ses interminables guiboles.Alors qu’elle se dirige vers sa voiture remisée dans le garage, la jeune femme sourit en dodelinant gaiement du chef.« Hé hé ! Toujours aussi mignon qu’il m’avait semblé il y a deux ans : belles épaules, belle carrure et discrète, mais jolie musculature. Et quelle dentition, quel sourire de star ! Mon p’tit gars, t’inquiète, je vais te soigner ! Je vais te prendre en main ! Et pas qu’en main, d’ailleurs ! »Elfe gracieuse, Marie chemine vers la maison sans crainte d’être vue par quiconque à travers la forêt (mi-vierge) du jardin abandonné. Et quand bien même…« Trop mignon, le gars, quand il rougit ! Bon, sa cheville n’a pas grand-chose, mais son genou va le faire souffrir pendant quelques jours. Il lui faudra oublier quelques-unes des positions du Kamasutra dans les prochains temps ! Mais bon, si je prends le dessus… »Marie affiche une moue gourmande. Elle avait littéralement craqué pour Julien lors de leur fugitive rencontre à l’hosto, mais, à son grand regret, elle n’avait plus eu l’occasion de l’approcher. Dieu sait pourtant que le gars lui avait suffisamment tapé dans l’œil pour qu’elle fantasme régulièrement sur lui depuis deux ans ! Du coup, la voilà bien décidée à ne pas laisser sa chance cette fois.« Trop craquant, le mignon ! Je vais te croquer mon gars : depuis le temps que tu me fais chauffer ! Et si tu crois que ton genou en vrac va m’arrêter, tu te trompes l’américain ! »L’américain ? Pourquoi l’appelle-t-elle ainsi ? Julien est français, né en France de parents bien français !Mais il est vrai qu’à l’âge de vingt ans, le jeune homme avait été repéré par les chasseurs de têtes d’un puissant groupe informatique. Pas la Pomme, l’autre ! Un pont d’or lui avait été servi et Julien s’était installé aux States. Cinq plus tard, il migrait de Redmond vers la côte Est, montait sa propre société, une start-up qui avait connu un succès foudroyant. Société qu’il avait revendue au bout de trois ans, sans regret, à ses anciens patrons lorsque sa mère était tombée malade. Retour en France avec en poche (en banque surtout !) une gentille petite fortune : quelque 850 millions de dollars (selon une estimation Forbes présentée comme basse).Riche, mais solitaire. Après s’être occupé à plein temps pendant un an et demi de son père invalide et de sa mère malade, Julien avait traversé une crise existentielle après leurs décès quasi simultanés, six mois plus tôt. Le trentenaire était alors resté cloîtré dans sa maison, n’ayant que peu de relations avec le monde extérieur. Au chapitre des amours, une seule aventure au compteur, aventure expresse, qui lui avait peut-être bien laissé un goût encore plus amer que le naufrage de son mariage aux USA…Il y a a priori peu de chances que la kiné gourmande connaisse tous ces détails. De toute façon, c’est sans intérêt pour elle : sa seule urgence, c’est d’assouvir le désir qui la taraude depuis deux ans, quitte à en ressortir déçue !De son côté, Julien réfléchit. Déboussolé, le gars essaye de remettre ses idées en place et en oublie presque sa douleur au genou.« Mais qui est cette fille ? Plutôt mignonne d’ailleurs et sacrément bien gaulée, la kiné nudiste ! Quelles jambes, elles n’en finissent pas : cette fille est quasiment aussi grande que moi. Bon, ce n’est peut-être pas la plus jolie fille du monde, certains diraient qu’elle est trop grande justement, que ses hanches pourraient être plus fines, que ses seins manquent de volume… Mais moi, j’adore ! Jolie paire, tout à fait à mon goût ! Pas extravagante, mais bien ronde et ferme, de gentils nibards qui ballottent à peine. Et le reste n’est pas mal du tout ! Bien au contraire ! ♪ ♫ Tout est bon chez elle, y a rien à jeter ! ♪♫ J’adore ! Je prends tout ! Et surtout ses yeux : la vache, quel regard ! Envoûtant, serein, captivant, toute la douceur du monde avec en plus, un brin d’espièglerie… et sa crinière : ces boucles légères qui ondulent jusque sur ses épaules ! Bon, sa frange, droite, trop longue, qui tombe presque sur les yeux, ce n’est pas ce que je préfère… Mais bon, mon gars, c’est clair : elle t’a flashé cette meuf ! … Cela dit, pas gênée la gonzesse ! À l’aise Blaise, c’est le moins qu’on puisse dire ! … Mais… d’abord, au fait, qu’est-ce qu’elle fiche ici ? C’est qui cette meuf ? Une skateuse qui s’est installée dans cette maison vide ? »Julien réalise après coup, il ne l’avait pas noté en passant, que des nouveaux rideaux ont été accrochés aux baies du salon. La kiné aurait-elle acheté la maison ?« …Bof ! Quand bien même elle serait une skateuse, je ne vais pas me plaindre et ce n’est pas moi qui irai prévenir les gengens… »Sentant un certain remue-ménage dans son caleçon, il s’inquiète une peu.« Non, mais, si elle ne se rhabille pas, je ne réponds plus de rien, moi. Genou en vrac ou pas ! »C’est alors seulement qu’il réalise qu’elle l’a appelé par son prénom !« Mais je ne la connais pas moi cette nana ! D’où qu’elle connaît mon nom ? »Le pauvre n’a pas le temps de trouver réponse à la question, l’aguichante kiné est de retour. Elle attrape le paréo qui traîne dans l’herbe et le passe rapidement avant de s’accroupir pour poser une poche-gel froide sur la cheville de son patient et une autre sur le genou endolori.— Bon, explique-t-elle, elles ne sont plus aussi glacées qu’il faudrait, mais ça fera l’affaire. T’as de la chance que je me balade toujours avec ma glacière dans le coffre… Bon, à part la cheville et le genou, d’autres bobos ?Posant sa main sur son côté, il explique :— Un peu à l’aine aussi. Ça picote surtout.— Belle éraflure en effet, ça saigne un peu.Ni une ni deux, la praticienne attrape l’élastique et fait glisser le short le long des jambes. Julien a cru pendant une seconde qu’elle allait aussi lui enlever son slip, mais elle se contente de l’abaisser très légèrement. De sa mallette, elle sort des compresses qu’elle imbibe d’antiseptique avant de tamponner la plaie.Le paréo ne masque qu’à grand-peine ses seins. Comme elle masse consciencieusement la jambe et la cuisse de Julien, un téton malin joue à cache-cache avec le tissu : on m’voit – on m’voit pas – on m’voit… Julien s’efforce de visser son regard dans celui de son interlocutrice, mais, peine perdue, il ne peut contrecarrer la levée des couleurs dans son slip. Pour masquer l’insolente couleuvre dressée, il joint les mains qu’il pose aussi naturellement que possible sur son baromètre au beau fixe.« Totalement nue, ce n’était déjà pas facile à gérer, mais là , en fait, avec son paréo riquiqui, c’est carrément intenable ! »— Au fait, demande la jeune femme, on peut se tutoyer non ?— Euh… oui oui, bien sûr, bafouille Julien avant de marquer un temps d’arrêt ! Mais… on se connaît ?Grand sourire moqueur de la jeune femme.— Oui et non, répond-elle. Je sais qui tu es : il y a deux ans, j’allais régulièrement voir ma grand-mère à l’hôpital. Un jour, je t’ai vu sortir de sa chambre au moment où j’arrivais. Tu ne m’as pas vue, tu étais manifestement très ému et visiblement peiné par la faiblesse d’Honorine. Bien sûr, moi, aussi sec, je lui ai demandé qui était ce bel homme qui lui rendait visite. Elle m’a expliqué. Voilà , pas plus compliqué que ça ! Et aujourd’hui, je t’ai tout de suite reconnu.« D’accord, c’est la petite fille d’Honorine, réalise Julien. Madame Honorine, ma maîtresse de CM1-CM2. L’ancienne propriétaire de la maison et de ce, désormais, jardin extraordinaire ! »— Alors donc, c’est toi l’héritière de cette maison. C’est toi qui refuses de la vendre, veux la rénover et créer des gîtes sur le terrain.— Euh oui, répond la jeune femme surprise. Comment tu sais ça ?Julien est bien content de l’étonner à son tour.— Il y a quelques semaines, un gars avait commencé à égaliser les troènes de la clôture, mais son taille-haie est tombé en carafe. Comme je passais, il m’a demandé si je pouvais lui en prêter un. Mais en fait, je n’en ai pas…— Forcément, tu n’as pas de jardin. Une grande cour, mais pas de jardin— Tu connais ma maison ?— Oui, j’ai accompagné quelquefois Mamounette chez vous. Notamment, il y a quelques années alors que tes parents venaient de rentrer de ton mariage à Hollywood. Je ne t’explique pas comme ils étaient fiers de ta réussite aux States ! Ils nous ont montré les photos. Ton père avait le regard brillant quand il parlait de ta femme. Note, je comprends : dans le genre « super blonde à forte poitrine », difficile de trouver mieux !Julien préfère ne pas s’appesantir sur le sujet et en revient à son histoire de taille-haies.— Donc, je ne pouvais pas l’aider le gars, mais on a quand même discuté un bout et c’est là qu’il m’a parlé du projet de gîtes de sa femme alors que lui estimait qu’il valait mieux tout vendre. Moi, j’ai bêtement pensé qu’il était le petit-fils d’Honorine.— Ah ben merde, gonflé le Benji ! Il a dit sa femme ?— Euh… sa femme ou… son amie, je ne sais plus exactement…— Ni l’une ni l’autre : Benji était juste un PC.Un PC ? Pour Julien, baigné dans la langue anglo-américaine, ce raccourci du langage SMS franco-ado est parfaitement inconnu !Devant l’air interrogatif de son interlocuteur, la jeune femme précise :— Un plan cul, juste un plan cul ! Mais bon, si je comprends bien, le mec, il s’voyait déjà … Je me rends compte qu’en fait, j’aurais dû le virer plus tôt celui-là  ! Oh que c’est bon d’être libre, soupire-t-elle d’aise en écartant les bras en croix.Mouvement qui libère sa fière poitrine quasi sous le nez de Julien qui ne manque pas d’apprécier.— Mais bon, toi, tu ne peux pas savoir, tu es marié…La maligne sait parfaitement que Julien a divorcé de sa belle Américaine, qu’il est revenu seul des États-Unis deux ans plus tôt. Mais elle prêche le faux pour savoir le vrai : depuis son retour, un type comme lui aura largement eu le temps de se recaser.— Non, divorcé, répond-il.Il laisse passer un ange avant d’enchaîner sur un ton moqueur :— Je ne pense pas t’apprendre là quoi que ce soit que tu ne saches déjà , je suis certain que ta grand-mère t’a parlé de mon divorce quand tu l’as interrogée sur… son beau visiteur. J’ajoute donc pour satisfaire pleinement ta curiosité que je suis aussi célibataire que toi. Satisfaite, chère demoiselle… qui ne dit pas son nom ?Merde, il m’a vu venir ! Ma fille, si tu veux jouer au chat et à la souris avec lui, il va te falloir jouer plus finement… Achtung bicyclette ! — Oh, mille excuses, c’est vrai, je ne me suis pas présentée.— Et donc ? demande Julien puisque la demoiselle ne paraît vouloir en dire plus.— Hein ? Euh moi, c’est… Marie. Enchantée !— Marie ? Tu n’en as pas l’air sûre !— Quoi ! Si… non-oui, si-si, je m’appelle Marie. Excuse-moi, je pensais à autre chose.— Eh bien donc, Marie, je suis enchanté. Et encore désolé !— Désolé de quoi ?— Mais désolé de… de… de…« De… de… de… Désolé de quoi couillon ? Tu es obligé de bredouiller comme un neuneu ! Tu peux être sûr qu’elle va insister maintenant ! Elle va te passer sur le gril ! »Ça ne rate pas ! Marie saisit la balle au bond avec une malice non dissimulée :— Désolé de quoi ?Comme Julien rougit violemment, mais paraît ne pas vouloir, ou savoir, quoi répondre, elle insiste :— Désolé de m’avoir effrayée ou désolé de m’avoir surprise nue ? C’est ça, le spectacle t’a choqué ? Navré ? Tu me trouves trop moche, trop mal foutue pour oser m’exposer ?Elle en rajoute la maligne ! Chercherait-elle des compliments ?— Mais non, pas du tout, au contraire ! Tu es…— Je suis ?Acculé, Julien décide d’oublier sa timidité. Elle veut qu’on lui mette les points sur les i ? OK, d’acco d’ac !— Tu es absolument magnifique, annonce-t-il d’une voix ferme ! Tu es superbe ! Parfaite ! Mais effectivement, je pensais que cela pouvait t’avoir gênée d’être surprise nue… C’est tout !Marie lâche un petit rire cristallin.— Rassure-toi, dans ma famille, nous sommes naturistes de mère en fille. Je devrais même dire… de grand-mère en petite-fille !Julien en reste comme deux ronds de flans : « Madame Honorine naturiste ! Ben mon colon, tu ne l’aurais pas imaginé celle-là  ! M’enfin ! »— Que la nudité te choque, je peux comprendre, reprend Marie.— Non pas du tout, s’empresse-t-il de répondre. Je pourrais dire beaucoup de choses au sujet de la nudité, mais sûrement pas qu’elle me choque !— Ah non ? Je t’en prie, explique.Julien réfléchit un instant, choisit ces mots.— La nudité totale est… naturelle, biblique, candide, originelle, virginale si tu vois ce que je veux dire.— M’ouais : comme Adam et Ève au jardin d’Éden avant la pomme. Ils sont nus, mais ne le savent pas. Ils ne peuvent en être choqués. Tu considères la nudité comme naturelle ? Tu es naturiste toi aussi ?— Non. Non, on ne peut pas dire ça. Ce n’est pas parce que je suis allé une fois sur une plage naturiste…— Une seule fois ? Il me semblait pourtant qu’à San Francisco, naturisme et nudisme étaient plutôt répandus et bien tolérés.— M’ouais bon, pas franchement un excellent souvenir… Mais pour en revenir à la nudité, oui, elle est candide par nature. Il n’y a rien d’excitant par exemple lorsqu’un modèle pose nu devant une classe de potaches aux Beaux-Arts. La belle ne choque pas, car elle n’est pas tentatrice, elle n’est pas suggestive et sûrement pas érotique ou sexy a priori ! — A priori ? Julien se mettrait bien des claques : il faut toujours qu’il rajoute le petit mot qui ouvre une nouvelle porte dans la conversation.— Oui, la majorité des apprentis barbouilleurs resteront de marbre au spectacle de sa nudité. Mais on ne peut pas exclure que l’un ou l’autre des élèves ne soient troublés. Mais c’est peut-être que ces gars… ou filles auraient pu être troublés par elle sans qu’elle soit nue. C’est le regard qu’on pose sur la nudité qui peut l’érotiser. Pas la nudité en soi. Le nu n’est pas érotique.— Je suis assez d’accord, convient Marie. Cela dit, il me semble bien que tu n’es pas resté totalement… de marbre en me voyant ?Julien rit un peu gêné :— Je ne prétendrais pas que mon regard était totalement naïf et pur ! Mais, ‘xcuse-me baby, ton regard n’était pas forcément innocent non plus… La nudité reste candide tant qu’une œillade, un sourire, ou encore une position, une réaction ne brise sa candeur. Surtout une réaction non contrôlée, ajoute-t-il avec malice.Marie se garde bien d’acquiescer, mais son sourire en coin vaut acceptation.— Une réaction non contrôlée ?Julien, goguenard, sourit en secouant la tête :— J’ai souvenir de tétons qui s’érigeaient vitesse grand V, ce qui n’est pas une réaction tout à fait innocente. Mais bon, pour en finir avec le thème, j’ajouterais que si la nudité peut être émouvante, déconcertante, voire affriolante, elle peut aussi être décevante dans bien des cas, voire carrément réfrigérante !C’est au tour de Marie de marquer sa surprise.— Exemple : je rencontre une nana, jolie, super classe dans son tailleur Chanel, explique le jeune homme qui a compris que l’heure n’est plus aux détours et circonvolutions. Plus tard, quand elle se déshabille, son arrogante poitrine dégringole de deux étages et elle porte une gaine qui révèle un ventre flasque. Cerise sur le gâteau, et là c’est un point de vue strictement personnel, en plus, une forêt vierge déborde de son string ! Déception totale, et là , Hélios perd de sa superbe ! Direct !Marie éclate de rire et demande :— Hélios ?— Le dieu du soleil… dont la représentation la plus connue était le colosse de Rhodes !— Le colosse de… non, mais, prétentieux va !— Non… mais, transige Julien faussement contrit, tout ça pour te dire que, malgré ta nudité décontractée et désinvolte, candide et naturelle, ma… réaction était un hommage flagrant à ta beauté !— Malgré mon buisson ? Toi qui n’aimes pas les poils !— Au contraire, j’adore ! Une petite touffe bien entretenue au-dessus d’un grand canyon imberbe, c’est le top ! De mon point de vue, c’est bien plus érotique qu’un mont Chauve !Marie fixe ostensiblement l’entrejambe de son compagnon :— Je constate que tu continues à hisser haut-ho-ho le… colosse comme tu dis, alors que je me suis rhabillée !— Ce n’est pas gentil que te moquer d’un infirme immobilisé sur son lit de douleur, lui reproche-t-il en riant. Rhabillée ? T’es gonflée ! D’abord, c’est très relatif avec ton paréo qui baille assez largement sur tes seins, très jolis et qui pointent de plus belle soit dit en passant : je bande, tu pointes, un partout, la balle au centre. Deuxio, tu conviendras que notre conversation peu banale a de quoi émoustiller, non ? Et tertio : si la nudité candide n’est pas érotique, elle le devient dès qu’un petit bout d’étoffe vient plus ou moins masquer les appas. Une femme en maillot de bain est plus sexy que si elle était nue, surtout si son indécent bikini moule les reliefs de sa géographie intime. Une simple jupe plissée qui volette et dévoile deux centimètres carrés d’une petite culotte blanche, c’est trois fois rien, mais mille fois suffisant pour que n’importe quel mec se mette à fantasmer et rêve d’en découvrir davantage.— Oui, mais toi, là , en l’occurrence, tu n’as plus rien à découvrir, tu as déjà tout vu !— Plus rien à découvrir ? Tu plaisantes ?Marie s’amuse décidément beaucoup de leur dialogue. Elle est bien décidée à pousser le bonhomme dans ses derniers retranchements.« Mon p’tit gars, je veux savoir ce que tu as dans le ventre avant, peut-être, va savoir, de tester ce que tu as juste en dessous et qui paraît prometteur. Alors, amusons-nous d’abord, amuse-moi ! »— Non, pas du tout, je ne plaisante pas, affirme-t-elle la main sur le cœur. Je t’ai tout montré, tu as tout vu ! Alors ? Dis-moi, insiste-t-elle avec un air de défi, que te resterait-il à découvrir ?« Bon, tu me cherches, Marie : je vois assez bien comment tout ça va finir et je ne vais pas m’en plaindre ! Bien au contraire ! Mais de toute évidence, tu veux t’amuser un peu. D’abord. OK ! Mais ce que je vais te dire maintenant, ma belle, te fera-t-il rire ? Pas sûr ! D’ailleurs, ce n’est pas ce que je cherche…Si tu savais ce qui se passe dans ma tête, là … »Rivant son regard dans celui de la belle effrontée, Julien entame son discours. D’une voix calme, posée, presque basse, il égrène ses réponses calmement.— Ce que j’aurais encore à découvrir ? Mais tout, Marie, tout ! L’essentiel, le plus important : le velouté de ta peau, la douceur de tes lèvres, l’harmonie de tes courbes, la sensibilité de tes seins. J’aurais à découvrir les petits points secrets qui te font chavirer, hérisser ta peau, qui incendient le delta de tes cuisses, inondent ton sourire vertical…À propos de sourire, Julien voit celui de Marie s’effacer rapidement, ses yeux s’écarquiller. Il découvre une forme de stupeur dans son regard pervenche, il sent la jeune femme se raidir. Serait-elle en train de se braquer ou est-elle prête à fondre ?« Ou ça passe, ou ça casse ! Baffe ou patin ? Abat ton jeu mec ! Embraye ! »— J’aimerais voir onduler ton corps sous mes caresses, sentir tes tétons se dresser sous ma langue, tes hanches rouler sous mes paumes. J’aimerais perdre mes phalanges dans ton petit buisson, laisser couler mes doigts dans le triangle inondé de tes cuisses, découvrir ta chaleur irradiante, noyer mes doigts dans ton geyser. J’aimerais t’offrir l’infini radieux, la lumière sublime, te satelliser dans la Voie lactée. Et mille choses encore. Mais ce que je voudrais avant tout, par-dessous tout, là , maintenant, c’est connaître la douceur de tes lèvres et le goût de ta bouche. Oui, c’est ça que j’aimerais, c’est tout ça que j’ai encore à découvrir.Alors qu’il se tait, Marie, toujours agenouillée près de lui, reste immobile un instant encore avant de se relever lentement. Debout, elle semble de le toiser, puis tend son bras, pointe son index vers lui :— Non, mais toi alors, lâche-t-elle simplement d’une voix rauque.« Je ne sais pas d’où il sort celui-là , mais il n’est pas banal ! Un baratineur de première ? Mais bon, dragueur ou pas, je m’en fous ! Sûr qu’il me fait de l’effet, celui-là  ! Et pas qu’un peu ! Merde ! » Lorsqu’il la voit relever le menton dans un air de défi, qu’elle porte lentement ses mains vers le nœud de son paréo, Julien comprend que la partie est gagnée. L’étoffe légère coule au sol, Marie expose fièrement sa pleine nudité avant de venir s’asseoir sur son bassin. Puis, presque brutalement, elle se couche sur lui et lui offre sa bouche.Leur baiser n’est pas simplement fougueux ou gourmand, il est terriblement, presque désespérément passionné, furieux, comme répondant à une urgence vitale, une nécessité absolue. Il n’a rien d’un préliminaire obligatoire à ce qui va suivre, il n’est pas juste le premier jalon incontournable de la check-list à respecter dans une course effrénée à l’orgasme. L’un comme l’autre le sentent, quelque chose de plus fort vient de les jeter dans un tourbillon démentiel, un cyclone dévastateur qui déjà les laissent pantelants.Lorsque asphyxiés, leurs bouches se séparent, ils restent un long moment à se regarder sans rien dire. Que pourrait-il lui dire de ce qu’il ne comprend pas, que pourrait-elle avouer de ce qui la trouble ? Chaque mot prononcé, quel qu’il soit, serait un aveu irrémédiable, si incongru, si incompréhensible que ni l’un ni l’autre n’ose dire quoi que ce soit.Alors, c’est du bout des yeux qu’ils se parlent, qu’ils se distillent ces inavouables mots d’amour. D’amour oui, incompréhensible sentiment qui vient d’éclore brutalement, d’exploser, de les sidérer et qui les terrasse, les jette dans un avenir qu’ils n’imaginaient pas, qu’ils n’espéraient même pas deux minutes plus tôt. Ils étaient partis pour baiser, joyeusement, s’envoyer en l’air avec fougue, les voilà à vouloir faire l’amour. Se faire l’amour, tendrement. Généreusement. Réciproquement. Offrir et s’offrir.Lentement, presque timidement, leurs bouches se rapprochent encore, leurs lèvres se frôlent, se goûtent délicatement, s’apprivoisent. Leurs souffles à nouveau se mêlent et leurs corps frémissent quand les langues se rencontrent. D’insupportables ondes délicieuses les chamboulent. Oublié, le premier baiser sauvage, ils s’offrent désormais de tendres bécots, des baisers presque frileux. Timides.Quelque chose déconne dans cette histoire ! À l’étape deux de la check-list de la bonne baise, Julien est censé empaumer les seins de Marie, les flatter, les malaxer et tout et tout. Au lieu de cela, il caresse les cheveux de sa belle, lui masse doucement la nuque !« Non, ce n’est pas vrai, c’est pas possible. Mais qu’est-ce qu’il fait ? Il faut que tu réagisses, ma belle. Ne te laisse glisser dans la guimauve, ne te laisse pas embobiner ! Merde, tu t’es débarrassée d’un mec, tu as retrouvé ta joyeuse liberté, ce n’est pas pour plonger aussi sec dans une romance marshmallow. Allez hop ! ♪ ♫ On va baiser, sur un matelas, au fond du vieux jardin ♪♫ ! »Marie s’insurge contre ce brouillard doucereux qui tente de l’anesthésier, elle réagit : retour à la case départ, le patin furieux, dévastateur, asphyxiant. Et tant qu’à faire, elle va brûler les étapes : d’un geste sec, elle attrape la queue tendue dans le slip, la libère et d’un coup de reins furibond, elle se l’enfourne dans la boutique. Jusqu’au fond. Elle se le pousserait jusqu’aux amygdales s’il le fallait. À s’en faire mal !« On range les violons, on ne plaisante plus, pas de chichis, pas de fioritures, on baise, mon coco ! » Elle est vaillante, la traîtresse, déterminée, elle s’active sur le manche, s’explose le berlingot. Elle cherche à jouir. Vite. Jouir vite et mal si possible, comme antidote à l’insupportable charivari sirupeux qui l’a envahie quelques instants plus tôt. Elle veut qu’il lui injecte son vaccin sans tarder, prête déjà à accepter une seconde dose si la première ne faisait pas suffisamment d’effet. Déchaînée, elle monte, descend, enfourne, libère, s’abat sans ménagement sur la queue, engloutit le pieu qui la taraude en se refusant d’admettre que cette queue la comble de bonheur, la transporte si merveilleusement vers les cimes étoilées. Les caresses de Julien merveilleusement concentrées sur ses tétons durcis finissent par déclencher le cataclysme.Quand le ciel tout à coup se fend, chamboulée en tous sens, Marie capitule, admet et savoure le plaisir qui lui est donné, elle s’abandonne avec délice. Elle jouit, sans retenue, jouit longuement, merveilleusement ! Ses transes se conjuguent aux spasmes de la queue qui s’épanche en elle. Hoquetante, haletante, elle déguste ces flammèches irradiantes qui courent sous sa peau, horripile son épiderme et chavire définitivement son cœur.Car l’inattendu s’est produit : Éros, l’archer malin aurait-il décoché une de ses flèches assassines ?Déjà , la jeune femme regrette de devoir s’envoler demain pour la Nouvelle-Zélande. Dieu sait qu’elle se réjouit pourtant depuis des mois d’accompagner l’Équipe de France à cette coupe du monde de Rugby à XV. Bien sûr, elle pourrait largement décaler son départ, la compétition ne débutera que le 9 septembre, mais elle a ses billets d’avion en poche. Elle et sa collègue Tania ont décidé de ne s’offrir rien de moins que six semaines de tourisme, sac au dos, six semaines de découvertes de cet étonnant pays et surtout des paysages ahurissants du Seigneur des Anneaux. Les joueurs n’arriveront que mi-août précédés d’une huitaine de jours par le staff médical, l’heure alors pour Tania et Marie de reprendre du service pour préparer la venue des athlètes. Si par bonheur les « petits » allaient jusqu’en finale, le retour en France n’interviendrait que fin octobre.Trois mois, quatre, presque ! Autant dire une éternité, une sacrée mise à l’épreuve pour des sentiments qui viennent tout juste de naître. Du moins en ce qui la concerne. Qu’en est-il de son blessé qui a cet instant sourit béatement. L’américain a-t-il succombé à son charme ? Aura-t-il la patience de l’attendre aussi longtemps ?La jeune femme note qu’à cet instant son compagnon affiche un sourire mitigé.— Désolée, je ne sais pas ce qui m’a pris, j’ai été trop brutale ! Je t’ai fait mal !— Mal ? Oh non, pas du tout ! Loin de là  ! Que du bien ! Mais… tu étais furieusement déchaînée et formidablement directrice ! Alors côté découverte, papouilles et tendresses partagées, c’était pas vraiment ça ! Tu étais sacrément pressée et gourmande ! Un train à prendre ?« Un train ? Non, mais un avion si ! Malheureusement ! »— Mais peut-être, continue Julien, que dans un futur rendez-vous, tu me laisseras prendre la main…— Bien volontiers, s’empresse de répondre Marie, prenons date tout de suite si tu veux bien. Attends que je réfléchisse… je suis un peu surbookée ! Mais j’ai justement un créneau de libre dans… onze minutes !— Onze minutes ! répète Julien en riant.— Oui : une minute pour nous rhabiller, cinq pour te reconduire chez toi, jusqu’à ta chambre. Trente secondes pour te déshabiller, trente autres pour appliquer une crème anesthésiante magique sur ton genou et trois minutes pour refaire ton attelle.Julien fronce les sourcils.— Euh… Si je compte bien, il manque une minute !— C’est parce qu’il faudra que je me lave bien les mains ! Si je venais farfouiller dans ton entrejambe avec des traces de ma crème magique sur les doigts, ton… colosse risquerait de ressembler au zigouigoui du Manneken-Pis ! Ce serait dommage, non ?Les effets de l’anesthésiant étant limités dans le temps, Marie dut se laver les mains un bon nombre de fois durant l’après-midi et la nuit suivante… Combien de fois ? Allez savoir : quand on aime, on n’compte pas !