Faut se fier aux apparences !Louise ou la métamorphose du cloporte !L’affaire n’a pas été simple ! J’ai fait les comptes.Deux heures dans la salle de bains, quarante dollars de produits de beauté : crèmes en tous genres, rouge à lèvres, mascara, crème dépilatoire, teinture (sans ammoniaque !), fard à joue, dentifrice (blanchissant…) !Trois cents dollars de fringues, et surtout quatre heures à courir les boutiques. Une séance coiffeur, manucure et tutti quanti…Mais le résultat en vaut la chandelle !Attention, n’exagérons rien, Louise n’est pas à proprement parler un canon, une vamp ou une gravure de mode. Ses yeux gris sont un peu trop délavés, son nez un peu fort et légèrement de travers, sa bouche un peu petite, ses lèvres trop fines pour être sensuelles et son menton un peu fuyant. Côté silhouette, la gamine, un peu trop sèche, a besoin de se remplumer un peu. Sa poitrine est un peu trop menue, ses hanches étroites lui donnent une silhouette de fillette impubère. C’est « Mademoiselle Moins » : il lui manque toujours un petit quelque chose pour être parfaite.Mais on est loin désormais de la souillon du fond des bois.Louise s’avère être une gentille jeune fille : discrète, agréable, et donc, ma foi, pas trop mal gaulée. Ses cheveux blonds, bouclés, mi-longs désormais, et ses taches de rousseur lui donnent un petit air espiègle Quand, de plus en plus souvent d’ailleurs, un sourire vient effacer son air de chien battu, elle a un petit quelque chose d’attendrissant.La cousine n’en est pas une finalement. Louise est née du premier mariage de sa mère qui n’a plus eu d’enfant ensuite avec le frère du père de Lilly. Vous me suivez ou il faut que je fasse un croquis ? Elle n’a donc aucun lien de sang avec ma Lilly. Inutile donc de leur chercher des ressemblances.À dix-huit ans, la pauvre gosse ne connaît du monde que ce qu’elle en a vu à la télé. Installée à l’arrière de la voiture, elle est littéralement captivée par tout ce qu’elle découvre. Avide d’images, son regard ne cesse d’aller et venir, de droite à gauche. Je vois dans mon rétroviseur ses incessantes mimiques d’étonnement, de plaisir et de réprobation parfois. Complètement absorbée par ses découvertes, Louise parle peu.La gamine n’est donc pas vraiment encombrante, mais sa seule présence a totalement modifié mes relations avec Lilly. Finies les papouilles en voiture, terminés les débordements coquins. Pour un peu, Lilly et moi pourrions passer pour un vieux couple chaperonnant une débutante ! La nuit dernière, Lilly est même allée dormir avec elle, pour qu’elle ne reste pas toute seule !Hey, j’existe moi ! Faudrait pas m’oublier ! Si j’étais mauvaise langue, je dirais que les bonnes femmes sont toutes les mêmes, quand le poisson est bien ferré, fini les roucoulades, t’as plus qu’à marcher droit. Et à banquer !Mais bon, je ne suis pas mauvaise langue…Avec tout ça, je n’ai même pas eu l’occasion de parler de mon magot à Lilly. Ça me ferait du bien de lui avouer mon secret, j’aimerais partager ce bonheur avec elle, mais j’en viens presque à me demander si ce serait vraiment une bonne chose.— Si on s’arrêtait là , pour pique-niquer, me demande Lilly qui m’arrache à mes sombres réflexions.Je serai bien tenté de lui dire que « pique » est de trop, mais je ne voudrais pas choquer la vierge du siège arrière. Alors, j’obéis, en grommelant.A peine garé, le temps de me retourner et les donzelles ont disparues. Envolées, évanouies. D’accord, ça pressait ! Tant qu’à faire, je m’enfonce moi aussi à la lisière du bois, je choisis bien mon arbre et l’arrose consciencieusement en dessinant de belles arabesques. Soulagé, je viens de ranger mon attirail quand un léger bruit attire mon attention. Merde ! J’ai failli arroser la cousine ! Accroupie dans le buisson, je ne l’avais pas vue ! Elle, par contre, n’a sûrement rien raté de l’exhibition ! Eh ben comme ça, elle est fixée ! Faut bien qu’elle apprenne non ?Je retourne, rigolard, vers la voiture où je retrouve Lilly. Louise revient à son tour, rougissant jusqu’aux oreilles en croisant mon regard. Sa gêne ne passe pas inaperçue et Lilly fronce les sourcils en m’interrogeant du regard.— Oh, ça va, je l’avais pas vue, j’ai pas fait exprès. Et elle en verra d’autres !Éclatant de rire, Lilly s’approche de Louise, la prend par les épaules et s’éloigne avec elle en discutant joyeusement.Hé bien voilà , une fois plus, je me fais planter. Je me retrouve seul, comme un con ! Faut pas pousser, Lilly, faut pas pousser ! Il va falloir qu’on cause tous les deux.— Loulou ! Loulou !Lilly m’appelle ! Mais qu’est-ce qu’elle veut encore ? Et où est-ce qu’elle se planque ? Je n’ai pas du tout envie de jouer à cache-cache ! Si vous croyez que je vais crapahuter dans la cambrousse avec ma patte folle…Mais, couillon, j’y vais quand même ! Je m’enfonce dans la forêt.— Loulou ! Loulou !M’énerve ! Où est-ce qu’elle se planque Bon Dieu !Waouh !— T’as vu comme c’est beau ici !Fraîche et délicieuse comme une rose, Lilly m’attend, sur un tapis de mousse, dans une petite clairière ombragée. Elle est assise comme la Petite Sirène de Copenhague sur son rocher, ses longues jambes jointes, ses cuisses délicieusement découvertes sous sa jupe retroussée. Instantanément, ma colère s’évanouit, mon désir pointe en flèche et je vais me précipiter sur elle quand je réalise et scrute les environs. Lilly comprend mon hésitation :— Louise est allée se promener. Je lui ai expliqué, nous sommes seuls…Alors que je tombe à genoux sur la mousse, la douce biche déboutonne lentement son chemisier, l’entrouvre, découvre un sein. Prenant ma tête entre ses mains douces, elle me guide vers sa poitrine. À petits coups de langues, avec précaution, avec une infinie tendresse, j’embrasse, je bizouille, je lèche le sein offert, je retrouve avec délice le goût de sa peau, la fraîcheur de son sein, le relief dur du téton dressé.Au ralenti, comme dans un rêve, nos corps se rapprochent, se touchent, se fondent l’un contre l’autre. Allongé sur cette mousse accueillante, nous nous câlinons longuement, nos corps sont dénudés sans hâte, nos bouches s’unissent, nos lèvres se caressent.Toute impatience est proscrite, si affamés que nous soyons l’un de l’autre, nous contenons nos élans pour profiter de la douceur du moment. Chaque parcelle de peau découverte m’est un émerveillement, chaque caresse prodiguée, une marque d’amour. Il n’est pas question ici de baiser, de s’envoyer en l’air, il s’agit de s’aimer, d’offrir, de partager. Comme deux amants au premier matin du monde, nous nous découvrons l’un à l’autre, nous nous offrons l’un à l’autre.Dans la lumière mouvante que filtrent les feuillages, nos corps alanguis savourent les caresses, les agaceries de nos doigts légers, de nos langues pointées, de nos souffles courts. Nos bouches se cherchent à intervalles réguliers, s’appellent, se retrouvent et nos baisers tour à tour aériens et fougueux nous étourdissent.Et mes lèvres gourmandent son corps, glissent sur son ventre soyeux, enveloppent la petite perle nacrée délicatement enchâssée dans son nombril. Ma langue joue avec le petit bijou alors que mon regard se rive à l’horizon des montagnes laiteuses et de leurs pics sombres tendus vers le ciel. J’hésite entre couler vers sa vallée inondée pour goûter aux sucs parfumés de son désir ardent et escalader les contreforts veloutés de ses rondeurs mammaires. Mais mon cœur submergé d’une ahurissante tendresse me fait préférer à ses appâts offerts la douceur de sa bouche fébrile où mes lèvres se plaquent.Nos souffles se mêlent et se confondent, nos langues s’enroulent voluptueusement en chaudes caresses humides, nos cœurs chavirent. Sans autres préliminaires que nos chastes caresses, sans avoir abordé ni du doigt ni des lèvres nos sexes impatients, nos corps nus s’unissent. Je roule sur le dos. Plantant son regard dans le mien, Lilly, gravement, se redresse. Les mains sur mon torse, elle commence doucement à glisser son sexe sur le mien. Caresses affolantes, où le frottement de sa forêt bouclée qui chatouille mon prépuce, alterne avec la douceur suave des replis délicats du coquillage épanoui. Ce traitement lascif achève d’affoler mon sexe qui raidit encore. J’espère et je redoute la chaleur de sa conque, l’étroitesse de l’antre bouillant, je m’impatiente de cette attente insupportable mais crains de ne pouvoir y résister.Lilly, enfin, sur moi s’imbrique et introduit doucement, lentement, progressivement, mais totalement, mon sexe érigé. Nous restons alors immobiles, mon membre au plus profond d’elle, à profiter de notre chaleur commune, du désir qui nous étreint.Et Lilly s’allonge sur moi. Bouches unies, serrés l’un contre l’autre, à vouloir se fondre, notre désir fusionne. Nos hanches entament le roulis, commencent la sarabande amoureuse, nos sexes se confondent. Qui monte ou descend, qui roule ou se tend, qui imprime le rythme ?Nous ne distinguons plus le tien du mien, le blanc du noir, l’homme de la femme. Nous ne sommes qu’un désir, qu’une offrande, qu’un seul corps tendu vers le ciel.Des vagues d’ivresse nous parcourent à l’unisson, nous noient dans le tourbillon éthéré d’une tornade étincelante. Nous roulons encore sur la mousse et à l’instant magique, sur Lilly allongé, je sens ses ongles s’enfoncer dans mes fesses durcies par l’attente de l’explosion. Le plaisir nous propulse alors, ensemble, unis, fusionnés, dans le marasme multicolore d’un orgasme si étroitement partagé, d’une jouissance si merveilleusement unique et fusionnelle.Dans ce cataclysme absolu, nous sommes le monde et le monde n’existe plus…… des volutes d’air chaud parcourent nos corps détendus. Appuyé contre Lilly, allongé sur le flanc, la tête relevée soutenue par ma main gauche, je contemple attendri, le corps alangui de ma douce maîtresse tranquille. Les yeux clos, Lilly ne bronche pas mais sourit béatement de mes caresses légères sur son ventre.— Lilly, j’ai un truc à te dire.— Je sais, dit-elle doucement et en ouvrant les yeux, tu m’aimes ?— Non, enfin si, bien sûr, je t’aime.Je dépose un bécot léger sur ses lèvres closes avant de continuer :— Non, il s’agit d’autre chose … Tu sais, mes petites économies … je t’en ai parlé … Hé bien, en fait, mon petit pactole, c’est un million !— Un MILLION !Les yeux écarquillés, Lilly a relevé la tête un instant.Je lui raconte tout, par le menu, Certini, Wire, la crise cardiaque et tout le toutim. Lilly s’est rallongée, m’écoute sans broncher. Quand je m’arrête, elle me regarde, inquiète :— Mais alors, tu es riche, souffle-t-elle.Je rectifie :— NOUS sommes riches ! Te voilà « Million Dollars Baby » !Un petit sourire tristounet, un voile dans le regard, Lilly n’est pas enthousiaste :— Mais avec tout ce fric, tu peux te payer toutes les plus belles nanas du monde. Alors moi, …— Mais tu es la plus belle nana du monde. Et la plus gentille, la plus craquante, la plus chou qui soit, Bébé. Fric ou pas, c’est toi que j’aime, c’est avec toi que je veux vivre. Fric ou pas, je ne sais pas si c’est pour la vie, personne ne peut savoir. Fric ou pas, c’est peut-être toi qui me plaquera, un jour ou l’autre. Mais ne gamberge pas trop ; je t’aime, tu m’aimes, laisse faire le temps !Je sais ! Dans le genre bluette « sentimentique et romantale », ça se pose là  ! Mais on ne se refait pas. JE suis un romantique ! Point barre ! Vous pensez que j’aurais mieux fait de faire ma grande gueule, de profiter de la situation sans rien dire, de garder mon secret ? Hé bien, je ne suis pas d’accord, ne vous en déplaise ! Et peu importe si elle me plume, tant pis si elle me met sur la paille avant de me claquer entre les pattes, ce qui est pris est pris, et elle a tant à me donner. Alors, je lui explique tout : notre sortie du pays, mes projets… Tout quoi !Et ma petite souris du Missouri est restée toute… enfin… muette !Pétard ! Si je m’attendais à celle-là  ! Décidément, ce mec n’en finit pas m’étonner ! Avec lui, je vais de surprise en surprise ! D’accord, il ne me m’a pas fallu longtemps pour comprendre qu’il n’était pas celui qu’il voulait paraître. Petit malfrat mal dégrossi, tu parles ! Bien trop cultivé le bonhomme ! Alors ok, l’enfance solitaire, le côté rat de bibliothèque, ça explique : la culture, ça s’acquiert. Mais Al n’est pas seulement cultivé, il est intelligent. Et l’intelligence, on l’a ou on ne l’a pas, et lui, il est beaucoup plus futé qu’il n’y parait !Son magot ? L’histoire est un peu trop belle pour être vraie… Mais si elle l’est, Pépère a la chance avec lui ! One million sans se baisser, Monsieur cultive la veine en gros. Y a de quoi avoir les boules pour quelqu’un qui a dû trimer, intriguer, prendre des risques pour décrocher la timbale.Et puis, elle est peut-être vraie malgré tout son histoire. Elle tient la route et ça expliquerait le million dans le sac de voyage : il n’a pas eu le temps matériel de trouver une meilleure planque. Oh les yeux que j’ai fait le premier soir en ouvrant ce sac ! Tu parles d’un choc ! Je croyais avoir levé un demi-sel en ballade, je tombe sur un millionnaire en cavale ! Sur le coup, ça m’a même effrayé. Je m’en suis posée des questions ! Comme je n’imaginais pas que ce fric soit à lui, que ce soit là d’honnêtes économies, j’ai imaginé une bande de tueurs à ses trousses. Des tueurs, pas la police, parce qu’avec sa patte folle, je le voyais mal braquer une banque. Non, son blé, il l’avait forcément carotté à quelqu’un, volé ou extorqué, mais sans trop de violence. Parce que j’ai beau essayer, je ne me l’imagine pas avec du sang sur les mains. Tout de même, me retrouver avec un fuyard n’arrangeait pas vraiment mes bidons. Mais je me suis dit qu’en cas de pépins, j’avais assez de ressources pour m’en tirer. Eviter les axes principaux, se taper des détours et traînailler dans les campagnes au lieu de filer direct vers une frontière quelconque, était un bon moyen de brouiller la piste. L’idée aussi de faire plier sa voiture par un casseur m’a démontré qu’Al n’était pas sot. Payer la Honda presque une fois et demi son prix réel, c’était le bon moyen de faire disparaître la Ford sans que le vendeur ne pose de questions. Et bien malin celui qui pourra dénicher ce ferrailleur paumé dans la cambrousse. Bien joué ! Non, dans l’ensemble, Al s’est comporté en pro de la cavale : pas de chèque ou règlement par carte, pas de téléphone; prudent l’animal ! Sauf avec moi ! J’étais persuadée qu’il ne me parlerait jamais de son magot, en tous cas, pas avant d’être en sécurité au Mexique. Mais voila, Monsieur est sentimental. Trop confiant, c’est sûrement là son plus gros défaut. Ce gars, en fait, est fondamentalement bon ; pas foncièrement honnête, mais bon. Bon et amoureux ! Parce que là , y a aucun doute, Pépère est ferré ! Ah les bonshommes, ils sont tous si manoeuvrables…Quoique ! Faut quand même que tu te méfies ma fille ! Al est amoureux, d’accord, mais toi, t’en est où à son sujet ? T’as beau faire la fière, tu peux rouler des mécaniques, t’es quand même pas loin de succomber ! La petite séance à l’instant, tu l’as quand même bien appréciée… Merde, il faut que je me reprenne ! On calcule, on calcule, mais si je ne garde pas la tête froide … J’avais bien senti que le bonhomme avait besoin d’une petite récrée, qu’il était urgent de s’occuper de lui et de reprendre la main, mais lui offrir une parenthèse aussi… sentimentale, ce n’était pas prévu. J’ai fourni l’occasion, j’ai offert l’ouverture, mais en définitive, c’est qui qui a mené l’opération ? C’est le Kiki, c’est lui, y a pas à tortiller, c’est lui qui a mené les débats, qui a conduit les ébats, lui qui m’a fait plonger dans cette sentimentalité sirupeuse, lui qui m’a conduite à lui donner plus que mon corps. Je me suis laissé mener, j’ai plongé. Et j’ai aimé. Pas seulement l’acte. Mais aussi le sirop ! Surtout le sirop !Et l’aveu ! Million Dollars Baby ! Sa confiance m’a émue, je ne peux pas le nier !Merde ! Tu deviens sentimentale ma fille ! Tu t’attaches ! Fais gaffe !Quoique… Et si un et un font toujours deux…J’en ai ras-le-bol des petites routes ! Depuis presqu’une semaine que j’avale de la poussière, je ne peux plus les sentir ces petites routes tranquilles.J’en viens à regretter les rues bondées de New York, les embouteillages où on s’engueule à tour de bras, les autoroutes où on se traîne. Une autoroute ! Donnez-moi une autoroute, je craque ! Et là , c’est pire que tout. Les bayous ! Je déteste les bayous ! Ça pue, c’est sombre, il fait une chaleur à crever et même sous contrôle permanent de la Nasa, on serait foutu de s’y perdre ! Depuis trois heures, on a croisé une bagnole et deux crocodiles ! Réjouissant ! Et le pire est devant nous. On va entrer à la Nouvelle Orléans par les faubourgs, ça risque d’être coton !En tous cas, on va se payer un super hôtel, pas le top du top, faut rester discret, mais un truc bien, propre, moderne. Les piaules minables des motels à quat’sous, j’en ai soupé ! Un grand lit, vaste, confortable, un grand lit à partager avec Lilly. Bon, juste à partager, pour les galipettes, c’est râpé ! Il a fallu trouver un drugstore pour que Madame puisse acheter des tampons.— Je sais pas si c’est nos galipettes qui ont tout déclenché, mais c’est les grandes eaux, avec trois jours d’avance.M’est avis que cette putain de chaleur moite qui est responsable. Mais du coup, ceinture. Vous me direz, il reste Louise. Elle est pas si mal la môme depuis que Lilly l’a prise en main.Oh, le premier jour, quand elle a étrenné sa première minijupe, le tableau ! Elle ne savait plus comment marcher, s’asseoir, se baisser la gosse ! Trop drôle ! Elle passait son temps à tirer sur la jupe, à regarder autour d’elle. Faut dire qu’elle n’y était pas allée avec le dos de la cuillère la Lilly. Elle te lui avait collé une ras-la-touffe moulante absolument minimaliste. Pas commode ! Mais elle a vite appris à apprécier le regard des hommes ! Finis les contorsions pour sortir de la Honda.J’ai même eu droit à un drôle de petit sourire tout à l’heure, devant le drugstore. Mademoiselle s’extirpait de la place arrière du coupé, je lui tenais la portière et elle a bien remarqué que je ne pouvais pas rater sa petite culotte blanche. Visiblement, ça l’amusait que je voie, la petite lueur effrontée dans ses yeux en témoignait. Du coup, c’est moi qui ai failli rougir. J’en viens à me dire qu’il ne faudra peut-être pas la secouer longtemps pour qu’elle me lâche son petit trésor.Mais je n’ai pas envie de me faire arracher les yeux ! Ni par elle, ni encore moins par Lilly !Et puis maintenant, il faut se concentrer. Il faut organiser le transfert. Fini la voiture, maintenant c’est : bateau.Le Mexique ? Non, oubliez le Mexique. Entre nous, il n’a jamais été question de Mexique. Il fallait bien que je raconte un truc à Lilly. En fait, c’est direction les îles.Lequelles ? Dites, vous ne seriez pas un peu curieux sur les bords ?Alors, si on vous demande, vous direz que vous ne savez pas ! Non mais des fois !New Orleans, la ville des plaisirs ! Le carnaval permanent ! La capitale de l’exhibition ! Se promener dans le quartier français le soir, c’est la certitude de se rincer l’œil gratos. Bars, steack-houses, restaurants chicos, boîtes à jazz, le quartier a tout ce qu’il faut pour attirer les noctambules.La plupart des maisons du quartier sont pourvues de balcons ou de galeries ouvertes. À l’origine, les entraîneuses de bars à filles et des bordels attiraient leur clientèle en dévoilant plus ou moins leurs charmes depuis ces galeries. L’Amérique puritaine ayant officiellement bouclé la plupart des maisons de plaisirs, les putains noires se sont raréfiées aux balcons. Mais la tradition demeure. Escort-girls, entraîneuses ou simplement habitantes du quartier perpétuent la coutume.Depuis la rue, le public qui déambule en troupeaux serrés apostrophe les belles aux étages. Impossible de faire trois pas sans apercevoir le galbe d’un sein fugitivement dénudé, une poitrine rebondie mise à nue, une gazelle dénudée balançant ses colliers de perles multicolores sur ses mamelles exposées. Plus la soirée avance, plus ces exhibitions se multiplient, pour le plus grand plaisir des touristes voyeurs qui mitraillent les belles et moins belles avec leurs appareils numériques. Sans compter que, régulièrement, dans la foule des badauds, une femme ou l’autre répond aux provocatrices des étages.Le flot des piétons s’immobilise alors. Un attroupement se forme autour de la touriste délurée qui a soulevé son tee-shirt et danse en balançant ses nénés sous le nez des passants hilares. L’émulation gagnant la foule, certaines osent soulever leurs jupes, dévoiler leurs dessous, entrouvrir leurs shorts et exposer leurs buissons. Les plus délurées ne cachent rien de leur anatomie, s’exposent aux flashes et aux rires, avant de se couvrir à nouveau pour continuer, comme si de rien n’était, leur ballade nocturne. Quelques passants se retournent sur leur passage et balancent des commentaires égrillards, avant qu’elles ne se fondent dans la foule et retrouvent un anonymat respectable.Connaissant Lilly, je m’attendais à quelques débordements de sa part mais les provocations répétées ne firent que l’amuser sans la pousser au crime. Je mis cette passivité sur le compte de son état biologique et peut-être aussi sur le souhait mutuel de passer plutôt inaperçus. Peu avant d’arriver à New Orleans, j’avais d’ailleurs repris le petit camouflage déjà utilisé chez le casseur-autos, à savoir : un faux plâtre au pied et des béquilles. Camouflage voyant c’est sur, mais je continue à penser qu’un type avec un pied plâtré est, certes, visible mais que son souvenir restera moins longtemps à l’esprit que l’image d’un play-boy boiteux. Et pour tout dire, si on vous demandait si vous aviez aperçu un boiteux minable, penseriez-vous à faire le rapprochement avec ce type au pied plâtré que vous aviez vu se pavaner avec deux escort-girls relativement indécentes ?Pour ce qui est de Louise, Lilly lui avait monté un bateau sur un soi-disant complexe que je ferais au sujet de mon infirmité et avait également forcé sur mon côté « petit voyou poursuivi par une bande de grands vilains pas beaux ».Se balader avec des béquilles n’est pas une sinécure mais offre l’avantage de mettre les gens dans de bonnes dispositions à votre égard. Le loufiat du Dizzy ne fait pas exception et nous escorte jusqu’à une très bonne table dans la boite. Le public est principalement composé de couples pour la plupart réunis par deux autour des petites tables en alu brossé. Le décor est typiquement pompier 1920, les fauteuils confortables et les serveuses aguichantes avec leurs pseudos uniformes en satin rouge et leurs bas résille. Est-il besoin de dire que nous avons fait une entrée remarquée dans le Club : moi, à cause de mes béquilles, Lilly, à cause de son décolleté ravageur et Louise pour sa minijupe affolante.Sur la scène, à moins d’un mètre devant nous, un trio de blacks souriants distille un blues de bonne facture enrobé par la voix basse et chaude d’une chanteuse extraordinairement sexy : sans nul doute métissée, la jeune femme ondule devant son micro. Ses cheveux lisses brillent sous les spots, sa peau noire et mate met particulièrement en valeur ses yeux clairs, ses lèvres plutôt fines rehaussées par un rouge à lèvres mouillé, ses dents régulières et étincelantes. Sa longue robe de lamé scintille, moule ses formes avantageuses. Fendue jusqu’à l’aine, la robe s’entrouvre sous les ondulations de l’interprète, dévoilant des jambes interminables, une cuisse nerveuse et fuselée, l’aine découverte. Spectacle lascif, un peu trouble, gentiment érotisant.A la table voisine de la nôtre, trois types, passablement éméchés louchent sans vergogne vers mes deux compagnes, et se poussent du coude en se glissant des confidences sans nul doute graveleuses. L’un d’eux se lève d’ailleurs, s’avance et faisant mine de trébucher, tombe sur Lilly qu’il pelote sans vergogne. Pas décontenancée pour un sou, Lilly qui avait repéré le manège le repousse violemment et lui expédie une claque sonore. Hébété, le type prend la mouche en découvrant les sourires moqueurs des convives, revient à la charge en jurant et se prend un magistral coup de béquille dans le tibia. Cette fois, il s’étale de tout son long. Depuis ma chaise, je le bloque au sol avec mes béquilles et mon pied. L’incident s’arrêterait là sûrement si ses copains n’avaient alors la mauvaise idée de vouloir prendre le relais. Debout, Lilly et Louise les abreuvent de coups, les obligeant à battre en retraite, mais un des connards écumant de rage défouraille alors un petit calibre et va tirer sur elles lorsqu’un convive lui abaisse le bras. Le coup part malgré tout et touche un brave texan d’une table voisine. Touché à la cuisse, le Texas boy regarde sans comprendre le trou dans son pantalon. Puis réalisant, le cow-boy se lève, déplie son double mètres, et aussi gêné par la balle que si une guêpe l’avait piqué, se rue sur l’ivrogne qui tient toujours son revolver.Le désordre est indescriptible, la plupart des clients se ruent vers la sortie en hurlant, renversent tables et chaises, les musiciens sautent de l’estrade pour plonger dans la mêlée, les serveuses se planquent comme elles peuvent.Les nuisibles sont rapidement maîtrisés par le cow-boy et ses amis, le calme revient.Ce qui aurait pu n’être qu’une petite bagarre amusante s’est transformé en drame. Oh, pas du côté texan : un examen rapide montre que la balle a traversé le gras de la cuisse, quelques points de sutures et le bonhomme pourra continuer sa java ; mais parce qu’inévitablement, les cops vont débarquer. Dans le meilleur des cas, la soirée est foutue ! Et je me passerais bien d’aller visiter le Poste de Police du secteur…La pièce est dans le plus pur style police année 80 : grise, sale, triste. Les chaises en skaï sont raides, la clim est poussive et donne plutôt l’air de polluer l’atmosphère que de la rafraîchir. Et les flics sont naturellement désagréables. Débordés, ils nous ont tous collés en cellule, agresseurs et victimes. Bonjour l’ambiance !Après deux ou trois heures, un inspecteur est enfin venu nous chercher. Il nous a, bien entendu, interrogés sur les circonstances de la bagarre, et nous a pris nos papiers. Pour vérification ! Victimes, nous sommes traités comme des suspects : pourquoi êtes-vous à la Nouvelle-Orléans ? Depuis combien temps ? Jusqu’à quand ?… Et encore, jusque là , nous étions plutôt bien traités. Jusqu’à ce que le fonctionnaire chargé de vérifier nos papiers ne revienne et ne fasse signe à notre inspecteur de le rejoindre dans le couloir. À son retour, le flic avait changé d’attitude, nous servant un regard soupçonneux. D’autres flics avaient alors emmené Lilly et Louise.— Comment avez-vous connu ses femmes ? Depuis combien de temps ?…Pendant une demi-heure, il m’a reposé les mêmes questions. Coincé, je n’ai pu raconter que la vérité, ma rencontre avec Lilly, la masure de son père, la supplique de sa tante, en priant pour que Lilly s’en tienne elle aussi à cette vérité.— On va vérifier, m’avait dit le flic en me plantant là . On en saura plus demain matin !Et la nuit s’est écoulée, inconfortable, exaspérante.Complètement claqué et énervé par cette attente, je vois enfin, vers neuf heures, la porte du bureau s’ouvrir. Le flic entre, suivit par mes deux compagnes. Nous rendant nos papiers, il s’excuse :— Excusez-nous, tout est en règle, mais…— Mais quoi ? je lui demande, fermement mais sans agressivité.— Disons que vous formez un trio pour le moins original, continue le flic. Il fallait qu’on vérifie.Comme je reste muet, les yeux froncés, il explique :— Un brillant étudiant en droit de Columbia et une responsable de marché de la Chase Mannathan Bank qui se baladent avec une gamine fichée aux mœurs dans le Missouri, franchement, ça intrigue. Mais bon, tout est en règle.Lilly, tradeuse à Wall Street !!! Et Louise ? Une gamine fichée aux mœurs ? Louise ! La souillon, la vierge timide tapinait les bouseux du Missouri ! »L’avocat, la tradeuse et la putain », on peut le présenter comme on veut, dans notre trio, il y a toujours une pute, décidément !— Nous vous souhaitons un bon séjour à la Nouvelle-Orléans, poursuit le flic. Cela dit, il risque d’être court, l’alerte « Tempête tropicale » est confirmée, rien de très méchant mais pour le tourisme… Alors, bonne route. Et surveillez la petite !En serrant la main de Louise, il explique encore :— Une patrouille va vous ramener à votre hôtel.Me saluant et désignant mon « plâtre » :— Bon rétablissement Monsieur Bullenvald …Puis, enfin, serrant la main de Lilly :— Au revoir Madame DeLorean.Madame ? Delorean ? Mais qu’est-ce que c’est çà encore ?Notre trio quitte le bureau, à la queue-leu-leu, en tentant de faire bonne figure. Sourires ahuris, figés, crispés, tendus.On a beau être à la Nouvelle-Orléans, et même si ce n’est pas couleur locale, il y a une chose de sûre :y a d’la rumba dans l’air …