Comme c’est un peu une tradition, j’ai décidé de vous faire part de suggestions musicales. Je vous conseille « For the nights I can’t remember » de Hedley et, pris de la trame sonore du film « Smokin’ Aces », la piste « Shell Shock ».Le 30 juin— Hey ! Vous avez bien rejoint le cellulaire de Carolina je ne peux vous répondre dans le moment, bref, mais laissez-moi un message avec vos coordonnées et je vous rappellerai aussitôt que possible.Je prends mon souffle pour glisser quelques mots.— La boîte vocale de : Carolina Esperanza, est pleine.Ma tête trop lourde retombe sur le sol. Je m’efforce de ne pas trembler en relevant la tête. Je fixe dans les yeux un homme que je connais trop bien et qui détient ma vie entre ses mains.Deux mois plus tôtIl existe des gens qui, même si leur vie entière est basée sur le mensonge, la violence ou les actes mauvais, vont avoir en eux une petite lumière, un témoin qui leur dit qu’ils ont besoin d’une dose de normalité, de légalité.J’en fais partie.Alors pour pallier et contrebalancer le fait que je tape sur des gens pour gagner ma croûte, que j’escorte des dealers et que je protège leurs intérêts, je travaille à temps partiel, dans une petite boutique comme magasinier. Je m’ennuie à mourir là-dedans. Sauf que je côtoie des gens qui n’ont rien à voir avec les lourdauds à canons sciés ou les cokés à la narine blanchie. Et c’est là que je reprends ma dose de fraîcheur, de vie. Et c’est pour ça que je déteste que Marcel, mon enfoiré de patron, me demande de faire des heures supplémentaires les week-ends. Casser des dents le samedi, pour moi, c’est devenu sacrilège.« .. »Cigarette au bec, je suis assis sur le capot de ma voiture et avec Tommy, installé sur l’aile, on regarde paisiblement Georges (prononcé à l’anglaise) tabasser un p’tit pimp de basse classe. Le soleil est fort, la ruelle pue la pisse et les poubelles qui fermentent.— Sun of a bitch. Ya stupid prick. We told ya. « Next time, you’ll bleed. » And now what ?!? You’re bleeding. Poor little fucker !— J’aime ça, quand il l’insulte en anglais. Je me demande si entre deux coups, le gars essaie de traduire dans sa tête.Je regarde Tommy, avec l’air de quelqu’un qui veut consoler un attardé qui vient de dire une autre connerie.— T’es vraiment con.Je tire une bouffée.— Okay, Georges. Enough.Avec un dernier coup de pied aux côtes, le colosse anglais vient nous rejoindre, crachant par terre. Tommy s’approche du mac.— Bon. Faque pour la traduction : T’es un pauvre osti de trou d’cul pis on t’l’avait dit : « La prochaine fois, tu vas saigner. » Ben astheure que tu saignes, tu veux-tu que je t’explique c’est quoi la prochaine étape ? Ou tu peux penser à ça tout seul ?Mon collègue se penche et tapote la joue du pauvre type ensanglanté. Puis il lui écrase sa cigarette sur le front. Le mac est tellement amoché qu’il gémit et bouge à peine, se tordant sur lui-même. Tous les trois, on le laisse dans sa flaque de boue et on démarre en trombe.Et voilà. C’était ça ma vie, il y a deux mois.Samedi, le 5 maiJe me stationne, savoure une dernière bouffée de cigarette et sors de ma voiture. En quittant le stationnement, le bip sonore du verrouillage des portières se fait entendre. J’entre dans le centre d’achat et regarde l’horloge.— Huit heures trente. Le temps d’un thé.Les magasins ouvrent à neuf heures et je passe au petit café juste devant la boutique où je travaille.— Un thé chaï, s’il vous plaît.M’installant devant les portes, je me couche sur la table et observe les gens, tranquilles, aller et venir en silence, dans les couloirs presque vides du centre. Inévitablement, chaque minute, une personne de plus passe devant mes yeux que la minute précédente. Ils sont tranquilles, ces gens-là. Bien peu doivent se douter ce qu’est le monde à l’extérieur. Tous de braves banlieusards qui s’amusent le samedi, en famille, à venir flirter devant les vitrines et à s’acheter de nouveaux vêtements.Je vois la gérante arriver. Je termine mon thé d’un trait, presque pour me brûler la gorge. Elle me salue. Et ma journée ordinaire commence, ma journée que j’espère immaculée et salvatrice.Deux heures plus tard, alors que, encore une fois, je suis installé dans les étalages de l’entrepôt, sans escabeau, j’entends la porte s’ouvrir. De derrière mes boîtes, je sors une tête interloquée.— Bonjour !— Salut. Je te connais pas, toi ?— Non. Je suis nouvelle. J’ai commencé cette semaine.— Okay. Ton nom c’est ?— Carolina.— Moi, c’est Rémi.Elle semble surprise de me voir, passe d’un pied sur l’autre.— C’est à quel sujet ?Elle sourit, un peu faiblement, mais déjà c’est sans doute l’une des plus merveilleuses choses que j’aie vu de ma vie.— Ben je cherche quelque chose, qu’elle me dit en tendant un papier.— Ben ça parle au diable. Je suis là pour le trouver.Leste, je me laisse descendre pour atterrir près d’elle. Doux parfum. Joli sourire qui se mordille les lèvres.Comme une voix d’enfant, une voix tellement enjouée, dans un corps désirable de jeune femme.Elle sort de l’entrepôt.— Quelle adorable vision.La porte s’ouvre à nouveau, alors que je suis penché sur le papier. Je lève les yeux. Ma vieille gérante polonaise me parle. Un brin déçu, je ne l’entends pas et me perds loin derrière elle, par la porte entrouverte. Je me perds le long du corps de Carolina.Une fois la journée finie, je retourne dans mon petit chez moi. Je repense à Carolina. Et mon téléphone sonne.— Oui ?— Salut. Marcel nous attend lundi au parc Lafontaine.— Hmm hmm.— Salut là.Ma semaine recommence déjà. Et je vois déjà les taches rouges, les pleurs. J’entends les craquements et les larmes.Le samedi suivant— Hey salut !— Salut. Comment ça va ?— Bien, bien. Et toi ?— Ça va.Carolina passe ainsi devant moi, alors que je replace des boîtes sans intérêt. Je retourne parfois sur le plancher de vente emmerder les vendeuses. Particulièrement ma douce Chilienne.— Oui… Non, non, c’est correct. Je vais prendre l’autobus, pas de problème, maman. Si…Si…Carolina raccroche. La journée est terminée.— Pas de maman qui vient te chercher aujourd’hui ?J’ai une moue faussement triste. Elle rit.— Eh non. Faudra que je marche.— T’habites dans quel coin ?— Pas loin du métro Préfontaine.— Ah ! Hochelaga ?— Presque, plus haut, sur Sherbrooke.— Okay. Ben écoute, je peux t’amener si tu veux. J’habite par là.— Non, non, ça va.— Je t’assure, j’ai tout mon temps.Je lui sors mon plus beau sourire. Celui que j’espère franc et vrai.— T’es sûr ? Ça te dér…— Si je propose…Elle rougit un peu, se mordille la lèvre inférieure.— Bon, okay.— Parfait.Ensemble, on rejoint le stationnement.— C’est quelle, ta voiture ?— Celle-là.Je lui pointe une vieille Chevrolet Malibu, carrée comme un char d’assaut. Une 1981. Un bijou, mon bijou. Retapé à neuf, à l’époque où j’avais moins de sang sur les mains.— Ça paraît pas, mais il y a lecteur CD intégré.Je lui fais un grand sourire, sort mon petit machin de plastique et appuie sur le bouton. Les portes se déverrouillent avec un bip.— Ça, c’était de série, à l’époque, je suppose ?Elle désigne mon bout de plastique.— Bah ! J’ai fait des modifications, on va dire.— C’est ça oui…Le sourire moqueur, les yeux qui rient. Enchanteur. Merveilleux. Frais. Tellement frais. Tellement loin de ce que je suis. Moi, blasé, essayant d’éviter les journées ensanglantées comme on essaie d’éviter les bouchons au matin. Je me déteste. Et je la trouve extraordinaire.« Putain de dieu. Faut que je démissionne maintenant. »J’ai pensé ça en allant lui ouvrir la portière. Je contourne ma voiture, admire la peinture mate, sans éclat. Puis je m’installe à ses côtés. Sur les larges banquettes d’époque, on est plus proche qu’on pense. Bizarrement, elle est loin de la portière. Presque trop près du bras de vitesse. Je n’ai pas l’habitude d’approcher les gens normaux. J’approche les putes ou les salauds, comme on approche un cousin. Et bien souvent, après avoir tendu la main, je tends le poing. Je me dégoûte.Je fais démarrer la voiture et jette un coup d’œil à ma passagère. Elle observe l’habitacle. Remis à neuf, brillant, chromé. Le soleil de fin d’après-midi glisse sur la vitre et sur sa peau tannée. J’agrippe le levier de vitesse, passe la première.— Alors t’habites à Hochelaga ?— Mouais. On peut dire ça. Je connais pas mal le quartier.Elle me regarde, interloquée.— J’y ai vécu longtemps et j’ai encore pas mal de relations, là-bas.Carolina hoche la tête en ayant l’air de ne pas me croire un seul instant.— Quoi tu me crois pas ?Haussement délicieux de sourcil. Un petit air moqueur.— T’as trop de classe pour vivre à Hochelaga.J’ai failli éclater de rire.— Je l’ai inventé, ce quartier-là !— Mais bien sûr !Elle me flatte la joue, l’air de me prendre pour un enfant qui invente encore des histoires. Ça me surprend, me brûle. Ce n’est pas une gifle, un crachat, un coup, une manière de me mettre à ma place ou de me menacer. C’est doux, calme, amical. Je garde mon calme en ricanant comme un imbécile.— Je mangerais bien un club sandwich de Chez Léon.— C’est encore toi qui conduis, que je sache.— C’est quand même à Repentigny.— Il goûte quoi, leur club ?— Le poulet et le bacon.Je lui souris de toutes mes dents avec un air de débile profond. Elle rit.— Bref ! (Carolina s’installe confortablement contre la banquette.) Allez, on va aller voir ce que Léon nous réserve.— Heu… Tu me niaises, là ?Ses yeux me disent d’un air très franc qu’elle ne me mène pas en bateau et ses lèvres m’en assurent :Et j’ébauche un sourire entendu.— Ça marche. On change de cap, capitaine !Et pendant ce petit voyage d’une heure – heure pendant laquelle j’ai jamais été aussi heureux des travaux sur les autoroutes et de la lenteur du trafic – j’apprends à connaître Carolina, une jeune femme pleine d’entregent, de bon sens, d’humour. Finalement aussi belle que riche et aussi riche qu’adorable. Finalement, on a roulé pendant environ trois heures après. Quand elle a fermé la porte de la voiture, au-devant de chez elle, elle a jeté un coup d’œil vers moi, avec un sourcil levé.— Ce fut fort instructif. On se reparle la semaine prochaine ?— J’espère bien. Dors bien.— Merci. Toi aussi.— À bientôt.— À bientôt.Et le samedi suivant, on s’est revu. C’était banalement au boulot et on s’est banalement quitté devant la voiture de sa mère. J’ai réussi à lui arracher un rendez-vous le mardi suivant. Je n’ai pas été aussi heureux depuis longtemps.Le mardi suivantJe lui fais la bise.Elle sourit, avec son air de gamine qui attend une surprise.— On va manger où ?— Aucune idée. Marchons par-là et on trouvera bien ?— Okay, c’est parfait.Et pendant qu’on marche on discute. Et pendant qu’on mange on discute. Et pendant qu’on discute, je me rapproche un peu plus d’un sentiment dont j’avais essayé de me cacher. Carolina, par un moyen étonnant, a même réussi à me voler la facture et a tenu à payer pour nous deux. Pourquoi ? Je ne le saurai jamais. De toute manière, sa manière de faire, sa manière d’agir, m’avait déjà gagné.Plus le temps passait, plus les images sombres qui me venaient en tête étaient remplacées par ses lèvres ourlées d’un sourire, par son rire qui me fait vibrer, par ses yeux qui veulent tout savoir et qui savent comment me trouver.Puis, au billard, on a continué de discuter. Inévitablement, j’ai continué de tomber pour elle. De fondre. On a joué plusieurs parties. Malgré le fait qu’elle m’avait dit ne pas jouer franc jeu, j’étais déterminé à jouer, moi, normalement. Elle s’entêtait à dire que je cachais mon jeu. Et cette détermination bornée me poussait à la fois hors de moi et me faisait rire. Tout était ridiculement bon et satisfaisant.J’ai fini par la pousser contre la table de billard et, alors qu’elle m’invectivait joyeusement, qu’elle ne cessait de provoquer mon orgueil, j’ai fait une chose complètement inattendue.Je l’ai embrassé.Et Carolina a fait quelque chose de plus fou encore. Elle m’a retourné ma fougue avec sa langue. Une fois qu’on s’est séparés, alors qu’elle m’envoyait un regard interloqué, comme pour être sûre que je savais ce que je faisais, elle a posé son front sur mon nez. Je l’ai enlacée.De ma vie, je ne me suis senti mieux.Le 30 juin— Oui, écoute, Marcel.La voix dans le téléphone ne me dit rien qui vaille. Je regarde partout autour de moi. Passe mes yeux sur Carolina. Ça m’apaise. Mais dans le café où on est, je ne me sens pas en sécurité. Ni aucunement à Montréal.— Je sais… Oui, oui. Écoute, je peux pas… Hmm hmm. Non, c’est pas ça. Parce que j’en ai plein l’cul, merde !Heureusement, j’ai grincé ça entre mes dents. Il y a juste la serveuse qui m’a entendu, et elle me contourne avec un air dégoûté.— Non… Tu sais très bien que Tommy et Georges peuvent continuer ça sans moi. Je fais rien de toute manière. Non, je veux rien de solo ! T’es malade ?!? Non…La sueur perle sur mon front, mais ce n’est pas exactement la température qui est responsable de la bouffée de chaleur qui monte en moi. Après avoir passé un mois aux côtés de Carolina, j’en suis venu à la conclusion que j’en avais ras le bol d’être une ombre lasse et morne. Mais ce n’est pas pour plaire à Marcel. Trop d’affaires en cours, je suppose. Sa voix est menaçante dans le combiné et je sens que je marche sur des œufs.J’ai veillé à garder secrète l’existence de Carolina. Avec des malades comme Marcel sur le marché, on ne sait jamais. Mais maintenant, il va suspecter quelque chose. Je raccroche sur une conversation sans dénouement. Mon estomac se serre.— On y va ?— Des problèmes ?Carolina me regarde avec des yeux attendris et me prend la main. Elle voudrait tant m’aider.— Non. Des… inconvénients. Quand on est un bon employé, ça arrive que nos patrons fassent tout pour nous garder !Ma belle Chilienne soupire et me caresse la joue. Je lui souris de mon mieux. Ça doit avoir l’air assez pauvre et maigre.— On rentre ?— Si tu veux.— Oui, j’aimerais bien.Dans le corridor qui mène chez moi, sa main me tire brutalement. Elle me colle contre elle et m’embrasse avec passion, je l’enlace et partage sa passion, y mêle la mienne.Une heure plus tard, alors que je lui caresse les cheveux en détaillant avec plaisir son corps nu, de la chute de ses reins à ses mollets, jusqu’à son cou ; alors que je plonge le nez dans ses magnifiques cheveux noirs ; alors que je profite de ce que je pourrais appeler le plus réel amour que j’aie ressenti de ma vie, Carolina, alanguie de bien-être, me lance doucement :— Tu veux venir chez moi, lundi ? J’aimerais te présenter à mes parents.La profondeur de ses yeux cueille les miens. Sa tête inclinée, à la bouche se mordillant de trac, m’interroge. Je sais qu’il s’agit pour elle d’un pas particulier. Et c’est pour moi le plus grand pas que je n’aie jamais fait. Je me penche sur elle et l’embrasse encore et encore. Je crois qu’elle a compris que j’irai. Et moi j’ai compris que je ne suis pas le seul à aimer à ce moment.Je la ramène chez elle pour revenir éclater chez moi.Je me sens merveilleusement bien et serein, jusqu’à ce que mon portable sonne pour me convoquer à une rencontre surprise, le soir même, dans une ruelle pas très loin de chez moi. Il y a quelque chose de bizarre là-dessous, mais mon cœur, qui ne se fatigue pas de battre si vite, l’ignore. Et je me prépare avec entrain, me dandinant et partant en claquant la porte.Dans la ruelle, ni Tommy, ni Georges ne sont là. Mais Marcel y est, avec trois autres hommes. Mon patron est assis sur le capot d’une grosse Américaine, entouré de ses trois gardes du corps. Je comprends. Et au même moment, deux hommes me saisissent aux épaules pour me jeter par terre.En très peu de temps, mon visage se tuméfie, j’en perds des dents et ma bouche ne goûte plus que le fer.— Tu pensais me doubler, espèce de p’tit criss de rat ?Je crache par terre et hésite à répliquer, plié en deux dans une flaque d’eau croupie. Son pied ne me laisse pas le temps de répondre et me coupe le souffle. J’ai la tête qui tourne et mes yeux cherchent la lumière comme mes poumons cherchent l’air. En me redressant, je me retrouve nez à canon avec un pistolet trop chromé.— J’espère qu’tu sais que le fait que j’puisse plus te faire confiance va m’obliger à te tuer ce soir ?J’ai plus ou moins envisagé cette possibilité-là.— Avoir su, j’aurais fait plus attention.On me saisit par les cheveux.— P’tit comique, hein ?Il me crache son odeur de cigarette en plein visage et je me rends compte comme ça pue et que c’est dégueulasse.— Décidément, tu m’as convaincu d’arrêter de fumer.Je passe nonchalamment une main meurtrie devant mon nez pour chasser l’odeur. J’en reçois un coup de poing qui me fait tomber encore par terre. Je tousse mes tripes.— Je te laisse un dernier appel pour que tu dises bonjour à ta mère.Je lève mon majeur le plus haut que je peux. Il me pousse du pied et braque son arme sur moi. Vautré sur le dos dans la fange, je regarde la circonférence parfaite du canon et la main qui le tient. Il me lance mon téléphone au visage.Je regarde le téléphone, hébété.« Qui je peux bien appeler ? »Et je n’ai qu’une envie, une pensée. La voix de Carolina. Une voix que je sais pouvoir être douce et calme et qui peut me faire accepter n’importe quoi, même l’idée de ma propre mort. Une voix dont je ne peux plus me séparer, une voix qui me rappelle tout ce que j’ai vécu en un mois et tout ce que j’aurais pu vivre encore. La voix d’une femme, d’une mère peut-être. La voix attentionnée, rieuse. Sa voix, qui parle comme parlent ses yeux et qui va me manquer.Carolina. Qu’est-ce que je peux bien lui dire ? « Je peux pas venir lundi, je vais être mort ? »J’aimerais qu’elle ne m’aime pas. Mais de savoir qu’elle m’aime me fait encore plus regretter tout ce que j’ai manqué. Elle a ébranlé ce que je suis, elle a détruit ma carcasse pourrie et maintenant que je me sens mieux, je glisse dans un trou qui m’éloigne de sa main. Mes yeux s’embuent. Mon menton tremble.Je compose le numéro et regarde le ciel.— Hey ! Vous avez bien rejoint le cellulaire de Carolina. Je ne peux vous répondre dans le moment, bref, mais laissez-moi un message avec vos coordonnées et je vous rappellerai aussitôt que possible.Je prends mon souffle pour glisser quelques mots.— La boîte vocale de : Carolina Esperanza, est pleine.Ma tête trop lourde retombe sur le sol. Je m’efforce de ne pas trembler en relevant la tête. Je fixe dans les yeux un homme que je connais trop bien et qui détient ma vie entre ses mains.— Alors ?— Sa boîte vocale est pleine.Marcel ricane et étonnamment sa voix fait preuve de compassion.— C’est peut-être mieux comme ça.Dans le ciel, j’ai revu le corps de Carolina. Et tout ce que j’ai entendu ensuite, ce fut son rire enjoué et tintant.