On frappa doucement à la porte.— Entrez ! tonna Édouard sans même se retourner.Il regardait par la fenêtre, suivant des yeux un écureuil batifolant dans le cèdre du grand parc.— Asseyez-vous. Comment vous appelez-vous ?— Sang-Hoon, Monsieur.— Appelez-moi Maître !Le mot et la douceur de la voix le firent se retourner. Une petite bonne femme se tenait assise devant le bureau empire, ses genoux serrés supportant un petit sac à main qu’elle ne quittait pas des yeux. Quatrième personne qu’il recevait depuis ce matin sans trouver la perle qu’il cherchait vainement.— D’où vient ce prénom ?— De Corée, Monsieur… pardon Maître. Ma mère est coréenne.— Et votre nom ?— Martin, Maître. Mon père était français.— Était ?— Oui, il est mort, Maître.— Désolé.La fille s’inclina à plusieurs reprises en guise de remerciement à ces condoléances posthumes.— Avez-vous lu la description de l’emploi ?— Oui, Maître.— Avez-vous des qualifications pour ce travail ?— Un CAP « service à la personne », Maître.— Bien. Et vous avez une expérience professionnelle ?— Seulement des stages, Maître. Je… je n’ai pas de voiture et les emplois que j’ai trouvés jusqu’à présent étaient trop loin.— Bien sûr, soupira le notaire. Il faut bien commencer un jour. Ça ne vous dérange pas d’habiter ici ?— Oh non, Maître, au contraire. Je n’aurais plus de loyer.— C’est vrai, c’est un avantage. Mais l’inconvénient, c’est qu’il faudra aussi vous occuper de mon père la nuit.— Oui, Maître, j’ai lu.— Un mari, un petit ami, de la famille ?— Non, Maître. Ma mère est repartie en Corée, mais je ne voulais pas la suivre. Je ne parle pas la langue.— En ce qui concerne les relations amoureuses, je vous préviens tout de suite : vous ne faites entrer personne sous ce toit. C’est bien compris ?— Oui, Maître, mais je n’ai personne.— Redressez-vous, regardez-moi… Pas de petit copain, une jolie fille comme vous ?— Non, Maître. Je suis… « la chinetoque », comme on m’appelait à l’école.— Pfff… Tous des crétins. Levez-vous, et marchez jusqu’à la porte… Revenez…C’est vrai qu’elle était très typée asiatique, avec ses cheveux noirs, ses fesses plates, ses pieds en dedans et ses mollets saillants. Mais elle avait un bassin joliment ovale et, semblait-il, une jolie paire de nichons. Sa peau était claire, ses yeux noisette, bridés, mais pas trop, un tout petit nez retroussé et une bouche en cœur, et ce comportement timide et empreint de respect qu’ont les Asiatiques. Un léger frisson parcourut les reins du notaire et il sentit sa queue palpiter. Et puis cette façon de répéter le mot « Maître » fleurait bon la soumission absolue. Il allait se la lutiner en douce, cette petite femme exotique et cette perspective le grisait et le faisait bander.— Asseyez-vous, répéta-t-il. L’emploi que je vous propose n’est pas facile. Mon père perd un peu la tête, ce qui le rend très difficile. Pourtant, je me refuse à le mettre à l’hôpital ou dans une maison de retraite. Il est né dans cette maison, comme moi, y a vécu toute sa vie, il était notaire, comme moi. Il mérite de finir ses jours tranquillement, chez lui.— Vous avez raison, Maître. En France, on manque de respect pour les anciens.— Oui, mais, ce n’est pas toujours facile. À cause de lui, mon épouse m’a quitté, c’est vous dire qu’il n’est pas facile. Il faut veiller sur lui 24 heures sur 24. Et puis, comme il perd un peu la tête, il est notamment… très attiré par les femmes. Il l’a toujours été, au grand dépit de ma pauvre mère, paix à son âme. Mais depuis qu’il perd un peu la tête, il a également perdu ses repères, ses limites. Et donc il a tendance à tripoter toutes les femmes qui passent à sa portée, vous voyez ce que je veux dire ? Ainsi, toutes les personnes qui ont travaillé ici, pourtant envoyées par une agence, sont parties en courant. J’ai bien essayé de mettre un homme à son service, mais il m’a fait une comédie pas possible. Voilà , vous savez tout. Votre travail consistera donc à le lever, le laver, l’habiller, le faire manger, le promener un peu dans le parc et puis le coucher et veiller sur lui. Vous aurez deux fois vingt-quatre heures de repos par semaine, parce qu’il a une insuffisance rénale et il doit se faire dialyser deux fois par semaine. Il part à l’hôpital en fin de matinée et revient le lendemain dans l’après-midi, le mardi et le vendredi. D’accord ?— Oui, Maître.— Vous serez donc logée dans la chambre près de la sienne, au rez-de-chaussée dans l’aile ouest. Le salaire que je vous offre est très important parce que la tâche est très difficile : 2 500 € par mois, logée et nourrie. Acceptez-vous ?— Oui, Maître.— Bien. Le premier mois est à l’essai, on fera le point si vous n’êtes pas partie d’ici là . Venez, je vais vous présenter à mon père.Si elle ignorait que le malade perdait la tête, au moins était-elle maintenant au courant. Quelle insistance ! Ils sortirent dans le grand hall pavé d’un damier noir et blanc, un superbe escalier de chêne montait aux étages.— Tout ce côté-ci, c’est l’étude notariale. Ma secrétaire, mademoiselle Blanche, les bureaux des clercs. Si vous avez une urgence dans la journée, demandez à ma secrétaire, ne frappez jamais à mon bureau. Compris ?— Oui, Maître.— Par ici…Ils longèrent un long couloir sombre fermé par une porte marquée « Privé » , passèrent devant un grand salon et une bibliothèque d’un côté, une salle à manger et une cuisine de l’autre. Puis le couloir faisait un angle droit et une nouvelle porte s’ouvrait sur un vaste appartement. Deux chambres, une grande salle de bains très bien équipée, un salon-salle à manger, une cuisine, et une porte vitrée donnant sur l’arrière de la maison.— Trois hectares de parc pour le promener, vous ne le sortez jamais devant. Compris ?— Oui, Maître.— Voici votre chambre avec un boudoir et un dressing à côté. Ça vous ira ?— Oh, très bien, Maître.— Au fait, quand commencez-vous ?— Quand vous voulez, Maître.— Bien, alors tout de suite. Cet après-midi, Victor vous emmènera chercher vos affaires avec la camionnette qui sert à transporter mon père en fauteuil roulant. Voici la chambre de mon père.Dès la porte ouverte, une odeur pestilentielle leur sauta à la gorge.— Oh, Papa, tu as recommencé, gémit le notaire en ouvrant la fenêtre. Je te présente Sang-Hoon.— Cent gouttes ?— Non, « Sang-Hoon » !— Cent gouttes, cent gouttes…— Je m’en occupe, Maître.La petite Eurasienne posa son sac et sa veste sur une commode et souleva les draps. Le papy avait abondamment fait sous lui et bien étalé le tout. La jeune fille commença à faire une grosse boule des linges souillés, déshabilla assez adroitement le vieillard en épongeant une partie de la merde, et partit vers la salle de bains. Elle revint avec une cuvette d’eau tiède, gants et serviettes, et se mit en devoir de le nettoyer.— Cent gouttes, cent gouttes, répétait le vieux.Le notaire éteignit la grande télé murale et regarda un instant la jeune fille agir. Sans sa veste, le pull rose façon mohair soulignait une poitrine généreuse et, dès qu’elle se baissait, son fessier plat prenait des rotondités appétissantes. La jupe de toile se retroussait sur des cuisses charnues et une puissante sensualité exhalait de ce corps plus qu’à demi asiatique. Elle ne perdait rien pour attendre, pensait le notaire en bandant. Mais pas que lui. Quand les petites menottes, dont l’une était glissée dans un gant de toilette, s’attaquèrent au sexe du vieillard, il se mit à gonfler prouvant combien il appréciait cette toilette.— Cent gouttes, hum… cent gouttes…Imperturbable, la jeune femme termina son travail et rhabilla le vieil homme dans un pyjama propre, le leva dans un grand fauteuil pour changer les draps. Édouard fut complètement rassuré par cette prestation et amena Sang-Hoon jusqu’à son bureau pour signer le contrat d’embauche.La garde-malade s’installa dans son nouvel appartement. Le déménagement fut vite fait, tous ses vêtements tenaient dans une simple valise, il ne restait que quelques affaires de toilettes, deux paires de chaussures, une poignée de bibelots sans valeur, sinon affective, et une photo encadrée de ses parents. Elle en profita pour résilier sa location et ses abonnements d’eau et d’électricité, et passa au bureau de poste du quartier pour changer d’adresse. Elle craignait que le vieil homme n’ait recommencé ses exploits de la veille pendant son absence, mais pas du tout, heureusement. La toilette fut donc plus agréable. Elle en profita pour le raser, le coiffer, le parfumer légèrement et lui passer une jolie robe de chambre trouvée dans sa penderie. Elle l’installa sur un fauteuil roulant trouvé dans un débarras, parmi un déambulateur, des cannes et autres accessoires pour handicapé.Le bonhomme semblait sinon content du moins satisfait. Elle lui alluma la télé pendant qu’elle préparait le dîner, des choses simples, mais bonnes quand elles sont bien cuisinées : pâtes à la Bolognaise avec un steak haché pour tous deux. Elle le fit manger d’abord puis se mit à dîner. Mais son assiette était froide, elle alla la passer au micro-ondes. Quand elle revint, le bonhomme tenait son verre vide à la main. Elle voulut le remplir d’eau, il refusa et réclama encore. Dans la cuisine, elle trouva une bouteille de jus de fruits au frigo, il refusa aussi. À force de chercher, elle finit par trouver une bouteille de vin rouge dans le placard sous l’évier. Il accepta enfin et lui intima de s’en verser un peu. Il alternait ses regards de l’écran à la jeune femme qui crut y lire comme un peu de tendresse. Le notaire débarqua, venant de terminer son travail.— Ça alors, vous ne le faites pas manger dans son lit, comme faisaient les autres ?— J’ai pensé qu’il serait mieux là et il a l’air d’apprécier. Regardez comme il est beau dans sa belle robe de chambre…— Ouais, enfin… n’en faites pas trop non plus. Et il a bu du vin ? Mais c’est très mauvais pour sa maladie.— Juste une gorgée, pour un peu de plaisir…— Bon, après tout, c’est vous qui serez embêtée s’il y a un problème. N’oubliez pas que votre place dépend de sa survie !Il tourna les talons et son père eut un long soupir.— Vous savez, Monsieur, je ne veux surtout pas vous faire de mal. Dites-moi si je ne fais pas bien…En guise de réponse, il lui passa doucement la main sur le bras, elle se sentit rassurée. Ils continuèrent de regarder le journal télévisé ensemble, il soupirait à chaque catastrophe annoncée, montrant bien qu’il comprenait et suivait. Puis il manifesta un désir insistant pour sortir. Elle essaya de l’en dissuader, ayant peur qu’il ne prenne froid, mais devant sa véhémence capitula. Une fois passée la porte vitrée, il y avait un petit auvent, sorte de véranda protégeant la porte, une longue pente adaptée au fauteuil partant sur le côté, le long de la maison. C’était sous cet abri qu’il voulait être. Il plongea alors sa main derrière le pot d’un ficus et en ressortit un paquet de cigarettes et un briquet.— Oh, le coquin, s’écria Sang-Hoon ! Petit cachottier, mais vous avez tous les vices !Une esquisse de sourire apparut sur ses lèvres où elle glissa le cylindre de tabac. Elle alluma la cigarette, mais il insista encore pour qu’elle en prenne une. Elle ne fumait pas, mais avait crapoté deux ou trois fois avec des copines. Après tout, pourquoi pas. Elle rentra chercher une chaise et un vieux pot de yaourt en guise de cendrier, puis s’installa près du vieil homme. Le soir était calme, quelques oiseaux piaillaient encore, elle se sentait bien dans son nouvel environnement auprès de ce vieux monsieur qui lui semblait gentil. Les cigarettes terminées, ils restèrent encore un long moment ainsi, jusqu’à nuit noire.Quelle journée ! Elle pensa qu’elle venait d’avoir la chance de sa vie. Ce matin encore, elle était au RSA et se demandait comment payer son loyer. Ce soir, elle allait dormir dans une luxueuse maison bourgeoise avec un salaire de fou. Bien sûr, il avait fallu décrotter le vieil homme, mais si elle avait eu un travail dans une association, par exemple, il aurait fallu en décrotter trois ou quatre pour le quart de cette somme, sans compter le loyer et les charges en plus. Pour la première fois de sa vie, elle allait pouvoir faire des économies, acheter des vêtements neufs et pas ceux d’Emmaüs. Peut-être même, aller voir sa mère en Corée pendant les vacances. Tiens, on n’avait pas parlé des congés. La tête du vieil homme tomba sur le côté, il s’endormait. Elle le rentra vite et l’emmena aux toilettes, puis le coucha. Elle ne l’entendit pas de la nuit, à part quelques ronflements.Le lendemain matin, c’était grande toilette, car il allait à l’hôpital. Elle l’installa dans la douche à l’italienne où elle avait placé un fauteuil de jardin en résine blanche. Elle le doucha soigneusement, lui lava les cheveux comme une coiffeuse, et le vieux coquin se fit savonner Popaul à plusieurs reprises et avec insistance.— Aujourd’hui on n’a pas le temps, lui dit-elle en lui prenant le menton pour le regarder au fond des yeux. Demain ce n’est pas moi qui vous ferai la toilette. Mais après-demain, je vous promets qu’on prendra le temps. Allez, je vous rase et je vous emmène fumer une cigarette : une avant le départ et une au retour, c’est promis.Il avait l’air content et se laissa faire, pour le rasage comme pour l’habillage. Après tout, soulager ce vieil homme de quelques coups de poignets ne portait pas à conséquences et il lui en serait peut-être reconnaissant. Quand ils entendirent crisser le gravillon sous les roues du VSL, il était propre et prêt, vêtu de pied en cap, les cannes anglaises sous le bras. Il mit du temps à lui lâcher la main puis le regard, redoutant par avance cette pénible épreuve. Elle était trop sensible, se disait-elle, et ne devait pas partager la souffrance silencieuse du vieil homme. Elle chassa cette idée d’un revers de main et se lança dans un grand ménage de tout l’appartement. L’après-midi, elle toqua à la porte de mademoiselle Blanche. C’était le prototype de la vieille fille, « une tête à manger des gâteaux secs « .— S’il vous plaît, Mademoiselle, j’aurais voulu savoir si je pourrais avoir une petite avance sur mon salaire, pour acheter quelques vêtements. Je n’ai pas grand-chose à me mettre…— Déjà  ? À peine arrivée ? Ces « cassos » , tous les mêmes, soupira le dragon… Attendez là .Elle entendit au loin son patron répondre « Filez-lui 500 € et qu’elle nous fiche la paix ! Et faites-lui signer un bon ». Elle signa, reçut ses dix billets et s’enquit de savoir comment faire les courses.— On ne vous a pas dit ? Il y a un compte ouvert à la supérette voisine. Vous avez dix euros par repas, deux repas par jour, trente jours par mois, six cents euros. Vous dépassez ? C’est pour votre poche.Elle partit avec sa fortune serrée dans sa main. Elle acheta des fruits, des légumes, de la farine, du beurre, des œufs, que du frais, un peu de viande et de poisson et beaucoup d’épices. Puis elle prit le bus pour aller dans une boutique qu’elle avait repérée, à la vitrine pleine de robes asiatiques. Quand on a le type, le mieux est d’assumer. Elle s’offrit une petite robe de satin rouge et des escarpins noirs. Le lendemain matin, elle se mit en cuisine. Tarte aux pommes, boulettes de viande et assortiment de légumes à sa façon : vivement saisis à l’huile puis légèrement cuits à l’eau afin qu’ils conservent tous leurs goûts et leur croquant.Quand l’ambulance ramena le vieux monsieur, Sang-Hoon l’attendait au bas de la rampe avec le fauteuil roulant, vêtue de son fourreau de satin rouge. Mais il n’eut qu’un vague sourire, pâle et les yeux creux, visiblement épuisé par la dialyse. Elle eut toutes les peines du monde à pousser le fauteuil jusqu’à la porte, maudissant l’ambulancier goguenard qui se rinçait l’œil sans l’aider moindrement. Le malade souhaita aller se reposer, elle le coucha jusqu’à l’heure du dîner. Une fois revêtu de sa robe de chambre, rafraîchi avec un peu d’eau de toilette, elle l’amena jusqu’à la table. Un peu de tofu, quelques boulettes de viande et ses fameux légumes. « Hum ! » faisait le vieil homme à chaque bouchée. Au fur et à mesure qu’il s’alimentait, les couleurs lui revenaient. Une flamme brilla dans ses yeux quand elle apporta la tarte aux pommes et la bouteille de vin. À la fin du repas, il lui prit le bras et embrassa sa main en murmurant quelque chose. La jeune femme en était toute émue. Elle se pencha vers lui pour entendre :— … pital… gueulasse !Il en profita pour lui faire un baiser sur la joue. Rose de confusion, elle ne s’attarda pas et l’emmena jusque sur le perron abrité. Elle y avait placé un guéridon et une chaise en plastique pour elle, ils fumèrent tranquillement leurs cigarettes. Dans la nuit, il sonna pour aller aux toilettes puis se rendormit. Le lendemain, il lui fallait tenir parole, elle le ferait sous la douche. Elle se déshabilla, ne gardant que culotte et soutien-gorge, pour éviter de mouiller ses vêtements. Il l’observa longuement avec de grands yeux et il suffit d’effleurer son sexe durant la toilette pour le voir gonfler rapidement. Elle prit à la fois son courage et le vieux sexe à deux mains pour le savonner. Assis sur son fauteuil de résine, le vieil homme se détendit, se redressant en arrière et ouvrant grand ses jambes. L’Eurasienne savonnait, astiquant doucement le dard devenu gros et dur. Le vieux poussait de petits grognements de satisfaction, puis se pencha pour lui intimer de serrer plus fort et d’aller plus vite. Elle était très gênée et obéissait sans trop regarder. Il lui tourna la tête d’un doigt en marmonnant :— … garde que tu fais.Puis il prit sa main libre et la porta résolument sous ses testicules. La jeune femme était maintenant écarlate. Elle n’avait jamais fait ça, et le sujet avait soigneusement été évité pendant sa formation. Simplement, lors d’un de ses stages, sa tutrice l’avait fait sortir un moment de la chambre d’un vieux monsieur en lui disant :— Même si ce n’est pas notre rôle, il faut parfois un peu de compassion pour ces pauvres vieux. Nous sommes les seules à pouvoir leur donner un peu de plaisir avant la mort.Ces paroles résonnèrent dans sa tête et elle s’appliqua à bien branler le bonhomme avec sa bonne volonté faute de savoir-faire. Le vieillard semblait apprécier quand soudain il se contracta, cramponna les bras du fauteuil, renversa la tête en arrière les yeux révulsés en grognant férocement. Elle crut un instant qu’il faisait un malaise, mais un jet de liquide épais et nacré l’atteignit en pleine poitrine, le reste s’écoulant sur ses mains. Elle prit la pomme de douche, savonna à nouveau et rinça, provoquant de nouveaux spasmes chez le vieux. Elle-même dut impudiquement quitter un instant son soutien-gorge pour laver sa poitrine et s’essuyer. L’homme écarquilla des yeux immenses, bouche ouverte, et regarda avec admiration les deux gros globes à la belle tenue qui s’agitaient sous le savon et la serviette. Blancs, discrètement marbrés de bleuté, avec de grosses pointes saillantes et des aréoles grumeleuses, l’archétype des nichons qu’on a envie de peloter et de sucer comme un fou. Avant qu’elle ne les sangle de nouveau, il attrapa sa main, l’attira contre lui et la serra fort un long instant, sans rien faire d’autre que lui caresser le dos. Elle se dégagea :— Allez, ça suffit maintenant, je ne ferai pas ça tous les jours.Devant l’air dépité du pauvre homme, elle crut bon d’ajouter :— Bon, une fois de temps en temps… Une fois par semaine, ça vous va ?Il ne répondit rien, frustré, et reprit son air absent et un peu idiot habituel.Les jours passèrent, puis les semaines. Sang-Hoon disposait déjà de quatre mille euros sur son compte bancaire, une somme qu’elle n’aurait jamais espéré avoir un jour. Cela lui conférait une légèreté d’esprit, une liberté jusqu’alors inconnue, ne plus avoir à supporter cet écrasant et perpétuel manque d’argent. Comme un bonheur n’arrive jamais seul, son malade l’appela un jour alors qu’elle terminait la vaisselle. Il était dans sa chambre, oui, dans sa chambre à elle.— Mais, qu’est-ce que vous faites là , questionna-t-elle, en voyant son armoire et les tiroirs de sa commode ouverts ?Il l’entraîna dans sa chambre et lui désigna le meuble bibliothèque en marmonnant :Elle chercha du regard une chose dont elle n’avait jamais entendu parler. Elle n’avait qu’un CAP, pas ou peu de culture, ou alors une culture mélangée, à la fois asiatique et française dont la synthèse était difficile. Un père dans le BTP, qui avait participé à un gros chantier en Corée d’où il était revenu avec une épouse. Hélas, il était mort prématurément d’un accident. Sang-Hoon était née en France, mais orpheline très jeune. Elles avaient vécu plusieurs années grâce à l’assurance, elle et sa mère, puis la source s’est tarie et il a fallu s’adapter. Sa mère a fait trente-six petits boulots, ménage, service, cuisine dans un bouge asiatique. Puis elle a jeté l’éponge et décidé de retourner dans sa famille coréenne. Sang-Hoon fut terrorisée à l’idée de partir dans ce pays inconnu dont elle ne maîtrisait pas la langue, à part les quelques mots et expressions de sa mère. Elle était engagée dans son CAP et voulut aller jusqu’au bout, pensant que ce diplôme lui apporterait travail et confort matériel. En un sens oui, aujourd’hui. Elle cherchait, cherchait des yeux, le vieux grognait en indiquant une direction. Elle finit par trouver un gros livre, « Guerre et paix, Léon Tolstoï ». Elle prit le bouquin et le donna à son malade. Il le feuilleta puis en tira un, puis deux et trois billets de cent euros qu’il lui tendit. Devant son air ahuri, il marmonna :— … es belle,… es jeune,… âge des folies,… habits sexy…La jeune femme refusa d’abord puis finit par accepter devant l’insistance du monsieur qui devenait rouge de courroux. Elle se retira à l’asiatique, à reculons avec plusieurs inclinaisons du buste. Lors de la séance de dialyse suivante, elle fit donc les boutiques, regardant ce qui se faisait sous le regard méprisant de nombreuses vendeuses qui semblaient se moquer de cette petite « chinetoque » en imperméable, bien éloignée de leurs habituelles clientes. Elle finit par entrer dans un petit magasin récent, fleurant encore la peinture fraîche, où une jeune femme souriante déballait des paquets de vêtements. L’accueil fut enfin chaleureux :— Vous êtes ma première cliente, je vous fais 10% sur tout le magasin…Elle lui expliqua alors son problème, s’habiller sexy pour faire plaisir à son patron, un vieux monsieur en fin de vie.— Sexy, mais pas vulgaire, précisa-t-elle aussitôt.— Vous avez la chance inouïe d’avoir une beauté asiatique, lui répondit la commerçante. Ça, ça rend les hommes fous !— Vous croyez ? J’ai toujours été « la chinetoque » …— Taratata ! Mais le soir en douce, les mecs devaient s’astiquer le manche en pensant à vous. Il suffit de mettre ça en valeur.La fille était une passionnée de fringues et semblait avoir un goût très sûr. Elle lui fit essayer un tas de choses, inventant des coordonnés à la dernière minute, cherchant le « détail qui tue », comme elle disait. Au final, Sang-Hoon ressortit avec deux grands sacs remplis de vêtements et de sous-vêtements, et avec l’ordre absolu de passer dans une boutique de chaussures, deux rues plus loin, pour acheter impérativement des chaussures à talons. Elle lui avait fait essayer les siennes, Sang-Hoon avait failli tomber, mais elle l’avait invectivée :— Allez, redressez-vous, faites ressortir cette superbe poitrine, marchez comme une reine, oui, c’est ça, les fesses bien en arrière… Avec un chignon au sommet du crâne et des talons, vous paraîtrez faire quinze centimètres de plus. Voilà , superbe ! Rhaaahh ! Ce que vous êtes bien fichue ! J’en rêve…L’Eurasienne la soupçonna d’être un peu lesbienne, surtout lorsque, lui faisant essayer un soutien-gorge à balconnets avec un chemisier semi-transparent, elle lui tordit la pointe des seins « pour qu’ils giclent, disait-elle, c’est plus joli ! ». Et quand Sang-Hoon lui dit qu’elle ne pourrait jamais porter de string avec son imposante touffe de poils pubiens, l’autre lui dit :— Au contraire, les hommes en ont marre des minous rasés qui nous font ressembler à des petites filles. Il suffit que ce petit buisson soit bien coiffé, comme vos cheveux !Et elle mit un genou en terre pour bien lui écarter la toison autour du mince triangle de dentelle, visiblement elle y aurait bien mis la langue. Du reste elle l’embrassa en lui montrant la direction du chausseur en lui glissant :— Reviens quand tu veux, je te fais 10% à vie !Il est vrai qu’elle venait de lui laisser près de quatre cents euros, plus que prévu, sans compter les chaussures. Mais elle était équipée : guêpière, bas, mini-jupe couvrant juste les fesses, jupe mi-longue fendue très haut sur la cuisse, chemisiers et pulls moulants aux généreux décolletés… Elle ne prit que deux paires de chaussures, l’une très sage, fermées, mais avec un large talon carré de cinq à six centimètres, l’autre à fines brides avec une semelle galbée « pour mettre en valeur ces jolis petits pieds », comme avait dit la vendeuse, mais avec un talon de près de dix centimètres. Finalement, entre « beauté asiatique », « magnifique poitrine », « superbe touffe », « jolis petits pieds », elle n’était peut-être pas si moche que ça, « la chinetoque » . De retour dans la grande maison, dans laquelle elle n’entrait plus que par le parc, évitant soigneusement le grand hall, elle testa ses différentes tenues. Elle était en string et balconnet, en train de se faire un chignon haut, lorsqu’elle entendit du bruit. Vite, elle enfila un peignoir et passa une tête dans le couloir. C’était Édouard, le notaire.— Mademoiselle Sang-Hoon, je venais justement faire le point avec vous. Comment va mon père ? C’est curieux, je n’en entends plus parler depuis que vous êtes là , ça va faire trois mois, et vous n’êtes pas encore venue vous plaindre.— Euh… Il va assez bien, Monsieur, du moins avant de partir en dialyse. Quand il revient, il est très fatigué.— Hélas, tout ceci aura une fin proche. Mais dites-moi, vous avez fait des frais d’apparence. C’est pour un coquin ? Vous sortez ce soir, je suppose ?— N… non, Maître, dit-elle en rougissant.— Faites-moi voir tout ça, fit-il en tirant sur un revers du peignoir.— Maître, non … NON ! cria-t-elle en reculant.Sur ce, elle tourna les talons et regagna l’appartement, prenant le soin bien inutile de fermer la porte à clé. Malgré tout, sa mère lui avait appris qu’en laissant la clé dans la serrure, cela empêchait d’en introduire une autre de l’autre côté. Elle plaça également une chaise sous la serrure, les pieds bien plantés dans la moquette, et elle fit une pile en équilibre de casseroles et gamelles qui feraient assurément un grand bruit si la porte s’ouvrait. Elle ne fut soulagée que quand le vieil homme revint de l’hôpital, bien qu’il ne paraisse pas en état de lui porter secours. Malgré tout, elle remit en place sa « barrière de protection » durant sa sieste.— … qui se passe, demanda le vieil homme en apercevant ça ?— Oh… pas grand-chose. Votre fils est venu m’embêter en votre absence…— … alopard ! … iendrez avec moi à l’hôpital…— Ah oui, c’est une bonne idée. Je ne vous quitte plus.Elle prit donc l’habitude de partir avec le vieux monsieur et de l’accompagner durant sa dialyse. Elle vit la torture que c’était pour lui, dormit près de lui sur un fauteuil, goûta la nourriture déplorable qu’un prestataire leur servait. Pour les séances suivantes, elle emportait des repas qu’elle avait confectionnés dans un sac isotherme. Et puis la nuit, quand il n’y avait plus que le bruit de la machine et que la surveillance n’était plus qu’électronique, elle se glissait près du vieil homme, le réchauffant de son petit corps tout doux. Elle mettait son soutien-gorge à balconnets et l’autorisait à lui téter doucement un sein pendant qu’elle lui caressait tendrement le sexe. Ainsi, il parvenait à dormir un peu et rentrait mieux nourri, moins fatigué. C’est elle qui avalait le jambon plein d’eau et la purée en flocons sans goût. Peu à peu, leur complicité grandissait, se transformant insensiblement en tendresse réciproque. Il n’empêchait qu’elle peinait toujours autant à pousser le fauteuil roulant sur la rampe, mais également dans les allées gravillonnées du parc. Elle rédigea donc une demande de fauteuil roulant électrique qu’elle porta à la « porte de prison », mademoiselle Blanche. Elle eut une réponse écrite également, glissée sous la porte, et pour le moins laconique :— Si mon père a besoin de quelque chose, il a les moyens de se l’acheter. Le vieil homme qui, l’air de rien, avait assisté à la lecture du message, s’enquit de l’air déconfit de sa garde-malade :— … qui y a ?— Oh rien. Ne vous inquiétez pas. J’avais juste demandé un peu d’aide parce que j’ai du mal à vous faire rouler dans le fauteuil. Mais évidemment, un fauteuil roulant électrique, ça coûte cher…— … voir ? demanda-t-il en regardant le message.— Tenez…— … jours salopard !Il lui montra de nouveau la petite bibliothèque et désigna un livre :— … oires d’out… -tom…La jeune femme sortit le livre de Chateaubriand, dans une belle collection reliée cuir. Le bonhomme réclama une épingle qu’elle lui donna, et il piqua avec précaution un petit liseré bleu à peine visible, en haut et à l’arrière du livre. Un signet commença à sortir de l’espace libre entre l’arrière collé des pages et la reliure légèrement courbe. Il le tira et au bout était attachée une petite clé plate qu’il donna à Sang-Hoon en lui montrant un tiroir, sous la vitrine. Elle ouvrit et trouva deux autres clés qui ouvrirent successivement la porte située juste au-dessous du tiroir et un petit coffre métallique qu’elle renfermait. Là , il y avait quelques beaux bijoux, quelques pièces d’or, une pochette de papiers sans doute importants et un carnet de chèques. Le vieil homme détacha un chèque, le signa, et demanda de tout remettre en place. Sang-Hoon était consciente et touchée de la confiance qu’il lui montrait, ou alors il avait la manie des cachotteries et perdait réellement la tête. Avec un petit sourire, il tendit le chèque à la jeune femme, c’était sa réponse au message laconique.— Mais vous savez, Monsieur, ces fauteuils sont très chers, plus de mille ou deux mille euros…— … veux le meilleur.En partant pour la dialyse suivante, Sang-Hoon se fit déposer en ville, près de la grande pharmacie centrale qui disposait d’un rayon important d’orthopédie et de matériel médical. Elle trouva ce qu’elle voulait, un fauteuil pas trop gros, pliable, avec des roues assez petites, mais aux pneus épais et larges. Il semblait facile à manœuvrer avec un simple joystick. Comme elle ne pouvait pas l’emporter, elle demanda qu’il soit livré le lendemain matin à l’hôpital, qu’elle rallia à pied. Elle était contente et ça se voyait, ce qui apporta un peu de réconfort au pauvre homme dont le sang courait dans des tuyaux. De retour à la maison, la rampe ne fut qu’une formalité. Mieux, le malade s’amusa comme un petit fou, accélérant dans le couloir, manœuvrant et virant à souhait. Il retrouvait ainsi une certaine autonomie, car il n’avait plus assez de forces pour bouger un fauteuil classique avec ses seuls bras. Les promenades dans le parc furent également beaucoup plus agréables, Sang-Hoon avait l’impression d’accompagner son patient où il voulait et non plus de le pousser où elle pouvait. Ils prirent l’habitude d’aller beaucoup plus loin au fond du parc, dans un coin que le vieil homme semblait apprécier. C’était une petite rotonde de cyprès, abritée des vents et des regards, avec en son centre un petit bassin plein de poissons rouges, une tonnelle recouverte d’une glycine abritait un banc de bois. Il se faisait aider pour passer du fauteuil au banc et ils restaient là parfois plusieurs heures à deviser ou à écouter le chant des oiseaux.**********C’est à cet endroit précis que, quelques semaines plus tard, l’incident se produisit. Le fauteuil était garé non loin du banc, mais il fallait faire quelques pas pour passer de l’un à l’autre. Le vieil homme s’appuyait sur Sang-Hoon qui en supportait une bonne partie du poids. Les cyprès avaient été taillés, il y avait là un morceau de branche, petit cylindre de bois dur, que la jeune femme ne vit pas, trop préoccupée par la proximité périlleuse du bassin. Elle marcha dessus, son pied partit de côté et sa cheville céda. Elle chut lourdement avec un cri de douleur, s’attendant à recevoir en plus tout le poids du bonhomme. Mais rien ne vint, il avait conservé l’équilibre. Au contraire, c’est lui qui était penché sur elle et s’inquiétait :— Sang-Hoon ? Ça va ? Vous avez mal ? Attendez, je vais vous aider…Là , y avait un truc ! Était-elle tombée sur la tête ? Était-elle assommée et rêvait-elle ? Pourtant l’épouvantable douleur qui lui vrillait la cheville prouvait qu’elle n’était pas endormie. L’homme se pencha sur elle, la prit sous les bras et la souleva presque avec facilité pour la poser sur le banc. Il s’accroupit près d’elle et lui massa doucement la cheville, elle grimaçait. Certes elle avait mal, mais surtout elle ne comprenait pas.— Expliquez-moi ? Vous parlez, vous tenez debout, vous êtes leste comme un jeune homme ? C’est quoi ?— Chut ! Ce n’est rien, vous n’avez rien vu. Je vous expliquerai. En attendant, il vous faut de la glace, sinon ça va enfler…Il approcha le fauteuil, s’assit et prit la jeune femme sur ses genoux, puis il fonça à vitesse maximum à l’appartement. Là , il déposa Sang-Hoon sur son lit, il fouilla le congélateur jusqu’à trouver ce qu’il cherchait, un sac de petits pois. Il lui posa cette compresse glacée qui épousa parfaitement la forme de la cheville.— Bon. Maintenant je vous dois des explications. Il y a six ans, mon épouse est décédée d’un cancer. Je lui avais consacré pas mal de temps et les affaires n’étaient pas très florissantes. Édouard travaillait alors dans un autre office, dans une ville voisine. Il me dit que je devrais prendre ma retraite, qu’il était prêt à me succéder, qu’il allait redresser nos affaires, bref, il voulait avec insistance me mettre au rancard. Moi je lui disais que je préférais attendre l’âge de la retraite, que le travail me changeait les idées et que j’allais redresser la situation avant de lui transmettre. Mais un malheur n’arrive jamais seul et j’ai déclenché une néphrite, maladie des reins. C’est arrivé par un gros malaise, le sang empoisonné en quelque sorte, qu’on a plus ou moins confondu avec un AVC. Je me suis réveillé à l’hôpital, ils étaient là autour de moi, lui, sa bonne femme et leur crétin de fils, en train de dire que j’étais foutu et de tirer des plans sur la comète. Mon fils voulait ma place, ma belle-fille voulait ma maison. Au point qu’ils se sont organisés et installés le temps que j’étais soigné, environ un mois et demi. En somme, ils ont pris le pouvoir. J’étais si fatigué et mal en point que je n’avais pas envie de me battre.En revanche, je me suis dit que j’allais les emmerder jusqu’au bout. Les toubibs ont été clairs : dialyse obligatoire deux fois par semaine, mais sans transplantation je n’en aurais pas pour dix ans. Je suis donc sur la liste des receveurs, encore faut-il trouver un rein compatible. En attendant, j’ai joué au grand malade, moribond faisant sous lui, qu’il faut porter, qu’on ne comprend pas, etc. Comme vous m’avez découvert. Au début, c’était ma belle-fille qui était chargée de s’occuper de moi. Une garce de premier ordre. Elle était méchante, mais je lui en ai fait baver. Je dois avouer qu’elle n’était pas mal foutue sous ses airs de pimbêche. Alors je me suis mis à la tripoter, à chaque occasion : main aux fesses, pelotage de nichons. Elle me donnait des tapes violentes, je la pinçais parfois pour me venger. Et puis un jour son attitude a changé. Comme elle était persuadée que j’avais fait un AVC, gourde comme elle était, elle n’avait pas rencontré mes médecins, elle a monté son propre plan :— Si je le fatigue bien, il va en faire un autre et mourir très vite. Alors elle s’est laissée faire, mieux elle me provoquait, jusqu’à ce que ce qui devait arriver arriva. Oui, je vous le confesse, j’ai baisé ma belle-fille, et je n’en ai même pas honte. D’autant qu’Édouard ne doit pas être un grand amoureux, car la belle s’est prise au jeu. Elle se tapait de ces orgasmes… dévastateurs. Je n’avais jamais vu ça, une chienne en chaleur ! Ça a duré quelques mois, mais il y avait les jours où j’étais à l’hôpital, et la dame était frustrée, en manque. Elle s’est donc rapidement acoquinée avec l’un des clercs, tout jeune et fringant, et ils sont partis ensemble. Aux dernières nouvelles, elle serait sur la Côte avec un gigolo italien.— Ça alors, mais c’est une histoire horrible !— Assez oui. Après ça, on m’a isolé dans cet appartement avec des gardes-malades, toujours plus vieilles, plus moches, plus méchantes, même un homme une fois. Celui-là , je ne l’ai pas tripoté, mais je faisais tout le temps partout. Il n’est pas resté plus d’une semaine. Les autres, trois ou quatre mains aux fesses et elles démissionnaient. Et puis vous êtes arrivée, si frêle, si gentille et respectueuse, si jeune et si jolie. Vous ne pouvez pas savoir ce que j’ai regretté d’avoir fait sous moi par avance, le jour de votre arrivée. D’ailleurs ça ne s’est plus reproduit.— C’est vrai.— Et puis voilà , aujourd’hui je vous ai vue mal en point et j’ai cassé mon personnage. Mais pas pour les autres, hein ? Ce sera notre secret juste entre nous. Je suis content de pouvoir être un peu naturel. Et puis je suis si bien près de vous. Ah si seulement ça pouvait durer encore un peu…— Mais au fait, comment vous appelez-vous ?— Ah ! Ne riez pas, je vous prie, Marc-Antoine. Mon père était passionné par l’Empire romain. Vous pouvez dire Marc, ça me va.— Ou Antoine, non ? C’est joli Antoine.— Si vous voulez.— Et quel âge avez-vous ? Parce que vous êtes passé de vieillard à quelqu’un de… presque jeune.— N’exagérons rien. J’ai quand même soixante-huit ans.— Mais c’est encore jeune. Vous pourriez être en pleine forme et vivre encore longtemps.— Si j’avais un rein, peut-être. Réellement, les séances de dialyse me mettent à plat. Et puis si les toubibs ne se sont pas trompés, il ne me reste que quatre ans à vivre, et encore…— Oui, mais… Je ne sais pas, mais vous vous êtes aussi pourri la vie en jouant ce rôle, non ?— Peut-être, un peu oui. Mais dès que je suis seul, je redeviens normal. Et puis ça me plaît de les emmerder comme ça. Mon fils est un crétin que seul l’argent intéresse. La preuve, quand sa femme l’a quitté, il n’est même pas venu me dire qu’il avait un quelconque chagrin. Il m’a juste dit :— Elle est partie, tu ne la reverras plus, c’est de ta faute. Quand à mon petit-fils, lui il est carrément con, pardon mais il n’y a pas d’autre mot. Il a hérité des défauts de son père et de sa mère : niais, inculte, prétentieux, avide de pognon. Méfiez-vous-en, quand il vous aura repérée.— Merci de l’avertissement. Je crois que ça va mieux, j’ai moins mal.— Peut-être, mais on ne bouge pas. Il y a des pizzas dans le congélateur, je vais les passer au four et on pique-nique ici. D’accord ?— Si vous voulez, Antoine.— Ha-ha !Pendant que les pizzas réchauffaient, Antoine banda la cheville bien serrée avec une pommade à l’arnica. Pour une fois, c’est Sang-Hoon qui se laissait faire, non sans un certain plaisir. Elle restait cependant étonnée de voir son malade aussi vif et alerte et lui en fit part.— Ah, vous savez, pour un homme normal, soixante-huit ans ce n’est plus un âge très avancé. Sans cette fichue maladie, je vivrais encore bien. Mais voilà , dès que mon sang s’empoisonne, je fatigue et avec les dialyses c’est encore pire. En fait, je ne suis vraiment bien que deux ou trois jours par semaine. C’est toujours ça.— Alors il faut que nous fassions en sorte que ces trois jours soient les plus beaux possible.— Très bonne idée, quoiqu’auprès de vous, tous les jours sont agréables.— Vous êtes trop gentil.— Non, c’est vous. Vous me rendez vraiment la vie meilleure, je ne vous en remercierai jamais assez.Ils mangèrent leurs pizzas avec un petit verre de vin puis sortirent fumer leurs traditionnelles cigarettes, lui sur son fauteuil électrique, elle sur ses genoux, enroulée dans un plaid. Quand ils rentrèrent, il allait regagner sa chambre, mais elle lui demanda :— Oh, s’il vous plaît, restez. Je suis trop bien près de vous…Ils partagèrent donc ce soir-là , pour la première fois dans cette maison, le même lit. Elle se lova tout contre lui, il la caressa doucement, puis ses mains s’égarèrent. Il pétrit d’abord ses seins qu’il trouvait magnifiques et extraordinairement fermes, lui tirant des gémissements de bonheur. Puis sa main s’insinua au cœur de son buisson et, pour la première fois de sa vie, la petite eurasienne eut un orgasme donné par une autre main que la sienne, bien plus puissant et dévastateur. Il bandait comme un cerf en rut, la petite menotte commença de le soulager comme à l’habitude. Mais il osa lui demander d’utiliser sa bouche, elle fit de son mieux, il éjacula entre ses lèvres, elle avala tout et ils s’endormirent, heureux et apaisés.Ces deux-là ne se quittèrent plus. Le secret partagé avait tissé de nouveaux liens, une complicité plus forte, une sorte de tendresse réciproque malgré l’importante différence d’âge. On ne peut pas dire que Sang-Hoon était réellement attirée par Marc-Antoine. Cependant, ses fonctions en lien direct avec le corps du vieil homme l’avaient habituée à lui. Elle ne le trouvait ni beau, ni laid, ni attirant, ni dégoûtant. Elle le connaissait dans ses moindres détails, surtout dans ses faiblesses, et cette force nouvelle qu’il possédait encore la surprenait. Elle l’avait masturbé à maintes reprises sans en éprouver autre chose qu’un soin accordé parmi d’autres. Un soin particulier, certes, qui l’avait troublée au début, mais elle en avait pris l’habitude. En revanche, qu’il pût lui donner du plaisir en retour, ça c’était nouveau et beaucoup plus troublant.Elle y perdit un peu d’innocence et se mit enfin à porter les vêtements les plus osés, les plus sexy qu’elle avait achetés. Si bien qu’un beau matin, elle frottait le sol avec application, à la mode asiatique, c’est à dire à genoux en reculant. Antoine vit arriver progressivement vers lui un magnifique postérieur, épaté par la position, tout juste couvert par une jupette très courte qui remontait encore par l’exercice. La chose noire qu’il apercevait juste dessous, il ne savait pas trop si c’était une culotte ou une vulve nue. De temps en temps, un contre-jour semblait lui révéler des poils, l’instant d’après il croyait deviner une dentelle. Il attendit devant la porte où ce postérieur ne manqua pas de s’engouffrer pour terminer les derniers centimètres de la tâche ménagère. D’un coup de canne précis, il souleva le bas de la jupette. Outre un petit cri de surprise, le mouvement révéla deux orbes superbes, magnifiquement séparés par une vallée moussue traversée par l’étroit cordon d’un string noir. Quelle merveille ! La ficelle passait au centre d’une légère dépression duveteuse, cachant à peine le bourrelet marron de la petite rosette, puis s’engageait entre les deux monticules couverts d’un épais astrakan d’une vulve qu’elle rendait plus saillante. Un triangle de tissu commençait juste après, couvrant seulement le nid du petit bouton d’amour et sûrement le reste du buisson. Il tomba à genoux, palpa de ses mains ces courbes gracieuses et douces et laissa aller sa bouche vers cette vallée des merveilles. Il renifla, embrassa, lécha.— Monsieur Antoine, non, s’il vous plaît, oh non…— Ah si, c’est trop beau, trop bon, trop attirant. Je ne peux pas m’empêcher.— Bon, mais… juste un peu alors…Il ne répondit pas, sa bouche avait mieux à faire. Il écarta la cordelette et dévora goulûment ce fruit délicieux. Sa langue courait, fouillait, débusquait, s’enfonçait dans des orifices sombres et tendres. La petite gloussait et gémissait, se plaignant parfois.— Monsieur Antoine, non, oh non, pas là … Ooooohhh !Son petit cœur battait la chamade et son ventre devenait fou, possédé par une vie autonome. Elle se mordait les lèvres pour ne pas crier, redoutait d’être surprise. Lui s’en moquait, la dégustait de l’alpha à l’oméga. Sa langue avait débusqué l’alpha, petit bouton rose et palpitant, et avait fouillé l’oméga, petite rosette si serrée qu’elle n’avait jamais rien vu passer dans ce sens-là , il en était certain. Il allait capituler et sortir le gourdin qui s’était dressé dans son pantalon quand la jeune femme partit à l’orgasme sans lui, devint incontrôlable et s’affala à plat ventre sur le sol, toujours en proie à des convulsions de plaisir. Elle se retourna et se redressa à demi pour le voir ainsi, sexe apoplectique en main.— Rho ! Monsieur Antoine… Qu’est-ce que vous alliez faire, hein ? Je l’ai échappé belle…— S’il vous plaît, arrêtez avec « Monsieur », dites Antoine, tout simplement.— Non, vous êtes mon malade et mon patron. Mais il faut que je vous dise : ces trucs sexy qui vous excitent tant, c’est vous qui me les avez fait acheter. Que ça vous amuse, je veux bien, mais pas plus. Je suis une fille sérieuse.— Je sais bien, depuis presque un an je ne vous connais pas un amant. Mais une fois de temps en temps, juste pour l’hygiène, ça ne peut pas faire de mal…— Si. Ce ne serait pas bien.— Je suis trop vieux, c’est ça ? Excusez-moi. Un vieillard en attente de la mort…— Arrêtez, ce n’est pas du tout ça.— Je suis propre, c’est vous qui me lavez. Je n’ai qu’une maladie et elle n’est pas contagieuse…— Mais oui, je sais, mais ce n’est pas ça, vous dis-je.— Eh bien, je continuerai à le penser si vous ne me dites pas ce que c’est.— Ah ! Vous êtes terrible. Ce que c’est, c’est que… j’ai vingt-quatre ans et je ne l’ai jamais fait… et j’ai peur…— Vous voulez dire que vous êtes…— Vierge, oui, pucelle si vous voulez.— Ah ben, ça !… Une superbe fille comme vous ?— Ha-ha ! « La chinetoque » ! Qui aurait voulu sortir avec « la chinetoque » ? Si un seul avait essayé, tous les autres se seraient moqués de lui et sa réputation était ruinée. C’est aussi ça le racisme à la petite semaine.— Mon Dieu ! Les imbéciles, les sots, les niais ! Vierge, quelle merveille, mille excuses et mille respects, Mademoiselle, dit-il en s’inclinant.— Ne vous moquez pas vous aussi, pas vous.— Loin de moi. Vous montrez un profond respect envers les anciens, et c’est très bien. Moi je n’ai jamais connu de femme vierge et je suis très impressionné. On m’avait dit que les bonnes sœurs étaient vierges, mais celles que je connaissais étaient maîtresses de curés. Des petites filles, peut-être, et encore… de nos jours avec Internet et les films X à la télé, c’est pas certain. Alors, pardonnez-moi, à l’avenir je serai plus… convenable.Curieusement, ce nouveau secret partagé jeta un trouble dans leur relation. Sang-Hoon cessa de porter des tenues qui auraient pu passer pour provocantes et manifesta une certaine gêne durant la toilette en arrivant dans la région du sexe. Antoine, quant à lui, faisait son possible pour ne pas se mettre à bander, pensant à des choses horribles pour tenter d’annihiler la moindre réaction. Finies les petites séances masturbatoires hebdomadaires, ce qui était tout de même regrettable pour l’état mental du malade qui semblait de plus en plus fatigué. Quand le moral n’est pas là , le physique ne suit plus. Malgré tout, la jeune femme continuait d’accompagner le malade à l’hôpital. Elle en profita pour demander à voir le néphrologue, responsable du service de dialyse, afin de lui faire part de son inquiétude sur la dégradation de l’état de son employeur.— Vous êtes de la famille, lui demanda-t-il ?— Non, Monsieur. Je suis juste chargée de m’occuper de Monsieur, de sa toilette, de ses repas. Et je vois bien qu’il va de plus en plus mal. Ne peut-on espérer une greffe bientôt ?— Hélas, il y a tant de demandes et la compatibilité des greffons limite énormément les possibilités. Et puis, que voulez-vous, il est assez âgé, plus très… présent, les patients jeunes sont à nos yeux prioritaires.— Ah, c’est donc cela. Passé un certain âge, ça ne vaut plus le coup, il peut mourir.— Je n’ai pas dit cela, mais… Et puis personne de sa propre famille n’est compatible, nous avons fait les tests.— Vous ne m’avez pas proposé de faire un test à moi !— Comment ? Vous seriez prête à lui donner un rein ?— Absolument. Ce Monsieur a plus de valeur que vous ne le pensez. Dans le pays de mes ancêtres, les plus anciens sont très respectés. Ce sont eux qui détiennent le savoir, l’expérience et la sagesse. Je suis choquée par ces principes de n’accorder la priorité qu’aux jeunes sans se soucier de la perte de nos anciens.— Madame, ne vous emballez pas, je vais ressortir son dossier. Peut-être que… Je vais m’en occuper personnellement, je vous le promets.— Où puis-je passer le test ?— Mon assistante va vous conduire au laboratoire.— Et n’oubliez pas de regarder son dossier. Merci, Monsieur.Le test, une simple prise de sang, se révéla négatif à la séance suivante. En revanche, l’assistante du spécialiste dit à Sang-Hoon qu’il y avait eu une possibilité de greffe dans la semaine, qu’on avait téléphoné à l’office notarial, mais que le patient ne s’était pas présenté. Dans un sens il valait mieux, parce que le greffon n’était pas en très bon état, on l’aurait fait déplacer pour rien. La jeune femme donna le numéro de son propre téléphone portable, demandant qu’on appelle exclusivement à ces coordonnées et alla retrouver Antoine, furieuse, pour lui raconter l’incident.— M’étonne pas, dit Antoine. À mon avis, c’est cette mégère de Blanche qui mène Édouard par le bout du nez. Sous ses airs de pimbêche revêche, elle doit se faire sauter pour avoir barre sur lui. Et elle, elle sait ce qu’elle veut : tout. Le notaire, la maison bourgeoise, le pognon, mon héritage en somme. Et elle est capable de tout pour ça. Mais à nous deux, ma cocotte, on va voir ce que l’on va voir.— Vous croyez ? Elle serait capable de vouloir votre mort ? Mais c’est monstrueux !— Sang-Hoon, où arrivent les appels extérieurs ? Directement chez cette sorcière qui fait le tri. Si ça se trouve, Édouard n’est même pas au courant, mais ce n’est pas certain. Il faut que nous ayons une discussion sérieuse, ma petite garde-malade.— Quand vous voulez. Je suis à votre entière disposition.— Je sais et j’apprécie, croyez-le. Mais pas ici ni dans la maison, on ne sait jamais. Vous allez soudoyer le petit chauffeur du VSL pour aller faire un tour dans la nature.En revenant de l’hôpital, au prétexte du beau temps et du besoin de prendre un peu l’air, ils firent un détour grassement payé par les bords de la rivière où ils firent une promenade.— Sang-Hoon, ma chère petite. Savez-vous qu’un parent ne peut pas déshériter ses enfants ?— Non, je ne connais rien à tout ça, mais ça me paraît juste, non ?— Oui, si les parents sont vilains et les enfants gentils. Mais dans le cas contraire ? Voyez pour moi, je meurs et tout revient à mon fils. Qui en profite ? Lui et surtout la Blanche qui se fait épouser séance tenante…— Ah oui, c’est vrai… Et vous n’y pouvez rien ?— Pas grand-chose, mais je suis notaire également et ils l’oublient un peu vite. Admettons que j’épouse une femme très jeune, beaucoup plus jeune que moi et même bien plus jeune qu’eux. Une fois le mariage conclu comme un contrat, pas un « vrai mariage », je fais une donation universelle de mes biens à mon épouse, de façon à ce qu’elle n’ait pas de soucis quand je serai mort.— Oui, jusque-là je comprends.— Eh bien si je meurs, tout appartient à mon épouse, argent maison, etc. Et elle en fait ce qu’elle veut. Il n’y a qu’à sa mort à elle qu’une moitié reviendra à mon fils ou à mon petit-fils, cette buse, parce que son père sera probablement mort avant mon épouse plus jeune. D’accord ?— Oui, oui, oui, astucieux. En plus l’épouse aura pu entre-temps vendre les biens ou en faire autre chose.— Exactement. Ou par exemple, décider de les léguer à une association caritative ce qui est très difficilement contestable devant un tribunal.— Bien joué !— Sang-Hoon, voulez-vous m’épouser ?— M… moi ? Mais Monsieur… Je ne suis rien… Je… Oh ! Je comprends.— Écoutez. Vous êtes adorable. Vous m’avez redonné le goût de vivre. Je ne vous demande pas de devenir « ma femme », juste d’accepter un contrat avec un vieux bonhomme qui ne tardera pas à vous laisser, mais avec un avenir garanti. Vous le méritez bien, si vous le voulez.— Oh Monsieur… Pardon, Monsieur Antoine… Non, Antoine… Je… Je ne sais pas quoi dire… Tout cela est si nouveau, si précipité… Mais je n’aurai pas d’ennuis ?— Oh que si, hélas ! Ils vont tout contester : le mariage, la donation, ma santé mentale, votre probité, tout ! Mais on va tout préparer, tout verrouiller, tout faire pour vous protéger, soyez certaine que mon but n’est pas de vous mettre dans les ennuis. Mais prenez le temps de réfléchir, pas trop quand même, je décline.Sang-Hoon eut bien du mal à dormir cette nuit-là . Elle tourna et retourna la question dans sa tête et pleura beaucoup. L’émotion l’étreignait. Ce charmant Monsieur voulait lui léguer sa fortune, à elle qui avait toujours été quasiment pauvre. D’une part, c’était fantastique et l’assurance d’une vie facile. Mais d’un autre point de vue, c’était aussi s’attirer pas mal d’ennuis et léser des gens qui ne lui avaient rien fait. Quoique… Rien fait, c’est vite dit. Entre le mépris affiché de Blanche et l’agression d’Édouard, c’était limite. Le pire, c’était quand même cette attitude effroyable d’avoir pris le pouvoir dans la maison même de Marc-Antoine et de ne pas l’avoir prévenu d’une greffe éventuelle. Une véritable tentative de meurtre. Et vraiment, ce Monsieur ne méritait pas cela. Elle finit pas se convaincre que ces gens étaient mauvais et qu’il fallait aider le vieil homme autant qu’elle le pouvait. Ayant ainsi fait son choix, elle put enfin s’endormir peu avant l’aube.Ils mirent tout au point au fond du parc, près du bassin. Antoine disposait encore d’un réseau d’appuis et de connaissances influentes. Il utilisa le portable de Sang-Hoon et construisit patiemment son scénario, avec maire, banquier, avocat, autre ami notaire, prenant des rendez-vous les jours où il sortait de dialyse. Tous ces projets l’avaient un peu revigoré, et il allait un peu mieux.Quinze jours plus tard, Sang-Hoon Martin devint madame Dupeux, devant le maire de la commune et en présence du directeur local de la Banque de France et de Maître Rachon, avocat et également témoin. La semaine suivante, ils passèrent à l’étude de Maître Hovieu, ami notaire, où ils se firent donation universelle entre époux. À l’hôpital, Antoine en profita pour demander un examen psychiatrique et une attestation de sa parfaite conscience et clarté d’esprit. Chose qu’il renouvela avec second psychiatre en ville, contre-visite rendant les certificats indiscutables. Enfin, ils allèrent rendre visite à l’ami banquier et il montra à son épouse le contenu de son coffre. Hérité de son père et augmenté par lui-même, le coffre contenait une belle quantité de lingots et pièces d’or. La jeune femme n’en croyait pas ses yeux ronds : il y en avait pour des millions.— Tout l’héritage familial depuis trois générations, commenta Antoine. L’or, la valeur refuge qui traverse les années et les crises. Et Édouard n’a jamais eu accès à ce coffre, il en ignore même l’existence. Il ne connaît que quelques placements conventionnels. Vous allez signer ce document et vous y aurez accès comme bon vous semblera. N’ayez aucune inquiétude, ceci n’entrera pas dans la succession. Mes amis ont bien compris le sens de ma démarche et me soutiennent pleinement. Édouard et sa Blanche ne leur reviennent pas. Tenez, prenez donc un de ces lingots, nous passerons au guichet le négocier et le mettre sur votre compte. J’aimerais bien que vous achetiez une voiture, ce serait mieux que le VSL, non ?Antoine versa également une somme considérable pour établir une assurance-vie au nom de son épouse. Mais à la maison, il était toujours le pauvre vieux neuneu accompagné par sa bonniche bridée. De toute façon, personne ne faisait plus attention à eux du moment qu’ils restaient cantonnés dans leur aile et qu’ils ne réclamaient rien. Antoine se frottait les mains du coup qu’il leur avait joué, mais fit plusieurs courriers à des conseillers fiscaux et juridiques de sa connaissance pour peaufiner la protection de son épouse. Toutes les veilles étaient enclenchées et Sang-Hoon disposait d’une marche à suivre imparable pour affronter la justice. Ils choisirent ensemble une voiture à la fois petite, jolie et pratique. Pour faire bonne mesure, Antoine souhaita y ajouter la finition intérieure et le brio des moteurs italiens. Son épouse reprit quelques leçons de conduite, car elle n’avait pas piloté depuis son permis, six ans auparavant, et ils purent rentrer un jour de l’hôpital par leurs propres moyens.Sang-Hoon avait presque l’impression de vivre un conte de fées, si ce n’est l’épée de Damoclès qui pesait au-dessus de la tête d’Antoine. Mais un jeune mari lui aurait-il donné tout ça, lui aurait-il accordé une telle confiance ? Un soir, elle se décida et vint rejoindre Antoine dans sa chambre :— Vous m’offrez votre fortune, je ne sais pas si je la mérite, mais j’en suis profondément touchée. À mon tour de vous offrir ma « fortune ». Ce n’est pas grand-chose, mais c’est tout ce que je possède. Et nul n’est mieux placé que mon mari pour en profiter. En plus, vous êtes un homme bon et délicat, un homme d’expérience, et il n’y a qu’avec vous que je me sente vraiment en totale confiance. Voilà , je suis prête, je n’ai (presque) plus peur…— Que voulez-vous dire ?— Que je vous demande de me faire l’amour.— Mais Sang-Hoon, il ne faut pas croire que je vous achète ni vous sentir obligée à quoi que ce soit…— Pas le moins du monde. C’est un choix délibéré. Du respect je suis passée à l’attachement, de l’attachement à l’affection, et je crois maintenant que c’est plus encore. J’ai autant confiance en vous que vous en avez en moi. Je veux que ce soit vous le premier, s’il vous plaît.— Je… je suis très touché et même… un peu pris au dépourvu. J’angoisse comme un ado à son premier rendez-vous.— Le trac est partagé. Soyez doux et faites-le s’évanouir.— Je vais essayer.Sang-Hoon se dévêtit et apparut nue dans la faible clarté d’une lampe de chevet avant de se glisser sous les draps. Antoine lui demanda de temporiser un peu ce moment, juste pour la regarder. Un peu honteuse et empruntée, la jeune femme accéda gauchement au désir de son époux. Il la regardait comme si c’était la première fois, la redécouvrant. Il n’avait même pas remarqué que, durant ces derniers mois de vie aisée, de repas réguliers et de qualité, elle s’était légèrement enrobée. Il n’aurait pas pu dire qu’elle avait grossi, paraissant toujours fine et légère, mais sa silhouette avait évolué, passant de celle d’une adolescente à celle d’une femme, plus pulpeuse, aux formes plus affirmées. Elle lui parut encore plus magnifique, encore plus désirable, avec cette peau immaculée, ces cuisses plus charnues, ces seins toujours aussi pleins et drus. Quand elle s’étendit près de lui, le rose aux joues, il l’examina encore longuement avant d’oser la toucher, faisant voleter ses mains sur tout son corps comme deux papillons cherchant à se poser. Elle frémissait, la peau parcourue d’horripilations, qu’il effaçait vite par un contact plus franc. Mais la pointe de ses seins et ses aréoles restaient dures et crispées en permanence. Il les aspira doucement dans sa bouche gourmande, les suçant et les pinçant entre ses lèvres et, tour à tour, les flattant de sa langue. Il la fit mettre sur le côté pour mieux profiter du creux de la taille, du galbe de la hanche, de la ferme douceur de la fesse, de la tendresse musclée de la cuisse. Il entreprit de déposer de petits baisers sur la moindre partie de ce corps qu’il trouvait sculptural, à la fois juvénile et parfaitement achevé. Ce faisant, il en humait les différentes fragrances dont chacune le ravissait, de la plante de ses pieds à la tendre moiteur de ses aisselles duveteuses.Il en vint enfin à humer le parfum suave de son sexe emprisonné dans l’épaisse toison brune et s’installa délibérément entre ses cuisses. D’une langue gourmande, il dégagea le sillon, laissant apparaître un bourrelet de petites lèvres brunes et fripées. Sang-Hoon semblait apprécier, elle poussa de petits gémissements et leva ses cuisses plus haut tout en les écartant, ce qui eut pour effet de faire bailler sa grotte avec un petit bruit mouillé. La langue s’agitait, les lèvres aspiraient, la jeune femme ronronnait. Un filet de cyprine dense, qui collait aux doigts agiles, s’écoulait doucement et s’accumulait dans la petite cuvette, noyant la rosette. Antoine profita de l’aubaine pour la titiller et l’écarter doucement d’un doigt fureteur. Ce fut la sensation de trop et le corps de la jeune femme se tétanisa. Les douces cuisses se refermèrent sur les oreilles du vieil homme qui reçut en prime deux petits jets, à peine deux gouttes, de liquide orgasmique en plein visage.— Faites pour jouir, pensa-t-il. D’une sensibilité exacerbée. Ça promet de belles séances. Ses doigts palpèrent la fine membrane qui n’obstruait que très partiellement le vagin, percée au centre et à plusieurs endroits sur les bords, elle céderait facilement. Bandant comme un fou, car ce corps valait toutes les petites pilules bleues du monde, il positionna son gland apoplectique à l’entrée de la grotte et s’étendit sur Sang-Hoon. Il lui couvrit les lèvres avec les siennes en murmurant :— Goûte à la liqueur de ton plaisir.Ils mêlèrent leurs langues dans une danse folle, l’instant qu’il choisit pour laisser son poids faire pénétrer son sexe dans l’étroit vagin. Elle eut un petit gémissement par le nez, mais leur baiser reprit aussitôt tandis que le gland dilaté trouvait son chemin, écartant les muqueuses incroyablement douces qui se refermaient immédiatement sur sa hampe rigide. Très vite, il sentit le bourrelet plus ferme du col de l’utérus, elle avait un vagin étonnement court, ce qui donnait à Antoine l’impression flatteuse d’avoir un sexe énorme. Bien calé en elle, les testicules écrasés contre son anus, son érection repoussait le fond du fourreau et bouleversait ses entrailles. Elle dégagea sa bouche pour aspirer l’air qui lui manquait, il ne bougeait plus, elle s’agrippa à lui des quatre membres. Quand elle eut repris son souffle et qu’il la sentit se détendre un peu, il commença de faire osciller doucement son bassin, distendant délicatement les chairs tendres. Rien que de sentir ce col rouler sur le bout de son gland l’aurait fait éjaculer s’il ne s’était pas retenu. Pour une première fois, il voulut que tout soit parfait. Elle recommença d’aspirer l’air bruyamment, bouche arrondie, yeux dans le vague, comme si elle contemplait un fantôme au plafond. Insensiblement, le gland se mit à aller et venir dans l’étroit conduit, puis Antoine augmenta progressivement la cadence et l’amplitude. Sang-Hoon hoquetait.— Ça va, demanda-t-il ?— Oui… oui… Ne t’arrête pas, oh ne t’arrête pas, je t’en prie…Tiens, elle le tutoyait, preuve qu’elle avait perdu les pédales. Antoine se cala sur un rythme assez lent, il savait d’expérience que, sans variations, il pouvait ainsi tenir très longtemps. Cela permit à la jeune femme de sentir monter en elle des vagues successives de plaisir, d’en prendre conscience avant que le tsunami ne l’emporte. Celui-ci se présenta assez vite, la faisant arc-bouter sur la nuque et les talons, soulevant l’étalon qui poursuivait imperturbablement son pilonnage. Dressé sur ses bras tendus, le vieil homme contemplait son œuvre, ce corps somptueux tout entier en proie au plaisir, déconnecté de sa conscience, qui se tordait, rougissait, se couvrait d’une légère sueur et dont les yeux s’injectaient de sang. Comme il l’avait deviné, la jeune femme restait après l’orgasme sur un palier de sensations très élevé et était capable de plusieurs orgasmes successifs. Plus besoin de précautions, elle était noyée d’endorphine.Il chercha donc à atteindre son propre plaisir, accéléra la cadence, butant ses testicules sur la vulve en même temps que son gland sur le col, sensation inouïe. Le canter ne dura pas très longtemps et provoqua un nouveau ravage un peu moins intense que le premier, mais beaucoup moins que celui à venir. Sentant l’éjaculation s’engouffrer dans son pénis, Antoine se retira d’un coup pour lâcher ses jets de foutre sur le ventre de la jeune femme. Ce vide soudain lui fit pousser un cri, exactement comme si on venait de la plonger dans de l’eau glacée ou bouillante. Elle se recroquevilla en fœtus et fut agitée de soubresauts durant de longues minutes. Le vieil homme, bien fatigué, s’étendit et la regarda reprendre lentement ses esprits. Elle redressa enfin la tête, encore essoufflée et méconnaissable. Hirsute, elle toujours si bien coiffée, encore écarlate, les yeux rougis, de la bave aux commissures des lèvres, lâchant des sortes de pets humides, la séance l’avait totalement ravagée. Attrapant une boîte de Kleenex, elle s’essuya la bouche puis les fesses, remit un peu d’ordre dans ses cheveux et vint se pelotonner sur l’épaule de son amant. Il remonta un drap sur eux et resta muet. Selon un vieil adage, la première chose que l’on dit après l’amour est une connerie, autant se taire. C’est Sang-Hoon qui, après de longues minutes durant lesquelles elle lui caressa le torse et osa toucher le sexe encore poisseux, rompit le silence :— Ça va ? Vous n’êtes pas trop fatigué ?— Non. Enfin si, mais délicieusement fatigué, en état de grâce. Ça doit être ça qu’on appelle le bonheur…— Moi aussi je suis trop bien. Vous pourrez me refaire ça souvent ?— Aussi souvent que je le pourrai.— …— Vous ne me tutoyez plus ?— J’ai fait ça ? Je ne me suis pas rendu compte. C’est ce qui me dérange un peu, ça me met dans un état… il n’y a plus de pilote dans l’avion, enfin, je veux dire que je ne contrôle plus rien.— Mais c’était bon malgré tout ?— Oh la la, oui ! Incroyable. Incroyablement bon. Merci. Je n’ai qu’une envie, c’est de recommencer.— Oui, moi aussi, mais un peu plus tard, demain par exemple. Je voudrais éviter que ce ne soit qu’un baroud d’honneur.— D’accord.Ils s’endormirent, épuisés et les sens rassasiés. Sang-Hoon s’en trouva épanouie. D’avoir enfin percé les mystères de l’amour et du plaisir lui conférait une certaine plénitude et un peu plus d’assurance, de confiance en elle. Inconsciemment, elle se tenait plus droite, semblait ne plus avoir honte de sa poitrine, de son corps, de son exotisme, et Antoine le remarqua avec bonheur. Elle portait plus volontiers des talons hauts qui lui allaient bien, lui donnant un peu de galbe aux fesses et un port plus altier. Même sa conduite s’en ressentait, plus assurée et plus sèche, et donc plus en accord avec le brio de la petite voiture italienne. Leurs rapports avaient changé également, elle n’hésitait plus à provoquer ouvertement le désir de son époux. Il n’était pas rare qu’elle fît la cuisine vêtue d’un simple petit tablier, ce qui le rendait fou et elle adorait ça. Seul le rythme hebdomadaire des dialyses ne changeait pas. Cette fois, elle attaqua l’urologue ouvertement, lui demandant s’il faisait vraiment le nécessaire pour obtenir un greffon. Il fut assez évasif, assurant qu’on faisait le maximum, mais qu’on avait peu de moyens. Et, comme dernier argument, il dit que la famille du malade n’était pas très empressée à le voir guérir.— Détrompez-vous, Professeur, dit-elle en brandissant son livret de famille. Je suis désormais son épouse et je voudrais bien le garder quelques années de plus ! Peut-on faire un don pour améliorer votre service ?— Euh… Eh bien, c’est à dire… Vous pouvez toujours en faire un à la Fondation du rein.— Non, non, non. Pas quelque part où l’on ne sait pas comment c’est utilisé. Je veux financer ici une veille 24 heures sur 24 afin de trouver rapidement le greffon qui convient.— Ce n’est pas de mon ressort, j’appelle le Directeur de l’hôpital… Vous pouvez, dit-il en raccrochant.— Bien, mais en échange, vous allez me signer une attestation de mise en place de cette veille permanente. Je reviens dans une heure.Elle alla à la banque, sortit deux lingots du coffre, il fallait bien qu’ils servent à quelque chose d’utile, voulut passer les monnayer au guichet puis se ravisa. Le métal jaune exerçait une fascination sur les gens qu’elle comptait exploiter. Après une demi-heure d’attente, elle fut reçue à nouveau par le médecin et posa les deux petites briques dorées sur le bureau :— Voilà , valeur 80 000 euros environ, à savoir : le SMIC pour trois personnes pendant un an avec les charges. Ces personnes se relaieront pour exercer une veille permanente des greffons disponibles pendant tout le temps nécessaire jusqu’à la greffe. Vous l’écrivez, vous vous y engagez, vous signez et le Directeur de l’hôpital aussi.Le bonhomme était éberlué. On lui avait souvent contesté ses dépassements d’honoraires, mais ça, on ne lui avait encore jamais fait. Il s’exécuta, très perturbé, emportant les précieuses briques de métal doré pour les mettre à l’abri dans le coffre.La jeune femme en profita également pour voir un gynécologue et se faire prescrire la pilule. Ainsi put-elle annoncer fièrement à son époux :— Maintenant, vous pouvez me remplir de votre semence.C’était un des derniers grands plaisirs qui demeuraient interdits à Antoine, pour qui faire un enfant eût été pure folie. Pour lui, l’acte sexuel méritait d’aller à son terme pour être pleinement satisfaisant, réminiscence de la nécessaire survie de l’espèce. Et pour Sang-Hoon, le retrait brutal de la verge de son vagin lui créait une sensation soudaine de vide absolument insupportable. Elle trouva beaucoup de plaisir à conserver en elle le pénis dilaté jusqu’à l’apaisement spontané des corps. Il ne restait qu’à terminer l’assouplissement de son anus pour accéder au plaisir subtil, d’après Antoine, de la sodomie, encore qu’elle n’y trouva pas un véritable épanouissement. Mais que n’aurait-elle pas fait pour donner du plaisir à son époux et le sentir vibrer et gicler dans ses entrailles.Un mois et demi après le don d’or, le portable de Sang-Hoon sonna en pleine nuit. Il fallait venir immédiatement, un greffon arrivait par avion de Marseille, un règlement de compte qui avait fait de jeunes morts, mais qui pourrait faire un heureux. Il suffisait de prendre la petite valise toujours prête, celle-là même qui suivait Antoine dans ses dialyses et que Sang-Hoon remettait à niveau dès leur retour. Ils partirent dans la nuit, les idées se bousculaient à une vitesse folle sous la crinière blanche. C’était une chance, certes, mais c’était aussi le risque d’y rester, opération ratée, complications, greffon mal compatible… Il s’était habitué peu à peu à l’idée de la mort, à l’approche de l’échéance.Et puis voilà que cette petite eurasienne avait tout bouleversé. Mourir dans son coin et dans l’indifférence générale, rejeté par les siens, en jouant le neu-neu, c’est une chose. Mais quitter soudainement cette adorable petite femme qui s’occupait de lui avec tant de dévouement et de délicatesse, qui lui donnait des plaisirs et des sensations inespérés, c’était beaucoup plus dur. La faucheuse n’a pas de mérite en éliminant les malheureux, elle fait presque œuvre utile. Elle devient terrible quand elle moissonne le bonheur en plein essor. Il contemplait à la dérobée son délicat profil, accrochant dans ses traits exotiques et doux la lumière du tableau de bord, des réverbères ou d’un rare véhicule croisé.— Sang-Hoon, il est possible que je ne me réveille pas. Sache que tu m’as rendu infiniment heureux et sois-en remerciée. N’oublie pas de suivre à la lettre ce que nous avons prévu.— Allons, allons. Pas de pensées négatives. Tout va bien se passer et vous allez ressortir tout neuf, affirma-t-elle la boule au ventre.Bien sûr, elle ne pouvait pas dire autre chose. On l’attendait, on l’emmena immédiatement pour un ultime test de compatibilité. Elle vit arriver le convoi en provenance de l’aéroport, deux motards, une ambulance et une voiture de police, tout cela pour une petite, mais si précieuse glacière. Puis ce fut l’attente, interminable. On vint la chercher au bout de trois heures et demie, juste pour l’apercevoir au travers d’une vitre en salle de réveil, le teint cireux, des tuyaux partout. Elle éclata en sanglots.Ce n’est que le soir suivant qu’on le remmena dans une chambre et qu’elle put entamer sa surveillance attentive de garde-malade. Il était encore dans les limbes de la puissante anesthésie, tenant des propos incohérents ou incompréhensibles, dormant la plupart du temps. Elle qui pensait le voir arriver couché sur le ventre, une cicatrice dans le dos, pas du tout. Il était couché sur le dos avec une cicatrice sur le côté du ventre. Eh oui, on ne remplace pas les reins malades, on en ajoute un autre là où il y a de la place. Il était déjà maigre après des années de régime, notamment sans sel, mais la nourriture sans sel de l’hôpital ne passait vraiment pas. Sang-Hoon demanda l’autorisation de lui concocter quelques bons petits plats, avec les épices dont elle avait le secret.— En dialyse, j’autorise, lui dit le professeur, mais en post-opératoire non.Elle ne quittait son fauteuil basculant que le temps d’aller prendre une douche et de se changer. Enfin, le sixième jour, le chirurgien lui dit que tout semblait indiquer que la greffe était réussie et que le greffon était correctement entré en fonction. Elle pleura de nouveau, mais de joie. Bien sûr, il restait un traitement antirejet à vie, mais ce n’était rien au regard de la torture hebdomadaire de la dialyse. Et puis Antoine semblait peu à peu retrouver la forme, une forme bien meilleure même qu’avant la greffe, et une forme qui durait plus de deux jours d’affilée. Il râla contre la nourriture qui, même désormais un peu salée, était toujours aussi infecte. Au bout d’une quinzaine de jours, il put rentrer chez lui, en restant encore extrêmement prudent.Une semaine plus tard, il revit le chirurgien qui lui conseilla, après avoir retiré les agrafes, de passer un mois dans un centre de repos et de remise en forme pour transplantés, quelque part en Bretagne. Ils firent leurs bagages. Dans un ancien manoir en baie de Quiberon, il y avait au programme un peu de musculation, un peu de piscine, des enveloppements d’algues, des promenades à pied et à bicyclette et des cours de diététique pour s’adapter progressivement à un régime pauvre en sel. Sang-Hoon suivait tout cela de près et fit merveille avec sa collection de flacons d’épices qui ne la quittait pas. Au retour, c’est Antoine qui conduisit dans une forme pleinement retrouvée, ce qu’il prouva à son épouse au bord de la route, la faisant jouir éperdument.Dans un premier temps, ils restèrent terrés dans leurs quartiers, et personne ne se préoccupa d’eux, ni de leur retour, ni de leur absence. Ils n’existaient pas, d’une certaine façon. Marc-Antoine ne s’en offusqua pas plus qu’il ne s’en soucia. Il continuait de reprendre des forces, physiques et mentales. Quand il se sentit prêt, ayant eu tout le temps de préméditer son scénario, il se rendit chez son confrère et ami notaire pour une transaction inédite. Il acheta en centre-ville un ancien commerce de taille moyenne, une petite maison de ville avec à l’étage un trois-pièces-cuisine donnant à l’arrière sur une cour miteuse. Le magasin, assez grand, disposait d’un bureau et d’une assez grande réserve, le tout sur environ quatre-vingts mètres carrés. L’immeuble était sain, le prix relativement bas parce que, comme tous les centres-ville celui-ci se désertait, il fut content de cette affaire.— Tu veux nous faire un petit nid d’amour, questionna Sang-Hoon ?— Pas du tout, je veux récupérer ma propriété.Quelques jours plus tard, sans que personne ne s’en aperçoive, une entreprise s’arrêta quelques minutes devant la propriété bourgeoise, dévissant la belle plaque de cuivre « Édouard Dupeux, Notaire » pour la remplacer par une pancarte provisoire : Office Notarial transféré 7 rue de la Pompe.Ce même matin-là , dès l’ouverture, Antoine demanda à son fils et à sa « secrétaire particulière », la très particulière Blanche, de lui accorder un entretien. D’un côté du bureau, Antoine et Sang-Hoon, de l’autre Édouard et Blanche, s’observant comme chiens et chattes.— Mon cher fils, merci d’avoir pris de mes nouvelles pendant et après la sévère intervention que j’ai subie.— Intervention ? J’ai remarqué votre absence, en effet, mais…— Oui, une greffe du rein, parfaitement réussie, je te remercie. Merci à vous aussi, chère Blanche, qui n’avez pas jugé utile de me prévenir le jour où l’hôpital a appelé pour, ayant trouvé un greffon compatible, me convoquer dans l’heure qui suit. Ce sont des attentions qui ne s’oublient pas.— Mais enfin, je… ce n’est pas moi qui ai reçu cet appel.— Ben voyons. Je connais votre bon cœur, ma chère. Dans le rôle de la belle-mère de Blanche-Neige, vous avez de l’avenir.— Mais… mais père ! Vous n’avez plus de séquelles de votre AVC ? C’est prodigieux…— AVC ? Quel AVC ? Ça vous arrangeait de me croire neu-neu, et moi, quelque part, ça m’arrangeait de passer pour mentalement diminué, histoire de me venger de m’avoir évincé de ce qui a représenté toute ma vie. Mais aujourd’hui, c’est terminé, on arrête de jouer.— Co… comment cela ?— Eh bien, ici je suis chez moi, et vous n’êtes pas chez vous, toi et ta mégère. Aussi, je vous invite à aller chez vous.— Mais, père, je ne comprends pas. Que voulez-vous dire ?— Au 7 rue de la Pompe, en plein centre-ville, se trouve le nouvel office notarial, et votre logement au-dessus, bien sûr. C’est ton héritage, mon cher Édouard. D’ailleurs une entreprise est passée ce matin pour déplacer les plaques, et un déménageur arrive à dix heures, dans trois quarts d’heure, pour transporter toutes vos affaires, professionnelles et personnelles, vers cette nouvelle adresse.— Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Père, vous n’êtes pas sérieux ?— Tu vois bien qu’il a complètement perdu la tête, cette fois, hurla Blanche, soudain très blanche.— J’ai toute ma tête, hélas pour vous. Ces documents le prouvent. Et tout a été fait légalement, sous le contrôle d’un confrère, d’un avocat et du Directeur de la Banque de France. Voici les clés de ton héritage. Pour le reste de mes biens, ma légataire universelle est mon épouse, ici présente, Madame Sang-Hoon Dupeux, qui fera don de tous nos biens à une association caritative quand je mourrai ce qui est inattaquable en justice. Maintenant, hors de chez moi, je vous ai assez vus.— Tu vois bien, mariés, ils sont mariés, c’est une intrigante, je te l’avais dit…— Blanche, calme-toi. Père… Je…— Non, Édouard, la messe est dite. Dehors ! Le commissaire est également un ami. Dois-je l’appeler ?— Intrigante, voleuse, ordure, gourgandine, croqueuse d’héritage, hurlait Blanche devenue verte de rage à l’encontre de la jeune épouse impassible.Les hurlements se poursuivirent au loin, devant des clercs médusés et interdits. Tout le monde fit ses cartons et la grande maison retrouva sa sérénité. Il est bien évident que Blanche n’emménagea jamais rue de la Pompe et disparut dans la nature. Les prétentions d’Édouard Dupeux, notaire, furent largement révisées à la baisse, ayant perdu toute la clientèle huppée de la ville.Antoine laissa à son épouse le soin de réorganiser et de décorer la maison bourgeoise, carte blanche sur les dépenses. Elle fit très bien, à la fois chic et douillet, et ne renia pas son extraction. Toute l’aile qu’ils avaient occupée fut transformée a minima pour accueillir le personnel de maison : jardinier, factotum, femme de ménage et cuisinière, tous des gens nécessiteux ravis de trouver un emploi et un hébergement.Le premier voyage du couple fut pour la Corée, dans la famille de Sang-Hoon. Antoine, qui redoutait un peu cette rencontre compte tenu de son âge, fut accueilli avec l’immense respect dû à un haut dignitaire, et sa jeune femme fut félicitée d’avoir pu épouser un sage et lui rendre douces les dernières années de sa vie. Autre civilisation, autres mœurs. Puis ils allèrent au gré des vents et des envies, aux USA, en Australie, au Japon, en Chine et, bien sûr, partout en Europe.Au crépuscule de sa vie, veuve depuis seulement une vingtaine d’années, Sang-Hoon fit don de sa maison bourgeoise à une association s’occupant d’enfants handicapés, qui la transforma en centre de soins et d’hébergement. Elle était foncièrement bonne.