On a fêté hier après-midi l’arrivée des papillons. Cet événement est loin d’être anodin dans la tribu, il signifie que les esprits des anciens sont venus se réjouir du début de la floraison et vont rester là pour veiller à une bonne fertilisation des fruits et une abondante récolte.Les enfants ont commencé par faire des rondes dans le village et, dès le coucher du soleil, le rythme effréné des tam-tams a entraîné tous les gens sur la place. Un des ouvriers du chantier s’est mis en devoir de m’expliquer la signification de chacune des danses, et a même réussi à m’entraîner sur la piste pour mimer la menace des charançons sur la récolte des céréales.Il ne doit pas être loin de minuit lorsque, m’étant éclipsé, je rentre fourbu dans ma case, un peu grisé d’alcool et surtout du martèlement des tambours. Je m’affale sur le lit sans même prendre le temps de quitter short ni chemise. Il ne s’est pas passé un quart d’heure, je ne dors pas encore, que le rideau se soulève et qu’une silhouette furtive se glisse à l’intérieur.Je veux me redresser et l’interpeller, mais tout de suite une voix féminine me fait « chut », et dans le même instant, une main vient doucement se poser sur mes lèvres. L’autre s’affaire à déboutonner ma chemise, puis à me griffer les mamelons. Bien vite réveillé par ce jeu qui n’est pas pour me déplaire, je fais passer par dessus tête sa tunique, la fille est nue dessous à l’exception d’une ceinture de coquillages. Ravi de ces préludes érotiques, je reste quand même un peu crispé à l’idée de ne pas savoir qui vient ainsi dans mon lit.Les danses de la soirée sont somme toute restées très rituelles, et je n’ai remarqué aucune femme qui ait eu à mon égard le moindre geste ni regard de sollicitation. D’ailleurs, autant que j’aie pu le constater depuis que je séjourne ici, on m’a délibérément tenu à l’écart du groupe des femmes. Les hommes mènent de leur côté leur propre vie sociale, mais les relations entre les deux communautés ne paraissent pas pour autant tendues. J’ai pu observer les taquineries occasionnelles, les rires partagés, et la connivence manifeste qui se dégage à travers la sensualité des corps pendant les danses. J’ai moi-même eu l’occasion, quelques fois, de partager la complicité de ces rires ou de ces taquineries, mais sans plus.Je pourrais me lever et allumer, ma case bénéficie, grand luxe, d’un branchement électrique. Mais je n’en fais rien, ce jeu de cache-cache dans l’obscurité me ravit. J’en suis donc réduit, tout en la picorant de baisers, à faire défiler dans ma tête toutes les possibilités. Les seins que je pétris ne sont pas les petits seins fermes d’une jeune fille, mais ceux, généreux, d’une femme ayant déjà allaité. Le corps épanoui ne me parait cependant pas lourd, et la femme, dans son caractère joueur, doit être encore jeune.Mais elle ne me parle pas, je n’entends de sa voix que les petits rires qui lui échappent. Quelque chose encore me gêne, c’est cette ceinture de coquillages qui me griffe la peau. J’essaye plusieurs fois de la lui ôter, mais chaque fois, anticipant mon geste, elle s’esquive avec de petits cris mêlés à ses rires. Elle parait même prendre un malin plaisir à me torturer avec, accentuant les ondulations de son ventre glissant sur l’intérieur de mes cuisses et provoquant d’insupportables griffures.Je lui parle moi-même à voix basse, peu désireux de porter à la connaissance de tout le quartier la nature de mon activité nocturne. Je loge dans la concession du chef et ma case est toute proche des autres. Fort heureusement, les tambours doivent couvrir nos chuchotements, mais je reste prudent, imaginant volontiers la sagaie ou la flèche du mari jaloux me cueillant demain en pleine poitrine au détour d’un bosquet. Je lui demande « Qui es-tu ? », et pour toute réponse, elle pouffe. Je lui dis les prénoms qui me viennent à l’esprit, et chacun l’amuse et l’excite d’autant. Elle se jette sur moi, me mordille ou bien me laboure les côtes de ses ongles.Nous alternons les joutes et les délicatesses. Elle me taquine de morsures, je l’immobilise les mains dans le dos et l’empale, sa tête enfoncée dans l’oreiller. Elle s’arrache à mon étreinte pour me gober le membre dans sa bouche tout en m’enfonçant un doigt dans l’anus. Nous peinons, bouche fermée, à étouffer nos cris de plaisir. Elle s’affale sur moi à l’issue d’un violent orgasme et je meurs de bonheur, écrasé sous son corps soudain abandonné, mes mains continuant à dessiner dans son dos des chemins vagabonds. La pause est de courte durée. Feignant de dormir encore, son vagin se met à me malaxer le vit comme on mâche un chewing-gum et, à peine suis-je rétabli dans ma virilité qu’elle retrouve elle aussi sa pétulance et que nous retournons à nos jeux tempétueux.Voilà bien deux heures qu’elle est avec moi, peut-être trois, puis d’un coup elle se lève et quitte précipitamment ma case. Je ne cherche pas à la suivre. Je passe le reste de la nuit dans une douce rêverie éveillée, tout en continuant d’échafauder les suppositions les plus farfelues.* * * * * * * *Quatre jours. Quatre jours et trois nuits que je flotte dans une indéfinissable langueur amoureuse. Je vis mes journées dans une distraction totale. Je travaille comme un automate, je parle, je mange comme un automate. Et quand la nuit vient, j’épie les mouvements du rideau de l’entrée. Je perds le sommeil à l’attendre, je veux croire qu’elle va revenir.J’ai dû m’endormir, je me réveille avec une main plaquée sur la bouche qui étouffe la question qui me vient immédiatement aux lèvres.Et sans même attendre ni espérer de réponse, je sais que ce n’est pas elle. La femme qui vient d’entrer est délicatement parfumée. Elle a des gestes qui me soumettent. Avec une émanation de tranquille autorité, elle arrête mes mains qui tentent de la saisir, elle fait reposer ma tête sur l’oreiller. Elle commence alors à promener sur moi des mains qu’elle a enduites de cette crème dont j’ai senti le parfum. Comme je reste encore très excité par mes envies de la questionner et surtout de la toucher, elle me devine et me dit d’une voix calme et pénétrante :— Ne parle pas, ne bouge pas, laisse-toi faire…Puis, retournant à son mutisme, elle laisse courir ses doigts comme des papillons, me révélant au passage des sensibilités tactiles que je ne me connaissais pas. Ma hampe dressée fait, elle aussi, l’objet de ce massage divin qui tantôt me pétrit, tantôt me chatouille, tantôt me réchauffe. Je finis par me soumettre avec une indicible béatitude, partagé entre ces ondes de plaisir qui me parcourent et la perception des mouvements de ce corps qui ne cesse de me frôler, invisible.Et puis soudain, elle me pousse sur le bord de la couche, s’allonge à ma place, me met dans les mains son pot de crème avec simplement ce mot :La chose est tellement inattendue. Je prends sur les doigts un peu de crème et je pars, tremblant d’une excitation craintive, à sa découverte. À la différence de ma première visiteuse, l’absence de contact avec celle-ci m’a jusqu’ici laissé dans une ignorance totale de sa plastique, de son gabarit et de son âge. Mon désir sexuel est complètement retombé, je suis maintenant à mille lieues de gestes érotiques.Je me sens comme un entomologiste qui vient de découvrir une colonne de fourmis et qui s’apprête à explorer la fourmilière. Ou bien comme on entre dans une cathédrale, envahi d’une religieuse émotion. Sous mes mains, son corps est parfaitement détendu, ses bras et ses jambes abandonnés sont à la fois lourds et mous comme des poupées de chiffon. Sa peau elle-même répond à mon contact non par des frémissements, mais comme vibre la caisse d’un violoncelle sous l’archet. Au passage de son cou, de ses seins qu’elle a larges et lourds, je reçois avec émoi la chaleur qu’elle me donne.Je suis tendu comme un acteur sur la scène, le feu brûle dans ma poitrine, mais ma gorge n’est pas nouée. Je lui demande…— Comment tu t’appelles ?…sans attendre une réponse qui vient bien plus tard, alors que je ne l’attendais plus :Je suis descendu jusqu’à ses pieds, elle a accepté que je lui en caresse les plantes, et je remonte maintenant le long des mollets et l’intérieur des cuisses. Et je m’arrête dans mon geste, envahi de nouveau par la proximité palpitante de sa motte que je crois deviner humide et odorante.Elle a bien compris mon trouble et, pour toute réponse, alors qu’elle était jusqu’ici restée inerte, sa main part en direction de mon entrejambe et me recueille délicatement les bourses. En même temps, elle écarte les jambes. Mes doigts viennent peigner sa toison, parcourent délicatement le contour de ses lèvres gonflées, et puis je suis pris du désir soudain d’y enfouir le visage, de la flairer, de la lécher, de goûter son nectar. Nous voilà tête-bêche.Je ne sais pas très bien si elle a reçu ma semence dans sa bouche, mon plaisir est venu tellement brutal, je suis ailleurs. Je suis en train de lui brouter le minou et plus rien d’autre n’existe. Je plonge ma bouche dans ces chairs tièdes et vibrantes, ma langue danse comme une toupie folle, je perds le souffle mais qu’importe. Je lui fiche dans la rosette mon majeur enduit de sa liqueur et je déclenche un séisme qui pulvérise l’échelle de Richter.Et je reste ainsi un long moment, couché sur le flanc, la tête enserrée entre ses cuisses, la truffe ensorcelée par ses lactescences aux parfums de sous-bois. C’est elle qui me secoue, se dégage et furtivement s’échappe, me laissant à une fin de nuit peuplée de questions et de rêves.Je sais d’elle un peu de sa voix et son parfum. Je connais son corps généreusement épanoui, son tempérament empreint d’assurance et d’autorité. Mais l’énigme devient plus complexe. Pas de fête cette fois pour expliquer cette incartade, rien pour donner un sens à cette gratuite offrande. Pas non plus la moindre plaisanterie échangée dernièrement avec une femme du village, pas de sourire un brin accrocheur. Je n’en connais aucune qui s’appelle Fleur.Les jours suivants me voient nerveux. Bien que le chantier que je dirige progresse correctement, je harcèle les ouvriers, je leur fais des reproches injustifiés. J’ai sensiblement accru ma consommation de bière et je me tiens aux aguets, comme pressentant l’imminence d’un danger. Il ne me reste rien de la douce langueur qui a succédé à ma première visite et pourtant me revient par bouffées cette étrange découverte de celui que je fus aux côtés de Fleur, néophyte tremblant, initié à un continent ignoré de la féminité, à une géographie de silencieuse adoration.Je ne guette vraiment plus rien quand se produit la troisième visite nocturne. Je traîne une méchante migraine que j’amortis à l’Efferalgan. Pourtant, je suis tout de suite redressé, assis sur le bord de ma couche. Elle s’assied à côté de moi et pose sa main sur la mienne.— Je suis Fatou, la première épouse du chef.Aucun doute là-dessus, je reconnais sa voix éraillée.— Il faut que je te cause, mon petit, je me fais du souci pour toi. Absolument.— Je ne suis pas trop d’humeur à causer, tu sais, j’ai une épouvantable migraine.— Ah bon, déjà ? Le marabout n’a pas perdu son temps.— Que veux-tu dire ?— Nous parlerons plus tard, je vais commencer par m’occuper de toi, je vais te désenvoûter.Elle dispose en cercle des bougies sur le sol de la case, me fait asseoir au milieu, les allume. D’une capsule qu’elle portait au cou, elle verse une poudre dans une coupelle et approche une allumette. Il se dégage maintenant une fumée âcre dans la pièce. Fatou tourne en psalmodiant autour du cercle de bougies, tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre.De temps en temps elle s’arrête, s’assied et se tape le cul par terre, se tire les cheveux en poussant de petits cris de douleur, puis reprend ses rondes et ces incantations chuchotées. Pour finir, elle est agitée de spasmes, se met à trembler pendant de longues secondes, les yeux révulsés.La transe s’interrompt net. En un instant, c’est une autre Fatou qui est sur pieds, qui éteint et ramasse les bougies.— Ça va ? me demande-t-elle.— Ça va, ma migraine a disparu.— Première étape terminée, mon garçon. Maintenant, il me faut te préparer à affronter les menaces à venir. Absolument. Allume la lumière, nous allons travailler au grand jour.Sous l’éclairage de la lampe, Fatou récupère des proportions humaines. C’est elle qui m’a installé dans cette case le jour de mon arrivée, c’est elle aussi qui présidait au banquet que le chef a offert le lendemain en mon honneur. C’est une maîtresse femme encore jolie, proche de la cinquantaine, la chair pleine, le verbe haut, le rire toujours prêt à fuser de sa gorge aux accents rocailleux. Et une opulente poitrine qui danse autant qu’elle rit.— J’ai un compte à régler avec ce vieux con de mari. Ça te débecte, une vieille ?— Tu veux dire… toi ?— Le feu du ventre, mon petit, je vais te donner le feu du ventre. C’est un grigri très puissant contre le marabout. Absolument. Mais ne sois pas effrayé.Joignant le geste à la parole, elle prend ma main, la glisse sous sa tunique et la pose sur ses seins.— Vois, c’est que du bonheur pour toi, mon bébé, viens donc enfouir ta tête là-dedans.Je suis effectivement totalement rassuré et c’est en toute innocence que je caresse de mes joues ses mamelles, que je gobe et mordille ses tétons. En toute innocence que mes mains s’adonnent aux jeux de l’exploration. En toute innocence qu’elle soupèse ma bijouterie.— Tu sais ce qu’il fait, ce vieux porc, en ce moment ? Il est en train de baiser sa quatrième épouse. Tu sais, Yumna, qu’on dirait sa fille. Et tu sais ce que je fais, moi, en ce moment ? Je me venge en baisant le blanc. Absolument.— T’as bougrement raison, Fatou. Mais, tu sais, l’autre jour…— Tu veux dire, les deux autres visites ?— Comment, tu sais ?— Ah, ah, tu ne les as pas reconnues ? La seconde et la troisième épouse.— Comment, Hibiscus et Hadiya ?— Absolument. Pour se venger, elles aussi, pendant que Monsieur se réservait Yumna pour la nuit. Vois-tu, le mari, il se croit super intelligent, il a calculé pour ne pas rendre ses femmes jalouses, il fait semblant de consacrer une nuit à chacune. Sauf qu’on se parle entre nous. Il reçoit Yumna un jour sur quatre, mais nous, il ne nous reçoit pas. Alors, tes visites, c’était leur vengeance aussi, à Hibiscus et Hadiya.— Mais il va me tuer s’il apprend.— C’est vrai, il veut te tuer, mais pas pour ça. Ça, il saura jamais. Et puis, t’as été bon avec elles, absolument. Elles m’ont tout raconté. Alors nous voulons te garder en vie.— Mais dis-donc, tu progresses, petit fripon. Doucement, là, pas trop vite, tu n’as pas franchi l’épreuve du feu. Allonge-toi.Elle reprend une des bougies et l’allume. De sa main libre, elle ouvre un boîtier qu’elle avait pendu au cou, se charge les doigts d’une bonne noix de crème qu’elle se tartine à l’intérieur de la vulve. Elle étouffe un grognement et je lis dans son regard comme une folle déflagration.— À nous deux, Cavallero.Ce disant, elle me saute dessus et s’empale sur mon braquemart. Tout aussi solidement que je suis planté en elle, elle plante ses yeux dans les miens.— Mon regard, tu le quittes pas.Mais ce n’était pas la peine de le dire, je comprends, je ne lâcherai pas la balise. La crème est en train de m’allumer un brasier. Ça commence par une agréable chaleur, ça diffuse dans tout le ventre. Elle bouge doucement de l’intérieur, et je sens se propager quelque chose qui ne ressemble en rien à la montée du plaisir.C’est une houle, ça grandit, ça grossit. Ça vire à la braise, à l’incandescence, ça devient rouge incendie, insupportable, je veux me retirer. Alors, elle incline sa bougie et me fait couler sur le torse un peu de cire fondue. Sous la brûlure, je réprime un cri et je serre les dents, mais la diversion m’a remis en selle pour l’épreuve du feu, je comprends que la maîtrise est à ma portée. Je transpire à grosses gouttes. Mon ventre est parcouru de spasmes comme si j’étais saisi de frayeur, je tremble de tous mes membres.Elle imprime de nouveau sa houle et mon dard me donne l’impression de se liquéfier, c’est du métal en fusion, je dois avoir les yeux complètement exorbités. Elle me suit attentivement dans mon épreuve, ses yeux à elle aussi sont méchamment allumés. Elle incline une seconde fois la bougie.Et là, il se produit en moi comme un déclic. Je viens d’abandonner ma peau d’homme blanc, je suis noir d’Afrique, noir nègre, ébène et charbon. Fatou me scrute de ses yeux jaunes aux pupilles fendues, riant de son rictus terrible.Je le reconnais, c’est l’esprit du village qui, sous les traits d’une hyène, vient s’offrir à moi. Je vais, je veux posséder le fauve carnassier. Notre accouplement reprend de plus belle, accompagné dans ma tête d’un assourdissant concert de tam-tams. Après… Après, je ne sais plus, j’ai dû délirer.Fatou est penchée sur moi, elle me passe des compresses humides sur le front.— Dors bien maintenant, mon bébé.Rassurée de me voir revenu à la conscience, elle s’éclipse.* * * * * * * *Quatre jours ont passé depuis la visite de Fatou. Ce matin, il s’est produit un accident au chantier. Un Caterpillar a écrasé la voiture du chef du village en reculant. L’accès y est pourtant interdit. Absolument. Qu’est-ce qu’il venait manigancer là, espionner ? Ça lui plaît pas, au chef du village, ce chantier. Tous ces ouvriers qui échappent à son autorité, les villageois qui commencent à vouloir s’y embaucher, et puis surtout les femmes qui viennent promener par là leurs jolis petits culs.Le chef a été sorti de son auto avec une jambe écrasée, on vient de l’emmener à l’hôpital de Bobo. Alors que je m’installe à l’ombre pour faire une petite sieste, je reçois la visite de l’esprit hyène et son sourire grimaçant. J’ai une pensée tendre pour Fatou et son puissant grigri. La vie est avec moi.