À quel moment ça a commencé à merder ?Pour la première fois de ma carrière de braqueuse, me voilà en cavale.C’est ce que j’étais en train de me dire, à l’arrière du taxi qui m’amenait vers le nord de Paris :— Laissez-moi à Jaurès, j’ai dit au chauffeur, en lui tendant deux billets de vingt euros.Mais reprenons cette histoire au début. Je m’appelle Cassandre, j’ai trente-cinq ans. Mon nom n’a aucun intérêt, j’ai pris de nombreux patronymes au cours de ces dernières années. Cassandre, donc, ça suffira. D’ailleurs, en ce moment, mon identité d’emprunt est Clara Masson.Oui, je suis une braqueuse. Une femme dans le grand banditisme ? C’est rare. Une parmi les premières depuis… Calamity Jane ou, plus près de nous, Bonnie Parker. Une braqueuse à l’ancienne, comme on dit.Comment j’en suis arrivée là  ? C’est une longue histoire. Je vous la fais courte. Du classique, abandonnée à la naissance, ASE, foyers, familles d’accueil (plusieurs), mauvaises fréquentations à l’adolescence, puis réaction. Quitte à être en dehors du système et des lois, et plutôt que de finir toxicomane, j’ai choisi de faire les choses pour moi et non plus contre les autres et contre le monde.Au fil du temps, je me suis constitué un réseau et une réputation. Passablement bonne, la réputation, encore que de parler de bonne réputation dans le milieu, c’est osé. Enfin bref… J’ai fait peu de coups dans ma carrière, mais à chaque fois, cela s’est plutôt bien passé. Mon identité n’est pas connue des services de police, comme on dit dans les médias. À peine mon signalement, en fait, ou un vague portrait-robot pas très fidèle, une fois.Il y a un mois, j’ai été contactée par Bernard Cesari. Il m’a proposé un hold-up dans une agence bancaire. Braquer des banques, ça ne se fait plus. Il n’y a plus de liquide sur place, il n’y a donc pas d’intérêt à le faire. Et pourtant, Bernard a eu vent que chaque mois, à date fixe, de grosses sommes, environ  500 000 euros transitent dans une agence HSBC de Montrouge et y restent pendant un laps de temps très court. A priori, c’est de la magouille, liée à l’évasion fiscale et au blanchiment. D’après Bernard, c’est un caïd parisien, Milan Zivanovic, qui a monté ça pour blanchir une partie des sommes de ses trafics divers et variés. L’argent prend ensuite discrètement la direction du Luxembourg, ou d’un autre paradis fiscal, où on n’est pas regardant sur la provenance des fonds. Le directeur de l’agence est dans la combine. Après le coup, il faudrait donc se mettre au vert pour se faire oublier. Zivanovic et ses tueurs ne seraient pas heureux. Surtout, il faudra la jouer discrètement.Il fallait donc aussi agir au bon moment, avant que le liquide ne s’évapore dans la nature. C’est surtout qu’attaquer un camion de convoyeurs de fonds au mortier, ce n’est pas vraiment mon genre.Avec ma part du butin, j’avais l’intention de m’acheter une vieille maison isolée en Ardèche, par exemple. J’avais aussi l’envie d’emplir la cave de la maison avec des grands crus et de glander pendant une année, avant de monter le coup suivant. Entre cueillette des cèpes et lecture du théâtre d’Eschyle, un an, ça passe vite. En fait, non, j’avais même envie de reprendre l’ensemble des tragédiens grecs. Parfait pour passer le temps sur un hamac sous un figuier, ou devant un feu de bois à partir de l’automne. Je pourrais même prendre un vieux chien à la SPA, pour lui permettre de passer sa fin de vie tranquille.Bon là , l’Ardèche, les champignons, les tragédiens grecs, le vieux chien, on n’en prenait pas le chemin. J’en étais plutôt à me dépêtrer de la mélasse où je me trouvais.Bernard Cesari, je le connaissais depuis plusieurs années. Un gars sûr, comme on dit. J’avais déjà monté deux coups avec lui.Seulement, braquer une banque à deux, c’est compliqué. Il m’a proposé de faire ça avec un certain Karim Menouar. Même si je n’aime pas travailler avec des gars que je ne connais pas, ce Karim avait une assez bonne réputation dans le milieu. Alors pourquoi pas ? Là où j’ai moins apprécié, c’est, quand Karim a voulu mettre dans le coup, Rachid, son jeune frère, qui n’avait aucune expérience. Inexpérimenté donc, mais aussi trop jeune, saurait-il garder ses nerfs en cas de coup dur ? Je me suis laissée convaincre, Rachid ne devait faire que le chauffeur et nous attendre dans la voiture pendant le braquage.C’est ainsi que nous sommes entrés, masqués, en fin de matinée dans cette agence HSBC de Montrouge, en banlieue parisienne. Bernard portait un masque de Batman, Karim de The Green Lantern, deux super héros de l’univers DC, et moi, pour faire bonne mesure, un masque d’Harley Quinn.Tout s’est bien passé dans l’agence. Rien que le fait de montrer nos armes et de parler fort a suffi à nous faire remplir trois sacs pleins de billets.Je suis sortie la première de l’agence avec un des trois sacs. C’est là que ça a commencé à dérailler.Rachid était descendu de la voiture et tenait en joue un policier en uniforme au sol. Déjà , un chauffeur ne descend jamais de la bagnole :— Je vais te tuer, connard, hurlait-il.— Rachid, remonte dans la voiture, on se casse de là …— Je vais le tuer ce flic, répéta-t-il le visage déformé par la haine.On ne tire pas sur un policier, sauf si on y est obligé. C’est une règle du banditisme.Apparemment, le flic en uniforme était seul, encore un qui passait là par hasard et qui a voulu jouer les héros, où verbaliser la voiture garée sur une place non autorisée. Enfin, seul, mais pas pour longtemps. Une voiture de patrouille est arrivée et s’est arrêtée de l’autre côté de la place. Trois policiers en sont descendus et se sont postés derrière, nous mettant en joue.Bernard et Karim sont sortis de l’agence, au moment où j’interpellais une dernière fois Rachid :— Arrête de déconner, baisse ton arme, Rachid.J’ai tiré une balle, visant l’épaule droite de Rachid. Je suis plutôt bonne tireuse, mais là , dans l’affolement, j’ai touché plus bas. Rachid a laissé tomber son arme et s’est écroulé, raide mort.Karim a crié :— Salope, elle a tué mon frère. Et il a pointé son arme vers moi.C’est là que ça a commencé à tirer de tous les côtés. J’ai vu Bernard puis Karim tomber, touchés par les balles des policiers.Comment, j’ai réussi à me dépêtrer de ce bourbier ? Je ne sais pas trop, mais j’ai pu monter dans la voiture qui attendait toujours, moteur tournant, et quitter la place avant que les policiers ne réagissent.Un miracle que je m’en sois sortie sans une égratignure ! J’ai même conservé et jeté sur le siège passager mon sac plein de billets.J’ai abandonné le véhicule dans le 14e arrondissement, j’ai marché une dizaine de minutes, avant de prendre ce fameux taxi jusqu’à Jaurès.Voilà toute l’histoire. Un hold-up qui tourne à la cata la plus complète. J’en étais là .oooOOoooDe Jaurès, j’ai continué à pied le long du canal de l’Ourcq, vers République. Près de l’Hôtel du Nord, alors qu’il n’y avait personne, ni derrière, ni devant, ni ailleurs, j’ai sorti le pistolet et mon téléphone portable de mes poches et j’ai jeté discrètement le tout dans le canal. Le flingue avait tiré, il était donc marqué et inutilisable. Si les flics me trouvaient en possession de cette arme, mon compte était bon. Le téléphone, pareil, il avait borné à Montrouge à l’heure du hold-up, il fallait que je m’en débarrasse.J’ai marché pendant presque une heure, pour encore plus brouiller les pistes, même si j’étais persuadée de ne pas avoir été repérée et suivie. Place de la Nation, j’ai pris un nouveau taxi qui m’a amenée à Chaville. Il m’a déposée à cinq cents mètres du petit pavillon en pierres de meulière que je possède là -bas. Personne ne connaît cette adresse, c’est un peu ma base arrière.Au fond d’un placard, les lattes du plancher ne sont pas fixées et camouflent une cache. Il suffit juste de les déclipser. J’y ai pris un nouveau jeu de papiers, passeport, carte d’identité, permis de conduire, le tout au nom de Séverine Blanchet. Une carte grise, toujours au nom de Séverine Blanchet, pour l’Audi Q5 qui dormait dans le garage du pavillon. Enfin, deux cartes de crédit, Visa et American Express, reliées à un compte, encore au nom de Séverine Blanchet, où dormaient quelques milliers d’euros, s’ajoutèrent à l’ensemble. Et surtout, j’ai extirpé de la planque un pistolet Walther PPK/S nickelé, cal.22 Lr, avec trois chargeurs. Pour faire bonne mesure, j’ajoutai au tout, une grenade, qui compléterait le reste de l’arsenal, dans la boîte à gants de l’Audi. La majeure partie de l’argent du hold-up rejoignit la cache. Je n’ai gardé que quelques centaines d’euros.J’avais l’intention de mettre rapidement de la distance entre Paris et moi. Même si les contrôles aux frontières n’existent quasiment plus en Europe, la frontière franco-belge a un gros avantage, elle est truffée d’endroits où au début d’une rue on est en France, à l’autre bout en Belgique. Trois heures plus tard, j’étais donc au volant de mon Audi, sur l’autoroute entre Tournai et Bruges.Europe 1 – notre flash d’information : hold-up sanglant ce matin à Montrouge, trois braqueurs tués, un dernier en fuite. Un policier légèrement blessé… Réchauffement climatique, l’Europe décide de…J’ai changé de station. Un braquage qui finit avec trois morts n’est pas un bon braquage. De plus, la police et les médias n’avaient pas grand-chose à dire sur le braqueur en fuite ! Le braqueur en fuite et non pas la braqueuse, d’ailleurs. Ils n’avaient rien. L’identité de Bernard, de Karim et de Rachid, en revanche, pourrait donner une piste à Zivanovic et à ses sbires. Dégager du paysage et me faire oublier était donc plus qu’indispensable.Bruges me paraissait le point de chute idéal. C’est une superbe ville. Parfait pour m’y mettre au vert quelque temps. D’autant plus qu’à cette époque de l’année, l’endroit devait regorger de touristes. L’idéal pour se perdre dans le décor.J’ai pris une chambre d’hôtel à Tielt en début de soirée, puis j’ai continué ma route le lendemain matin.J’ai passé la matinée à Bruges, visitant le musée Memling, me promenant le long des canaux, puis j’ai pris la direction d’Ostende, avec la ferme intention de déjeuner dans un restaurant de poissons.J’ai choisi un joli établissement avec des banquettes en cuir bordeaux et des lampes en cuivre.Le maître d’hôtel m’a installée à une table à côté de ce qui entre dans la catégorie des « blondes époustouflantes ».Elle regardait vaguement la carte en dégustant un porto hors d’âge de la Maison Quinto de Noval, d’après la carte des apéritifs. Un Noval Nacional 2000, pour être précise, célèbre pour les spécialistes pour sa densité et sa complexité. Une connaisseuse sûrement, donc. Ou bien une non-connaisseuse chanceuse qui est tombée sur le haut de gamme du Porto sans le savoir. Quoique, vu le prix du verre, une non-connaisseuse n’aurait pas pris ça.Elle tourna la tête vers moi et je fus subjuguée par ses yeux bleus. C’était vraiment un beau regard, avec quelque chose de spécial dans la couleur. Ces yeux-là devaient changer de couleur selon l’éclairage, les sentiments ou l’humeur de la propriétaire.Comment ne pas être ébahie ? Comment ne pas décider de s’occuper furieusement des yeux en question ? Impossible de faire autrement.J’ai arrêté de réfléchir. Je lui dis (sans vraiment réfléchir, donc) :— J’ai l’intention de vous inviter à parcourir les belles plages flamandes cet après-midi.Elle semblait indifférente. M’avait-elle entendue ? Mais si, elle m’avait entendue. Elle tourna légèrement la tête vers moi, et me dit :Puis :— Pour quoi faire ?Manifestement, elle réagissait comme une femme qui avait l’habitude de se faire draguer. Mais elle semblait complètement décontenancée par le fait qu’il s’agissait d’une autre femme (moi), qui la drague :— Je ne sais pas vraiment. Comme ça… Vos yeux, très certainement…Elle avait une voix claire. C’était magnifique.Elle portait une jolie robe boutonnée par-devant. Une très belle robe estivale blanche.Elle avait la tête légèrement tournée vers moi. D’un geste, elle fit passer une mèche de cheveux blonds qui pendaient près de sa joue derrière son oreille :— Vous me draguez ? me dit-elle d’un ton mi-incrédule, mi-amusé.— Surprise ?— Oui, en effet, je n’ai pas l’habitude.— De vous faire draguer ?— Par une femme, je voulais dire.— Ça vous choque ?— Ça ne me choque pas. Mais je ne suis pas intéressée.— Pourquoi ne serait-ce pas simple ? dis-je. On peut aller se promener, sans se poser plus de questions.— Je veux bien que ça soit simple. Le plus simple, c’est que nous ne nous parlions pas.— Trop tard, c’est chose faite.J’avais envie de me mentir un après-midi, et pourquoi pas une soirée. De bien me sentir. Ne plus penser aux flics, ne plus penser à Milan Zivanovic, à Bernard, à Karim ou à son frère que j’avais tué la veille. J’avais juste envie de discuter avec cette fille blonde aux yeux superbes, à la bouche bien dessinée, avec un joli ourlet de la lèvre supérieure, et qui rangeait ses cheveux derrière son oreille d’un geste machinal, mais splendide.J’insistais donc :— Pardon, oui, j’ai en effet décidé de vous draguer.Elle rit. J’allais à la rencontre de ses yeux, un peu plus sombres que tout à l’heure, outremer, presque violets. Le langage de son regard et de ses changements de couleur m’était inconnu, je n’en tirais donc aucune conclusion sur son état d’esprit. Un nouveau geste donna du galbe à son sein droit.On m’apporta ma commande. Elle en était encore à son verre de Porto :— Prenez le turbot aux câpres, dis-je. Il est excellent. La sauce est légère et bien équilibrée. Ni trop citronnée, ni trop crémée… C’est très bon. Et nous pourrons partager cette bouteille de Chablis.— Et ensuite, nous irons visiter ces fameuses plages, n’est-ce pas ?— Ensuite, nous irons visiter ces fameuses plages, en effet.J’avais l’impression de lire dans sa tête. La gêne d’abord, puis la curiosité, la pointe d’amusement aussi. Elle se méfiait, semble-t-il. Puis elle semblait calculer, je ne savais pas du tout quoi. Et puis elle eut l’air rassurée. Je voyais de moins en moins pourquoi :— D’accord pour le turbot et le Chablis, dit-elle.À son tour, elle a commandé. Nous avons discuté, chacune à notre table, côte à côte. Je suppose que nous devions avoir l’air un peu ridicules, toutes les deux, pour un éventuel observateur. Nous nous sommes sûrement posé la question de savoir si nous étions en vacances, ce genre de choses sans trop d’intérêt :— Nous irons voir la chapelle des Dunes, dis-je pour remettre sur le tapis ce que j’avais commencé à faire tout à l’heure.— Si vous voulez… Enfin, nous verrons…— Je ne sais pas si cela sera passionnant, mais le nom m’inspire.Je notais qu’elle n’avait pas dit non, même si ça manquait d’enthousiasme.À ce moment-là , son regard dériva vers la vitre et la rue. Ses yeux se sont éclaircis d’un seul coup, virant au bleu clair, presque gris. Un mélange d’énervement et d’angoisse se lisait sur son visage. Je ne vis d’abord rien de particulier. Ensuite, j’ai aperçu une BMW X5 noire qui passait au ralenti devant le restaurant. Il y avait deux types à bord, et j’ai distingué que les plaques étaient françaises. Celui sur le siège passager regardait attentivement vers le restaurant.Il semblait bien que ce fût cela qui provoqua de tels sentiments chez elle. Je ne vis rien d’autre de significatif. Son regard revint vers moi, reprenant sa couleur habituelle, et elle dit d’une spontanéité toute fabriquée :— Je vais prendre les myrtilles en dessert.— D’accord pour les myrtilles, dis-je.— Et d’accord pour la chapelle des Dunes.Nous avons payé, chacune notre part, et nous sommes sorties sur le front de mer. Plus aucune trace de la BMW qui faisait éclaircir son regard. Qui pouvaient bien être ces deux types ? Un amoureux éconduit que ma présence à ses côtés éloignerait peut-être ? Avait-elle accepté ma proposition uniquement pour ça ?Debout et marchant sur le trottoir, en pleine lumière et dans sa robe blanche, elle était encore plus belle.Elle est allée vers une Mercedes classe S noire. Le fait que cette voiture fut la sienne m’étonna. Je l’aurais plutôt vue dans une Mini Cooper, ce genre de voiture plus féminine, mais sportive. Bon, arrêtons les clichés. Je notais les plaques françaises en Haute-Savoie :— Cela vous dérange que l’on prenne la mienne ? me dit-elle. J’ai envie de conduire.— Du tout. J’espère juste ne pas trop vous ennuyer, histoire de ne pas rentrer à pied.Ma remarque eut l’air de l’amuser. Mais quelque chose semblait la tracasser sérieusement. Elle s’assit au volant de la berline et je me demandais d’où elle tenait une aussi grosse bagnole, pendant qu’elle changeait ses escarpins contre des chaussures plus plates. Une Mercedes de cette taille n’allait pas avec ma jolie blonde, ça ne collait pas avec le personnage.Je la guidais vers la sortie d’Ostende et la route côtière. J’ai abaissé le pare-soleil et le miroir de courtoisie me renvoya la calandre d’une BMW X5 noire, immatriculée à Paris, à quelques mètres derrière nous. Qu’est-ce que c’est que ces histoires ? À une intersection, la BMW prit sur la droite, direction Bruges. Je devais rêver. Déformation professionnelle, sûrement. Parano professionnelle, plutôt… le syndrome de tout trouver louche.La robe blanche était remontée au-dessus des genoux. Un très léger duvet brillait sur la peau bronzée du bas de la cuisse. C’était magnifique.Elle se tourna vers moi et dit :— C’est vraiment très bien que nous nous soyons rencontrées. En plus, vous avez l’air très gentille.C’était un compliment assez mal tourné. Moi : très gentille ? Si elle savait !— Et si vous nous mettiez un peu de musique, ajouta-t-elle en désignant la boîte à gants d’un geste du menton.Je fouillais dans les quelques CD entassés là . J’hésitais entre une compilation maison de The Cure et Bach. Ma blonde magnifique avait des goûts éclectiques et sûrs. Même si réécouter « Picture of You », « Lullaby » ou « Play for Today » eut été agréable, j’optais pour les trois premiers concertos pour violon de Bach. Le premier mouvement du BWV 1401 a des accents « vivaldiens » certains.— Oh, vous aimez ça aussi ? dit-elle en ne quittant pas la route des yeux.Nous longions la côte maintenant. Je résistais à l’impérative envie de poser ma main sur son genou.Le paysage sur notre gauche, la musique qui envahissait l’habitacle, les sièges en cuir très confortables de la Mercedes, cette splendide femme à côté de moi. Instant de quiétude… « Il y a longtemps que je n’ai pas été aussi bien » pensais-je. Et elle dit :— Il y a longtemps que je n’ai pas été aussi bien.S’il n’y avait pas eu cette histoire de BMW X5, mais certainement, je rêvais, je me serais laissée aller complètement :— C’est vraiment très gentil, dis-je.— Je ne sais pas pourquoi, tout cela est à la fois… futile et important.À ce moment précis, le violoniste réussissait fabuleusement l’éblouissant allegro du deuxième concerto.Sur notre gauche, les dunes s’étalaient sur une largeur d’une centaine de mètres, découvrant parfois la mer du Nord entre deux proéminences de sable : des montagnes instables en miniature.— On s’arrête là  ? me demanda-t-elle.— Ça sera parfait.Il y avait un ciel limpide, en harmonie avec ses yeux. Le vent léger nous décoiffait :— Je m’appelle Juliette, Juliette de Vernay, me dit-elle.— Cassandre, Juliette vous va très bien.— Merci Cassandre.Je la regardais, pris un moment et lui dis :— Et je vous trouve tout à fait désirable.Elle ne répondit rien. Le vent faisait toujours voler ses cheveux blonds. Elle eut un nouveau mouvement (vain) pour remettre ses mèches derrière ses oreilles :— La mer est loin ?— Je suppose que non.— Finalement, vous n’êtes pas une guide formidable !Nous avons repris notre progression entre les dunes, pédalant dans le sable. Nous marchions côte à côte. J’avais envie de lui prendre la main. J’allais le faire, quand elle se tourna vers moi, comme si elle allait me dire quelque chose, puis y renonça. Il fallait que je reprenne mon sang-froid. Elle n’allait tout de même pas me faire une déclaration d’amour. La route et la Mercedes disparurent derrière une dune. On ne voyait pas encore la mer. Seules au monde en quelque sorte…— C’est vraiment chouette.— Oui. Je ne suis pas une guide formidable, mais j’avoue que c’était surtout un prétexte.Elle rit. Un oiseau marin nous a survolées un instant, avant de repartir vers la mer. À gauche, il y eut un léger bruit, puis une détonation et un peu de sable qui gicla sur nos pieds.En général, je ne suis pas longue à réagir en de telles circonstances. On venait de nous tirer dessus. Le tireur était invisible. J’ai attrapé Juliette par le bras et je l’ai entraînée derrière la dune suivante.Le tireur a récidivé. Trois coups successifs. Et mon Walther PPK qui était resté dans l’Audi à Ostende, à quinze kilomètres d’ici. Et nous étions parfaitement seules. Je ne savais pas qui, je ne savais pas pourquoi, mais on nous tirait dessus. Ma promenade amoureuse s’arrêtait là .La dernière balle fit voler le sable sur l’arête de la dune derrière laquelle nous venions de nous coucher.La réaction de Juliette m’étonna particulièrement. Au lieu de paniquer, comme elle aurait dû, elle dit simplement :— Merde… Merde… en fouillant dans son sac en cuir Hermès.Elle en extirpa une arme assez invraisemblable. Il s’agissait d’un pistolet, a priori un Astra, datant de la guerre d’Espagne, je pense. Il a été utilisé autant par les républicains que par les fascistes à l’époque. Depuis, c’est juste devenu une arme de collection.Sur le coup, j’évitais de me demander pourquoi ma jolie blonde se trimballait avec ce truc antédiluvien.Une silhouette en costume beige est apparue derrière une dune, immédiatement suivie d’une autre silhouette en costume noir.Le costume noir obliqua sur la gauche, espérant nous prendre à revers. Le costume beige s’approcha de nous, un pistolet automatique de marque indistincte à cette distance, à la main.S’ils se montraient comme ça, c’est qu’ils pensaient que nous n’étions pas armées. Sinon, ils feraient moins les malins.— On va essayer de retourner à la voiture en tournant par la droite, dis-je. Les dix coups de votre Astra devraient les tenir à distance.— Vous vous y connaissez en armes ?— Euh… je suis collectionneuse, dis-je impassible.Que d’erreurs de leur part ! Trop sûrs d’eux, certainement. J’avais le sentiment que ce n’est pas à moi, mais à Juliette qu’ils en voulaient. Beaucoup trop tôt pour que les sbires de Zivanovic aient pu me retrouver en plus. J’avais bien noté sa réaction lorsqu’elle avait vu la BMW devant le restaurant.Le costume noir était toujours invisible. Contourner les hautes dunes sur notre côté lui prendrait encore deux minutes au moins.Le costume beige fit un nouveau pas en avant, avant de s’apercevoir que Juliette était armée. Il eut une hésitation avant d’avancer encore… beaucoup moins sûr de lui, pour le coup.— Tirez, dis-je à Juliette au moment exact où elle le fit.C’est fou ce que l’instinct de conservation peut produire comme réflexes identiques. Beau sujet de thèse, d’ailleurs ! Titre de la thèse : « Des réflexes similaires en situation conflictuelle » ? Bon, passons, pas le moment de s’égarer.La balle est passée largement au-dessus de Costume beige. Vu comment elle tirait, elle n’allait pas lui faire beaucoup de mal.— Je peux ? dis-je en tendant la main pour récupérer le pistolet.Elle me céda son arme. J’ai visé et tiré dans la foulée. Costume beige fut stoppé net dans son projet de faire un autre pas en avant. Il fit de bizarres gestes avec les bras, des tourniquets comme pour brasser de l’air, lâcha son arme et tomba à la renverse.J’ai pris Juliette par le bras et nous nous sommes mises à courir vers le type au sol.Et voilà , situation retournée à notre avantage. Surtout que j’avais maintenant en main un Walther modèle P1 ayant appartenu à Costume beige. L’ancien propriétaire de cette chose n’était pas encore mort, mais la balle de l’Astra avait dû faire des dégâts irrémédiables dans son poumon gauche. Derrière nous, je vis la silhouette de Costume noir qui contournait la dune.— Voilà l’autre, on file de là , dis-je à Juliette en la prenant vers la main.Notre promenade sur la plage prenait l’eau.Je tirais avec le Walther P1 vers Costume noir, histoire de le faire se coucher au sol derrière une dune, juste le temps de faire les poches de Costume beige et d’embarquer son portefeuille.Trois cents mètres jusqu’au parking. Costume noir derrière nous avait disparu. L’avais-je touché ? Je ne crois pas. Se méfiait-il du fait que maintenant nous étions armées ? À coup sûr.Nous sommes arrivées à la route côtière, la BMW X5 était garée derrière la Mercedes.J’attendis qu’une voiture passe, puis je me suis approchée de la BMW.— Que fais-tu ? me dit Juliette.Je notais le tutoiement. Sûrement, devait-elle considérer que dorénavant nous étions sœurs d’armes et que ça créait des liens :— Je vais lui faire faire un peu de stop à ce monsieur à nos trousses.J’ai tiré une balle dans chacun des pneus du côté droit de la voiture. Le bruit du vent couvrit le bruit des détonations.Nous sommes parties en trombe au moment où Costume noir arriva sur le bas-côté cinquante mètres plus loin. Je lui fis un petit signe de la main par la vitre ouverte de la Mercedes.Après avoir roulé en silence quelques minutes, elle me dit sans me regarder :— Vous êtes une alliée utile.Elle avait repris le vouvoiement. Elle n’avait pas l’air d’avoir pris de décision définitive à ce sujet.— Je ne vois pas en quoi ? C’est toi qui as presque tout fait. Hormis le tir final, bien sûr.On aurait dit que nous échangions des politesses de salon, dans le genre, « c’est vous », « mais non, voyons, c’est vous ».Le silence s’installa à nouveau. Nous approchions d’Ostende. Je me demandais s’il était prudent de rester avec cette fille dans ma situation. Elle avait l’air de représenter une grosse source d’emmerdements divers et variés. Est-ce que ses jambes magnifiques, sa bouche si bien ourlée, ses beaux cheveux or et ses yeux bleus à couleur changeante suffisaient pour continuer ? Ma curiosité congénitale prit le dessus, oui, ça valait le coup :— Vous êtes qui ? me dit-elle, rompant le silence.— Et toi ?J’insistais avec le tutoiement, un peu une façon de marquer le territoire :— Là n’est pas la question.— Je crois bien que si. Tu sais qui veut te tuer ?— Je pensais bien que vous me poseriez la question.— Elle n’est pas indécente ma question, il me semble ? On se prépare à une idylle romantique sur une plage immense, à la place on trouve des tueurs et des jeunes filles délicieuses équipées d’Astra de la guerre d’Espagne.— D’accord, tu as le droit à quelques explications.Retour au tutoiement…— C’est gentil. Tu as un flingue, mais visiblement, tu ne sais pas t’en servir.— Toi, tu sais apparemment.— Je ne peux pas le nier. Alors ?— Alors, c’est compliqué.— C’est toujours compliqué ! Tu hésites ? Tu penses que je suis avec eux ? J’en ai dessoudé un, je te rappelle. Je crois que tu peux me faire confiance.— Je te dirai tout. Mais pas là . Tout à l’heure. Là , il faut que… je me remette un peu.Maintenant, elle avait l’air d’accuser le coup. Tout cela était confus. Je la revoyais sortir son arme de son sac à main et tirer.Elle ajouta d’une petite voix :— Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?Manifestement, elle paniquait légèrement, du moins elle se sentait perdue.— On récupère ma voiture, on va à Bruges. J’y ai une chambre d’hôtel, on y sera tranquille au moins jusqu’à demain. Le temps que le gugusse répare sa voiture et appelle du renfort. Ah ! Et on laisse ta Mercedes à Ostende. Trop voyante. On va rouler plus modestement en Audi Q5.Avant de monter dans mon Audi, j’ai sorti le portefeuille du type qui était resté dans les dunes. Mince portefeuille. Il contenait une carte d’identité française, évidemment fausse. Il ne s’appelait pas Costume beige, finalement. La carte était au nom d’Aurélien Vasseur. Plus passe-partout comme blaze, tu meurs. D’ailleurs, il était bien mort, le type. Arrêté en pleine action par une balle de 9 mm. Relation de cause à effet ? Pas certaine. Il y avait aussi mille euros, en billets de cinquante. J’empochais l’argent, prise de guerre :— Pas très passionnant, dis-je.— C’est évidemment un faux, répondit-elle en regardant la carte d’identité.Elle en savait des choses, la jolie jeune femme… Je me demandais comment elle avait appris à distinguer une vraie carte d’identité d’une fausse. Surtout que dans le cas présent, ça n’avait rien d’évident. Il faut, comme moi, en avoir utilisé de nombreuses, pour trouver le défaut. Ou alors, être flic… Ça me traversa le crâne, comme ça. « Ou alors il faut être flic ». Mais les flics sont ventripotents souvent, bêtes souvent, de genre masculin souvent et vont toujours par deux. Ils ont des armes réglementaires et pas des objets de collection et savent s’en servir. De toute façon, on ne fournit pas aux flics, comme voiture de fonction, des Mercedes classe S avec toutes options et cuir intégral. Ils ne lient pas conversation dans des restaurants de bord de mer avec n’importe qui et n’acceptent pas de promenade digestive et romantique sur les plages. Bref, ça se repère, un flic.Elle, elle avait surtout l’air paumée, même si elle avait réagi avec sang-froid quand ça canardait.— Ah bon, c’est un faux ?— Oui… Enfin bon, je crois…— Tu serais quand même vraiment gentille d’être un peu plus claire et de me…— Tu veux être sympa ? On termine la journée, on dîne, on va à ton hôtel, je trouverai une autre chambre pas loin de la tienne. Et on en rediscute. Là …— Tu crois que j’ai prévu tout ça ?— Oui, je pense même que tu songes à la suite, au fait qu’il n’y aura peut-être pas d’autres chambres de disponibles.— Petite insolente.Je ris.— J’avoue que l’idée m’a effleurée. Je nous vois bien dans une luxueuse chambre d’hôtel, passant le temps à de lubriques occupations dans un lit king size.— Tu te moques tout le temps, n’est-ce pas ?— Pas tout le temps, non. Mais comme disait l’autre, je préfère rire de tout, avant blablabla, tu connais la suite. Bon d’accord, on va à Bruges, on va dîner. Et en contrepartie ?— Tu ne me quittes pas d’un centimètre.Elle me regardait par en dessous et toujours le même geste pour remettre en place ses mèches blondes derrière son oreille. Le mieux aurait été de foutre le camp, là , tout de suite. Je n’en fis rien, et en plus, je décidai d’arrêter de lui demander de tout me raconter. C’était du suicide ce truc-là . Restait à organiser le suicide. Un suicide bien ordonné commence par soi-même.Nous avons donc transféré ses bagages du coffre de sa Mercedes à celui de mon Audi.oooOOoooNous avons dîné dans un restaurant dont les baies vitrées donnaient sur le canal. Très joli, romantique au possible, mais pas très discret, surtout le soir. Juliette s’était donné un coup de peigne, avait réajusté son maquillage discret et fleurait bon Poison de Dior. J’ai un faible pour Poison.Pas de traces de nos suiveurs, depuis l’épisode de la plage, ce qui ne voulait rien dire du tout. Costume noir, le survivant des dunes avait dû appeler des petits copains en renfort. Certainement, mais s’ils venaient de Paris, ils n’étaient pas arrivés encore.Et toujours l’éternelle question. Étaient-ils là pour moi ou pour elle ? Elle m’avait demandé lors du dîner de ne pas reparler de ça de la soirée. Elle m’expliquerait tout le lendemain matin. Je pense, surtout, qu’elle cherchait à gagner du temps pour inventer un bobard plausible.Nous sommes rentrées à mon hôtel en suivant les petites rues piétonnes animées à cette heure de la soirée. Nous nous arrêtions régulièrement devant les vitrines éclairées des magasins, pour regarder les montagnes de chocolat amoncelées là .Le réceptionniste nous indiqua que l’hôtel était complet, plus une seule chambre de libre pour Juliette :— C’est ce que je craignais, dis-je de façon hypocrite et en écartant les mains d’un signe fataliste. En cette saison, c’était couru d’avance.Une fois dans la chambre, j’ai décidé de laisser Juliette déballer ses bagages et de descendre faire un tour du quartier, au cas où, et surtout récupérer dans ma voiture le Walther PPK que je ne n’avais pas voulu amener au restaurant.Je me penchais dans l’habitacle de l’Audi pour ouvrir la boîte à gants, quand j’entendis une voix derrière moi, une voix avec un accent des faubourgs me dire :— J’comprends très bien qu’tu veux baiser avec elle. C’est humain, hein ! Enfin, pour une gouine. Parce que t’es une sale gouine, hein ? J’pense du reste qu’mon tour viendra. Après. Enfin, bon, moi, faudra que j’la force un peu.Il me poussa un peu plus dans l’habitacle de la voiture, bloqua la portière contre ma cuisse et me dit :— Surtout, bouge pas, connasse, j’suis armé. Compris, connasse ?Cet abruti disait tout le temps gouine et connasse, apparemment. Pas très aimable, mais il ne devait pas pouvoir s’adresser aux gens autrement. Dans la position où j’étais, je ne vois pas comment j’aurais pu bouger, il m’avait coincée. La seule solution pour me dégager aurait été de repousser la portière en arrière et si possible le gugusse avec. Peu de chance de réussite, parce qu’il savait aussi que c’était ma seule possibilité et il devait s’y être préparé. Enfin, si son esprit lui permettait de penser à deux choses à la fois, me traiter de connasse, de gouine et anticiper mes actions.Il poursuivit, très sûr de lui :— Bon, on n’sait pas trop qui t’es, connasse, mais on va t’faire une fleur. Alors tu baises avec elle et après, tu fous le camp. C’est ça qu’tu veux, hein connasse ? Nous, après, on a des choses à lui d’mander qui t’regardent pas. Donc, profites-en, pace qu’sûrement qu’après, j’suis pas certain qu’on la r’connaisse. Tu comprends, connasse ? On est sympa, on t’laisse jusqu’à d’main matin. T’auras l’temps d’faire ta p’tite affaire, connasse.Précisément le genre de type que je hais. L’exact calibre… Finalement, il disait plus souvent connasse que gouine :— T’y trompe pas, si elle t’a draguée, c’est pace que elle a b’soin d’toi, connasse.Ne pouvant bouger, je me gardai bien de lui parler des projets qui étaient en train de mûrir dans mon crâne à son égard, si jamais on se recroisait, lui et moi :— T’as bien compris, connasse ? Jusqu’à d’main matin. Avertissement sans frais.Il poussa violemment la portière pour écraser ma jambe gauche. Mon tibia frappa la carrosserie au moment où il reprit :— Tu vois, connasse, j’pouvais t’casser la jambe si j’voulais, mais j’l’ai pas fait. Jusqu’à d’main matin, connasse. Et fais attention, cette fille, c’est un vrai serpent.Je me demandais s’il allait encore dire connasse une fois. Mais non. En revanche, avant de partir, en relâchant la pression sur la portière, il en profita pour me peloter les fesses.Quand je me relevai la jambe douloureuse, il n’y avait plus qu’une silhouette qui tournait au coin de la rue. J’aperçus tout de même son visage lorsqu’il se retourna sous un réverbère (l’amateur !), pour vérifier que je ne le suivais pas pour lui sauter dessus. Le truc avec le milieu à l’ancienne, c’est que tout le monde se connaissait. Avec l’arrivée de la nouvelle génération, dont je faisais partie vu mon âge, plus personne ne se connaît. Le type qui disait tout le temps « connasse », je ne le connaissais pas. Je gravais ses traits, sa fine moustache et sa voix dans mon esprit. Mais j’étais à peu près persuadée que l’on n’allait pas tarder à se revoir, lui et moi.Je me suis assise sur le siège passager pour réfléchir deux minutes. Plus de doutes maintenant, ils étaient là pour Juliette, pas du tout pour moi. Qu’est-ce que ces types lui voulaient ?J’ai harnaché le holster de ceinture pour le Walther PPK. Évidemment pour quelqu’un d’un peu attentif, ça se voyait sous mon blouson en cuir, mais je doutais que les paisibles Brugeois aient l’œil à ce genre de choses.Je suis remontée dans la chambre. Juliette de Vernay était assise sur le lit. Elle se tordait les mains. Anxieuse ? De quoi ? Du fait qu’une bande de tueurs étaient à nos trousses ? Du fait que j’allais très certainement lui demander des comptes une fois de plus ? Un peu de tout ça sûrement, mais je la sentais tendue parce que le moment fatidique dont je lui avais parlé toute la journée était arrivé. Je me suis assise à côté d’elle sur le lit. J’ai posé ma main sur la sienne. Elle s’est tendue encore plus.— Oui ? dis-je.— Je… je n’ai jamais fait… ça… avec une femme…— Il n’y a rien de compliqué, tu sais. Tu en as envie au moins ? J’espère que ce n’est pas juste parce que tu es aux abois et que je t’apporte un espoir de t’en sortir. Je souhaite que tu sois pleinement consentante.— Je suis aux abois, oui… Tu m’aides… Mais oui, j’en ai envie aussi. Même si ça me fait un peu peur.Mes lèvres se sont approchées des siennes. Doucement, ma main caressait la sienne. J’ai juste déposé un baiser léger sur sa bouche légèrement tremblante. Puis j’ai frotté mes lèvres aux siennes. Elle les a entrouvertes. J’ai pu ainsi glisser le bout de ma langue. Elle les a ouvertes complètement, j’ai écrasé ma bouche à la sienne et nos langues se sont emmêlées.Sa main serrait la mienne maintenant.De ma main libre, j’ai pris sa nuque pour l’approcher de moi et serrer nos bustes l’un contre l’autre. J’ai délaissé sa bouche pour embrasser et lécher le lobe de son oreille, puis son cou et son épaule.Ma main droite fit enfin ce dont je rêvais depuis ce midi : se poser sur ce genou bronzé, puis remonter sur sa cuisse sous la robe blanche. Je l’ai sentie frissonner.— La nuit est à nous, dis-je, nous sommes tranquilles jusqu’à demain matin. Ensuite, nous verrons. Nous déciderons demain ce que nous faisons.Elle s’est laissé tomber en arrière le dos sur le lit, croisant ses poignets derrière, dans mon cou, m’attirant sur elle. La nuit était en effet à nous.À suivre…