Acte I : Tergiversations du tutoiementFred est grand, blond foncé, le teint clair et les yeux bleus. Grand… disons qu’il est de taille acceptable, dans la moyenne des hommes. Il mesure presque 1m80, mais lorsque je porte des talons hauts je parais presque aussi grande que lui. Il n’est pas à proprement parler un « canon de beauté ». Il est assez commun, ce n’est pas le genre d’homme sur qui je me retournerais si on se croisait dans la rue. Mais quand on le connaît, il faut avouer qu’il a du charme. Commercial dans l’âme, il sait parler et il arrive aussi à séduire. Il faut dire que c’est son métier. Son sourire et ses rires qu’on entend à chaque fois qu’il vient nous rendre visite ne sont peut-être qu’une déformation professionnelle. Toujours est-il qu’ils lui donnent un air avenant, sympathique, le genre de type à qui on ne dit pas « non » s’il vous propose un café. Et des cafés, il m’en a proposé plusieurs depuis quatre ans qu’on se connaît. Enfin, on ne se « connaît » pas réellement. Mais ça fait déjà quatre ans que je travaille dans ces locaux du 13ème arrondissement, et presque autant de temps qu’il est l’un des principaux fournisseurs des dirigeants de mon service. Alors il passe souvent. Au moins une fois par quinzaine, et il appelle beaucoup aussi. Je le sais, car lorsque la secrétaire n’est pas là , c’est moi qui intercepte les appels de mon chef pour prendre note de ses messages.Au fil des années, il a développé des relations plus intimes avec ses différents contacts chez nous, il semble exister entre eux des rapports presque amicaux. Maintenant, quand Fred arrive, il tutoie tout le monde. Et son monde, ce sont les trois chefs de service et le directeur informatique de ce projet, mon responsable hiérarchique. Ils approchent tous de la quarantaine, c’est peut-être ça qui les rapproche. Quant à moi, je ne fais pas partie de « son » monde. Enfin, je n’en faisais pas partie. Car jeudi dernier, nous avons franchi un grand pas : après quatre années passées à se vouvoyer, se regarder en biais, se jauger l’un et l’autre et se lancer quelques phrases chargées de sous-entendus incitant à la rencontre, il a décidé qu’à partir de ce jour nous pourrions nous tutoyer :— « Très bien, tutoyons-nous », ai-je répondu.— « Pourquoi tu n’es pas venue l’autre jour quand j’ai payé ma tournée au café d’en bas ? »— « Ca tombait mal, j’avais un dossier à finir et vous êtes tous descendus trop tôt. »— « J’étais déçu que tu ne viennes pas. »— « Alors invite-moi encore, et la prochaine fois je viendrai. »L’invitation ne fût pas immédiate, mais dès le lendemain, au téléphone et sous un faux prétexte, il s’est arrangé pour me relancer et me donner son numéro de portable pour que je l’appelle lorsque je serais disponible pour boire ce fameux verre.J’ai attendu quatre jours avant de le rappeler.Acte II : L’émotion du premier verreCe qui m’a toujours amusée chez certains hommes, c’est la surprise qu’ils ressentent lorsqu’on les rappelle : « Ca alors, quelle surprise ! Je ne pensais vraiment pas que tu rappellerais ». Pourquoi me donner ton numéro de téléphone, alors ? Le lundi suivant, je n’ai pas exactement « rappelé » Fred. Je lui ai fixé un rendez-vous pour le soir même, par texto. Ces petits messages écrits que l’on peut s’envoyer de portable à portable ont l’avantage d’aller droit au but : « Rendez-vous ce soir à telle adresse pour prendre un verre. Si tu es libre ». Comme je m’y attendais, ce soir-là il était libre. Aurait-il eu quelque rendez-vous de prévu qu’il aurait su s’organiser pour se dégager du temps.Le rendez-vous du soir fût bref, une heure environ. Sa femme l’attendait. Car bien évidemment, Fred était marié. Commercial, 38 ans, une femme et deux enfants, dont le petit dernier venait de naître deux mois auparavant. Ce qui à vrai dire m’importait peu. Je ne saurais expliquer ce qui me plaisait chez lui. Son âge, probablement. Je suis attirée par les hommes « mûrs ». On m’a parfois dit que c’était fréquent chez les jeunes femmes ayant grandi sans père, et c’est mon cas. De plus, outre son âge, Fred avait une particularité assez inhabituelle compte tenu de l’idée caricaturale qu’on se fait d’un commercial : il semblait honnête et n’avait rien du grand séducteur ou du coureur de jupon. Quand je le voyais lors de ses visites au bureau, il était toujours en train de plaisanter. Je me disais qu’il devait cacher un manque de confiance en lui derrière une attitude désinvolte. Ça lui donnait un air charmant, mais pas charmeur. Nous n’avions rien à faire ensemble d’un point de vue professionnel, mais il s’arrangeait toujours pour me dire deux mots quand il passait. Je sentais que je lui plaisais.A la fin de cette journée-là , il est venu me chercher en voiture au bureau. C’était la première fois que nous nous retrouvions seuls tous les deux, et cette fois-ci le vouvoiement distancié n’était plus de mise. Après avoir garé la voiture dans un parking nous avons pris un verre dans un pub du coin, désert à cette heure-ci. Nous étions assis face à face et je voyais bien qu’il n’était pas à l’aise : Il tripotait nerveusement son verre et semblait éviter mon regard, embarrassé. Ce soir-là je n’y suis pas allée par quatre chemins. Il me plaisait, je savais que c’était réciproque, alors à quoi bon se cacher derrière des masques ? Dans un premier temps, mon attitude franche et directe l’a plutôt déstabilisé, mais très vite il s’est pris à ce « jeu de la vérité », où chacun poussait l’autre à se dévoiler davantage. À la fin de l’entrevue, il était clair que l’on se reverrait. Comme nous n’habitons pas dans la même direction, il m’a proposé de me ramener en voiture jusqu’à la station de métro qui m’arrangerait le plus, mais je savais qu’il n’avait pas envie de me quitter. Et moi-même j’avais plaisir à être à ses côtés. Je sentais qu’il me désirait, mais c’était un monsieur trop bien élevé pour se permettre un geste déplacé.Au moment de descendre de la voiture, il m’a demandé quand est-ce qu’on se reverrait.— « Quand es-tu libre ? », lui ai-je demandé.— « Demain midi… on déjeune ensemble ? »— « D’accord. »Il est reparti le sourire aux lèvres.Acte III : Juste un baiserLe lendemain nous sommes allés manger au même pub que la veille. Il n’avait pas faim, il préférait me dévorer des yeux. L’atmosphère était plus détendue que lors du premier rendez-vous. Et puis le courant passait de mieux en mieux. On riait beaucoup, la complicité était très forte. Cette semaine-là , nous nous sommes vus presque tous les jours. Et quand on ne se voyait pas, il m’appelait sur mon portable plusieurs fois par jour. Il était euphorique, « comme un gamin de 12 ans », pour reprendre son expression. Dès le deuxième jour je l’ai embrassé. Un simple baiser posé sur ses lèvres, « juste pour goûter ». Ça lui a plu. Le jour suivant, nous nous embrassions goulûment par-dessus les plats commandés dans un restaurant de la rue Mouffetard. J’aimais le goût de ses baisers. Et plus je le voyais, plus il me plaisait. Je le trouvais attendrissant dans le rôle de l’homme marié qui confond désir et sentiments. Il semblait dépassé par les événements et craignait déjà de tomber amoureux de moi. Le lundi suivant, il m’a demandé de poser une demi-journée pour que nous puissions passer plus de temps ensemble. Je n’ai eu aucun mal à obtenir mon mercredi après-midi.Ce jour-là , je l’ai rejoint à midi vers la Place d’Italie. Il m’attendait dans sa voiture. Je sortais de réunion et j’avais très faim. Pour fuir les regards d’éventuels témoins, je lui ai proposé d’aller à St Germain en Laye. Il ne connaissait pas l’endroit, et le côté romantique et précieux de cette petite ville bourgeoise de banlieue l’a vite conquis. Dans la rue, il me tenait par la main. Notre différence d’âge, relativement flagrante, semblait choquer les gens que l’on croisait mais ça ne me dérangeait pas. Au contraire, j’aimais soutenir les regards jusqu’à en gêner ceux qui nous fixaient. J’étais fière d’accompagner cet homme, et l’idée qu’on me prenait avec raison pour sa jeune maîtresse m’excitait singulièrement. Après avoir déjeuné dans un petit restaurant du centre ville, je lui ai proposé une courte ballade dans le parc du château.— « C’est important de se créer de bons souvenirs, pour l’après », lui ai-je expliqué.— « Ne parle déjà pas de la fin ! », s’est-il exclamé, l’air atterré.— « Après n’est pas synonyme de fin. Qui sait, dans 10 ans nous serons peut-être encore ensemble, et ce sera bon de se souvenir de ces moments-là . »Il a souri, l’idée ne lui était jamais venue. Nous sommes montés sur les coteaux pour voir la capitale qui se dressait au loin. Le vent soufflait fort et j’en ai profité pour me serrer contre lui. Il portait la veste de rigueur dans les grandes entreprises, la cravate et le pantalon associé, ainsi qu’une chemise dont la couleur blanche lui allait à merveille. Je sentais son parfum mêlé à l’odeur de sa peau quand je l’embrassais dans le cou. J’avais envie de lui. Je lui ai proposé d’aller se mettre au chaud. Une heure plus tard nous étions de retour dans Paris, devant la réception d’un grand hôtel.Acte IV : Le fruit défenduC’était un hôtel 4 étoiles, je suppose qu’il avait voulu m’épater. Il disait avoir trop de respect pour moi pour m’emmener dans un endroit minable, et que l’important était d’être ensemble, même si rien de spécial ne se passait. Par « rien de spécial » il fallait comprendre « rien de sexuel ». J’imagine que sa femme ne devait plus trop s’occuper de lui depuis la naissance de leur deuxième enfant, car il réclamait sans cesse des gestes tendres, de l’attention.A l’accueil de l’hôtel, le réceptionniste nous regardait avec un air mi-hautain, mi-désapprobateur. Un couple qui se présentait à quatre heures de l’après-midi, sans bagages, et qui réglait le prix en liquide, ne pouvait être qu’un couple illégitime. J’affectais l’indifférence pour cacher mon embarras. Quelques minutes plus tard, nous étions dans la chambre. Fred était assis sur le lit, l’air penaud. Il n’osait ni se déshabiller, ni me sauter dessus et pourtant ce n’était visiblement pas l’envie qui lui manquait.Alors j’ai pris les devants. Agenouillée face à lui sur le lit, je lui ai demandé s’il préférait commencer par le haut ou par le bas. Ce disant, je lui donnais un aperçu de ce qui l’attendait en faisant glisser tout doucement le tissu gris de ma robe le long de mes cuisses, révélant ainsi le haut de mes bas noirs. Sans virer pour autant dans l’excessif, côté lingerie j’avais fait un effort : soutien-gorge noir en dentelle, tanga et porte-jarretelles simples et assortis. Mon invitation eut l’effet escompté : très rapidement je me retrouvais complètement nue, assise à califourchon sur mon amant qui, allongé en travers du lit, était encore tout habillé. Tout en me livrant à quelques mouvements lascifs et suggestifs, j’entrepris de déboutonner sa chemise. Je voulais voir son corps. À travers le pantalon, je pouvais déjà sentir son sexe qui grossissait sous les caresses de mon ventre. Il ne disait rien et se laissait faire, presque hypnotisé, mais je savais qu’il mourrait d’envie de me prendre et d’enfoncer sa verge en moi. J’étais très excitée par la situation.Les préliminaires durèrent un certain temps, puis vint la pénétration. Comme je m’y attendais, il n’avait apparemment jamais mis de préservatif de sa vie. D’une main experte (trop, peut-être ?), je le lui enfilai et vint m’empaler sur lui. Les délices déchirants de la première pénétration m’arrachèrent un cri. Puis il se mit à me prendre avec une certaine violence qui contrastait avec les gestes tendres donnés auparavant. Et dire que deux semaines plus tôt, on se vouvoyait encore !Acte V : Affaire à suivreL’acte sexuel en lui-même fût relativement excitant, mais Fred ne me fit pas jouir. Par son attitude quelque peu « vieille école », je devinais qu’il ne correspondait pas exactement à l’archétype fantasmatique de « l’homme de 40 ans expérimenté ». Il n’avait pas eu assez de maîtresses pour ça. Il affirmait d’ailleurs que j’étais la première en 15 ans de vie commune, bien que le mot « maîtresse » ne lui plaise pas. Alors qu’on se remettait tous deux de nos émotions, je lui demandais carrément s’il avait déjà fait jouir sa femme. Surprise et embarras. Il n’en savait rien, mais pensait que oui. C’était une situation intéressante : je me retrouvais donc dans la position de l’amante initiatrice. Cette pensée réveilla ma libido pas encore assouvie et je lui suggérais déjà de remettre ça, mais il faisait nuit dehors. Et l’inconvénient avec l’homme marié, c’est que sa femme et ses enfants s’attendent à ce qu’il rentre à la maison pour le dîner. Le rappel de cette dure réalité me fit l’effet d’une douche froide.Nous sommes sortis de l’hôtel sans nous retourner, et avons juste pris le temps de boire un verre au café d’en face. Il a appelé sa femme pour la prévenir qu’il sortait de « réunion » et qu’il arriverait bientôt. J’étais amusée par l’aplomb avec lequel il lui mentait devant moi. Pour ma part, je m’étais contentée de couper le téléphone. En rentrant, j’ai dit à mon homme qui m’attendait que ma « journée de travail » s’était éternisée. Il n’y a prêté aucune attention, tout stressé qu’il était par son nouvel emploi qui commençait le lendemain. Il était assis sur une chaise au milieu du salon et faisait du tri dans ses papiers. Je me suis approchée de lui, lui ai arraché les feuilles des mains et j’ai posé mon pied sur sa cuisse, dévoilant ainsi mes bas noirs et l’attache du porte-jarretelles qui les retenait. Il m’a regardée, surpris. Je lui ai dit que j’avais terriblement envie de lui.Cette fois-ci, l’orgasme fût au rendez-vous.