Cette collection parle de femmes qui, par leur pensée, leurs écrits, la liberté de leurs mœurs, ont été des précurseurs dans l’histoire.Dernière reine d’Égypte, Cléopâtre, qui a régné de 51 à 30 avant notre ère, est un personnage dont la légende s’est emparée, de son vivant même. Cléopâtre, née au cours de l’hiver 69-68 av. J.-C, appartient à la dynastie des Lagides d’origine macédonienne, fondée par Ptolémée Ier, l’un des généraux d’Alexandre le Grand.Cléopâtre est l’une des trois filles du roi Ptolémée XII, brocardé par son peuple sous le nom d’Aulète, « le joueur de flûte », car il était un ivrogne et un débauché. L’historien et géographe grec Strabon affirme que Ptolémée XII n’eut qu’une seule enfant « légitime », Bérénice IV, qui a régné de 58 à 55, exécutée pour avoir usurpé le trône de son père. Cléopâtre serait alors la fille d’une concubine égyptienne, peut-être issue de la classe sacerdotale de Memphis, expliquant ainsi que certains auteurs romains la surnomment de manière injurieuse l’« Égyptienne ». Cléopâtre entretient d’ailleurs elle-même le mystère sur ses origines maternelles, laissant planer le doute sur une possible ascendance égyptienne, sachant en outre qu’elle parle égyptien, contrairement à ses prédécesseurs.Le testament d’Aulète, mort en mars 51 av. J.-C., désigne comme successeurs Cléopâtre et un frère cadet de celle-ci, Ptolémée XIII, d’une dizaine d’années environ, à qui elle est nominalement mariée, car, selon la coutume ptolémaïque, elle ne peut régner seule. À l’automne 49 av. J.-C., les relations se dégradent totalement entre les deux souverains. Alors que le jeune roi vient d’atteindre sa majorité, ses ministres accusent la reine de complot contre son frère et provoquent un soulèvement des Alexandrins, si bien que Cléopâtre doit fuir.C’est Jules César, arrivé à Alexandrie dans le cadre de la poursuite de son adversaire Pompée, qui va la rétablir sur le trône d’Égypte, à l’issue d’une guerre difficile, au cours de laquelle Ptolémée XIII meurt dans sa fuite, noyé dans le Nil. C’est pendant cette période que se déroule le célèbre épisode du tapis dans lequel la reine se serait fait enrouler afin de parvenir auprès de César et de venir rencontrer le conquérant et s’offrir à lui.La légende veut qu’ils aient été amants dès la première nuit de leur rencontre. César avait la réputation d’être un homme à femmes : « Bourgeois de Rome, cachez vos femmes, nous ramenons le séducteur chauve » aimaient à clamer ses propres légionnaires au retour de leurs campagnes militaires.César, qui songeait à annexer l’Égypte, y renonce et commence alors une romance avec la reine, de trente ans sa cadette. Les deux amants font alors un fameux voyage « voluptueux » sur le Nil, jusqu’aux confins de la Nubie. Après la guerre d’Alexandrie, Cléopâtre épouse alors son autre frère cadet, Ptolémée XIV, la reine étant la seule à détenir réellement le pouvoir. De retour à Rome, César y convoque les souverains Lagides en 46 av. J.-C. Toujours marié avec Calpurnia, souhaite-t-il retrouver sa maîtresse, qu’il loge dans sa propriété de la rive droite du Tibre ? A-t-il comme objectif de montrer ce qu’il en coûte de se révolter contre Rome, en faisant figurer dans son triomphe la jeune sœur de Cléopâtre, Arsinoé, qui s’est fait reconnaître reine par les troupes de Ptolémée XIII ?Cléopâtre séjourne deux ans à Rome. César va choquer les Romains en faisant placer une statue dorée de la reine dans le sanctuaire de Vénus Genetrix, ancêtre mythique de la gens Iulia dont il est issu. Aux yeux de la morale romaine, Cléopâtre reste la prostituée de César. On la surnomme la « regina meretrix », la « reine putain ».César est assassiné lors des ides de Mars, en 44 avant notre ère. Dans son testament, il ne fait aucune allusion à Césarion, le fils qu’il a eu de Cléopâtre et fait d’Octave son héritier. Cléopâtre quitte alors Rome à la mi-avril 44. S’étant débarrassée de son frère Ptolémée XIV, elle règne désormais seule, au nom de son fils Ptolémée XV Césarion.***Nous ignorons depuis quand Cléopâtre, âgée de vingt-neuf ans en 41 av. J.-C., et Marc Antoine, qui a une quarantaine d’années, se connaissent. Le lieutenant de César est l’un des officiers qui ont participé au rétablissement de Ptolémée XII, le père de Cléopâtre, en 55. Il est plus vraisemblable qu’ils se soient fréquentés lors du séjour à Rome de Cléopâtre.Après la défaite des républicains Brutus et Cassius, en -42, l’Orient est dévolu à Antoine dans le cadre du second triumvirat qu’Antoine forme avec Octave et Lépide, un général de César. Il reprend alors le projet de César avant sa mort, c’est-à-dire une grande expédition contre les Parthes. Pour cela il convoque les souverains des royaumes vassaux, à Tarse, en Cilicie, y compris la reine d’Égypte. C’est encore une scène qui a été magnifiée par Hollywood : Cléopâtre, qui veut impressionner Antoine, arrive dans un navire à la poupe dorée et aux voiles pourpres, siégeant sous un dais d’or, entourée d’un équipage déguisé en nymphes, Néréides et Amours. Puis elle invite Marc Antoine à son bord pour un somptueux banquet. Commence alors, dès ce soir-là, une liaison torride de dix ans, sans doute l’une des plus célèbres de l’Histoire.Dans un premier temps, Marc Antoine suit Cléopâtre à Alexandrie, où le triumvir passe l’hiver 41/40 av. J.-C. Antoine est obligé de rentrer à Rome (été 40 av. J.-C.) où s’affrontent ses partisans et ceux d’Octave. Il conclut avec ce dernier la paix de Brindes en octobre 40 av. J.-C. et épouse sa sœur, la belle et vertueuse Octavie. Pendant ce temps à Alexandrie, Cléopâtre accouche de jumeaux : un garçon, Alexandre Hélios, et une fille, Cléopâtre Séléné.La séparation des amants dure trois ans, du printemps 40 av. J.-C. à l’automne 37 av. J.-C. Au retour d’Antoine, ils se retrouvent à Antioche à l’automne 37 av. J.-C et leur liaison reprend.En 37-36 av. J.-C., Marc Antoine entame une campagne contre les Parthes qui tourne au désastre. Cléopâtre est restée à Alexandrie pour accoucher d’un troisième enfant du couple, Ptolémée Philadelphe.Octave envoie sa sœur Octavie, la femme légitime d’Antoine et la mère de ses deux filles, Antonia Major l’Aînée (la future grand-mère de Néron), et Antonia Minor la Jeune (future mère de Germanicus et de Claude) rejoindre son mari. Antoine ordonne à sa femme, lorsque celle-ci parvient à Athènes, de rebrousser chemin. Octavie, sans montrer la moindre contrariété, obtempère et ordonne aux troupes qui l’accompagnent, des renforts de son frère pour son époux, de poursuivre leur chemin vers Alexandrie.Cléopâtre et Marc Antoine mènent ce qu’ils appellent « une vie inimitable », de fêtes en banquets, de réjouissances en festins somptueux, où Cléopâtre est Isis et Antoine est Dionysos. En 34, Antoine choisit d’effectuer à Alexandrie un triomphe pour ses campagnes en Orient alors que cette cérémonie se déroule normalement à Rome. Il choisit d’officialiser son union avec Cléopâtre et d’attribuer à Cléopâtre et aux enfants que lui a donnés la reine des provinces détenues par Rome : Chypre, la Syrie, l’Arménie, la Libye, la Cyrénaïque, la Cilicie. Antoine déclare ses enfants de Cléopâtre légitimes, et Césarion fils de Jules César. À ce moment, Cléopâtre a reconstitué le royaume de son ancêtre Ptolémée Ier.Octave va s’employer à dénigrer Marc Antoine par tous les moyens et surtout Cléopâtre, l’Égyptienne, celle qui le tient sous ses charmes, la « sorcière », la « putain ». On connaît la suite : la défaite de la flotte d’Antoine et de Cléopâtre à Actium (31) et la fuite des deux amants vers l’Égypte, où ils se retrouvent assiégés dans Alexandrie par les légions d’Octave. En août 30 av. J.-C., Octave arrive à Alexandrie. À la fausse annonce du suicide de Cléopâtre (colportée par une servante de la reine, peut-être sur instruction de celle-ci), Marc Antoine met fin à ses jours en se jetant sur son épée. Mourant, il est transporté par Cléopâtre dans son propre tombeau. Celle-ci est conduite devant Octave, qui la laisse se retirer avec ses servantes.Avec ses deux plus fidèles servantes, Iras et Charmion, Cléopâtre se donne la mort, le 12 août 30 av. J.-C., en se faisant porter un panier de figues contenant un ou deux serpents venimeux. Cette version est la plus courante.***Cléopâtre était-elle belle ? C’est l’image qu’ont véhiculée les films hollywoodiens. Nous imaginons ainsi la dernière reine d’Égypte sous les traits de Liz Taylor.Les historiens romains, comme Plutarque, écrivent plus d’un siècle après la mort de Cléopâtre. Plutarque insiste moins sur la beauté de la reine que sur son charme et sa maîtrise des langues : « on dit que sa beauté en elle-même n’était pas incomparable ni propre à émerveiller ceux qui la voyaient, mais son commerce familier avait un attrait irrésistible, et l’aspect de sa personne, joint à sa conversation séduisante et à la Grâce naturelle répandue dans ses paroles, portait en soi une sorte d’aiguillon. Quand elle parlait, le son même de sa voix donnait du plaisir. Sa langue était comme un instrument à plusieurs cordes dont elle jouait aisément dans le dialecte qu’elle voulait, car il y avait très peu de barbares avec qui elle eut besoin d’interprète ».Il existe une pièce de monnaie, conservée au Cabinet des médailles à Paris, où l’effigie de la reine montre des traits peu fins et un nez proéminent. Cependant, si la beauté de Cléopâtre semble plutôt appartenir à la légende, son charme est, quant à lui, bien réel. Il n’empêche que si elle n’avait pas été séduisante, on ne voit pas comment elle aurait pu plaire à des hommes tels César ou Marc Antoine, qui collectionnaient les maîtresses.***Cléopâtre fut-elle une nymphomane ? Compensait-elle un physique « quelconque » avec d’autres talents, ceux d’une amante exceptionnelle ? Au fil des siècles, la propagande devient fantasme.On a écrit à peu près tout et n’importe quoi sur Cléopâtre, décrite comme une nymphomane capable de se faire pénétrer cent fois par nuit ! Si l’on ne peut vérifier ces allégations, il reste probable que Cléopâtre a fait appel à des esclaves sexuels. Mais là où l’appétit sexuel d’Henri IV, ou d’Auguste, est admis, voire plébiscité, il demeure source de critiques et de polémiques pour la reine.Dans une bande dessinée à succès sur l’histoire de la sexualité, par Philippe Brenot et Laetitia Coryn (Les Arènes BD, 2016), on a fait de Cléopâtre l’inventrice du premier vibromasseur ! La reine, assise sur son lit, écarte les jambes pour introduire au creux de ses cuisses une grosse enveloppe de papyrus bourrée d’abeilles bourdonnantes. Il s’agit de la vision traditionnelle de Cléopâtre en nymphomane égyptienne. Certes, à l’époque de la reine, des ateliers fabriquaient des olisbos à Alexandrie, capitale du royaume ; les phallos de cuir étaient réputés pour leur souplesse. Pour autant, Cléopâtre en avait-elle besoin ? Dans son luxueux palais, au cœur de sa cour fastueuse où elle menait l’existence d’une déesse vivante, elle disposait à profusion de sexe, des plaisirs et des richesses, comme tous ses prédécesseurs.Des poètes, des romanciers, et parfois même des historiens, ont relayé durant des siècles cette propagande du vainqueur, transformant la haine initiale envers la reine d’Égypte en un puissant fantasme. Les écrivains romains ont contribué à faire d’elle le plus grand mythe féminin de l’Histoire, celui d’une femme perverse et fatale. Ils n’ont cessé d’inventer de nouvelles anecdotes sur sa prétendue libido effrénée. La reine était ainsi réputée être une grande experte de la fellation. C’est pourquoi on lui donnait le surnom de « bouche d’or », mais aussi de Cléopâtre « chellon », à savoir « grosses lèvres », elle qui aurait exercé son talent de pipeuse sur une centaine de gardes.Les légionnaires d’Auguste, quant à eux, utilisaient des lampes à huile décorées d’un médaillon où l’on voyait la reine, nue, sodomisée par un pénis de pierre ou de bois. Dès l’Antiquité, la reine est ainsi décrite comme une femme impossible à satisfaire sexuellement, un puits sans fond. C’est pourquoi, écrit un auteur anonyme de la fin de l’Antiquité, « elle se prostituait souvent ». Un romancier du XVIIe siècle, La Calprenède, affirme qu’il fallait la pénétrer plus de cent fois par nuit, sans quoi elle n’était pas satisfaite.Elle eut, à n’en pas douter, et comme tous les souverains de son époque, des esclaves sexuels. Pourquoi d’ailleurs s’en serait-elle passée ? La banalité pour un roi serait-elle considérée comme un péché dès lors qu’il s’agit d’une reine ?La dernière reine d’Égypte n’a pourtant eu que trois ou quatre amants connus : Sextus, un des fils de Pompée, pour quelques nuits seulement, Jules César durant quatre ans, puis Marc Antoine pendant une dizaine d’années. Pas vraiment de quoi faire d’elle une débauchée ! Vers l’âge de 18 ou 19 ans, elle paraît très liée à l’un de ses gardes du corps, un Sicilien, plutôt athlétique, nommé Apollodore, celui qui apporta, sur son dos, le fameux « tapis » à César. C’est avec lui qu’elle aurait perdu sa virginité.Selon l’historien Flavius Josèphe, Cléopâtre, en 34, de retour de l’Euphrate, aurait tenté de séduire le roi de Judée, Hérode le Grand : « elle engagea avec lui des conversations déplacées, et montra tous les signes de la passion amoureuse à son égard ». Pour Josèphe, elle tenta de le pousser à l’adultère.Cléopâtre a tout fait pour sauver son trône et la vie de son fils Césarion. Elle voulait aussi absolument éviter de figurer, couverte de chaînes et sous les insultes de la foule, dans le triomphe d’Octavien, car elle avait assisté, seize ans auparavant, au triomphe de César et au triste sort de sa jeune sœur Arsinoé.On a aussi accusé Cléopâtre d’avoir poussé Marc Antoine au suicide, par le biais de la fausse nouvelle du suicide de la reine, colportée auprès de l’imperator par une proche servante de la reine. Elle se serait aussi offerte à Octave, qui la repoussa avec mépris. À trente-neuf ans, après quatre maternités, la reine n’avait sans doute plus le même pouvoir de séduction. De toute façon, Octave voulait impérativement se débarrasser de Césarion, qui constituait un danger potentiel, et prendre Cléopâtre vivante, car elle devait être le clou de son Triomphe à Rome. Octave, persuadé de la soumission de la reine, la laissa retourner à son mausolée. Le suicide était alors la seule porte de sortie de la dernière reine d’Égypte.***Le fantasme absolu que constitue Cléopâtre et sa sexualité prétendument débridée se retrouvent jusque dans la bande dessinée. C’est en particulier le cas de la célèbre série Alix, bande dessinée écrite et dessinée par Jacques Martin à partir de 1948, publiée par les éditions Casterman et dont les intrigues se déroulent à l’époque de Jules César. Cléopâtre n’y cache pas son intérêt pour le beau Gaulois blond, avec qui ça se passe systématiquement dans la piscine ou la baignoire de la reine !Dans « Ô Alexandrie » épisode 20, Cléopâtre sauve Alix et Enak. Cléopâtre récupère les gemmes précieuses ramassées par Enak dans le désert. Elle va remercier Alix en nature, en demandant à ses servantes de les laisser seuls, disant au jeune homme, en le rejoignant dans son bain : Fais-moi de la place, Alix. Tu vois, la reine se met à tes pieds.Elle ajoute : Tu as été généreux avec Cléopâtre, Alix, alors elle va l’être avec toi. Lorsqu’on rencontre le bonheur, la fortune et le plaisir, il faut fêter cela, jeune homme. Alors, grisons-nous !La reine est pleine de promesses pour son jeune amant : Dans quelques jours, nous serons à Alexandrie. Là-bas, tu verras, Alix, nous coulerons des jours pleins de charme et de volupté.Alix choisit pourtant de rentrer à Rome, laissant Cléopâtre nostalgique : Tu auras toujours une place dans mes rêves.Cléopâtre réitère ces ébats dans « Le fleuve de Jade » (épisode 23). Un marchand, qui connaît son goût pour les hommes, veut lui vendre deux esclaves (Alix et Enak). Alix a, une nouvelle fois, droit à la piscine privée de la reine. Cléopâtre fait à nouveau sortir les esclaves et, après s’être mise nue, rejoint Alix dans l’eau. Le Gaulois demande à celle qui l’a sauvé, lui et son ami Enak : Cléopâtre, comment te remercier ?Elle répond : Me remercier, mon cher Alix ? C’est si facile !Et c’est à nouveau dans l’eau qu’elle baise avec Alix !Dans « Le démon du Pharos » (épisode 27 de la série), elle fait conduire Alix dans ses appartements privés ; tandis qu’il se baigne, elle entre, renvoie les servantes quasi nues qui s’occupent de lui, avant d’entrer dans la baignoire du héros, puis de lui promettre « des jours de charmes et de volupté ». Dans le même album, la reine, peu habillée, semble prête à s’abandonner dans les bras d’Alix, qui déjà a posé une main sur sa cuisse. Le grand-prêtre Néfrérou ose lui faire remarquer son attitude impudique : Tu t’es conduite comme la dernière des catins. J’ai même cru à un moment que tu allais te laisser aller à l’embrasser devant tout le monde.Dans la série Alix, un album spécial a été également consacré à Cléopâtre en 2008 (« Alix raconte Cléopâtre »), dont les auteurs sont François Maingoval et Eric Lenaerts. Basée sur des documents d’époque, cette biographie romancée nous révèle des détails inédits. On y apprend ainsi que sa célèbre rencontre avec César fut organisée par un certain Alix, ami de ce dernier. Le texte évoque les relations intimes d’Alix et Cléopâtre (il est doux de te revoir, belle Cléopâtre), et, de façon très soft, ses relations avec César et Marc Antoine.Comme quoi, même dans des BD très « soft » on peut trouver des choses très coquines !***La série de BD historiques, « Les Reines de sang », publiées chez Delcourt, s’est naturellement intéressée à Cléopâtre. Quatre volumes sont parus depuis 2017 et un cinquième est annoncé. Les auteurs sont Marie et Thierry Gloris. Les dessins de Joel Mouclier illustrent bien l’érotisme de Cléopâtre et le scénario exprime son hypersexualité. On la voit ainsi copuler avec ses esclaves, le nubien Hopi et le Barbare Skäll. Elle vient perturber une orgie organisée par son « mari » et frère Ptolémée et lui « souffler » la belle esclave et danseuse Thaïs, car Cléopâtre est bisexuelle. On la voit aussi s’offrir à un chef Bédouin après que Ptolémée l’a chassée d’Alexandre.Dans le second volume, les auteurs posent l’hypothèse que, dès le séjour de Cléopâtre à Rome, Marc Antoine a été l’amant de la reine. Le lieutenant de César dit à Cléopâtre : Par le con de Vénus, je comprends enfin ce que César te trouve ! Tu épuiserais Priape en personne.Ce à quoi la reine lui répond : Ta réputation n’est pas usurpée, général, tu sais parler aux femmes »J’aime aussi le passage où Cléopâtre évoque les quatre formes d’amour dans la langue d’Homère : « Eros », le plaisir charnel, « Agapè » l’amour universel, « Philia » l’amitié, l’amour désintéressé, « Storgê », l’attachement familial.***L’Histoire est toujours écrite par les vainqueurs. Les auteurs romains ont, pour la plupart, fait de la reine une prostituée, dilapidant les richesses de l’Égypte en faisant dissoudre des perles dans du vinaigre, pour impressionner son amant Marc Antoine ou en prenant des bains de lait d’ânesse frais. Ils ont créé la légende noire d’une femme sans scrupules, assoiffée de pouvoir et de sexe.Ce « modèle » a été repris avec peu de variantes jusqu’à Marie-Antoinette, en passant par Messaline et la Montespan : une femme ne pourrait, selon certains, fonder son pouvoir que sur un usage débridé du sexe, une soif illimitée d’argent et une cruauté sans bornes.Limiter Cléopâtre à sa sexualité débridée est évidemment très réducteur et un symbole du machisme qui règne depuis la nuit des temps. C’est occulter sa culture, sa grande intelligence politique et son courage, quand bien même sa beauté, sa libido et sa science du plaisir furent une de ses armes de séduction massive. Cléopâtre s’employa certes à séduire les puissants romains de son époque. Ses rêves étaient avant tout politiques : renforcer son pouvoir, étendre son Empire sur de nouvelles provinces, s’unir à Jules César puis à Marc Antoine afin d’assurer la survie de son royaume. Les centres d’intérêt de la Cléopâtre historique ne sont pas ceux de la reine légendaire : c’était une femme de pouvoir, non une dévergondée.L’image de Cléopâtre resta longtemps, reste encore pour quelques-uns, celle d’une femme manipulatrice, nymphomane, ensorceleuse. Évoquer ses prouesses sexuelles est évidemment plus rassurant que de reconnaître ses capacités intellectuelles. Et il faut bien avouer que c’est encore souvent le type d’arguments dont sont la cible certaines femmes bien dans leurs têtes, bien dans leurs corps et qui, en outre, ont l’outrecuidance de réussir leurs vies.Le personnage de Cléopâtre est fascinant pour toutes ces raisons. Accusée d’être une nymphomane, elle fut une femme hypersexuelle, libre de son corps, qu’elle avait mis au service de ses objectifs politiques. Cléopâtre reste l’archétype de la femme fatale au destin tragique, un des mythes féminins traversant l’inconscient collectif.***Pour aller plus loin et parmi les nombreux ouvrages consacrés à Cléopâtre, je signale :• Hortense Dufour « Cléopâtre la fatale » (Flammarion, 1998)• Irène Frain « L’inimitable » (Fayard 1998)• Joël Schmidt « Cléopâtre » (Gallimard 2008)• Stacy Schiff « Cléopâtre » (Flammarion 2010) avec un sous-titre qui est tout un programme : « Catin ou génie politique » !• Christian-Georges Schwentzel : « Cléopâtre, la déesse reine » (Payot, 2014)• Maurice Sartre : « Cléopâtre, un rêve de puissance » (Tallandier 2018)• Alberto Angela « Cléopâtre » (Harper Collins, 2019)• Christian-Georges Schwentzel : « Le nombril d’Aphrodite, Une histoire érotique de l’Antiquité » (Payot, 2019). Tout un chapitre est consacré à Cléopâtre, intitulé « le vagin de Cléopâtre » !***À suivre (3) : Des Romaines qui n’avaient pas froid aux yeux !