Un mois. Un mois jour pour jour que je suis là . Dans cette ville, si belle, si calme, si revivifiante. Un mois que j’ai quitté la folie et le bruit incessants de cette immense cité qui expire. Un mois que je suis là , contemplatif, à respirer à pleins poumons le vent qui vient du large aérer mon corps gourd des remugles atroces et cruels de la mégapole agonisante.Je n’ai pas osé t’appeler avant. J’avais besoin de me purifier. D’oublier. Toute cette torture ordinaire qui rendrait fous les plus humbles et dolents les plus pauvres. J’ai vu la souffrance, j’ai vu l’ennui, j’ai vu la maladie, j’ai vu la pauvreté dans leurs plus purs aspects. Et ceux qui ne luttent plus s’abandonnent à l’extase dans des transes délétères et artificielles.Je suis heureux d’être parvenu à en sortir. Je suis heureux d’être revenu. Je suis heureux à l’idée de pouvoir peut-être te revoir.J’ai pensé à toi. Tout le temps. Des instants les plus beaux à ceux les plus sombres. Mais j’ai eu peur de te le dire. J’ai eu honte. J’ai vécu dans le regret. Je suis désolé.On n’est pas loin, je crois, l’un de l’autre. J’ai trouvé une petite maison, toute simple, mais qui donne sur les falaises. J’ai vraiment l’impression de revivre depuis que j’y habite. J’aimerais tant que tu y viennes, au moins une fois.Je sais que ça fait bien longtemps qu’on ne s’est pas vus, et que les circonstances de notre dernière rencontre n’étaient pas des plus agréables, mais le temps a passé, et même s’il n’a rien gommé, il a pu adoucir, éroder les écueils.Est-ce que tu accepterais de venir boire un verre avec moi ? On pourrait se retrouver quand tu le pourras dans un des cafés du centre, là où on traînait, avant. Ça a changé. Beaucoup de choses ont changé. Mais on les fera revivre, pour quelques heures, le temps d’un rêve.On pourra discuter. Prendre le temps de parler de ce que l’on est devenu, de ce que l’on a été. De ce qu’on aurait pu être. Prendre un peu de temps pour se remémorer nos vingt ans, ce perpétuel été qui fleurissait tous les jours. Et qui s’écoulait à toute allure sur nos vies commençantes.Et si le cœur t’en dit, on pourra aller se promener, revoir ces lieux perdus, qui ne vivent plus que dans nos souvenirs. Dans ces quartiers où tout sourit, autour de la place du vieux marché. Où les peintres installaient leurs chevalets pour immortaliser la douceur des après-midi languissants, quand nous flânions sans autre but que celui d’être ensemble.Je pourrai t’offrir des fleurs. Des fleurs aussi belles que toi. Et leurs senteurs raffinées nous escorteront, guideront nos pas sur les chemins qu’on parcourait, main dans la main, armés d’insouciance, les premières fois que je t’avais offert des fleurs.Et quand la nuit commencera à descendre, quand le froid se fera sentir, on rentrera doucement. Peut-être qu’on dînera au restaurant. Tous les deux. Juste tous les deux. Comme avant. Les yeux dans les yeux. Et toute la soirée durant, on se dira des mots tendres, des mots qui font chaud ou des mots qui lorsqu’on ferme les yeux nous emportent jusqu’aux plus profonds souvenirs.Et puis, quand on sortira du restaurant, tu auras peut-être un peu froid, et dans un geste malhabile, je poserai ma veste sur tes épaules. Alors tu tourneras vers le mien ton visage, ton visage d’ange si pâle. Tes yeux reflèteront le ciel étoilé. Tu me souriras. Tu te blottiras dans mes bras. Tu m’appelleras « mon amour ». Comme avant. Comme avant qu’on soit fous. Comme avant qu’on soit trop grands.Dans les ombres de la nuit, on marchera, collés l’un à l’autre, nos mains enlacées, au hasard des ruelles endormies. On arpentera toute la ville jusqu’au petit matin, retrouvant les endroits que nous aimions.On attendra l’aurore pour aller voir le soleil se lever au-dessus du port. Pour voir la ville se réveiller doucement, s’animer peu à peu. On déjeunera devant l’océan, à la terrasse d’un café qui viendra d’ouvrir, en écoutant les mouettes et en respirant les embruns. Sans plus échanger un mot. Profitant de ces instants magiques.Puis on repartira doucement, fatigués, épuisés même, les yeux presque éteints. On longera la mer et rejoindra les falaises jusqu’à cette petite maison ; tu viendras coucher chez moi. Mais on ne dormira pas vraiment. Enfin pas tout de suite. On s’enlacera, encore, tendrement, offrant à nos corps notre amour. Offrant notre amour à nos corps. Comme avant.Après quelques heures de léger sommeil, on repartira se promener sous le chaud soleil du début d’après-midi. On ira sur les remparts, on parcourra les rues piétonnes. Il y a ce petit restau italien qui est encore là , dans la rue qui mène à la Porte Basse. On mangera encore les yeux dans les yeux, encore une fois.Et puis à la fin du jour, comme un peu nostalgiques, on repassera par les endroits irréels de notre enfance ensoleillée, de la vieille École des Marronniers au Parc aux Oiseaux, puis par ceux à demi effacés de notre adolescence insouciante. De notre jeunesse éternelle. De notre passion pathétique.Mais toi, mélancolique, tu te mettras à pleurer. J’essaierai de te consoler, d’essuyer tes larmes. Je te prendrai encore dans mes bras en te promettant que rien n’est perdu, que le plus beau reste à être vécu, qu’enfin on s’est retrouvés. Comme il y a tant d’années, quand on marchait déjà main dans la main, sans jamais penser à la suite. Comme avant qu’on soit fou, avant qu’on soit trop grands. Comme avant qu’on n’ait plus le temps de penser ne serait-ce qu’à nous.Tu tourneras encore une fois vers moi ton visage d’ange si pâle ; dans tes yeux brilleront des myriades d’étoiles évanescentes, et tu me souriras encore avant de te blottir dans mes bras. Et je prierai pour que chaque jour soit comme celui-là . Pour que des années durant tu viennes encore te blottir dans mes bras. Me parler d’amour à mi-voix. Comme avant.