Conseils bon marché pour un dragueur bon marcheurSuivre une fille dans la rue et la précéder dans ses désirs. Voilà toute ma vie.Le matin, je prends mon café sur une terrasse si le temps le permet. Et j’observe. Alors vient à passer celle qui occupera ma journée. Oui, peut-être ce sera un échec, mais peu importe. C’est elle qui sera ma compagne pour aujourd’hui. Alors on peut imaginer avec quel soin, avec quelle application quasiment scolaire je la choisis. Je me suis découvert un flair qui s’affine avec l’âge. Quand on est jeune, on se donne du courage et on décrète que l’on va suivre, surtout poursuivre, la troisième fille qui passera sur le trottoir d’en face. Quand on a vingt ans, on prend la plus belle pour cible. Mais l’objectif est de trouver celle qui vous laissera une chance. Et alors intervient beaucoup la psychologie. Une femme pressée, il faut abandonner l’idée. Une fille qui lèche les vitrines, ce n’est pas non plus un bon plan. Il faut remarquer celle qui a envie de quelque chose, de n’importe quoi. Attention, pas de n’importe qui ! Le moment venu, il faudra vous en souvenir. L’idéal est celle qui sourit pour un oui, pour un non. Elle semble disponible. Ouverte. Bien sûr, rien n’est gagné, mais il y a la place pour engager un dialogue :— Bonjour, on se connaît, non ?— Je ne crois pas.— Je suis sûr que je vous ai déjà rencontrée. Mais où ?— Sincèrement, je ne pense pas.— Mais vous devriez penser Mademoiselle ! Moi, qui vous parle, je pense énormément.— Peut-être trop.— Peut-être en effet. Mais je veux en avoir le cœur… comment dit-on déjà ?— Le cœur net.— Exactement. Avez-vous le cœur net, Mademoiselle ?À ce point de la conversation, il faudrait être vraiment maladroit pour échouer. Parfois, la mission du jour comporte des difficultés bien plus ardues. Par exemple, vous pouvez trouver ce genre de fille qui ne répond pas. Vous vous imaginez même que c’est une étrangère. Mais non, il faut savoir que l’étrangère répondra, dans sa langue probablement, mais une étrangère répond toujours. Alors il reste le cas de cette muette qui vous signifie ainsi qu’il faut la laisser tranquille. C’est une technique et, de fait, beaucoup renoncent. Car la plupart des dragueurs sont épouvantés par le monologue. C’est au point que, si la fille leur dit clairement : « NON ! », ils sont rassurés. Évidemment, il faut savoir improviser sur une grande distance, parfois plusieurs kilomètres. Et puis surtout, il faut être observateur. Même, si elle joue le mutisme, son corps parle pour elle. Un haussement de sourcils, une légère moue, une accélération ou un ralentissement de la marche, ce sont autant de signes précieux qui ne trompent pas sur la personne. Il m’est arrivé une fois de marcher pendant une heure à côté d’une jeune femme et je n’ai jamais arrêté de lui parler :— Je crois bien que nous avons aujourd’hui sur nos agendas respectifs un rendez-vous. Et ce qui est étonnant, mirifique, splendido-romantique, c’est qu’il s’agit précisément d’une rencontre de vous avec moi. Dans un premier temps, c’est sûr que j’ai de la chance, mais vous vous rendrez compte un peu plus tard que vous aussi, vous êtes dans un bon jour. J’aime votre façon de ne pas répondre, laissant ainsi un suspense d’une grande sensualité. Vous savez ce que nous allons faire. Et le plus merveilleux, c’est que vous allez dans cette direction. Nous allons monter chez moi prendre un café, une douche, un préservatif, son pied. Cochez la ou les cases qui vous plaisent. Moi, toutes les cases me conviennent…Eh bien, vous me croirez ou non, mais cette jolie promeneuse est montée sans hésitation dans mon petit deux pièces, s’est déshabillée avec entrain et le reste a suivi. Elle m’a seulement demandé de continuer à parler.Vous pouvez aussi tomber sur le style :— Foutez le camp ou j’appelle la police !— Bien, parfait. Appelons la police. Appelons la police ensemble, comme cela, ils auront plus de chance de venir. Ou alors, vous appelez la police et moi, j’appelle les pompiers. Ce n’est pas mal non plus, les pompiers. Bien, alors la police arrive. Enfin, disons que la police va arriver. Cela nous laisse du temps pour faire connaissance, non ? Évidemment, il faut bien que je reste là. Parce que si la police arrive, et que je suis parti, vous vous retrouvez dans une situation embarrassante : vous dérangez des fonctionnaires pour rien. Donc, en les attendant, nous pouvons discuter un peu. Je voulais savoir : après notre petit intermède avec les forces de l’ordre, aurez-vous le temps de passer chez moi ? Vous verrez, c’est tout petit. Un petit nid d’amour, m’a-t-on dit bien souvent.— J’appelle la police !— Alors j’appelle les pompiers !— Ah oui, et que leur direz-vous aux pompiers ?— La vérité : vous avez mis le feu à mon cœur.Mais, le fin du fin, c’est justement de ne rien dire vous-même. En fait, vous suivez une personne et vous n’essayez même pas de lui parler. Au bout d’un moment, c’est elle qui vient vers vous :— Mais, qu’est-ce que vous me voulez à la fin ?Il ne faut surtout rien répondre. Et la belle continue :— Alors, vous êtes quoi ? Détective privé, agresseur sexuel, pickpocket, grand reporter ? C’est pour la caméra invisible ?Vous la laissez ainsi se poser toutes les questions de la création et vous continuez à la suivre dans toutes ses interrogations. Vous sentez monter l’angoisse, la pression, puis l’impatience, l’envie de savoir. Mais c’est seulement quand vous serez au lit que vous lui répondrez :— Non, j’allais simplement dans la même direction que vous, mais je n’étais pas pressé et j’ai vu combien vous aviez envie de moi.Évidemment, pour ce genre de vie, il faut beaucoup de passion. Avoir une discipline rigoureuse, se coucher tôt, éviter tout rapport sexuel inutile. La rencontre de la journée doit se terminer dans la journée. Le soir, au pire des cas. Il faut alors quitter le plus poliment possible votre conquête et prendre un repas léger à base de sucres lents. Se mettre au lit avec une lecture instructive. Par exemple, étudier comment Dom Juan réussit à séduire à la fois Charlotte et Mathurine dans l’acte II, scène 4. Et le lendemain, vous essayez ce coup double si difficile. En prenant votre petit café, il s’agira alors de repérer deux jouvencelles. Attention de ne pas tomber sur des homosexuelles ! L’observation doit vous guider une fois de plus pour ne pas commettre de telles erreurs de débutant. Allez, je suis bon prince, je vous donne une petite clef, le début d’une conversation plausible :— Bonjour Mesdemoiselles. Non, n’ayez pas peur, je ne suis pas un dragueur. Sinon, vous pensez bien que je ne m’adresserais pas à deux jeunes filles en même temps, car comme dit le proverbe, qui trop étreint mal embrasse. Je vous assure que je n’ai qu’un but dans la vie : bien embrasser.