Il était une fois une belle jeune femme qui pleurait jour et nuit au fond de son cachot.— Qu’ai-je donc fait d’impardonnable – se lamentait-elle – pour qu’on m’ait oubliée au fond de cet ignoble réduit ? Mon crime est-il si impardonnable, qu’on me maltraite de la sorte ? Combien de temps croupirai-je encore en cet horrible lieu avant de revoir enfin mon cher soleil ?Et tous les jours, lorsque le vilain geôlier lui apportait son quignon de pain sec et sa misérable écuelle de soupe claire, elle se jetait à ses pieds, implorant un improbable pardon.Mais invariablement le garde-chiourme, insensible aux lamentations de sa captive, lui jetait dédaigneusement :— Fallait y penser avant, fille de rien ! Chez nous, on ne vole point les poires !Et il refermait à grand bruit la lourde porte qu’il cadenassait jusqu’au lendemain, laissant la malheureuse à sa désespérance.— Que je suis donc infortunée ! Qui viendra à mon secours ? Je n’ai point de mari, point se soupirant pour plaider ma cause auprès de notre roi que l’on dit pourtant juste et bon ! Tout ça pour une misérable poire que j’avais cueillie afin d’étancher ma soif à l’issue d’une rude journée de labeur !Et elle pleurait tant et tant que la paille déjà humide de son cachot en était plus détrempée encore.Or, comme pour aggraver encore une situation déjà pathétique, l’hiver fut cette année-là particulièrement rigoureux. Outre les tourments qu’endurait la captive, elle eut à supporter entre ses quatre murs suintants d’humidité, un froid épouvantable.Pervers, le geôlier s’amusait des tourments de la jeune femme, qui, bientôt, tomba dans un état d’hébétude inquiétant.Mais il advint qu’une nuit plus terrible encore que toutes les précédentes, la cellule s’emplit soudain d’une vive lueur qui tira Blanche – vous ai-je dit qu’elle s’appelait Blanche ? – de sa léthargie.Qui d’autre que le bourreau pouvait ainsi pénétrer nuitamment dans sa cellule ? Assurément, ce ne pouvait être que lui !Prise d’angoisse, elle se redressa en sursaut de l’immonde paillasse où elle somnolait et demanda d’une voix angoissée :— Qui est là ? Qui vient encore accroître mon tourment ?Il n’y eut pas de réponse, mais elle eut la surprise d’entendre, comme sortant des murs, une douce musique. Tout de suite, elle reconnut « Un Jour, mon Prince viendra » le sirupeux thème musical du Blanche-Neige de Walt Disney ; sa musique préférée.Elle en fut bouleversée. Peut-être n’était-ce après tout qu’un rêve né dans son cerveau malmené par les tourments endurés depuis de longs mois ?— Qui est là ? répéta-t-elle.— Ne crains rien, Blanche, c’est moi !Tournant la tête, elle aperçut le père Noël accoudé près de la lourde porte et qui lui souriait. Il était beaucoup plus jeune et beau que dans les descriptions enfantines qu’elle avait en mémoire.— Comment ? C’est vous ? Mais que faites-vous donc ici ?— C’est la nuit de Noël, Blanche, alors je suis venu t’apporter réconfort et chaleur, comme à tous les êtres vivants…— Prenez garde, père Noël ! Si jamais le geôlier vous découvrait ici, il serait capable de tout ! C’est un homme méchant et cruel !Le père Noël sourit.— Ne crains rien, Blanche ! Le geôlier ne viendra pas te tourmenter ce soir. Et puis, tu sais, il n’est pas si méchant ! C’est un pauvre homme qui fait simplement son travail. Et son travail est précisément d’être geôlier !Il avait un sourire si lumineux, une voix si douce, ses yeux étaient si clairs, que Blanche fut bientôt rassurée. Il semblait ne pas souffrir du froid et de l’humidité qui régnaient en ce lieu, contrairement à la jeune femme qui tremblait continuellement et toussait d’une mauvaise toux.Le père Noël s’en inquiéta :— Ma pauvre Blanche, tu es donc malade ?— Hélas, il fait si froid ici et je mange si peu, je dors si mal, qu’une fièvre pernicieuse m’habite depuis quelques jours déjà ! Si personne ne vient à mon secours, je crois que j’en mourrai bientôt !Elle soupira et reprit d’une voix résignée :— Mais qu’importe, en vérité, que je vive ou meure ? Personne ne s’intéresse à moi. Je suis seule ! Si seule !Alors le père Noël s’approcha d’elle et claqua dans ses mains. Aussitôt la lumière s’accentua et une douce chaleur envahit le cachot.Puis il tapa deux fois dans ses mains, et soudain l’immonde paillasse infestée de vermine fut remplacée par un superbe lit en cent soixante, recouvert d’un moelleux édredon pur plumes naturelles.Il tapa trois fois dans ses mains, et une table roulante dorée chargée des mets les plus exquis remplaça bientôt la cruche fêlée où croupissait l‘eau fétide et l’écuelle ébréchée, pleine encore de l’infâme brouet auquel elle n’avait pas touché.Émerveillée de ces prodiges, terrassée par l’émotion, Blanche ne pouvait parler, n’émettant que des « oh ! » et des « ah ! » de ravissement à chaque nouvelle métamorphose.— Et attends ! Tu n’as encore rien vu ! Tiens ! Qu’est-ce que tu dis de ça ?Le père Noël tapa quatre fois dans ses mains, et Blanche vit avec stupéfaction ses haillons misérables remplacés par un magnifique déshabillé de mousseline blanche.Il tapa cinq fois dans ses mains et elle fut bientôt lavée, parfumée, maquillée, manucurée et coiffée.Il tapa six fois dans ses mains et elle vit son cou, ses poignets et ses doigts s’orner des plus précieux bijoux, tandis qu’un diadème de sublimes pierreries brillait à son front.— Alors ? Heureuse ? demanda le père Noël d’une voix légèrement infatuée.— Mais c’est trop, père Noël ! Beaucoup trop ! balbutia Blanche.— Et maintenant, tu vas voir ! J’ai gardé le meilleur pour la fin !Il tapa sept fois dans ses mains. On frappa doucement à la porte de la cellule. Affolée, Blanche implora le père Noël du regard :— Mon Dieu, mon Dieu ! C’est assurément le geôlier qui vient à présent ! Cachez-vous, père Noël ! Et aidez-moi !— Mais voyons, Blanche ! On a simplement frappé à ta porte… C’est à toi de répondre !— Vous êtes sûr ?— Certain !— Euh… Entrez ! dit Blanche d’une voix incertaine.La porte s’ouvrit et un domestique à l’air compassé entra :— Madame a appelé ?Blanche fut stupéfaite de reconnaître son geôlier sous la livrée rayée. Constatant l’embarras de Blanche, le père Noël intervint :— Comment vous appelez-vous, mon ami ?— Amédée, Monsieur, pour vous servir…— Eh bien, Amédée, veuillez s’il vous plaît servir le souper. Nous avons grand-faim !— Bien Monsieur !Le domestique frappa à son tour dans ses mains, faisant apparaître une table ronde couverte d’une nappe brodée de fil d’or.— Monsieur et Madame souperont-ils seuls, ou attendent-ils des convives ?— Nous serons trois, Amédée, nous avons un invité… Un invité de marque !Amédée frappa trois fois dans ses mains. Aussitôt trois magnifiques chaises dorées apparurent autour de la table.De quelques gestes sûrs, le domestique eut bientôt fait de dresser trois couverts. La vaisselle était de la plus diaphane porcelaine, les verres du plus léger cristal et les couverts de vermeil. Quand il eut fini, il se tourna vers Blanche et demanda :— Quel menu Madame désire-t-elle ?Décontenancée une nouvelle fois, Blanche appela d’un regard suppliant le père Noël à son secours.— Eh bien que nous proposez-vous, mon ami ? demanda ce dernier.— Tout ce que Madame et Monsieur désirent est à leur disposition !— Voilà qui est bien embarrassant ! Ma chère Blanche, tu permets que je t’appelle Blanche ? me laisseras-tu te surprendre encore en composant moi-même ce repas ?— Eh bien je…— Ah, merci ! Tu verras ! Nous allons nous régaler !Il s’approcha d’Amédée et lui parla à l’oreille. De temps à autre, le domestique acquiesçait d’un signe de tête.— Maintenant, allez, mon ami, et n’oubliez rien !Le domestique se retira après un léger signe de tête en refermant sans bruit la porte derrière lui. Blanche n’entendit pas cette fois l’horrible tintement des clefs qui accompagnait en temps normal la sortie de son gardien.Le père Noël s’approcha en souriant de la jeune femme :— J’espère que tu vas aimer, Blanche ! Je fais à mon idée ! C’est que je suis un peu gourmand !— Ce sera sûrement très bien ! dit d’une toute petite voix la pauvre Blanche, à qui la seule évocation d’une nourriture saine et abondante donnait le vertige.— Notre invité ne va plus tarder à présent ! Si nous buvions une petite coupe de champagne en l’attendant ? Ne dis pas non ! C’est soir de fête ! Et puis cela le fera arriver !Sans attendre la réponse, il ouvrit la porte de la cellule et appela :— Oh là, Amédée ! Champagne ! Nous avons grand-soif !Quelques secondes plus tard, le domestique revint, portant un plateau où étaient disposées deux coupes de pétillance ambrée.Le père Noël en tendit une à Blanche et prit l’autre, tandis qu’Amédée se retirait.— À quoi pourrions-nous boire ? demanda-t-il. As-tu une idée ? Un souhait ?— Non… Tout cela est tellement inattendu… Tellement merveilleux ! Je me demande si je ne suis pas en train de rêver !— Alors, buvons à ton rêve ! dit-il en levant sa coupe.— Je ne sais pas quoi dire…— Eh bien, ne dis rien ! Bois un peu de ce délicieux breuvage !— C’est que je n’ai pas bien l’habitude ! Je crains que l’alcool ne me grise !— Allons, allons ! Tu ne risques rien ! Porte simplement la coupe à tes lèvres. Les petites bulles feront le reste !Blanche allait obéir à cette douce injonction lorsque trois coups furent à nouveau frappés à la porte, qui s’ouvrit pour faire place à un autre domestique portant une magnifique livrée jaune et bleue.— Le Roi ! annonça-t-il d’une voix forte.Des trompettes retentirent, tandis que le monarque faisait dans la cellule une entrée lente et majestueuse.Le père Noël s’approcha, fit une révérence et dit :— Votre Majesté nous fait un incommensurable honneur en venant ici ce soir partager le repas de son humble captive ! Et je ne doute pas que Blanche, qui occupe bien malgré elle ces lieux, soit sensible à l’honneur qui vous lui faites, Sire !— Approchez-vous donc, jeune Blanche, que l’on vous voie, dit le Roi en souriant.Tremblante de timidité, la jeune femme s’avança et fit un simulacre de révérence qui amusa le monarque.— Dieu qu’elle est amusante ! Si maladroite, si étrangère aux élégances de ma cour et pourtant si belle ! Si fraîche ! Bon ! Eh bien, puisque nous sommes ici pour souper… soupons ! dit le monarque en prenant place à la table. Blanche prendra place à ma droite, et vous, père Noël, à ma gauche !Les deux convives s’assirent comme cela leur avait été commandé. Amédée apparut et claqua à nouveau dans ses mains. Aussitôt les plats les plus raffinés apparurent.**********— Très très bon ! – dit le Roi à l’issue du festin. – Je ne sais qui est votre cuisinier, mais vous le féliciterez en mon nom ! Rarement me fut donnée l’occasion de pareil régal !Sensible au compliment, le père Noël s’inclina et, désignant Blanche, dit :— Sire, notre jeune amie que vous voyez empourprée de timidité, méritait bien pareil présent !Le roi acquiesça de la tête et s’adressa à la jeune femme :— Alors, jeune Blanche ! Si vous nous parliez un peu de vous ? Que fait donc une si jolie personne dans un aussi triste endroit ? Je reconnais que vous l’avez décoré avec un goût exquis, mais cela reste une prison, n’est-ce pas ?— Eh bien, je…Blanche avait conservé de l’éducation reçue de ses humbles parents une réserve qui lui interdisait de se répandre en jérémiades, plaintes et autres lamentations, aussi fondées fussent-elles. Elle fut incapable de répondre à la question du Roi, qui insista pourtant :— Eh bien ? Parlez sans crainte, Blanche ! Que redoutez-vous ? C’est la nuit de Noël, moment de paix universelle ! Nul ne songe ici à vous tourmenter, ni même à vous moquer !— Et puis, ajouta le père Noël en s’approchant de la jeune femme, la magnanimité de notre Roi est proverbiale ! Tu peux donc lui dire tout ce que tu as sur le cœur !Alors Blanche n’eut plus peur et raconta son histoire : les dix-huit heures de travail quotidiennes en CDD dans la demeure de l’infâme Carabosse pour un salaire de misère, ses quatorze petits frères et sœurs dont trois anormaux, qu’elle élevait seule après que ses parents eurent dramatiquement péri dans un accident d’autocar, la faim, la peur de lendemains encore plus terribles… Elle raconta tout jusqu’au funeste jour où, rentrant harassée encore plus que de coutume, elle avait cueilli presque machinalement cette poire si appétissante. La colère du propriétaire, qui avait surgi à cet instant, les gendarmes qui sentaient l’ail, le procès, et la prison enfin où elle croupissait aujourd’hui sous la garde de son cruel geôlier.Elle parla longtemps, tant elle avait à dire de misère, de tristesse, et de souffrance. Elle ne s’interrompait que pour boire de temps à autre une gorgée de champagne, tant ce long récit lui donnait soif, à elle qui avait en ces lieux perdu l’habitude de parler.— Et voilà, mon bon sire, cette fois, hop, j’ai fini ! dit-elle légèrement grisée par l’alcool.— Quelle histoire ! dit le Roi qui semblait sincèrement touché. Jamais je n’eusse pensé qu’il y eût tant de misère parmi mes bons sujets…— Porca miseria ! ponctua le père Noël qui savait les langues étrangères.— Mais, dis-moi, petite Blanche, tu es certaine que tu n’en rajoutes pas un peu, histoire de m’émouvoir et d’édulcorer ainsi le châtiment qui te frappe ? demanda le roi d’une voix soudain suspicieuse.— Oh non, là je vous l’ai fait court ! Si vous saviez… Ah la la ! Si vous saviez !Et elle s’écroula sur la table, la tête dans ses mains, secouée de hoquets et de pleurs.— Je suis malheureuse ! Comme je suis malheureuse ! sanglota-t-elle.Le roi se leva et s’approcha d’elle d’une démarche incertaine :— Mais non, mais non ! Je disais ça pour rire ! Tu vas voir ! Si tu es très, très gentille, je vais peut-être pouvoir arranger ça !— Mais… mais… Sire ! Que faites-vous ? Mais que faites-vous donc ? Et que vous avez les mains froides !— Reste tranquille, ma petite Blanche… Je vais m’occuper de toi, dit-il en l’entraînant vers le lit.Et le roi abusa de Blanche, bientôt suivi du père Noël qui répétait sans cesse :— Quelle misère, mais quelle misère !— À toi de faire ! dit ensuite le Roi à Amédée. Profite ! C’est pas tous les jours Noël !**********— Hou là ! dit le Roi en regardant sa montre. Faut que je rentre au palais, moi ! Sinon la Reine va encore me faire ma fête !— Et moi, c’est pas tout ça, mais j’ai du boulot ! dit le père Noël. Douce nuit, sainte nuit et tout le tra-la-la ! Je suis pas encore couché !— Ces messieurs n’ont plus besoin de moi ? demanda le domestique.— Non non, mon bon Amédée ! Merci, c’était très bon ! Vous n’avez qu’à ranger un peu. Et n’oubliez pas d’éteindre en partant !Le Roi et le père Noël s’éloignèrent, chacun de son côté, non sans avoir remis un peu d’ordre dans leurs vêtements.Amédée tapa une fois dans ses mains et Blanche retrouva ses haillons de captive.Il tapa deux fois dans ses mains et la table, les chaises, et la vaisselle disparurent.Il tapa trois fois dans ses mains et le lit à son tour s’évapora, laissant place à l’immonde paillasse.Il tapa quatre fois dans ses mains et le froid et l’humidité envahirent à nouveau le cachot.Il tapa cinq fois dans ses mains et Blanche reprit ses lamentations :— Hélas ! Hélas ! Combien de temps croupirai-je encore en ce lieu horrible avant de revoir enfin mon cher soleil ?Et tous les ans depuis, on commémore cette pénible histoire en mangeant la dinde de Noël.