RencontreUn vendredi soir comme tant d’autres. La musique de mon baladeur inonde mes oreilles alors que je monte dans le bus qui doit me ramener chez moi. Comme trop souvent il est bondé et je dois me serrer contre une fenêtre. Les portes du bus se referment et de la même manière je me referme dans ma bulle musicale.Je n’ai pas dû ressentir les premiers frôlements d’une main inconnue sur la mienne. Ce n’est que maintenant que la pression exercée se fait plus insistante que j’émerge de mon concert. Mon regard se fixe sur cette main anonyme puis remonte du bras jusqu’au visage de sa propriétaire.Ce visage ne m’est pas inconnu, certes non. Cependant il appartient à une personne que je n’ai pas vue depuis plusieurs années : Nathalie. Son prénom s’est instantanément affiché dans mon esprit. Nous avons grandi dans le même immeuble, c’était la voisine du 7ème étage, alors que moi-même j’habitais au 3ème. Tout au long de notre adolescence un mur infranchissable nous a séparés : sa beauté et ma timidité.Elle était courtisée par tous mes copains, par tous les garçons du quartier, par tous les hommes de la terre, me semblait-il. Souvent, je l’ai vue assise sur le mur de pierres devant notre immeuble, en compagnie de copines, de garçons et parfois seule. Mais jamais je n’ai osé l’approcher, lui parler, faire davantage connaissance. Il faut dire que nos rares échanges, qui ont pratiquement tous eu lieu dans ou devant l’ascenseur, me renforçaient dans l’idée que j’étais le plus ridicule des hommes : je bredouillais un salut, elle me souriait, je rougissais et devenais muet.Malgré la maigreur de nos échanges je la connaissais tout de même assez bien. Elle occupait une place importante dans nos discussions d’adolescents, mais rares étaient ceux qui avaient pu la fréquenter. Il y en avait quelques-uns pourtant, et je les haïssais en secret. Mais ces aventures adolescentes n’avaient jamais duré longtemps, du moins à ma connaissance. Puis un jour Nathalie est partie étudier en Allemagne, elle a ainsi disparu de mon quotidien et je me suis retrouvé seul face à mes regrets.Elle est aussi belle que dans mes souvenirs. Sa longue chevelure blonde cascade toujours sur ses épaules. Le bleu de ses yeux continue d’inonder celui qui ose les fixer. Sa petite bouche est toujours… Je ne saurais dire combien de temps s’est écoulé depuis le moment où je l’ai reconnue, mais elle juge que c’est assez car elle retire les écouteurs de mes oreilles et m’amène ainsi à la réalité de cette rencontre. Elle me salue jovialement tout en reposant tranquillement sa main sur la mienne.Je dois me faire violence pour contrôler mes émotions et répondre à son sourire. Mais déjà Nathalie entame la discussion. Je lui laisse volontiers le monopole de la parole et elle commence à me raconter ses années d’études à Berlin. Lorsque le bus s’immobilise à l’arrêt auquel je dois descendre, je suis obligé d’interrompre Nathalie qui était en train d’imiter l’accent de son professeur de mathématiques. Sans hésiter elle me suit hors du bus afin de poursuivre son propos et spontanément je l’invite chez moi. Elle accepte avec un immense sourire et nous commençons à déambuler côte à côte de manière assez sonore. Entre deux éclats de rire je sens sa main venir chercher la mienne et c’est tout naturellement que nos doigts s’entrelacent.Révélation— Tu as bien changé, Eric, me lance Nathalie en s’asseyant dans mon canapé.— En bien, j’espère ?— Ton côté mystérieux m’a toujours attirée et là je te trouve presque trop normal !— Je ne le crois pas ! On se croise sans se parler pendant des années et madame me trouve secrètement attirant et mystérieux. Je surpasse péniblement ma timidité et voilà que je reçois l’étiquette de l’homme banal, sans intérêt.— Je n’ai pas dit ça, mais…— Mais ?— Y a-t-il toujours en toi cette chose indéfinissable qui me faisait frissonner ?— Je ne sais pas quelle partie de moi te fait autant d’effet, mais ce que je peux t’affirmer c’est que je n’ai pas beaucoup changé. J’ai réussi à me débarrasser d’un peu de ma timidité et c’est heureux car sinon notre rencontre serait déjà un souvenir. Mais pour le reste… ?Nathalie reste un moment silencieuse avant de reprendre d’une voix plus faible et légèrement hésitante :— J’ai envie d’avoir une aventure sexuelle avec toi, Éric…Elle m’aurait décroché un coup de poing dans l’estomac, je pense que cela m’aurait fait moins d’effet.— Je… comment… moi ? Mais nous ne nous sommes pas vus depuis plusieurs années et je n’ai jamais eu l’impression que j’existais pour toi !Tout se bouscule dans ma tête. Mais quel imbécile je fais, je ne vais tout de même pas refuser une proposition aussi incroyable ? Je tente de me ressaisir :— Je… oui… moi aussi je… tu crois que oui ?Elle reprend d’une voix encore plus faible :— Est-ce que j’existais pour toi durant toutes ces années ?Je n’ai pas entièrement récupéré de ma surprise, mais je parviens à répondre plus ou moins clairement :— Certes oui, tu es tellement belle. Je m’en suis toujours voulu de ne pas avoir eu le courage de t’aborder… Oui, bien que l’on ne se soit jamais vraiment connu, bien que tu sois partie en Allemagne, tu as continué d’exister pour moi.Nathalie me fixe longuement puis articule doucement :— Quels genres de fantasmes as-tu ?Cherche-t-elle à me mettre K.O. ? Comment pourrais-je répondre à cette question si personnelle, si embarrassante ? Je n’arrive plus à articuler la moindre parole. Nathalie continue de me fixer un moment puis ajoute en murmurant :— Moi, j’ai des fantasmes bizarres, certains hommes en ont peur, me trouvent folle. Mais si tu veux vivre une aventure avec moi, il faudra les accepter.Je suis totalement décontenancé. Où Nathalie souhaite-t-elle m’entraîner ? Je ne sais plus quelle attitude adopter. Sans attendre de réponse, elle est venue se placer juste devant moi, son visage est maintenant à quelques centimètres du mien. Je perçois le frôlement de ses cheveux, un océan bleu inonde mon regard, un souffle chaud coule sur mes joues, nos lèvres se rencontrent, nos bouches fusionnent, nos langues s’enlacent… Aie !Les règles du jeuJe recule vivement, une douleur aiguë dans la bouche. Je porte une main à mes lèvres et je constate que mes doigts sont couverts de sang. Incrédule, je regarde Nathalie et lui lance :— Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Pourquoi m’as-tu mordu ainsi ?Elle me tance d’un regard que je ne lui connais pas, un regard de défi :— Si tu veux jouer avec moi, tu dois connaître les dangers auxquels tu t’exposes. Je suis sauvage et par conséquent dangereuse. Si tu veux me posséder il faudra que tu me domptes. Mais gare à toi si tu as le moindre moment d’inattention car alors la douleur tu expérimenteras.Un moment m’est nécessaire pour digérer son propos. Mais petit à petit je commence à comprendre son petit manège et le jeu qu’elle souhaite ainsi m’imposer. Cela déclenche en moi une certaine excitation ; seulement je préfèrerais en connaître les règles sans devoir les expérimenter douloureusement :— Pourrais-tu exposer tes règles de jeu de manière théorique ?Et j’ajoute avec un petit ton de défi dans la voix :— Une fois que je les connaîtrai je te promets que tu ne seras pas déçue par la pratique.Je vois dans le bleu de ces yeux un pétillement d’écume, Nathalie s’est trouvée un fou prêt à l’affronter et elle s’en réjouit. Elle me dit alors d’une voix neutre, comme si elle récitait une recette de cuisine apprise par cœur :— Voici les règles :1. Le jeu a une heure de début et une heure de fin qui doivent être déterminées d’un commun accord.2. Pendant le jeu aucune pause n’est acceptée. Cependant si un des deux joueurs prononce le code champignons vénéneux le jeu prend fin immédiatement.3. Le but du jeu pour toi est de parvenir à avoir un rapport sexuel avec moi. Le but du jeu pour moi est de t’empêcher d’avoir un rapport sexuel avec moi.4. Tu peux utiliser tous les moyens que tu souhaites pour parvenir à atteindre ton objectif, mais tu ne dois en aucun cas recourir à la douleur.5. Tous les moyens me sont autorisés pour me défendre. Et je pense que tu as déjà compris que moi je n’hésiterai pas à te faire mal !Je reste un moment pensif avant de questionner Nathalie :— Ton jeu est diabolique, mais je ne vois pas bien ton intérêt. Souhaites-tu avoir un rapport sexuel ou non ?Nathalie me regarde en souriant :— Tu as peur d’avoir l’impression de commettre un viol ? Rassure-toi, j’ai envie de toi, mais j’aurai encore davantage de plaisir en te frustrant et en t’infligeant quelque souffrance.C’est à mon tour de sourire :— Oui, tu es vraiment un peu folle !Je réfléchis à nouveau quelques instants puis la questionne encore :— Le fait que tu puisses utiliser la douleur, alors que je dois l’éviter crée un déséquilibre important, que même la différence de force musculaire ne comble pas. Est-ce que le jeu débute de manière équilibrée ou est-ce que j’ai le droit de l’initier à mon avantage, par exemple en te ligotant ?Nathalie me regarde d’un air amusé :— Je vois que tu es déjà en pleine réflexion stratégique ! Nous dirons que pour la première partie tu auras droit à un avantage initial. Mais pour la première partie seulement !Nathalie s’approche à nouveau de moi et, avant que j’aie eu un mouvement de recul, elle m’agrippe avec force et m’embrasse passionnément. Puis elle se recule et énonce d’une voix catégorique :— Première partie demain soir, préliminaire spécial à 19 heures 30.Elle sourit en disant cela et enchaîne sans sourire :— Début à 20 heures, fin à 22 heures.Et elle part sans plus m’adresser la parole.Première partieDire que j’ai passé toute la journée à penser à la soirée à venir serait une demi-vérité. J’ai également ressassé durant toute la nuit les règles du jeu que j’avais accepté. Ce qui était étonnant c’est que je pensais davantage au jeu qu’à Nathalie. J’étais comme fasciné par ce jeu de pouvoir et il occupait tout mon esprit. Ma stratégie était assez simple. Il me semblait absolument nécessaire de ligoter Nathalie de la manière la plus efficace possible. J’avais déjà attaché une de mes anciennes amies et, en plus du piment indéniable que cela avait donné à notre relation, cela n’était pas très difficile à réaliser. Mais il est vrai que Catherine se laissait faire et qu’elle ne cherchait pas spécialement à se libérer. Qu’en sera-t-il réellement de mes qualités de ligoteur lorsque Nathalie tentera par tous les moyens de se libérer ? Sans parler du jour où elle ne sera pas attachée au début du jeu…Il est maintenant 19 heures. Je passe en revue mes préparatifs pour cette soirée un peu spéciale. Tout d’abord les moyens de contention. J’ai préparé plusieurs cordes et un rouleau de scotch. Dans ma chambre, j’ai disposé mon matelas par terre au milieu de la pièce, cela me semble plus prudent si une lutte s’engage. Je me suis également préparé une solution de repli avec la possibilité d’enfermer Nathalie dans ma chambre pour attendre tranquillement 22 heures ! Car s’il y a une chose que j’ai comprise durant cette journée d’attente, c’est que je ne connais pas du tout la femme avec laquelle j’ai rendez-vous ce soir. La sonnerie de la porte d’entrée me fait sursauter et me tire de mes réflexions.— Salut Nathalie ! lancé-je en m’avançant pour l’embrasser.— NE ME TOUCHE PAS ! Ce soir nous sommes en compétition !Elle s’avance, magnifique, dans une tenue moulante et excitante. Elle est légèrement maquillée, seuls ses ongles rouge vif brillent aux éclats. C’est étrange, mais hier je n’avais pas remarqué qu’ils étaient si longs et si effilés. Nathalie me regarde tranquillement et me lance d’une manière hautaine :— Il est 19 heures 30, je te laisse trente minutes.Je lui prends la main et l’entraîne dans ma chambre. Un peu fébrile je ramasse une corde qui s’emmêle avec d’autres. Je les sépare et soudain je réalise que je n’ai pas songé à la tenue de Nathalie. Si je la ligote habillée, bien que légère soit sa tenue, je ne pourrai pas accéder à son intimité. Je suis embarrassé et lui demande :— Est-ce que je peux te déshabiller ?Nathalie me fusille du regard.— Il te reste vingt-six minutes.…Mes mains sont moites et je suis parcouru de tremblements difficilement contrôlables. Je me trouve devant cette femme nue d’une beauté hypnotique, et je sais que d’ici environ quinze minutes elle va se transformer en démon. Je dois absolument l’attacher de manière efficace. De son côté elle semble absolument décontractée, ou plutôt indifférente, ses muscles sont totalement relâchés et paradoxalement cette attitude me rend encore plus nerveux. Je tente de lui lier les poignets ensemble, mais les cordes paraissent ne pas vouloir se serrer, les nœuds refusent de m’obéir. Je vois les minutes qui s’égrenent et mon travail de contention n’est qu’une vague ébauche.Je décide finalement de la faire s’allonger sur le dos et de lui lier poignets et chevilles aux quatre coins du matelas. Cette manière de faire me semble plus simple et également très efficace.Il est 20 heures, deux mains et une jambe sont immobilisés, je reçois un gigantesque coup de pied pour me féliciter de mon travail ! Je m’écarte prestement et regarde avec quelle fureur Nathalie tente de se libérer. Elle se contorsionne, tire sur ses bras, bouge en tous sens, mais heureusement pour moi ces impressionnantes ruades ne lui permettent pas de libérer un autre de ses membres. Au contraire, à peine s’est-elle calmée pour reprendre son souffle que je me précipite sur sa jambe libre et que je parviens à lui garrotter efficacement la cheville. À croire que le fait de voir Nathalie se débattre comme une harpie m’a enlevé une partie de la tension qui me paralysait au début.Pour la première fois de la soirée je prends le temps de contempler Nathalie, ses seins, ses courbes, sa peau… Elle est incroyablement belle et désirable. Son corps nu et entravé excite mes instincts les plus primaires. Mon seul regret est que Nathalie ne traverse pas ce moment de la même manière que moi : elle se débat en tous sens et tente de me mordre lorsque je m’approche. Que faire ? Il me vient alors une idée, je sors rapidement de ma chambre et je vais chercher des petites bouteilles contenant différentes huiles essentielles. Je les ai reçues en cadeau il y a déjà assez longtemps et peut-être vont-elles m’aider dans ma conquête…Je dépose quelques gouttes d’huile au creux de mes mains et tout doucement je commence à masser les cuisses de Nathalie. Celle-ci est un peu décontenancée par la douceur de mes gestes qui contraste avec la fureur dont elle a fait montre. Par caresses successives, mes paumes partent à la découverte du corps sublime qu’elles humectent. Après les cuisses, c’est au tour des mollets, puis des bras d’être massés et huilés. Ensuite je soulève légèrement sa nuque et mes doigts s’attardent dans son cou. Lorsqu’arrive pour mes mains le moment de la découverte de ses seins, Nathalie ne peut s’empêcher de marmonner un petit cri de plaisir. Finie la rébellion, nos corps et nos esprits sont maintenant en harmonie.Délicieuse sensation, je suis comme un musicien qui joue d’un instrument merveilleux. Chaque caresse, chaque pression, chaque pincement, reçoit en écho une note de plaisir. Sans pouvoir attendre davantage, je m’allonge sur Nathalie. Nos corps ondulent, portés par une mélodie audible par eux seuls.Les cordes qui maintiennent les poignets et les chevilles de Nathalie sont tendues à l’extrême. L’excitation brûle en nous comme un incendie de forêt au cœur de l’été. Mon sexe, bandé comme jamais, bat une mesure infernale. Une incroyable symphonie de plaisirs résonne dans toutes les parties de nos êtres. Et voilà que Nathalie se met à crier, on dirait une cantatrice prise de folie… Je rassemble tout l’oxygène qui me reste et l’expire dans un dernier solo de trompette à piston… Nos corps vont à l’unisson dans ce récital de folie.…Le silence est retombé sur la chambre à la manière d’un rideau à la fin du spectacle. Encore essoufflée, le visage bouffi, Nathalie donne l’impression de ne pas pouvoir émerger du flot de plaisir qui l’a submergée. Tout doucement, sa tête se tourne vers moi et ses yeux pétillants me dévisagent.— Tu m’as bien eue, mon salaud. Jamais personne n’avait réussi à me faire décoller comme ça. J’espère que tu en as bien profité car c’était la dernière fois !Je vois ses yeux qui se ferment, elle est totalement épuisée. Elle réussit toutefois à me chuchoter avec un petit ton de défi :— Surtout ne me détache pas avant 22 heures ou tu es un homme mort !Je préfère ne pas répondre à cette vaine arrogance et je détourne le réveil qui affiche 22 heures 30. Je sais bien que cette première victoire n’est en aucun cas une garantie de succès pour la prochaine partie…