DEUX FRANGINES SINGULIÈREMENT DIFFÉRENTESChapitre 3 — Écouter l’autre, cela aurait dû être l’idée de départEn rentrant du camping, Morphée avait refusé de m’accorder le sommeil réparateur dont je l’avais pourtant supplié. A la place, il m’avait jeté les bouts glacés d’un cauchemar d’adultère révélé, saupoudrant ma nuit d’une franche pincée de réveils agités.Pour Léa en revanche, ce dieu mineur de la mythologie grecque s’était assuré qu’elle ne ressentît même pas la transition entre la banquette arrière de la voiture et le lit de mon studio parisien ; transition qui avait tout de même comporté un voyage chahuté par les parois d’un ascenseur exigu.Je m’étais donc réveillé, encore fatigué de la veille, assommé par une sonnerie — l’un de mes remix d’électro favoris — dont j’avais visiblement surestimé la capacité à discipliner mon humeur de chien. Après une tasse de café nécessaire, je me résolus à sortir profiter de la brise matinale.Perdu sur les quais de Seine, adossé à l’un de ses murets qui en offraient une vue plongeante, je m’oubliais, somnolent, dans les perspectives fuyantes d’un spectacle d’ondoiements.Le clapotis des flots capturait les traînées pêche et corail que les premières lueurs de l’aurore déposaient, par couches successives, dans le ciel. Au rythme du courant, les cabines branlantes de quelques péniches dormant ici et là réfléchissaient les rayons lumineux du soleil naissant. Le fleuve n’avait de cesse, chaque matin, de remettre le pinceau à l’ouvrage pour restituer les teintes confuses de cette toile éphémère.Je laissais divaguer, sur les vagues écumantes de ce miroir sans tain, les larmes de ma conscience. J’y voyais en négatif la couleur froide des jours passés, écartelé entre l’impression brute d’un amour coupable et la sensation raffinée d’un plaisir en manque. Héloïse embrasait mes fantasmes. C’était une évidence qui me dévorait chaque jour un peu plus. Pour autant, mon cœur lui déniait toute place en son sein ; ma raison lui refusait toute existence sociale. C’était une certitude sur laquelle reposait, dans son ensemble, l’édifice de ma réalité affective.Une délicate fragrance de rose me fit quitter l’impasse de mes pensées. Léa essayait discrètement de se glisser entre mes bras. Je sentais son parfum estomper peu à peu l’odeur épaisse du fourmillement urbain. Riant de sa manœuvre exagérée, je m’écartai du muret pour qu’elle se lovât contre moi. Elle posa sa tête au creux de mon cou, essayant manifestement de comprendre ce qui m’absorbait ainsi.– Tu t’étonnes d’un soleil levant qui impressionne encore?, me dit-elle amusée par son jeu de mots.– Oh bah tu sais, entre une Seine souillée de pollution et ton joli p’tit minois, je préfère encore regarder la carcasse de ce vieux fleuve, répondis-je sur le même ton.– Ah d’accord, la gratuité dès le matin, s’indigna-t-elle en souriant. Je crois que je vais te laisser avec ta flaque d’eau. Moi, je vais à la bibliothèque. Bon courage avec elle au lit, hein !, termina-t-elle en faisant mine de partir.Je la retins, rieur, resserrant davantage mon étreinte.– Qui laisserait filer la plus belle pièce de sa collection?, demandai-je rhétoriquement.– Je croyais que j’étais la seule, répliqua-t-elle d’un regard faussement outré.Cette fois, je ris jaune. Depuis notre escapade à Center Parcs, je n’avais pas encore eu à lui servir de faits controuvés. Je me contentais de mentir par omission, ce qui était bien plus léger à porter avec soi au quotidien. Sa boutade me renvoya brutalement ma lâcheté au visage. J’allais, tôt ou tard, devoir affronter la vérité. Je n’étais pas prêt à perdre Léa. Le serais-je un jour?Je manquai d’étouffer un bâillement — providentiel, il fallait le dire.– Petite nuit, remarqua-t-elle.– Mmmh, acquiesçai-je tout aussi laconique.Tel un arrière-plan désagréable, les débris ressuscités de la veille nous entourèrent. La tonnelle opaque vint gâcher ma vue, atténuant les bruits de la circulation parisienne. Le souvenir éprouvant du jeu flotta entre nous, inondant l’atmosphère d’un silence pesant. Chacun s’efforçait de se représenter la scène du point de vue de l’autre, sans toutefois parvenir à se débarrasser complètement des craintes qui s’y trouvaient projetées.– Tu sais à propos de ce qu’il s’est passé hier soir au camping…, commença-t-elle hésitante.– Je t’aime, la coupai-je. De tout ce que nous pourrons dire par la suite, sache qu’il n’y a que toi à la barre de mon cœur. Chacun de tes baisers est une raison de plus pour moi de chavirer. S’il me fallait couler pour atteindre l’océan de tes yeux, alors je serai le plus heureux des hommes à ne pas savoir nager.L’emphase avec laquelle les acteurs de tragédie déclamaient leurs tirades m’avait toujours laissé perplexe, pour le formuler poliment. Du reste, mon imaginaire était pétri des lieus communs du romantisme au cinéma, codifiant à l’excès la rencontre stéréotypée d’un homme et d’une femme. Pourtant, en cet instant d’étrange profondeur, l’audace grandiloquente de ma verbe sonnait juste, sans qu’il n’eût fallu forcer le trait. Je m’étais ouvert de mon amour, comme on éplucherait un journal à la recherche de quelques vérités simples.Léa éclata en sanglots. Devant mon sourire goguenard, elle frappa mon torse d’un poing rageur.– Eh ! Tu n’as pas le droit de me dire de si jolis mots pour ensuite te moquer de moi, au nom de je ne sais quel énième cliché sur la sensibilité des femmes !, s’insurgea-t-elle en pleurs.Elle soupira devant mes efforts manifestes pour abandonner cet air narquois. J’entrepris, par d’habiles caresses, de sécher ses joues rougies.– Je suis amoureuse d’un enfant de douze ans, plaisanta-t-elle tristement.Malgré le sourire de circonstance qu’elle affichait, je n’étais pas dupe de ce que son visage trahissait. Ses yeux humides s’abîmaient dans un azur mélancolique, empreint de regrets amères qui me paraissaient prendre racine au-delà des évènements du camping.Je la câlinais tendrement, l’invitant à épancher son chagrin.– J’ai le sentiment de ne pas être à la hauteur au lit, lâcha-t-elle les larmes dans la voix. Je vois la sincérité de ton amour dans ta manière de me regarder, mais je vois aussi que tu es ailleurs lors de nos ébats. Je suis consciente de l’effet que te font certaines filles… J’ai l’impression que je ne pourrai jamais être aussi désirable qu’elles.Alors qu’elle cherchait ses mots entre deux sanglots contenus, j’ouvris la bouche pour la rassurer — assez hypocritement, je m’en voulais de le reconnaître. Il y avait tant de choses dont je voulais qu’elle fût consciente à propos de la sexualité. Pour cela, je devais bousculer les lignes de sa perception, préciser là où les représentations collectives demeuraient vagues, susciter le doute là où la société distribuait des certitudes, distinguer là où les tabous banalisaient. Le travail d’une vie, somme toute.Elle me fit signe de ne pas l’interrompre.– Il y a autre chose que je veux te dire… Peu d’hommes peuvent se vanter d’avoir un jour occupé mon cœur. J’ai toujours été réticente à le donner…Elle marqua une nouvelle pause. Elle semblait secouée, comme replongée dans les blessures de son passé. J’embrassai délicatement son front, espérant lui donner le courage de continuer.– Ma première relation sérieuse a perturber ma vie, reprit-elle. J’avais quinze ans, je débutais le lycée, je n’avais qu’une idée en tête : plaire. J’étais crédule et insouciante… Il y avait un mec ultra populaire en terminale, qui s’intéressait à moi. Dans ma tête, c’était le paradis. J’étais propulsée au centre de l’attention. Mes copines de classe m’enviaient, les gars de mon âge m’admiraient. On se voyait régulièrement. Il était toujours adorable avec moi. Et puis un soir, il a insisté pour je vienne à l’une de ses soirées. En fait, ce n’était pas vraiment une soirée. Il m’attendait avec deux de ses potes du rugby. Il m’a dit qu’on allait s’amuser. Je me sentais mal à l’aise, seule, au milieu de ces trois masses de muscles. Plus ils buvaient, plus ils devenaient intimes avec moi… A un moment, j’ai essayé de partir…Sa phrase resta en suspens, craintive à l’idée de décrire cet évènement qui avait depuis lors jeté une ombre traumatisante sur l’existence de Léa. Saisi d’un élan protecteur, je la serrai dans mes bras et pressai sur son front mes lèvres préoccupées.Ma copine m’avait ouvert les pages les plus tragiques de sa vie. Je fus pris des vertiges de celui qui s’apercevait, le jour levant, de la profondeur du gouffre au bord duquel, toute la nuit, il s’était assis béatement pour contempler les étoiles. Depuis bientôt un an, je prétendais aimer une femme que je n’avais pas comprise. J’avais laissé une routine lénifiante, secondée par un égocentrisme monstrueux, s’emparer de notre temps à deux, saturant de cloisons en papier l’intérieur de notre cocon amoureux. Je me savais coupable de cet aveuglement. Plus difficile encore que d’en prendre conscience, il me fallait à présent ouvrir les yeux sur la vulnérabilité de Léa.– Merci et pardon, mon cœur, finis-je par dire après plusieurs secondes de réflexion. Merci pour cette magnifique marque de confiance dont tu viens de me témoigner. Pardon pour ne pas avoir suffisamment été à ton écoute. Pardon pour ne pas avoir su t’apporter le soutien qu’il te manquait. Pardon pour la pression que je te fais subir au lit.Retrouvant une mine joyeuse, elle se hissa sur la pointe des pieds dans l’intention de m’embrasser. Ce fut à mon tour, en arrêtant son baiser d’un doigt, de lui signifier que je n’avais pas terminé.– Reprenons à zéro notre vie sexuelle, enchaînai-je. Je voudrais te faire découvrir l’érotisme tel qu’il me passionne. Tu mérites de jouir sans entraves de ton corps… Au fond, je ne demande qu’à te faire profiter de mes talents particuliers.J’avais prononcé cette dernière phrase en souriant malicieusement. Je ne m’attendais pas à la réaction de Léa : elle plaqua son ventre contre mon entrejambe, ondulant innocemment du bassin. J’accentuai alors un peu plus la sensualité de notre étreinte. Ajoutant un autre doigt sur ses lèvres pulpeuses, je jouais désormais avec elles, les pinçant, les tirant, les déformant doucement. Ma copine y fit écho en gémissant discrètement de plaisir.– L’entreprise ne sera pas facile, continuai-je. Il te faudra suspendre toute appréciation morale préalable, sans verser pour autant dans un relativisme anodin. Il faudra élever ta conscience au-dessus d’un monde soumis à des images fixes et totalisantes, sans renier pour autant le sens des apparences.Alors que je feignis de persister dans ce discours alambiqué, Léa attrapa ma main et cracha sur mes doigts. Couvrant de caresses suggestives mon index et mon majeur, elle les suçota amoureusement, jouant avec la salive dont elle les avait enduites. Je me tus complètement, ébahi, savourant les délicatesses que sa langue me prodiguait.L’intensité avec laquelle elle me fixait m’interloqua. Elle m’excitait d’un simple regard. Je la voyais persuadée de l’effet qu’elle me faisait, cela changeait tout. Je lui en fis part…Comme pour vérifier mes dires, elle palpa, satisfaite, l’état de mon entrejambe.– Tu serais surpris de ce que Julie pourrait m’enseigner, minauda-t-elle en laissant grésiller sa voix dans les tonalités plus graves.Une vision, peut-être prémonitoire, traversa mon esprit, celle de Léa et Julie rivalisant d’adresse pour s’occuper de mon sexe. Cette création imaginaire aux allures délicieuses disparut aussi fugacement qu’elle était apparue.– Tu serais surpris de tout ce que je pourrais te faire, murmurai-je d’une voix transpirante de désir.– Moi, je ne crois que ce que je vois, répondit-elle insolente.Me laissant en plan, seul avec mon excitation refoulée, elle partit d’un pas léger, les cheveux au vent.Cette discussion matinale en bord de Seine, anodine en apparence, représentait un pas décisif dans notre couple, le choc traumatique de Léa adolescente pouvant devenir entre mes mains la clé de sa libération sexuelle.Alors que j’imaginai avec délice les suites de ma réflexion, elle se retourna au coin de la rue.– Bon, tu viens? A t’entendre à l’instant, on avait beaucoup de travail, lança-t-elle par dessus le bruit des voitures, levant outrageusement les yeux au ciel.– Mais j’arrive de ce pas ma chère, répliquai-je, heureux, le désir à fleur de peau.Je passais le week-end suivant avec ma copine dans la maison de ses parents, une usine artisanale réhabilitée il y a une dizaine d’années par un architecte sans doute lasse des pavillons en série qui envahissaient alors par grappes les périphéries franciliennes.Tout en longueur, le bâtiment habillait le béton anthracite lisse de ses murs, d’un bardage en bois brûlé clair et de larges baies vitrées. Quelques pots de fleurs métalliques ornaient l’entrée qui se faisait par le garage, réaménagé à cet effet avec des pans de briques apparentes en terre cuite.Ce loft new-yorkais construit de plain-pied détonnait dans le paysage environnant. Où que portait mon regard, des résidences aux façades chargées de fioritures inexpressives se rangeaient, bien droites, les unes à côté des autres.L’ordonnancement rigoureux du quartier, selon des lignes de perspectives ininterrompues, soulignait bien le cirque qui s’y déroulait, propre aux jalousies de voisinage. La nouveauté d’une propriété s’observait, par répétition, sur celle de ses voisines ; l’originalité d’un détail se perdait, par dilution, dans celle de ses copies. Je pus ainsi noter qu’un bassin décoratif, à l’entrée de la rue, prenait successivement, les numéros passant, un design moderne, un style japonais, une forme orientale, un aspect rustique. Je préférais en rire…En ce dimanche ensoleillé, j’avais prévu, comme tout individu normalement constitué, de profiter du beau temps. Léa lisait, allongée sur un transat, vêtue d’un sweat-shirt que je pensais avoir perdu.Je comptais l’imiter lorsque son père m’intercepta en chemin, me réquisitionnant pour l’« aider à effectuer la vidange de la Clio » (sic). En fait, il se servait des convenances ambiguës régissant les relations gendre/beau-père pour se débarrasser d’une corvée. Je me retrouvais ainsi à m’affairer, seul, sous le capot d’une voiture qui ne m’appartenait même pas.Alors que j’étais allongé au niveau du châssis, j’entendis des talons claquer sur les dalles en béton. Sortant ma tête pour saluer ces bottines en cuir verni rouge, lacées sur le devant, je découvris une Héloïse en tenue d’écolière — enfin, selon sa conception à elle de l’uniforme scolaire : une paire de chaussettes hautes blanches remontaient timidement au-dessus de ses genoux ; une jupe écossaise couvrait à peine ce qu’il était indécent de montrer ; un chemisier assez transparent, largement déboutonné, laissait entrevoir un soutien gorge noir super push up. Ses cheveux lissés et rassemblés en deux couettes lâches conféraient à l’ensemble une innocence criminelle.Elle s’arrêta à côté de la voiture, surprise de m’y trouver. Prenant les devants, je décidai d’engager la conversation.– Salut Héloïse, dis-je, il faut qu’on parle…Elle se dirigea vers moi d’un pas sûr, écartant du pied les outils sur son passage. Je crus qu’elle ne m’avait pas entendu.– Héloïse, répétai-je, on ne peut pas continuer…Elle enjamba mon visage dérouté. Ses pieds, placés de part et d’autre de ma tête, m’empêchaient de bouger. Bloqué sous sa jupe, je ne pouvais que regarder son intimité, dépourvue de culotte, impeccablement épilée.– Je me fiche éperdument de ce que tu vas dire. Moi, ce qui m’intéresse, là tout de suite, c’est ta langue, assena-t-elle.Elle ponctua sa déclaration d’un sourire glaçant, en regardant ostensiblement mes lèvres.– Hein?, répondis-je abasourdi. Mais je suis amoureux de ta…Elle ne me laissa pas le temps de terminer ma phrase. Elle s’accroupit et écrasa son sexe contre ma bouche. Agrippant mes cheveux de ses mains, elle se frotta frénétiquement sur moi, étalant sa cyprine abondante de mon menton jusqu’à mon nez. Dans ce monde aqueux où filtraient quelques rayons de lumière à travers le tartan rouge, je me concentrai pour respirer lorsque c’était possible.Ses mouvements étaient abruptes, sans douceur. Je sentais les muscles de ses cuisses se contracter contre mes joues. Elle ne cherchait que son orgasme. Après plusieurs minutes de gémissements étouffés, elle y parvint. Son cri de jouissance me fit bander, malgré tout.Cette situation émoustillait mes sens bien plus que je ne m’y attendais. Confiné dans un espace insolite, je sentais le béton froid du sol contraster agréablement l’humeur chaude qui coulait sur ma peau. Une divine odeur de sexe féminin emplissait mes narines. Je surpris ma main se frayant un chemin jusqu’à mon membre déjà excité.Héloïse resta un moment pantelante, adossée à la voiture, au-dessus de mon visage. Elle releva ensuite complètement sa jupe, dévoilant un visage satisfait de conquérante qui me toisait de haut. Je crus qu’elle avait obtenu ce qu’elle voulait, qu’elle allait enfin me libérer.En réalité, mon envie de m’extraire de cette position soumise me paraissait de plus en plus fade. Une partie de moi ne demandait qu’à servir de nouveau de support inerte au plaisir à sens unique de cette dominatrice sexuelle.– T’es trop mignon comme ça, ricana-t-elle. Mais t’es tout crade, je vais te nettoyer, ajouta-t-elle d’un regard malsain.Je ne compris le sens de ses paroles qu’à l’instant où un liquide brûlant, nauséabonde, inonda mon visage. Elle m’urinait dessus, sans aucune gène. Je fermai les yeux et retins ma respiration, tâchant d’ignorer la souillure que je subissais. Le cours de mes pensées s’arrêta, pris dans des vents contraires, suspendu entre l’attrait d’une nouveauté inavouable et le rejet d’une dépravation inacceptable. Aucune réflexion d’ensemble ne prospérait. Toute conclusion logique s’effaçait. J’étais là, allongé, spectateur impuissant mais curieux de ma dignité en fuite.La dernière goutte tombée, Héloïse se redressa et repartit comme une fleur, un sourire pervers aux lèvres. Je restai stupéfié par ce qu’elle venait de faire, par les proportions que venaient de prendre cette rivalité puérile entre frangines. Avais-je seulement le droit de me plaindre de ce qu’il m’arrivait? N’étais-je pas, sinon l’auteur, du moins le protagoniste de cette escalade de dévoiement?La vivacité des jours suivants occulta presque complètement l’épisode de cette douche dorée, la pression des cours prenant le pas sur le reste. Je poursuivais, en effet, un objectif ambitieux, celui de réussir un concours administratif exigeant. Le vaste horizon qui s’étendait dans mon esprit, s’en trouvait nécessairement borné. J’avais, de plus, tendance à laisser mes réflexions opérer en silo, hiérarchisant et cloisonnant, de sorte à garantir, le cas échéant, l’intégrité d’un compartiment en dépit de son voisin avarié. Héloïse comme Léa, chacune à leur manière, l’une brusquement, l’autre tristement, me renvoyaient l’inanité d’un tel système de pensée.Un soir, alors que je sortais d’une conférence d’actualité donnée à des étudiants en prépa, Léa passa me prendre. Elle m’attendait, adossée à un lampadaire aussi vieux que l’apparition de l’éclairage public, devant les grilles d’un établissement scolaire d’apparence encore plus vétuste. C’était à se demander où fuitaient les deniers de l’Éducation nationale.En vérité, les mots choisis ne rendent pas bien compte de ce qu’il s’est véritablement produit. Ma copine a fait plus que « passer me prendre », elle m’a pour ainsi dire décontenancé, et ce, à bien des égards.Elle se languissait, sensuelle, sous la lueur blême du réverbère : une jambe repliée, une cambrure dessinée, des mains jointes au creux du dos, une tête délicatement rejetée en arrière, un regard perdu dans le lointain, le tout offrant à la délectation de chacun un cou fin, fragile, parfait.