Marc Audebert venait de repartir de Saint-Amant, troublé par les récits d’Anita. Cette jeune fille n’aurait-elle rien inventé ? Si encore elle avait cédé à son désir… mais elle l’avait repoussé, prétextant qu’elle était déjà fiancée à un autre. Alors pourquoi lui aurait-elle menti ? Mais pourquoi lui avoir raconté une telle histoire avec sorcellerie et malédictions à la clé ? Pour mieux lui faire peur ?Marc savait que chaque village dans la région regorgeait de récits de ce genre. De ces secrets inavouables et inavoués qu’on se raconte aux veillées sous l’emprise de l’alcool ou du désir. Sorte de contes horrifiques peuplés de monstres, de fées et de magie. Sa première réaction avait été un quasi rejet : trop d’étrangeté, trop de circonstances, trop de drames noués les uns aux autres avec toujours, comme dénominateur commun, cette vieille femme chez qui frappait le comte Desgrange.— C’est une histoire de fous, que vous me contez là.— Ce n’est hélas pas une histoire pour enfants et il n’y a rien d’inventé, je vous assure. La malédiction de la sorcière, nous en avons tous peur.— Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi vous ne faites rien ? Cette vieille femme est-elle donc si puissante que personne n’ose dénoncer ses agissements à la gendarmerie ou à la police ?— Elle s’est alliée avec une grande partie des notables de notre village et des environs. Et elle est très amie avec la famille Desgrange. Si jamais l’un de nous la dénonçait, il aurait de graves ennuis et sur tous les plans.— Pas avec un bon avocat, avait répondu le jeune homme avec malice. Je me sens tout disposé à vous défendre gratuitement si vous dénoncez la sorcière.Anita sourit :— Évidemment ! Vous avez le don de tourner en marivaudage tout ce que je peux vous dire. À croire que vous n’avez que cette idée en tête, ou bien encore l’envie de vous moquer de moi.— Mais non. Je suis sincère, Anita. Quand cesserez-vous de penser que je ne suis qu’un citadin méprisant et seulement avide de conquêtes féminines ? Bien sûr, je vous trouve charmante mais ce que je vous propose est très sérieux. Je règle de temps en temps quelques affaires sur l’Auvergne. Alors si jamais vous vous sentiez le courage de dénoncer cette mégère, je ferais tout pour vous aider, soyez-en sûre.Anita avait souri tristement.— Vous êtes gentil, Marc. Mais je pense que je n’oserai jamais. Et quand bien même, je ne crois pas que vous puissiez me protéger de la colère d’une sorcière. Ce ne sont pas les livres de droit que l’on peut opposer à la magie noire, mais la magie elle-même. Et je ne pense pas que vous ayez assez de savoir en la matière.Le jeune avocat avait soupiré et il avait quitté la jeune fille après un dernier baiser. À présent qu’il roulait pour rejoindre l’hôtel du Pont à Ambert, il se demandait ce que faisait Anita. Était-elle couchée ou bien pensait-elle à lui ? Elle lui plaisait et il discernait, malgré ses préventions, une nature ardente chez cette jeune fille, nature qu’elle s’efforçait de dompter par une dose de pragmatisme forcené. Un peu plus tôt, pour tenter de fléchir sa volonté de se refuser à lui, il lui avait dit :— Je suis sûr que vous aimeriez vivre à Paris avec moi.— Beaucoup. Mais je ne suis pas assez folle pour croire que vous me le proposeriez sérieusement. Pas assez naïve non plus pour penser que je puisse plaire à votre famille et pas assez romanesque pour songer que je vous intéresserais suffisamment pour que vous décidiez de m’épouser. Vous m’avez donné un peu de rêve et c’est tout ce que vous pouvez m’offrir. J’ai apprécié ce cadeau, vous pouvez en être sûr et je n’en demande pas plus. Ici, il y a un garçon qui pense à moi pour le mariage. Peut-être moins séduisant que vous, mais je suis sûre au moins que son amour est vrai, et que j’ai un avenir possible avec lui. Si je me donnais à vous et vous suivais, je renierais les miens et finalement je perdrais tout. Je deviendrais une maîtresse que vous délaisseriez à la première occasion, dès lors qu’une séduisante Parisienne fortunée ferait son apparition. Je serais malheureuse, je n’aurais plus qu’à finir domestique ou tenter une carrière de prostituée, et franchement, je n’ai pas envie d’un tel avenir. Même si ce que j’ai ici m’ennuie, je peux au moins compter dessus.Marc Audebert avait souri devant tant de réalisme et d’entêtement et il avait répondu avec amusement :— Vous n’êtes pas faite pour rester dans ce trou perdu. Je ne suis sans doute pas le bon candidat pour vous enlever mais je suis sûr qu’un jour viendra où un citadin vous proposera le mariage que vous attendez.— Si une telle chose arrivait, il me faudrait l’assurance d’avoir mon indépendance financière. Et je vous le demande, quel homme riche voudrait que sa femme travaille ?— C’est vrai que ça me déplairait. Mais il doit bien y avoir quelques hommes célibataires de nos villes de province qui vous laisseraient cette liberté.— Un fou, peut-être ?Et pour conclure cet entretien, elle avait ri :— Vous devriez filer avant que je lâche Diablou. Parce que je crois que nous avons assez dit de bêtises et de folies pour une seule nuit, vous ne pensez pas ?Marc Audebert avait ri aussi avant de prendre congé d’Anita. Et il souriait encore au volant de son automobile lorsqu’il fut dépassé, aux abords du Monestier, par une Delage gris perle roulant à vive allure.— Par exemple ! Que fait donc le comte à près de 4 Heures du matin sur cette petite route ?Il ralentit en arrivant au hameau, vit la Delage obliquer vers la route des crêtes, hésita à la suivre mais la curiosité était trop forte. Il attendit que la voiture de Desgrange soit hors de vue pour monter à sa suite. Mais lorsqu’il arriva aux abords de la falaise, il ne vit plus personne. Où donc le sorcier avait-il pu passer ? Il stoppa son véhicule sur la route étroite et sortit pour observer les environs. Les dernières étoiles brillaient dans le ciel de juillet et l’aube s’annonçait déjà par les chants des oiseaux. On apercevait à peine le modelé des collines et le Forez était encore velouté d’ombre et de brume.Une odeur de brûlé portée par le vent vint chatouiller les narines du jeune avocat. Inquiet, pensant à un accident, il longea la falaise avant d’apercevoir une lueur en contrebas : la Delage du comte Desgrange brûlait. Le comte était-il blessé ? Marc Audebert se pencha en avant mais il ne vit personne, ni dans le véhicule, ni à proximité. Cependant, le feu avait gagné les broussailles et risquait de se répandre jusqu’au hameau. Il fallait appeler les pompiers de Saint-Amant et prévenir aussi la gendarmerie d’Ambert.Le jeune homme revint rapidement sur ses pas et il s’apprêtait à regagner sa voiture lorsqu’un bruit sec lui vrilla les tympans. Il s’écroula sur l’herbe rase et lorsqu’il aperçu le visage cruel de Desgrange penché sur lui, il sut immédiatement quel destin le sorcier lui avait préparé. Il tenta de sourire mais un poids énorme déformait sa mâchoire et il bascula dans le néant avant même de se rendre compte que le sorcier l’aspergeait d’essence.ooooo0000oooooMarius Pauvert ne s’était guère attardé à l’auberge, afin de pouvoir interroger ceux qui avaient été convoqués à son bureau. En laissant seuls Claire et Louis, il les regarda avec émotion. Ce jeune couple, si frais, si amoureux, était déjà en butte à des épreuves que peu de gens arriveraient à surmonter. Et il leur faudrait encore bien du courage pour faire face aux dangers qui les attendaient, en cas de non arrestation du sorcier.— Donnez-moi la chance d’arrêter leur agresseur, pria mentalement l’inspecteur. Et j’irai déposer un cierge à la Vierge Parturiente de Saint-Julien.Ce matin du 15 juillet s’était levé dans de magnifiques couleurs d’aurore. Marius, les yeux creusés par l’insomnie et l’inquiétude, contemplait les derniers nuages roses effilochés d’orange vers l’est. Une belle journée s’annonçait et il l’espérait plus chanceuse que la nuit qui la précédait. Il avait interrogé son père assez longuement, mais aussi Madame Jacquemin, la loueuse. Hélas, peu de choses nouvelles avaient été portées à sa connaissance. Le sorcier avait donné un faux nom à la vieille dame. Et il avait, comme pour le poignard, payé rubis sur l’ongle. La jeune fille en rose, encore trop bouleversée par l’agression de son cavalier, n’avait pas voulu témoigner. Il la solliciterait plus tard.Il examina les objets recueillis par ses aides dans la petite chambre. Le poignard encore taché de sang y figurait. Marius constata que la lame avait été comme plongée dans un liquide jaunâtre. La coupe que le sorcier avait partagée avec la jeune Claire ? Impossible, Desgrange avait utilisé du vin rouge pour sa potion : il faudrait l’avis et les analyses du docteur. L’odeur du cadavre d’aigle lui soulevait le cœur. Il décida d’aller l’enterrer, ne voulant pas, s’il était ensorcelé, qu’un malheur arrive.Il s’engagea, un sac sous le bras, en direction de la rue où était garée sa voiture pour se rendre sur le bout de jardin de ses parents qui se trouvait à proximité de la gare de Brioude. Il vérifierait si le sorcier n’avait pas finalement choisi de prendre le premier train du matin pour rejoindre une destination connue de lui seul. Tout en roulant pour sortir du centre-ville, il repassait les évènements et l’enquête qu’il avait déclenchée après approbation du commissaire Drossart.Il avait prévenu Clermont et Ambert. Des patrouilles de gendarmes étaient parties à Saint-Amant Roche Savine et des policiers en civil dans le quartier central de la capitale auvergnate. La seule chose qui inquiétait Marius, c’était que le suspect était de noble famille. Petite noblesse, certes, mais les Desgrange étaient connus sur Clermont et il serait par conséquent très difficile d’obtenir des informations sans se heurter à des pressions ou à un avocat.Il ralentit aux abords du passage à niveau, avant de continuer sur l’avenue de la gare. L’odeur de l’aigle devenait pestilentielle. Il fallait qu’il s’en débarrasse au plus vite.— Marius ! Enfin te voilà !L’inspecteur venait à peine de se garer devant la maison que sa mère accourait.— Il ne fallait pas t’inquiéter. Tout va bien. Je suis seulement venu pour enterrer un oiseau qui a servi à des rituels de magie noire. Comme tu sais, ce genre d’horreur, si on ne veut pas qu’elle soit réutilisée, doit retourner à la terre, qui purifiera tout.— Ton père m’a raconté ce qui lui était arrivé à la boutique, ton enquête, et je craignais que cet affreux sorcier s’en soit pris à toi. As-tu réussi à l’arrêter ?— Malheureusement, pas encore ! Par contre, cet odieux personnage a déjà fait une victime : le petit Lemoine. L’hôpital m’a appelé. Il a succombé il y a une heure.— Mon Dieu, mais pourquoi le sorcier s’en est-il pris à ce jeune homme ?— Je pense que le petit s’est trouvé au mauvais endroit au mauvais moment. Le sorcier avait besoin de faire diversion pour s’emparer d’une jeune fille qu’il voulait violer. Il a donc attaqué un Brivadois au hasard. C’est tombé sur le fils Lemoine.— Et la jeune fille ?— Il la connaissait depuis son enfance, apparemment. Et c’était une obsession pour lui que de la posséder. Il a réussi à la séparer de son fiancé qu’il a agressé aussi, et il a tenté de la violer dans une chambre à louer de la grand-rue. Je suis arrivé juste à temps avant qu’il ne commette le pire. La pauvre enfant avait été droguée et elle était terrorisée.— Où est-elle ?— Elle se repose à l’hôtel avec son fiancé. Elle est choquée mais je pense qu’elle se remettra. Les pauvres étaient venus chez nous fêter le 14 juillet. Ils auraient mieux fait de rester dans leur village.En disant cela, Marius prit la bêche du cabanon de jardin et se dirigea vers le carré de compost. Il y fit un large trou et y déposa le sac en papier contenant l’aigle avant de recouvrir le cadavre. Sa mère murmura une prière et il sourit :— Tu crois que ça suffira pour défaire une malédiction ?— En tout cas, tu as agi sagement. Ce totem symbolisait qui ou quoi ?— Le fiancé de la jeune fille.— Eh bien… ton sorcier n’y est pas allé de main morte ! Il voulait vraiment faire souffrir son rival. Tu as récupéré le couteau qui a servi au rituel, au moins ?— Oui. D’ailleurs, toi qui t’y connais un petit peu, je voudrais te poser une question à ce sujet.— Laquelle ?— Le poignard ancien qu’il a acheté à papa, il l’a enduit d’un liquide jaunâtre, avec une odeur bizarre, presque soufrée, avant de s’en servir pour agresser le fiancé de la jeune femme.— Et tu voudrais savoir ce que pourrait être ce liquide ? Il faudrait que je voie ce couteau. Je ne peux rien te dire comme ça. Peut-être que c’était juste un désinfectant ou encore plus probablement de l’urine. Ce que vend ton père n’est pas censé servir. Surtout pas les poignards anciens.— L’objet est au commissariat, étiqueté comme pièce à conviction. Si tu peux passer dans la journée pour me donner ton avis.— Entendu. Mais avant, je t’invite à prendre un bol de café et des tartines. Après cette nuit blanche forcée, il te faudra au moins ça pour reprendre, sans trop de fatigue, le cours de ton enquête.ooooo0000oooooCe fut Louis qui ouvrit les yeux le premier. La douleur de sa blessure mais aussi le rai de soleil qui filtrait à travers les volets de bois sur le lit l’avaient éveillé et son premier mouvement fut de tourner son visage vers Claire qui, après une ultime crise de larmes, s’était enfin endormie dans ses bras. Elle respirait doucement, tournée sur le côté. Ses cheveux dénoués éparpillés sur l’oreiller caressaient le coude gauche du luthier. Il avança sa main droite pour effleurer les mèches tièdes et soyeuses.— Je t’aime, murmura-t-il en tournant les cheveux autour de son majeur.Un gémissement plaintif lui répondit. Louis sourit. Sa main caressa la chevelure puis les épaules de Claire. Dans quelques jours, elle serait sienne pour toujours. Et il avait su la persuader de porter plainte, malgré la peur. Pauvert avait promis une escorte discrète jusqu’au village et il avait demandé à Claire d’accueillir Louis et deux de ses hommes chez elle jusqu’à ce que le sorcier soit arrêté.— Je veux que les habitants soient interrogés sur l’homme qui vous a agressés, que les alentours soient passés au crible. Rien ne doit être laissé au hasard. Jusqu’à la guérison de votre fiancé, pas de sortie sans escorte. Vous emmènerez quelqu’un dès que vous aurez un marché à faire et mon autre collègue restera pour veiller à la ferme. Vous ne devez courir aucun risque, ni l’un ni l’autre.La jeune femme avait acquiescé, encore trop bouleversée pour s’opposer. Le luthier l’avait attirée dans ses bras et c’est blottie contre lui qu’elle s’était endormie, encore tremblante malgré la tisane brûlante et le verre de cognac.Un soupir… La jeune fille se retourna dans le lit, ses paupières se soulevèrent et brusquement, elle poussa un cri.— Claire, mon amour, ce n’est que moi ! Calme-toi, tout va bien… Nul ne peut te faire de mal !— Oh… oh… Louis… je…— Je suis là !Et ce disant, il lui prit la main et la baisa avec émotion. La jeune femme ouvrit les yeux. Et tourna son visage vers son compagnon.— Nous sommes vendredi, ma chérie… Nous avons gagné : personne ne pourra plus rien contre nous. Et nous n’avons pas succombé.Claire sourit tandis que le luthier caressait doucement son visage.— Je préfèrerais avoir l’avis de Marie La Tourette.— Vraiment ? Auriez-vous peur d’une autre attaque maléfique ? Ou bien, avez-vous peur de devenir mon épouse ?— Je redoute, plus que tout, une vengeance, vous le savez bien… Et ce n’est pas vous épouser qui m’effraie dans notre relation…— Qu’est-ce alors ?La jeune fille baissa la tête embarrassée, hésita puis chuchota :— Vous avez eu tant de maîtresses… que je vous paraîtrai bien gauche et je… j’ai peur de vous décevoir.Le luthier sourit. Puis, se rapprochant d’elle, il murmura :— Si vous me déceviez, je ne vous désirerais pas autant. Jamais, je ne vous forcerai. Je vous aime. Et si vous m’aimez, vous saurez en peu de temps donner et recevoir. Je vous apprendrai.La jeune fille rougit et baissa les yeux. Louis lui prit à nouveau la main et la porta à ses lèvres. Il effleurait à peine les doigts, remontait au creux du poignet avant de continuer de poser des baisers de plus en plus doux sur le bras, l’arrondi de l’épaule. Claire frissonnait. De désir et d’appréhension.— Venez dans mes bras.— Je vais vous faire mal…— Non, ne vous inquiétez pas, venez.Rougissante, Claire se rapprocha de son compagnon qui passa son bras gauche sous la tête de la jeune fille avant d’encercler ses épaules et de l’attirer doucement à lui. Elle posa ses mains sur le torse poilu du luthier et ce contact le fit frémir. Il plongea son regard dans celui de Claire et lui sourit avec tendresse.— Je ne ferai rien contre ta volonté.— Je sais… Louis, je t’aime. Je crois que j’ai envie de vivre avec toi.Le luthier sourit.— Tu as mis du temps à t’en apercevoir.— Peut-être… mais c’est si nouveau pour moi !— Viens poser ta tête sur mon épaule. Là, tu vois, tout est bien ! Nous sommes dans ce lit, aujourd’hui vendredi, nous nous aimons, le soleil filtre par la fenêtre et nous rentrons chez toi cet après-midi, ensemble. Je suis un homme heureux.— Tu crois que nous arriverons à vaincre les mauvais sorts de magie noire ?— Je le sais : l’amour tel que nous le vivons est plus fort que tout au monde.Et, l’attirant un peu plus contre lui, il lui donna un baiser empli de passion, qu’il fit durer de longues minutes. Sa main droite caressait le dos, les hanches, la taille de Claire par dessus la combinaison blanche qui lui avait servi de chemise de nuit. Et malgré la douleur de sa blessure, il sentait son désir bien vivant, et celui de sa compagne tout aussi fort. Lorsque leurs lèvres se quittèrent, Claire soupira. Et blottit sa tête plus avant dans le cou du luthier. Elle tremblait, sentait l’appel du corps de son amant de manière si intense que son ventre lui faisait mal.— Claire…— Oui ?— Je te désire aussi très fort. Si je n’étais pas blessé, et si hier tu n’avais pas été… Je ne pourrais pas résister. Marie avait raison de me donner son eau. Je ne sais pas si la magie renforce notre passion mais… je te laisse deviner l’état où je me trouve.Claire rougit, et plus encore lorsque Louis lui prit la main et la guida jusqu’à son membre turgescent.— N’aie pas peur. Je veux juste que tu comprennes le désir que j’éprouve pour toi. C’est un état très agréable lorsque la femme que l’on aime est près de soi et qu’elle est dans un désir similaire… Caresse-le ! Ressens sa douceur et sa fermeté contre ta paume. Apprivoise mon désir de toi… Oui… comme cela… tu sens comme tes caresses lui font du bien ? Tu sens comme je te désire fort ?Claire émue, retira sa main. Elle était tremblante d’avoir senti palpiter, au creux de sa paume, le sexe de l’homme qu’elle aimait. Elle comprenait le désir de Louis, ressentait le sien et avait peur de chavirer. Louis caressa ses cheveux et murmura :— Merci, ma belle ! Merci de ta confiance.Claire releva la tête vers lui et le trouble qu’il lut dans ses yeux l’emplit de bonheur. Il était signe qu’elle serait bientôt une amante aussi passionnée qu’il le souhaitait. Et pour achever de la troubler tout à fait, il fit glisser sa main de ses épaules à ses hanches avant de descendre à ses cuisses, remonter de la paume le coton fin de la combinaison pour caresser doucement, peau à peau, les fesses rondes de la jeune femme. Un gémissement de volupté échappa à Claire lorsque la main de l’homme glissa à la naissance de ses cuisses et il la sentit frémir, tel un feuillage agité par la brise.— Ta peau est douce, aussi douce qu’une pêche. Et si mes doigts s’aventuraient un peu, je suis sûr qu’ils rencontreraient une rosée… une rosée onctueuse comme un nectar… L’expression du désir que tu as de moi.— Louis…— Je ne ferai rien qui puisse te faire peur, te rappeler hier… Je t’aime tant, mon amour, dit-il en l’enlaçant plus étroitement.Un baiser. Puis un autre. Une douce chaleur filtrait par les volets de bois sur la couverture de laine qui les enveloppait. Cette présence solaire se communiquait à leurs corps, blottis, éperdus. Un moment, leurs yeux se prirent et les caresses de Louis, un instant suspendues, recommencèrent avec une douceur apaisante qui apprivoisait le corps de Claire.Peu à peu, les mains de Louis dessinèrent un chemin jusqu’à son intimité sans qu’elle s’en défende. Son souffle s’était juste un peu plus avivé au gré du plaisir qu’elle découvrait. La bouche du luthier recueillait les gémissements et les soupirs de la jeune fille, et les accompagnait de baisers et de paroles tendres. Sa main gauche enlaçait les reins de Claire tandis que sa main droite partait à la rencontre du velours des cuisses et de la douce fourrure humide du sexe. Lorsque ses doigts trouvèrent la fourche mouillée du désir féminin, Louis soupira de bonheur. Il s’attarda par de tendres effleurements sur le mont de Vénus emperlé, puis descendit le long de la fente moite. Claire gémissait sous la caresse. Ému, il murmura :— Voici la porte de ton désir. Oui, donne-la… Présente-la moi que je ne la laisse pas seule ! Je serai doux, je te le promets.Claire desserra ses jambes doucement, laissant les doigts de Louis continuer leur chemin. Elle gémit plus fort quand il écarta les lèvres de son sexe et effleura le bouton rose de son intimité mouillée de cyprine. Et lorsqu’il s’y attarda, guettant sa réaction, elle ferma les yeux pour mieux savourer la caresse exquise et se cambra pour mieux s’offrir. Le luthier sourit, baisa les yeux de sa compagne avec passion et lui murmura :— Voilà ce que nul sorcier ne pourra jamais obtenir de toi. Voilà le plaisir d’être femme sans la peur, car tu m’aimes autant que je t’aime. Laisse-toi aller, ma chérie, laisse-moi te faire découvrir le plaisir. Celui-là n’aura aucune conséquence et il apaisera ton désir de moi.La pression de ses doigts sur le clitoris de la jeune femme se fit plus appuyée, plus enveloppante. Le médius de l’homme traçait des cercles étroits sur le petit bouton de chair, l’agaçait de douces tortures, lentes, puis de plus en plus rapides. Claire gémissait sans retenue, portée par les vagues de plaisir qu’elle découvrait, émue, tremblante et avide. Ses reins épousaient les caresses de Louis, leur rythme et leur intensité, et son ventre tendu témoignait du désir qui l’habitait. L’amant attentif observait sa jeune maîtresse avec passion, perdu d’envie de la prendre, le sexe douloureux à force de tension. Sa blessure lui interdisant tout mouvement vif, il voulait au moins que sa fiancée s’abandonne totalement à ses caresses, il voulait la combler, faire surgir l’indicible d’elle. Une manière d’éloigner la malédiction. Mais aussi d’enrayer la peur de Claire vis à vis de l’acte sexuel.Et il était heureux de voir qu’elle restait réceptive malgré le drame de la nuit. Ses joues étaient roses. Elle avait fermé les yeux tandis que le luthier, repoussant les draps, remontait sa combinaison, dévoilant le ventre tendu de la jeune femme et le triangle noir ruisselant et soyeux.Louis était ému. Claire gémissait tandis que les doigts de l’homme frottaient son clitoris gonflé. L’annulaire du luthier descendit et effleura la grotte trempée, encore inviolée. La jeune femme tressaillit à ce contact et rouvrit les yeux avant de resserrer ses cuisses. Louis, la main droite emprisonnée, continua de caresser l’entrée vaginale tout en cajolant le clitoris dressé, tandis que son regard enveloppait de tendresse sa compagne :— N’aie pas peur, ma chérie, je ne prendrai pas ta virginité aujourd’hui. Je veux seulement que tu découvres toute la douceur, tout le plaisir que tu auras bientôt. Laisse-moi te caresser, juste te caresser, là où bientôt je viendrai… C’est agréable, non ? Si tu écartais davantage tes cuisses, ce serait encore meilleur… Voilà… Tu sens comme ton ventre aime être caressé ainsi et comme il désire que mon doigt ne cesse pas de lui faire du bien ?Un gémissement fut la seule réponse dont était capable la jeune fille, tant son émoi était grand. Claire découvrait cette double caresse qui était encore plus intense que la première. Et, comme pour en augmenter l’écho voluptueux, Louis ajusta sur un même rythme les caresses tant sur le clitoris que dans l’entrée vaginale. Une plainte longue, continue, résonna dans la chambre tandis que les cuisses de Claire s’ouvraient encore, renforçant l’emprise de l’homme sur son intimité ruisselante. L’annulaire du luthier s’enfonça très légèrement dans la petite grotte vierge sans la forcer. Elle était douce et gonflée, brûlante et humide. Le luthier massa le pourtour sans forcer l’hymen, amenant sa compagne à gémir plus fort. La jeune fille se tordait dans le plaisir, repoussant et appelant d’un même geste l’anéantissement.Louis la regardait s’abandonner progressivement tandis qu’il accélérait ses caresses, se retenant de la déflorer mais brûlant lui aussi d’un désir qui asséchait sa bouche et avivait son souffle au rythme de celui de Claire. Il savait qu’elle ne tarderait plus à jouir. Ses gémissements se faisaient plus aigus, ses cuisses s’ouvraient et se resserraient au rythme des caresses qui lui étaient prodiguées. Ses seins, que moulait parfaitement la combinaison de toile, étaient tendus par le désir. Louis sourit tandis que Claire, submergée par la passion, tentait vainement de repousser la main de son amant. Elle se sentait emportée, barque fragile sur un océan déchaîné. Et cet océan était son corps, arqué sous les caresses de son fiancé, ouvert et consentant, soumis… Il aurait pu faire d’elle n’importe quoi, tant sa volupté était grande. Une vague de plaisir plus forte que les autres lui fit jeter un cri aigu, bouleversant. Tel un jeune arbre foudroyé sous l’orage, elle s’abandonna totalement à l’homme qui la caressait, la tête roulant sur les oreillers de dentelle, les larmes aux paupières, perdue dans la plus extrême volupté.Le luthier, ému, resserra contre lui le jeune corps chaviré de plaisir, tandis que son regard embué fixait tendrement l’éclat rose des joues de sa compagne, empourprées par les derniers soubresauts de l’orgasme. Doucement, il remonta sa main trempée du plaisir féminin, et la porta à sa bouche pour en connaître la saveur. Elle était douce, à la fois sucrée et salée, avec une pointe d’épice. Il aimait ce goût de femme comblée, et frissonna du désir de la prendre. Mais la douleur de sa blessure le rappela à la réalité. Ce ne serait pas pour aujourd’hui : alors, il caressa le visage bouleversé de Claire avant de baiser sa bouche.— Tu es faite pour l’amour, ma douce. Je te le confirme. Tu n’as aucune peur à avoir. Tu seras bientôt la plus sensuelle et la plus comblée des amantes et des femmes. Merci de ton plaisir et de ton abandon dans mes bras ! Je t’aime !Doucement, la jeune fille reprenait conscience. Ses reins ressentaient encore l’écho du plaisir qu’elle avait reçu, mais elle se sentait apaisée en même temps qu’épuisée. Quelques mèches de cheveux humides, son ventre dénudé, son intimité poisseuse et odorante témoignaient de son abandon amoureux. Elle rougit, porta la main à ses joues brûlantes et d’une voix tremblée demanda :— Oh, Louis… qu’avons-nous fait ?— Rien de grave, ma chérie ! Je t’ai menée au plaisir sans pour autant te faire perdre ta virginité. Comme tout amant respectueux qui aime sa fiancée et qui veut l’initier au plaisir charnel. Il n’y a là rien qui puisse créer une malédiction. D’ailleurs, celle-ci est finie si j’en crois les paroles de Marie. Je pourrais même faire de toi ma femme à l’instant. Mais je crois qu’il vaut mieux, pour que ce moment soit parfait, que je recouvre le plein usage de moi-même et qu’une union véritable nous lie. Qu’en penses-tu ? Ne rougis pas… C’était déjà merveilleux et à présent je suis ton amant, tu es ma maîtresse et je te fais serment de fidélité. Je ne veux pas d’une autre femme que toi dans mes bras. Je te veux à moi et je veux être à toi de tout mon corps et de tout mon cœur aussi longtemps que je vivrai. Me veux-tu pareillement ? Veux-tu être à moi et te donner à moi, ma douce ?— Je… Louis, je t’aime plus que tout au monde et je veux t’épouser. Je ne veux pas vivre avec un autre que toi. Mais je ne veux pas t’appartenir ni que tu m’appartiennes. Je ne veux pas que notre amour soit une possession comme si nous étions des objets de troc. Nous valons mieux qu’un tel commerce et nulle entrave n’a jamais rendu heureux.— L’amour que j’éprouve pour toi et mon serment n’ont rien d’un marché ou d’un maquignonnage. Et sans doute, lorsque par moi tu seras devenue femme, tu comprendras la nature de mon engagement et celui que j’espère de toi. Dommage que notre ennemi m’ait blessé trop vigoureusement pour te le faire comprendre dès ce matin ! Sinon, je crois que je n’aurais pas attendu plus longtemps. Mais soit, différons encore ce doux moment. Il n’en sera sans doute que plus intense !Et il se mit à rire doucement, contemplant son phallus dressé haut et voyant sa compagne rougir à nouveau à cette vue. Il remonta la couverture avant d’ajouter :— Eh oui, madame, si mon flanc prête à la critique médicale, il semble que cela n’ait aucunement altéré ma passion pour vous. Et vous ne perdez rien pour attendre !Pour faire diversion, il fouilla à sa droite sous le traversin derrière sa tête. Il sourit et fixa sa compagne avec émotion avant de déclarer en se raclant la gorge :— J’ai quelque chose pour vous sous mon oreiller. Je l’avais apporté au bal et je comptais vous le donner à l’auberge hier soir, mais notre fâcheux m’en a empêché. À présent, je crois qu’il est temps que je vous l’offre, si je ne veux pas mourir de désir inassouvi.Et il sortit une petite bourse de cuir qu’il ouvrit pour y prendre un anneau d’or assez large serti de cinq petits diamants. Celui du centre un peu plus important mettait en valeur ceux situés de chaque côté. Dans la demi-pénombre, la bague scintillait doucement au creux de la paume du luthier. L’émotion du moment était palpable. Louis prit la main gauche de la jeune fille, la baisa et engagea l’anneau à son annulaire.— Puisque tu as répondu positivement à ma demande en mariage, accepte cet anneau comme gage de mon amour. À partir d’aujourd’hui, nous sommes officiellement fiancés.Les larmes vinrent aux paupières de Claire lorsque Louis finit de lui passer l’anneau au doigt. Le luthier caressa doucement la joue de la jeune fille et l’attira à lui avant de lui murmurer :— J’ai fait bénir cette bague peu avant mon retour par l’abbé Gourié, le curé de ma paroisse à Paris. Ne manquait que toi. Aujourd’hui, cet anneau trouve sa place à ton doigt et j’en suis très heureux.Là, le luthier s’interrompit. Hésita un court moment et, s’enhardissant sous le regard tendre de Claire, continua :— C’était l’alliance de mon père. Je l’ai reçue peu après son décès. Il l’avait fait graver du nom de ta mère juste avant leur accident. Et moi, j’ai fait rajouter les diamants, en la faisant ajuster pour un doigt de femme. Un client Syrien m’a payé un jour la réparation de son stradivarius avec des diamants… J’ai trouvé cela insensé et puis, quand j’ai eu la bague de mon père, j’ai su immédiatement que les diamants iraient sur ce bijou. Je n’avais pas l’intention de me marier à l’époque mais en revenant vivre ici, l’idée s’est imposée à moi. Lorsque je t’ai tenue dans mes bras à la Saint-Jean, je savais que c’était à toi que je l’offrirais. Alors, j’ai fait graver à l’intérieur nos prénoms enlacés, à côté des initiales de nos parents. Je pense que tu n’y vois pas d’inconvénient ?— Aucun. C’est une attention tellement délicate ! Je suis très heureuse que tu m’offres un tel cadeau, si plein de souvenirs, tant pour toi que pour moi… Mais cela ne risque-t-il pas de nous porter malheur ?— Je ne le crois pas. L’amour sincère et fort n’a jamais apporté que la joie. Cette bague est non seulement le symbole de ma foi envers toi, mais aussi la bénédiction magique de nos parents. Ils s’aimaient véritablement, tout autant que nous aujourd’hui, et ils nous protègeront de toute atteinte malveillante. La magie de leur amour et du nôtre sera notre bouclier. Aussi longtemps que nous nous aimerons et que tu voudras de moi, bien sûr, conclut-il en souriant.— Oh, Louis, comment peux-tu un instant douter de mon amour ?— J’aime à te taquiner, ma douce… Et puis je meurs de faim ! Ce genre d’émotion, malgré le splendide repas d’hier soir, m’a ouvert un appétit d’ogre. Étonnant que Gustave n’ait pas encore frappé à notre porte. Il doit être fort tard, si j’en juge par l’éclat du soleil.— Je vais m’habiller et aller voir.— J’ai ma montre sur la tablette derrière le rideau. S’il était plus de neuf heures, je n’en serais pas étonné.— Dieu du Ciel, il est dix heures trente ! En effet, c’est étrange… Je descends voir si ton ami peut nous monter quelque chose à manger et demander si le docteur peut passer te voir. Surtout ne te lève pas !