Éclipse solaire…
Éclipse solaire…Il me donne rendez-vous dans un hôtel de sa connaissance.Qui est-il, me demandez-vous ?Lui, l’inconnu, l’homme invisible et mystérieux avec qui je parle au téléphone depuis quelques mois. Celui qui a su faire naître en moi de nouvelles émotions, enfouies depuis trop longtemps dans le ravin d’un passé douloureux. Le retour à la vie de mes sens endormis depuis plusieurs mois.Je ne connais que son prénom, et sa voix…Cette voix qui, tous les soirs, m’amène au-delà des limites que mon cœur et mon corps croient accepter pour la dernière fois. Cette voix indécente, qui fait de moi un pantin inanimé, une fois le téléphone raccroché. Elle m’envoûte, me réchauffe, me pénètre chaque jour un peu plus. Une intimité qui n’en est pas, un amour masturbatoire et dérangeant.Je ne sais pas dans quoi je suis en train de m’embarquer, mais je rame à fond ! Tomber amoureuse d’une voix, c’est tout moi ça !Que vais-je trouver une fois là-bas ? Un maniaque, un fou qui va me trancher la gorge ? Je ne suis pas une gamine et pourtant ma curiosité est plus forte que ma peur, mais l’idée me trouble et m’excite à la fois.Mon cœur rythmant chaque foulée, je remonte la rue St-Michel.Je me souviens de chaque mot de notre dernière conversation…— Zoé.— Oui, Mark…— Es-tu prête à jouer avec moi ?— Bien sûr, enfin ça dépend du jeu…— Tu joues ou pas ?— Ok…— Voilà mon jeu…Sa voix suave faisait l’amour à mon tympan… Il ajoute :— Retrouvons-nous à l’hôtel Riddim V, vendredi à 15h, chambre 208, au deuxième étage. Notre défi sera de faire l’amour sans nous voir, dans le noir complet. Comme au téléphone, seuls nos corps et nos voix nous guideront dans notre recherche de plaisir, et dans la découverte de l’autre. Quoi qu’il se passe, nous devrons garder l’anonymat et ne pas chercher à nous connaître ou nous reconnaître.— Mais… !!!— Petite joueuse à ce que je vois ?!!— Pas du tout !— Alors je t’attends vendredi… bonne nuit !— Mais…. ????Bip… Bip… Bip…********L’hôtel Riddim V, j’y suis. Personne à l’horizon, aucune piste. Je piétine, je tremble, je réfléchis en écrasant cette cigarette que je m’étais promis de ne plus rallumer. Bon ! J’y vais !L’homme derrière son comptoir me dévisage, en tapotant sur un clavier d’ordinateur. Une chanson de Michel Sardou passe à la radio « je vais t’aimer » !!! Un vrai cliché !— 208 ?… Deuxième étage, par l’ascenseur ou l’escalier à votre droite, le monsieur vous attend, ronchonne-t-il.Le monsieur ! J’ai envie de tricher, de demander…— Ah oui ! Comment est-il ? Grand ? Petit ? Gros ? Brun ? A-t-il l’air d’un psychopathe ?Je monte à pied. Chambre 208 : c’est ici. Le couloir est très sombre. Une veilleuse affaiblie éclaire le bout du couloir où se trouve la chambre. Je reste plantée là, en regardant le cadran de ma montre et les aiguilles de la trotteuse. 14h 58… 59… 15h !! Je frappe.La porte s’ouvre sur le noir total. Mes pupilles cherchent la lumière mais en vain. Je n’entends que la régularité de sa respiration, et mon cœur battre dans mes tempes. Puis, cette voix, sa voix, celle que je sublime, qui me transporte et me fait l’amour depuis plus de 3 mois…Je le sens près de moi. Je l’entends sourire. Je sens l’odeur de son trouble, qui n’est rien à côté du mien.— Entre ! Tu ne vas pas rester dans le couloir.Sa voix est chaude et grave et je reconnais l’objet de tous mes tourments. La gorge aussi aride que le désert le plus reculé d’Afrique du Nord, je ne suis pas capable d’émettre un seul son.— Je suis content que tu sois venue, j’avais un doute ; mais tu peux me faire confiance, n’écoute que ma voix et ressens le reste… ok ?La porte se referme sur moi et sur le peu de lumière que le couloir nous prodigue.— Entre… Donnes-moi la main.Je tends la main en suivant la direction de sa voix, comme on tombe dans le vide. Semblable à une route déjà tracée, mes mains s’approchent de son visage pour découvrir chacun de ses traits. Je parcours du bout des doigts son crâne… il est rasé, rond et bien dessiné. Je descends sur ses tempes et ses sourcils fournis. Ses cils doux me frôlent à chaque clignement d’œil, comme une caresse de papillon. Il ferme les yeux. Je continue, enfermant dans ma paume, ses pommettes et ses joues chaudes. Chaque terminaison nerveuse de ma peau est aux aguets. Je sens son souffle tiède contre mon front. Mes doigts descendent encore… Son nez fort semble aquilin et ses lèvres épaisses et charnues. Sa barbe est drue et je devine une repousse de 2 ou 3 jours. Elle me râpe les doigts en me provoquant une douce sensation. Je me détends.J’entends son sourire à nouveau, comme si j’entendais ses lèvres se mouvoir. Je le devine. Je le vois du bout de mes doigts. Il n’a pas bougé, se laissant découvrir sagement. Il s’approche doucement, et passe sa main dans mes cheveux défaits. Il se dégage de ses gestes une délicatesse infinie, ainsi qu’un effluve sucré d’Habit Rouge de Guerlain… Je le laisse faire.A son tour ses mains viennent lire mes traits. Il effleure le contour de mon visage comme un sculpteur son bloc de glaise. Il me parcourt, me devine, reste un instant sur mes lèvres en les séparant. Tendrement il approche les siennes et nous nous rejoignons dans un silence religieux. Sa bouche chaude est collée sur la mienne, et sa langue me goûte délicatement. Je me sens transportée dans une autre dimension…Nos corps se comprennent, s’assemblent comme un puzzle que l’on a fait cent fois. Chacun de nos gestes nous est familier, nos respirations, nos gémissements nous rassurent. Ses mains électrisent chaque parcelle de ma peau. Il me déshabille, retirant un à un mes vêtements. Ma jupe glisse lentement le long de mes cuisses dont il suit toutes les courbes. Avec dextérité il dégrafe mon corsage, puis mon soutien-gorge que je l’entends humer.Il approche sa bouche de mon ventre qui frissonne. Il est à l’affût de chacun de mes soupirs, souffles ou gémissements. Ses lèvres sont des papilles fureteuses et curieuses qui me frôlent. Un sentiment de légèreté m’envahit.A mon tour, je défais un à un les boutons de sa chemise, découvrant son torse imberbe et doux. Il frémit. Ses tétons durcissent sous ma main. Je dégrafe sa ceinture, et ouvre furtivement chaque bouton de sa braguette, faisant durer le plaisir. Je sens son sexe grossir sous l’étoffe et je perçois sa respiration comme un vent du Sud sur mes cheveux. Son pantalon tombe et il s’en débarrasse d’un coup de pied au milieu de l’obscurité ambiante, en me dirigeant aisément vers la droite, comme s’il connaissait déjà bien l’endroit.Il m’amène jusqu’au lit et s’allonge près de moi. Je me plaque contre son corps et glisse sur lui, comme les vagues sur la rive, je monte et je descends me laissant porter par ce contact magique. Nos corps se balancent l’un contre l’autre, nos peaux se parlent, se découvrent.Ma bouche doucement s’approche de son sexe et je sens contre mes lèvres la douceur des poils qui m’effleurent. J’y dépose des baisers. En rappel le long d’un pic, je monte. J’atteins le sommet. Haut sommet ! Ma bouche reconnaît chaque contour, chaque cratère, chaque sentier. Mes lèvres sont chaudes et sensibles comme des antennes qui cherchent le chemin. Je gobe enfin l’objet précieux… Je le mange, monte et descend, sur cette colonne dressée. Ma bouche l’aspire, l’enferme, le titille. Je me délecte de chaque goutte versée, de ce don naturel de la nature, non contrôlé. Il glisse entre mes lèvres habiles, gémissant de plaisir se laissant porter par ce doux et savant va-et-vient. Il aime ça ! Il bande encore plus et je suis trempée de désir. Son excitation me transcende, me touche, m’émeut !Mes seins durcissent à chacun de ses gestes. D’une main délicate il les enferme et je sens ses poignets forts contre ma peau. Il se délecte de ce qu’il touche, devinant chaque courbe de mon corps.Je m’avance sur sa bouche en lui présentant mon entre-cuisses, humide d’envie, sous la dentelle de mon string. Il l’écarte d’une main et devinant mon sexe à demi épilé, il gémit de gourmandise, écrasant sa bouche dessus. Je lui soulève la tête le forçant à me dévorer. Sa langue doucement se pose sur mon clitoris et entame une danse diabolique qui me rend folle. De « piano » il passe avec adresse à « fortissimo », me faisant me tortiller au-dessus de lui. Il me tient les cuisses et ne me lâche pas en disant :— Tu en veux ? Alors prends !Mes lèvres s’offrent à lui comme une fleur qui s’épanouit au soleil. Je gémis doucement d’abord puis plus fort, je hurle mon plaisir, mon orgasme est terrible ! Je me répands dans sa bouche entrouverte qui ne lâche pas son butin. Il me serre plus fort contre lui, en gémissant, en s’enfonçant dans tous les orifices que la nature m’a donnés, à mon grand bonheur ! Puis, délicatement, je me retire de cette ventouse d’amour. Mes doigts fouillent maintenant mon clitoris dur, et sensible.Mark s’enfonce dans ma chaleur moite. Nous hurlons ensemble de nous retrouver enfin, il n’est pas loin de la jouissance. Il vient, il monte ! Je le sens grossir en moi, comme un geyser qui ne demande qu’à cracher sa semence. Il m’attrape les hanches et je ne maîtrise plus rien. Il a pris le dessus. Il roule sur moi, me soulève les jambes au-dessus de ses épaules, en me tirant à lui. Je sens s’enfoncer son sexe énorme, en me cambrant pour mieux qu’il m’envahisse. Il m’excite ! De mon majeur je me caresse encore. Il devient fou et accélère la cadence. Je crie. Je l’appelle, lui intimant que j’allais exploser.— Je vais jouir, si tu n’arrêtes pas !— Viens mon amour, viens Zoé ! Je veux te sentir me serrer de plaisir, je veux t’entendre comme au téléphone !Dans un hurlement réciproque nous éclatons ensemble.— Zoé ! Je jouis ! me crie-t-il.Il pousse un cri de bête en se laissant aller contre mon corps plein de sueur. Nos odeurs, nos baisers, nos cris se mélangent. La chambre si sombre à notre arrivée a l’air d’être éclairée !Nous restons là, l’un dans l’autre, à bout de force. Il me serre fort contre lui, me respire, me dévisage de tout son corps lourd et fourbu, pour ne faire qu’un, encore un moment. Arrêter le temps, la vie, nos vies…*********Comme convenu entre nous, je dois partir la première.Je me colle une dernière fois contre le corps de cet homme inconnu en lui chuchotant :— Merci l’homme invisible pour ce moment magique…— De rien, Miss, et merci à toi ; j’espère que tu as appris quelque chose de cet instant… rentre bien et à un de ces jours.Après une douche très chaude, je me rhabille en cherchant mes vêtements à tâtons. Une boule dans la gorge, dans le vide obscur de cette chambre, mon regard cherche encore une fois cet amant que je ne verrai jamais.Après un « Salut, Mark…» un peu chevrotant, je me dirige vers l’escalier que je descends doucement, étape par étape, comme font les enfants qui apprennent à marcher.— C’est pas possible ! Je ne vais pas partir comme ça sans savoir, sans le voir !Je remonte. 208… Je colle l’oreille sur la porte. J’entends la douche couler.— Non… il faut garder le mystère… il a raison.Je redescends, moyennement convaincue, dans le hall d’entrée où le concierge goguenard me regarde partir par-dessus ses lunettes, l’air désabusé. Au moment où j’allais franchir la porte, il m’interpelle :— Chambre 208 ?— Heu… Oui.— Attendez ma p’tite Dame, j’ai un message pour vous !— Pour moi ? Vous êtes sûr ?Il me tend une enveloppe sur laquelle mon prénom est écrit.— Oui, oui, le Monsieur m’a dit de vous remettre cette lettre quand vous partirez ; il me l’a dictée pour l’écrire à l’ordinateur ; il a une vilaine écriture, qu’il a dit ! dit-il en souriant.— Merci.Décidément il a pensé à tout.Je sors. Scotchée sur le trottoir, je décachette la missive avec impatience et lis :Ma chère Zoé,Je n’ai jamais douté un instant du moment que nous venons de partager, comme je ne doute pas non plus de la curiosité qui t’anime. Je suis persuadé que l’envie de résoudre le mystère de cette aventure te tenaille et que tu attends ; pour savoir, connaître, ce que tu n’as pas vu, pour te rassurer.Pourquoi ne pas faire confiance à ton ressenti, tes mains, ta peau ?Aie confiance en toi et en chacun de tes sens, Zoé…Merci pour tout !MarkJe souris.************La douceur du soir, sur mon visage rougi par la barbe de mon amant invisible me rafraîchit. Je me dirige vers le petit café en face de l’hôtel, décidée à remettre mes idées en place avant de rentrer.Je m’assieds au milieu des bruits de percolateurs en imaginant mon scénario.— Un thé au lait, oui… merci…Je me place à un endroit stratégique du café, et je surveille les allées et venues de l’hôtel pour découvrir enfin mon inconnu. Je ne dis rien, je ne me fais pas voir…— 1,75 dollars, s’il vous plaît.— Gardez tout.Le soleil couchant se reflète sur la tranchée de la vitrine qui me sert d’observatoire, mais je peux apercevoir chaque client sortir de l’hôtel. J’ai l’impression d’être une espionne à la recherche d’une preuve accablante contre une pauvre victime.Cette histoire n’est tellement pas ordinaire, ne devrais-je pas la garder intacte et garder le mystère ? Laisser opérer la magie de l’instant au prix de ma curiosité ? Je bois à petite gorgée le thé trop chaud.Suis-je prête à trahir un homme qui a été respectueux et galant avec moi ?Je me ravise. Je ne lui dois rien après tout ! On a passé un bon moment, mais j’ai le droit de savoir à quoi il ressemble ! C’était son idée, pas la mienne !Un couple sort bras-dessus bras-dessous, le sourire aux lèvres. Je les suis du regard jusqu’au coin de la rue. Ils ont l’air amoureux et ce soleil fatigué de tombée du jour les rend plus beaux encore. Ils se séparent difficilement, déchirés qu’ils sont de devoir reprendre des chemins différents. Après de nombreux baisers fougueux, puis tendres et enfin fraternels, d’un geste de la main, chacun de leur côté, ils partent. Une histoire parmi des milliers d’autres…Derrière la porte vitrée de l’hôtel un homme se prépare à sortir. Mon cœur bat la chamade. Je le scrute de la tête au pied. C’est un jeune cadre dynamique, blond, de taille moyenne avec un imperméable sur le bras et une mallette diplomatique. Est-ce lui ? Je le dévisage depuis mon observatoire. J’essaie de me souvenir afin de trouver une ressemblance entre cet homme et mon inconnu. Je cherche… en vain. Ce n’est pas lui. Il s’éloigne d’un pas rapide vers le métro en regardant droit devant lui comme un automate.Le thé fume dans ma tasse et laisse, de mon point de vue, un petit nuage au-dessus de l’entrée de l’hôtel.Je vois le concierge bougon discuter avec quelqu’un et se lever. Il s’avance et ouvre la lourde porte avec un sourire bienveillant. L’homme se prépare à sortir. Je devine sa stature qui paraît assez solide. Ils parlent ensemble un bon moment et finissent par sortir. Le bougon, qui ne l’est plus, lui tient la porte et je peux enfin voir le client. Il est grand, bien bâti, et lance un sourire franc au portier. Une fois sur le trottoir, le gardien s’approche de lui et lui met dans la main une laisse et un labrador… L’homme les prends. Je le regarde encore, intriguée.Il a le crane rasé, une barbe de quelques jours et semble être… aveugle ! Mark !Comme une évidence je comprends la portée de ce jeu et je remercie le hasard de nous avoir mis sur le même chemin !Une aventure qui n’aura duré que le temps d’une éclipse…