Elle m’obsède…Dans un texte précédent (« Souvenir de la toute première fois » n° 09632), je me rappelais, grâce à Mireille, cet unique moment où, pour la première fois, j’ai aimé mon « premier amour » d’adolescent. Pourtant, pour être totalement honnête avec vous, je me dois aussi d’avouer que ce n’était pas la première fois que je faisais l’amour. Si les filles d’alors attendaient de rencontrer « l’homme de leur vie » pour lui sacrifier leur pucelage, les garçons s’étaient souvent « déniaisés » afin de ne pas paraître trop « gauches » même si cela ne servait pas à grand chose…*Il lui arrive de revenir, comme ça, pour un oui ou pour un non. Il est alors soudain, violent. Il peut aussi être plus insidieux, plus chafouin, tapi dans le fond de la mémoire qu’il envahit petit à petit. Alors, imperceptiblement, il s’impose comme une évidence. Au début j’ai été surpris, après je m’y suis habitué et maintenant, je vis avec lui. Quelquefois, inconsciemment, je le cherche. Souvent je tente de l’effacer après m’être raisonné mais très vite il peut me manquer car il sait être de bonne compagnie. Il me rassure et m’effraye aussi.Au tout début, je n’y ai guère prêté attention. Au contraire, j’ai même tout fait pour tenter de l’effacer. Sentiment de honte, de malaise, de mal-être ? Culpabilité issue de l’éducation ? Certainement. Après, durant quelques années, il m’a laissé tranquille. Puis un jour, au détour d’une rue, il est revenu. D’abord impalpable, éthéré. Images brumeuses d’une adolescence boutonneuse et timide où l’invite et la rencontre font rougir, rendent gauche. Alors depuis, inévitablement, il m’obsède.Il ? Elle, devrais-je dire? Elle, c’est l’image du souvenir de ma première rencontre avec l’amour tarifé.Ô ! Je sais que certains émettront quelques gloussements en lisant ces mots. Pensez donc, voilà encore une confession intime sur la rencontre d’un jeune homme avec une pute ! D’autres, en haussant les épaules, diront « Il faut bien que jeunesse se passe ! »Trop jeune pour avoir connu les maisons closes, trop vieux pour devoir me méfier du SIDA, trop timide pour aborder mes camarades filles d’alors, il fallait bien que « jeunesse se passe », il me fallait bien « passer au dégorgeoir», comme diraient les Champenois (avec élégance). Alors il ne me restait plus que les professionnelles. Et puis, le cercle des copains, tout aussi timorés que moi envers la gent féminine, ne bruissait-il pas en ricanant des passes payantes réalisées ? Des récits qui me mettaient le cœur à l’envers et me faisaient promettre, sous la forme d’un défi idiot, « La prochaine fois, j’y vais ! Je monte. »Et encore, si j’avais habité à la campagne ! Mais non, pour mon plus grand malheur (ou est-ce un clin d’œil de la vie), j’habitais alors un port de guerre sur les bords de la Grande Bleue. Dans la vieille ville, les rues étroites, malodorantes et tortueuses étaient toutes bordées de bars louches aux néons criards, aux musiques langoureuses et peuplées de « filles à matelots ». Entre ces établissements, peu recommandables et jamais inscrits au Guide Michelin : des portes cochères. Entrées aux portes de bois sombres qui s’ouvraient sur des couloirs encore plus noirs et étriqués, aux escaliers verticaux et sinistres. Dehors, les pierres luisaient de crasse, usées par des décennies de frottements des corps des femmes qui attendaient le chaland. C’est là que s’abritaient les hétaïres locales. Jeunes et souvent moins jeunes, toujours court vêtues, en cuissardes vernissées aux talons éculés, poitrines opulentes et largement étalées sur leurs bras croisés. Un réticule à l’épaule ou au bout des doigts, elles patientaient en attendant le client, appuyées contre un mur, renfoncées dans un angle de porte pour s’abriter du froid ou faisaient les cent pas dans de maigres rayons de soleil. Blondes, brunes, rousses, l’œil outrancièrement maquillé et les lèvres outrageusement peintes d’un rouge vif et agressif, il y en avait pour tous les goûts. Et puis, il n’y en avait pas une, pas dix, il y en avait plusieurs dizaines et certaines semaines, elles pouvaient être plus d’une centaine. C’était alors le signal de l’arrivée d’une « bordée », débarquement de marins assoiffés d’alcools et frustrés de femmes, qui envahissaient la basse ville. Dans ces semaines-là, il fallait mieux éviter d’aller fréquenter les quartiers « chauds » car les bagarres y étaient monnaie courante.Moi, j’aimais traverser ces vieux quartiers, pittoresques. Je n’y entrais jamais sans un frison le long de ma colonne vertébrale, tel l’explorateur qui pénètre dans une jungle pour la première fois, appréhendant ses mille pièges.Au début, je marchais en baissant la tête, jetant un regard rapide et curieux, plein d’envies, de fantasmes et de concupiscence envers les quelques bars ouverts sur la ruelle. Antres obscurs où des cuisses nues aux chairs blanchâtres et avachies étaient les seuls éclairs lumineux. Quelquefois aussi, une chevelure d’ange blond platine brillait dans les néons et souvent un rire de gorge accompagnait une musique mécanique ou une sono criarde. Les odeurs qui s’en échappaient étaient fétides, âcres et lourdes. Elles se mélangeaient aux odeurs épicées de la rue, à celles des ordures qui traînaient par-ci, par-là et ce mélange capiteux finissait par se confondre avec l’air iodé du port tout proche ; un air chargé en vapeurs de gasoil, d’iode et de poisson.Plus j’avançais dans les rues, plus les odeurs devenaient prégnantes et grisantes, et plus mon regard fuyant accrochait les silhouettes des filles qui attendaient. Moi, les mains dans les poches, serrant mes maigres économies, le front moite, les jambes tremblantes, j’avançais toujours la tête baissée, cherchant à embrasser un maximum de visions pour m’en refaire le film plus tard. Trop timide pour aborder l’une d’entre elles, j’accélérais le pas dès qu’une apostrophe semblait m’être adressée, rougissant et tournant ostensiblement la tête vers ailleurs, l’air affairé de celui qui refusait le contact et le recherchait en même temps.Combien de fois ai-je pu repousser le moment fatidique de satisfaire cette envie de plus en plus pressante ? Chaque fois, je me fixais des limites, je me lançais des ultimatums. Chaque fois, j’en reculais davantage les bornes et finissait par dépasser le quartier chaud, sortant tout ébaubi de ce lacis de rues, me morigénant intérieurement en serrant mon billet de cent francs et en me promettant « Sûr, la prochaine fois… »À force d’en arpenter les rues, je m’étais familiarisé avec ces lieux, ces façades crasseuses et ces odeurs si particulières. J’en avais repéré les habitués, femmes et hommes. De mémoire, je pouvais refaire le chemin en revoyant telle ou telle femme dont j’avais capté l’attitude, enregistré les gestes et la tenue, à la sauvette. Après, je pouvais me rappeler un décolleté sur une poitrine presque nue qui m’avait paru opulente, avec une peau rougie de froid, tachetée et grenée par l’âge. Le sourire fugace d’une autre. Le regard vide d’une troisième ; une grande brune toujours triste qui avait pris ses quartiers devant une porte basse, sa tête appuyée sur la pierre noire de crasse où était gravée une croix occitane, souvenir d’un lointain passé plus glorieux. Et cette familiarisation me permettait aussi de redresser la tête lorsque j’entrais dans ce dédale de ruelles. Pourtant, au moindre sourire, à la moindre œillade, mon regard replongeait vers l’asphalte qui ondulait soudain sous mes pieds et me faisait alors tanguer, puis trébucher, avant d’accélérer une nouvelle fois le pas. Et une fois encore, je me retrouvais de l’autre côté, incapable que j’avais été d’assouvir mes désirs, et comme une litanie je me répétais « La prochaine fois, ce sera la bonne… »Autour de moi, mes copains les plus affranchis, les plus téméraires, continuaient à se vanter de leurs bonnes fortunes. Ils nous racontaient par le menu détail et dans un langage cru, imagé et salace, leurs dernières rencontres. Ils laissaient pantois ceux qui, comme moi, se taisaient et vivaient ces ébats dans leur tête et en CinémaScope. Et, chaque fois, je tentais de raisonner ma timidité en me promettant de me joindre au prochain chorus et d’entrer dans ce cercle d’initiés.Un après-midi, plus ensoleillé qu’un autre ou plus chaud, j’ai sauté le pas, j’ai franchi cette barrière qui transforme le garçonnet en homme. J’ai osé.Une fois encore, j’avais pénétré sciemment dans la vieille ville avec la ferme conviction de passer à l’acte. J’avais rangé, bien serrés dans mon porte-monnaie, mes billets et quelques menues pièces. Le matin je m’étais étrillé sous la douche et avais même emprunté le rasoir paternel pour éliminer quelques duvets folâtres qui commençaient à orner mon menton. Sapé comme un prince, je remontais une première rue, m’enhardissant à garder le regard fixe et curieux sur les intérieurs des bars à matelots. Dans les ombres glauques, j’y distinguais des chairs tristes, des attentes languissantes et j’en captais les odeurs entêtantes et fortes, un mélange de sciure, de tabacs, de relents d’alcools et de parfums bon marché. Plus loin, je croisais les premiers regards des femmes que j’osais enfin affronter. Elles avaient un sourire triste qui se voulait engageant. L’œillade facile et discrète, la bouche formait alors une sorte de rictus quasi mécanique qui hésitait entre le baiser envoyé de loin et l’appel discret. Mon front devait dégouliner de sueur mais au moins je contemplais enfin la réalité en face. Plus je m’enfonçais dans la vieille ville, plus les rues devenaient étroites.Errant de rue en rue, à la recherche de je-ne-sais-quoi, mes pas me faisaient passer une première fois devant une grande blonde, les cheveux courts, les épaules larges, la cambrure des reins bien creusée, la jupe presque sage. Elle était en train d’emballer un client âgé à la mine fourbe et au regard inquiet. Les yeux exorbités, je les suivais pour m’instruire, pour paraître ensuite décidé et ferme. Mais je continuais mon errance, évaluant les unes et les autres au fur et à mesure de mes rencontres et du désir qui montait en moi et ne me quittait plus. L’une était trop petite, l’autre trop boulotte. Celle-là était trop négligée. Celle-ci trop brune. Cette dernière-là louchait. Plus loin, elle était trop vieille. Certaines fois, mes pas me ramenaient vers l’une d’entre elles aperçue plus tôt. Quand pour la seconde ou la troisième fois je repassais devant, elle affichait alors un sourire moqueur ou jetait vers moi une œillade complice accompagnée d’un inévitable « Hep ! Tu viens… » à moitié susurré sur un ton souvent las et désabusé. Quelques-unes disparaissaient au fil de mon parcours, d’autres apparaissaient ou réapparaissaient. Et inéluctablement mes pas me ramenaient vers la grande blonde.Elle avait fini par revenir au pied de sa porte cochère, reprenant son attente. Épaules appuyées contre les pierres froides et sales, sac pendant sur son ventre. Elle n’était ni jeune ni vieille. Juste entre deux âges indéfinissables. Ses cheveux courts encadraient un visage carré. Elle avait deux yeux gris-bleu, cernés de fatigue. Elle n’avait pas outré son maquillage. Son corps me semblait accueillant, car ni gros ni maigre. Elle n’était pas attifée comme un carnaval ambulant et portait des vêtements anodins. En la croisant pour la seconde fois, nos regards se sont accrochés. Elle a souri, machinalement, instinctivement. Elle avait une cigarette, coincée au bord des lèvres et m’a interpellé :— T’a pas du feu ?Il m’a bien fallu trois pas pour me retourner et l’interroger du regard, lui faisant comprendre que je ne savais pas si sa question m’était vraiment destinée.— T’as pas du feu ? reprit-elle, plus fort.En poussant un grand soupir, j’ai sorti mon briquet de ma poche – à cette époque, déjà, je fumais – et je suis revenu en arrière. J’ai approché ma main légèrement tremblotante de sa cigarette et tandis qu’elle aspirait la première bouffée, elle me soufflait au visage :J’étais là, devant elle. Nos fronts se touchaient presque. Je respirais son odeur, celle du parfum de la laque qu’elle répandait abondamment sur sa coiffure. Elle avait emprisonné mes mains dans les siennes, formant une double conque protectrice à la flamme du briquet pour éviter que le vent ne l’éteigne. Son odeur, ses gestes, le contact de ses mains sur les miennes, son murmure avec sa voix chaude et un peu éraillée me troublaient. J’avais une soudaine et forte envie de fuir et en même temps, je me disais qu’une occasion pareille ne se reproduirait pas. Ses mains étaient douces et chaudes autour des miennes et ce contact exaspérait déjà mes sens.Alors, en prenant une grande respiration, à mon tour, j’ai soufflé à mi-voix :— Combien ?— 50. Mais si t’as le temps, 100 pour une demi-heure…— …— Alors ? Tu viens !Et en prononçant ces dernières paroles, elle avait brusquement décollé ses épaules du mur et en me bousculant presque, elle s’apprêtait à remonter ses escaliers en m’entraînant dans son sillage.Ô ! Il ne devait pas être bien fort, mon « d’accord ». Ni très fort ni très affirmé. Il devait être timide, rougissant et ému parce que tout en grimpant les premières marches derrière elle, elle ne cessait de bavarder, pour contrôler la situation, vérifiant toutes les deux marches que j’étais toujours là, sans cesser de babiller. Devant mes yeux se trémoussaient ses fesses, larges, qui tendaient le tissu d’une jupe grise et étroite. Mes yeux semblaient vouloir sortir de leurs orbites à cette vue. Là, au milieu de la volée d’escalier, alors qu’elle dandinait de la croupe et s’évertuait à me parler de la pluie et du beau temps, je me sentais pousser des ailes. J’aurais volontiers porté la main sur cette partie de son corps. Mais je n’ai rien fait. Je me contentais de monter derrière elle.Après une longue volée d’escaliers étroits et raides, elle a ouvert une porte et nous nous sommes retrouvés dans une chambrette.Je suis resté là, planté sur le pas de la porte, toujours hésitant, examinant cette turne sinistre et sommaire. Juste un lit, une table basse et un paravent. Dans un coin, une chaise.— Ben, ferme derrière toi ! s’exclama-t-elle avec un léger mécontentement dans la voix.Alors je me souvins avoir agi comme un automate. J’ai fait un pas en avant et j’ai fermé la porte. Elle, elle se dirigeait vers la petite fenêtre étroite pour tirer un semblant de rideau, fait au crochet et qui présentait des angelots soufflant dans des cornes d’abondance. Le rideau filtrait le maigre jour et elle est revenue se planter devant moi. Elle me dépassait d’une bonne tête. Elle attendait. Quoi ? Soudain son ton s’est fait plus doux, plus chaleureux.— Dis-moi, c’est la première fois ? Hein !J’ai bien dû devenir rouge comme une écrevisse et je n’arrivais même plus à bredouiller un « Oui. » Je me suis contenté de hocher la tête en signe d’assentiment en baissant le nez.— Bon, alors, t’auras droit à un cadeau… mais ici, on paye d’abord et on consomme ensuite.Et elle tendait sa main ouverte, attendant mon règlement. Là, j’ai quand même compris qu’il me fallait sortir mon argent. Avec cette rapidité qui cachait ma maladresse et ma soudaine gêne à devoir payer cette femme pour faire « l’amour », je lui ai tendu mes billets dont elle s’est emparée rapidement et avec avidité pour se diriger vers son sac.Tout en marchant, elle m’a dit :— Ben, reste pas planté là, mon chou ! Déshabille-toi… T’as une chaise pour mettre tes petites affaires.J’ai fait un pas hésitant, puis un second plus affermi vers la chaise en paille, tout en la suivant des yeux dans ses gestes. Elle-même avait entrepris de se dévêtir. Je ne perdais rien de la scène. C’était la première fois que je voyais une femme se déshabiller, pour moi. En quelques mouvements rapides, elle était presque nue et j’en avais le souffle coupé et la queue raide.Ses seins, libérés de leur soutien-gorge, étaient un peu lourds et retombaient légèrement. Leurs gros tétons bruns, larges et cylindriques, contrastaient avec l’enveloppe de leur chair qui avait, elle, une jolie couleur cuisse-de-nymphe émue. Elle avait gardé ses bas, qui s’arrêtaient à mi-cuisse. Des bas gris avec une large bande de dentelles tarabiscotées. Au-dessus, la cuisse était laiteuse, charnue. Mes yeux remontaient toujours plus haut et je découvrais le saint des saints, ce pourquoi j’étais là, ce qui nous faisait tous courir : son ventre. Un ventre un peu bombé, marqué de stries blanches sur les côtés comme elle en portait sur les cuisses, des sortes de veinules encore plus blanches que la peau de ses cuisses (plus tard, bien plus tard, j’apprendrais que cela s’appelle des vergetures). Mais ce qui aimantait mon regard, c’était son giron. Un pubis fourni d’une toison dense, drue et noire (c’était donc une fausse blonde). J’étais excité par cette vue et toutes ces « choses » que je découvrais « en chair, en os et en volume » et, curieusement, j’étais frustré.Non, elle n’avait rien d’exceptionnel. Ce n’était pas une « beauté fatale », une de ces pin-up que j’avais déjà contemplées dans certains magazines. Elle était juste une femme un peu quelconque qu’on peut croiser dans la rue, sans obligatoirement se retourner sur elle. Le seul avantage que je lui trouvais alors, c’était sa réalité et cette possibilité de la toucher. Enfin, à ce moment-là, je n’avais toujours pas osé la toucher.J’avais fini de me déshabiller. Gêné par ma nudité qui affichait mon désir d’elle, je ne bougeais toujours pas, ne sachant ni que faire, ni que dire, ni quelle attitude adopter.Oui, j’étais bel et bien emprunté, nu comme un ver avec cette femme qui déambulait, elle aussi dans le plus simple appareil.Heureusement elle savait, elle. Elle m’a fait passer derrière son paravent qui cachait un simple bidet et un vieux lavabo ébréché. Avec délicatesse, elle s’est emparée de mon sexe dressé et, tout en continuant à me parler de la pluie et du beau temps, elle a fait ma toilette intime.Cela faisait longtemps que je me lavais tout seul mais sous les doigts visqueux de savon, avec la précision de ses gestes et sa chaude nudité, je crois bien avoir failli me répandre entre ses doigts. C’est à ce moment-là, pour tenter de m’occuper l’esprit, que j’ai risqué mon premier geste à son encontre.D’une main frémissante, j’ai caressé la partie de son corps qui m’était le plus accessible. De mes doigts malhabiles, je suis entré pour la première fois en contact avec la peau de ses fesses : une peau satinée, douce, chaude, élastique. Pendant que je promenais mes mains avec douceur, elle finissait de me sécher.— T’en as une sacrément belle ! s’exclama-t-elle. Tu iras doucement quand tu me la mettras tout à l’heure ! Dis donc, t’es un chaud toi… Hein !Je ne savais que répondre. Le compliment m’allait droit au ventre. Il flattait ma vanité de petit mâle et tendait encore plus ma virilité. Même si je suis certain aujourd’hui qu’elle ne pensait pas un traître mot de ce qu’elle me disait, cela devait rassurer ses clients de savoir qu’ils étaient bien outillés. Alors, en guise de remerciement et pour éviter de répondre, j’ai bêtement ricané, montrant par mon gloussement ma timidité qui cachait mon inexpérience.Enfin, elle s’est dirigée vers le lit. Le couvrant d’une vaste serviette de bain, elle m’a fait signe de la rejoindre. Je m’allongeais en la lorgnant, attendant avec impatience les premiers moments d’extase qui allaient arriver.Dans sa nudité la plus crue et presque vulgaire, elle s’est enfin approchée de moi, tenant dans la main un bout de papier – enfin ce que je prenais alors pour un bout de papier – et qui n’était qu’un simple emballage à préservatif. Me tournant ostensiblement le dos, me présentant sa croupe dodue, fendue par une profonde raie brune et sombre, elle s’est assise. Elle avait une jambe sous elle, l’autre pendante dans la ruelle du lit, pour mieux se pencher vers mon sexe, raide et droit, animé d’une sorte de tic, des soubresauts dus à l’afflux de sang dans mon pénis.Sa main était fraîche sur mon sexe. Elle était douce et me cajolait. En quelques mouvements, elle m’a affermi avant de m’emballer dans son sac de caoutchouc. Cette sensation inattendue a eu pour effet de faire instantanément retomber mon désir, tout au moins de le calmer. Elle devait s’attendre à pareille mésaventure car je voyais son dos s’arrondir, la peau des fesses se tendre, sa raie s’ouvrir et sa tête disparaître vers mon sexe. Sur lui, malgré la mince paroi de caoutchouc, je sentais son haleine chaude et goûtais déjà les premiers émois de ses lèvres qu’elle avait formées en cercle pour mieux me prendre dans sa bouche.Stupeur de bien-être de ce premier contact. Extase de cette première rencontre. Émotion qui montait dans les reins, dans le ventre et tendait mon sexe. Délice du contact de cette langue agile, du rugueux des dents qui agaçaient mon frein, mon méat, ma hampe. Ravissement à me sentir humidifié par cette bouche chaude qui avalait tout mon sexe. Enchantement de ce moment que je rechercherai toujours ensuite sans l’éprouver à nouveau. Sensation étrange de bien-être qui vous tétanise les muscles, met les nerfs à vif, vous excite et enflamme votre imaginaire.Je voyais sa tête aller et venir au-dessus de mon ventre et tentais de la regarder en train de me sucer car je voulais voir. Pour m’exciter encore plus ? Non, juste pour garder à jamais enfermée dans mon petit crâne de mec cette image rêvée, fantasmée et pourtant là, si réelle !Sous les coups de sa langue, mes doigts s’enhardissaient et devenaient indépendants. Instinctivement, ils sont partis en exploration de ces contrées inconnues dont les copains m’avaient tant de fois rabattu les oreilles. Ils rencontraient le soyeux de la peau chaude et élastique des fesses. Sous l’intrusion tâtonnante de ma main le long de sa raie sombre, elle les avait soulevées pour m’offrir en vision panoramique et à quelques centimètres de mon nez son intimité. Je me repaissais de cette vue et tentais d’en apprivoiser la géographie.C’était un sexe et un cul de femme, vus pour la première fois, en gros plan.La rosette de son petit trou, très brune, aux plis serrés comme une guipure de grand-mère, débouchait sur un petit cratère aux rebords bombés et légèrement boursouflés. Plus bas, quelques poils longs et follets entouraient une fente charnue d’où descendaient deux crêtes qui formaient une sorte de corridor à une entrée rosâtre, déjà entrouverte.De l’extrême bout des doigts, j’avançais alors en terra incognita, prêt à battre en retraite à la moindre alerte. Mais quelle alerte aurait pu me faire reculer ? Au contraire, entre deux aspirations de mon sexe, elle m’encourageait à aller la caresser, la fouiller, à écarter cette intimité qu’elle me tendait et qui n’attendait que ça.J’osais à peine effleurer l’entrée visqueuse, écartant légèrement les crêtes qui bâillaient, et suivais le sillon vers le ventre, plus bas. Sous la pression intrusive de mes doigts, son sexe s’écartait pour me faire aboutir vers le sommet que je dédaignais, pour que mes doigts puissent s’emmêler dans les premiers poils de son pubis.Mais mon inexpérience en matière d’amour abrégeait mon exploration à peine commencée. Déjà elle devait sentir que mon désir était sur le point d’exploser et elle a interrompu ses manœuvres buccales et terriblement excitatrices, échappant à mes doigts farfouilleurs, pour me faire face et m’enjamber.Un peu frustré de cette trop rapide exploration de son intimité, pour autant, j’étais tout aussi impatient de passer à la suite du programme. Elle a installé ses pieds le long de mes flancs et, jambes écartées, ouvrant largement son sexe, elle a guidé le mien en elle !Voilà ! J’y étais…A travers la mince parois de caoutchouc, je sentais la chaleur de son sexe m’entourer, me cerner. Plus elle baissait les fesses, plus mon sexe était happé par le sien et plus sa chaleur devenait envahissante et insupportable.Elle, elle agissait avec douceur pour me faire profiter au maximum de ces instants uniques et magiques où un garçon, pour la première fois, pénètre l’intimité d’une dame ! Moi, je n’avais qu’une hâte, aller plus loin et n’écouter que la puissance de mon désir pour éclater en elle…Mes deux mains calées sur ses larges hanches à la peau légèrement grenée, j’essayais d’accompagner, plus que je ne dirigeais, le tempo. Elle s’était empalée sur mon pieu. Quand il était calé au fond d’elle, elle entamait un roulis des hanches qui me massait merveilleusement et me mettait le cœur aux cent coups. Puis elle reprenait rapidement ses mouvements ascensionnels pour retomber rapidement et recommencer, sans jamais m’éjecter de son intimité.Mes mains continuaient à s’enhardir durant ces quelques mouvements. Au-dessus de moi, ballottaient ses deux lourds seins diaphanes et légèrement nacrés aux tétons bruns. J’avançais vers eux mes mains en conques, comme pour cueillir des fruits murs, et j’essayais de m’y accrocher, de les palper. J’avais envie de sentir leur moelleux dans mes mains, mais d’un geste autoritaire, elle me les recalait sur ses hanches et continuait à monter et descendre devant moi durant encore quelques instants.Ces instants ont été brefs, car l’excitation physique, la vision de cette femme nue me chevauchant ont eu raison de moi et de ma jouissance. En quelques rapides allers et retours, montées et descentes, je me répandais dans une fulgurante tétanie de tout mon corps, dans mon préservatif, et déjà mon sexe, sous le coup de cette émotion, se ramollissait.En un tour de rein, elle était déjà debout, près du lit. Elle m’ôtait avec dextérité le préservatif usagé et se dirigeait aussitôt vers son coin de toilette, me laissant juste quelques secondes de répit pour reprendre mon souffle, digérer cette trop rapide étreinte ! Alors que péniblement je retrouvais mes esprits, elle était déjà plus qu’à moitié habillée, me pressant d’en faire autant.Dans un grand soupir, par lequel je devais exprimer à la fois mon contentement, mon exaspération et mes frustrations, je me levais, les jambes un peu molles et tremblantes pour m’habiller. Et sans plus attendre, je me retrouvais dans la ruelle, clignant des yeux face à un soleil mordant qui venait nimber la vie extérieure de quelques rayons dorés.Avec précaution, je sortais de la porte cochère en jetant un œil suspicieux à droite et à gauche, des fois que je croise quelqu’un qui me reconnaisse… et je retraversais les vieux quartiers.Tout en marchant, je repensais à ce que je venais de vivre, de faire… en même temps, je tentais de comparer avec ce que m’en avaient dit les copains.Le moment avait été court, très court, trop court. Elle m’avait pourtant bien promis une demi-heure, et moins de vingt minutes s’étaient écoulées ! Mais à qui la faute ? Bien sûr, j’étais furieux, contre moi et contre elle, mais je n’allais pas retourner pour lui réclamer une rallonge ou un dédit ! Et les images de cette première copulation, de la vision de son sexe, de ses fesses, de ses seins commençaient déjà à m’obnubiler, à me hanter. Tout en marchant, tout en croisant d’autres femmes qui tapinaient, je me disais que j’aurais dû choisir telle ou telle autre plutôt que la grande blonde. Tiens, celle-là, par exemple. C’était certain, elle était cent fois mieux que « l’autre ». Et puis je repensais à la brièveté de sa prestation, à mon exploration interrompue et me je disais « T’aurais dû faire ceci ou cela… » Oui, mais voilà, c’était bel et bien fini.Alors, cette expérience a rejoint les cohortes de mes fantasmes de « petit mec ». Et je l’ai enjolivée parce qu’il m’a bien fallu raconter « ma première fois » aux copains. À eux, surtout à eux, je ne pouvais m’ouvrir de mes frustrations, de mes incompétences. Mais mon récit m’a fait admettre de plein pied dans la « confraternité des baiseurs à couilles rabattues » (selon une savoureuse expression que nous avions trouvé dans je ne sais quel opuscule de littérature de Sade que nous lisions en cachette des parents !). Puis les expériences, les rencontres, la vie ont rejeté cette première expérimentation au rang de simple souvenir de plus en plus enfoui dans les tréfonds de la mémoire.C’est certain, il était toujours là, présent, mais il avait su se faire oublier. Il restait insidieusement tapi dans la mémoire qui n’oublie rien, attendant le moment propice pour remonter à la surface et s’imposer comme une évidence.Sans crier gare, au détour d’une rue, à la respiration d’une odeur, à la vue d’une photo, je ne saurais dire, il est revenu. Il a surgi de je ne sais où, avec un réalisme outrecuidant. Cela m’a tellement surpris que j’en suis resté quelques secondes pétrifié. Moi qui le pensais effacé et absorbé par les « autres choses de ma vie », voilà qu’il était resté intact, comme une chose vécue la veille. Passé les premiers instants de stupeur, je me suis habitué à sa présence et maintenant je vis avec lui. Quelquefois même, inconsciemment, je vais le chercher. Souvent, après m’être raisonné, je tente de l’enfouir à nouveau sous des tonnes d’autres images et d’autres expériences mais très vite il me manque car il sait aussi être de bonne compagnie. Pourtant, il me renvoie l’image de cet adolescent boutonneux et timide qui rougissait à la moindre alerte, à la moindre invite, à la plus imperceptible œillade. Alors, j’en suis arrivé à la conclusion qu’il m’obsède.Avec l’âge, les rencontres diverses et variées, la stabilisation et le « raisonnable » ont su prendre le pas sur les aventures et cet état de liberté insouciante que je vivais alors et que j’ai pu vivre ensuite. Même si je n’en suis ni fier ni honteux, même si je ne regrette rien, je ne peux apprécier ma vie actuelle qu’à l’aune de ces moments-là. Alors oui, les souvenirs, et celui-là en particulier, peuvent venir continuer à m’obséder. Et quand ils sont à la limite de l’envoûtement, je sais que je peux les renvoyer de là où ils viennent. Les savoir présents à mes côtés, ces compagnons de misère, me rassure, me réconforte et me fait encore plus apprécier La Vie.