L’annonce repĂ©rĂ©e dans l’Obs me surprit. Avant d’y ĂŞtre confrontĂ©, je n’imaginais pas que la loi de bioĂ©thique du 2 aoĂ»t 2021 put influencer si rapidement le mode de fabrication des bĂ©bĂ©s.Était-il vraiment possible qu’une femme de trente-trois ans cherche un donneur anonyme pour fĂ©conder ses ovocytes, congelĂ©s quelques annĂ©es auparavant ? C’était probablement un appât pour rĂ©unir un groupe de mecs, voire une arnaque en mode woke.La mĂŞme annonce parut toutefois quelques jours plus tard sur le site de l’Express. La dame ratissait large. Comme si les intĂ©rĂŞts sociĂ©taux et politiques pouvaient ĂŞtre un bon critère de choix d’un donneur de sperme. Et assurer les meilleures chances de mettre la main sur le prĂ©posĂ© idĂ©al Ă la fĂ©condation de son potentiel gĂ©nĂ©tique.Le fait que les candidats soient soumis Ă des tests stricts finit de me convaincre. Je complĂ©tai du mieux que je pus le questionnaire en ligne.Ă€ mon grand Ă©tonnement, ma candidature fut acceptĂ©e et j’eus l’honneur d’être convoquĂ© Ă une entrevue par visioconfĂ©rence.Que de mystère ! Le sĂ©rieux de l’organisation laissait toutefois supposer plus qu’un attrape-nigaud. D’ailleurs, je n’avais rien d’autre Ă perdre qu’un peu de temps, et quelques gouttes de sperme en cas de rĂ©ussite.Je me mets en ligne Ă l’heure dite. Et lĂ , surprise, je me retrouve non pas face Ă une, mais Ă trois femmes. Trois femmes dans la trentaine, du genre de celles qu’on suppose tout Ă fait aptes Ă transformer n’importe quel mec en donneur de sperme, sans passer par un laboratoire.La mise en scène a des relents d’examen oral. C’est Ă©trange, car mĂŞme s’il s’agit uniquement de sĂ©lectionner un mâle pour une FIV, une ambiance un poil plus chaleureuse permettrait au mâle en question de prĂ©senter le meilleur de lui-mĂŞme. Finalement, si tout se dĂ©roule comme prĂ©vu, on parle de faire un bĂ©bĂ©, non ?Il est vrai que l’annonce Ă©tait explicite. La dame veut un don de sperme, pas un contrat de paternitĂ©. La dame ? Comment savoir laquelle des trois est celle qui veut faire un bĂ©bĂ© toute seule ?Mille questions envahissent mon esprit. Les mines inexpressives des trois Grâces m’enlèvent cependant toute vellĂ©itĂ© de les poser avant d’y ĂŞtre invitĂ©. Elles cherchent Ă me mettre en position d’infĂ©rioritĂ© et n’entendent pas laisser des Ă©motions parasiter leur choix.— Bonjour ! Je m’appelle Florence, dit la blonde en haut Ă gauche de mon Ă©cran. Si vous ĂŞtes choisi, ce sont mes ovocytes que vous allez fĂ©conder. Vos tests prĂ©liminaires me laissent supposer que vous ĂŞtes un mec sensible, instable, immature, sensuel et hĂ©doniste. Comme beaucoup d’autres hommes. Je vous trouve nĂ©anmoins sexy, et vous pourriez ĂŞtre un bon choix. Un zeste de folie et d’imagination manque Ă votre dossier pour me dĂ©cider dĂ©finitivement. J’attends de vous que vous me surpreniez au cours du test final que j’ai l’intention de vous faire passer. Lâchez votre imaginaire, et vous serez le père de mon enfant.— Salut, moi je suis Catherine, profère la brune en haut Ă droite sur l’écran. Les rĂ©sultats de tes tests prĂ©liminaires me dĂ©plaisent. Je te perçois comme un beau parleur, faussement intello, incapable d’aligner deux phrases qui aient du sens. Pour moi, tu es un gars qui brasse de l’air Ă journĂ©e faite. Je te laisse une dernière chance avec mon test final. Si tu me donnes quelque chose de beaucoup plus couillu, ce sont mes ovocytes que tu vas engrosser. Et ça, uniquement Ă cause de ta belle gueule de baroudeur. La couleur de ton pull, en revanche, me ferait plutĂ´t revenir sur mon choix.— Bonjour, moi je suis Nicola, prĂ©cise la troisième Ă gauche en bas de mon Ă©cran, dont le visage sans relief laisse transparaĂ®tre un ennui insondable. Vos tests prĂ©liminaires ne m’ont absolument pas convaincue et votre attitude me dĂ©plaĂ®t. J’en ai d’ailleurs parlĂ© Ă mon chien qui m’a tournĂ© le cul. Vous ĂŞtes fade, prĂ©visible, bref vous ĂŞtes la petite bite dont rĂŞvent les bourgeoises. Je ne suis pas bourgeoise et je n’ai pas l’intention de laisser mes ovocytes s’envoyer en l’air avec vos spermatozoĂŻdes. Ă€ moins que le test final que je vous rĂ©serve change la donne. Mais votre cas me semble sans appel, vous ĂŞtes le maillon faible.De deux choses l’une, ou elles mĂ©langent les cartes pour que je ne sache pas Ă qui appartiennent les ovules que mon sperme va honorer, ou elles sont en concurrence pour la semence d’un mĂŞme donneur. Moi, en l’occurrence.Est-ce que cela change quelque chose ? Objectivement, non. Dès le moment oĂą j’ai acceptĂ© le dĂ©fi, j’ai renoncĂ© Ă tout droit de regard sur mes spermatos.Il n’empĂŞche que la manière que Catherine et Nicola ont de me dĂ©valoriser me dĂ©plaĂ®t. MĂŞme si elles jouent probablement Ă me provoquer pour mieux dĂ©couvrir ce que j’ai dans le coffre, je ne suis pas prĂŞt Ă me rĂ©pandre dans n’importe quelle Ă©prouvette, au profit de n’importe quel ovule qui poussera dans n’importe quel ventre.M…, quoi ! MĂŞme dans le rĂ´le du bourdon, j’ai ma fiertĂ©. Si tout se passe comme prĂ©vu, je serai père avant la fin de l’annĂ©e. Je n’en saurai sans doute jamais rien, mais des traces de moi subsisteront sur cette terre. Ce n’est pas rien. Je n’ai pas envie de confier cette mission Ă quelqu’une qui me dĂ©plaĂ®t.— Vous avez des questions ? demande Florence sur un ton soudain plus jovial.— Vous avez choisi un Ă©talon sur catalogue, et maintenant vous avez des doutes sur ses performances ? Soit, cela faisait partie du contrat. Mais Ă l’origine, il ne devait y avoir qu’une receveuse. La donne a changĂ©. Je souhaite donc Ă mon tour introduire une nouvelle clause.— Qui serait ? rĂ©plique vivement Nicola.— Je veux passer du temps avec chacune d’entre vous pour mieux vous connaĂ®tre. Je ferai les tests que vous avez prĂ©vus Ă ce moment. Mais je veux me rĂ©server le droit de refuser mon sperme en cas d’incompatibilitĂ© avec l’une ou l’autre d’entre vous.— Tu veux passer du temps ou une nuit ? s’inquiète Florence.— Vous choisirez. Mais au dĂ©part, je croyais que tout contact sexuel Ă©tait proscrit.— Et voilĂ , ça recommence, gĂ©mit Catherine, « tout contact sexuel est proscrit », gnagnagna. Tu ne peux pas simplement dire qu’on ne veut pas baiser avec le donneur de sperme !Je renonce Ă rĂ©pondre, prĂ©fĂ©rant leur demander oĂą, quand et comment elles veulent organiser nos rencontres. Florence prĂ©cise qu’elle va commencer avec moi et que les tests des autres femmes suivront en fonction des rĂ©sultats. Elle semble avoir un droit de prĂ©sĂ©ance et me donne rendez-vous le lendemain en fin d’après-midi, dans le 6e, mĂ©tro Saint-Placide.oooOOOoooElle arrive pile Ă l’heure, Ă©lĂ©gante, le nez au vent, un large sourire aux lèvres. Le courant passe immĂ©diatement entre nous. En face Ă face dans un charmant restaurant, contrairement Ă ce qu’elle a montrĂ© d’elle en visioconfĂ©rence, elle me met Ă l’aise de manière très naturelle et se raconte avec une touche d’insouciance qui me fait tomber sous son charme.Elle est enlumineuse, ce qui, comme elle le prĂ©cise, implique une rigueur et une prĂ©cision d’exĂ©cution quasi scientifique pour une activitĂ© totalement artistique. Après une petite hĂ©sitation, elle ajoute avec un sourire mutin qu’en fait, elle pratique le sexe exactement de la mĂŞme manière.— Pour ĂŞtre bien, et profiter de tous les plaisirs que cette activitĂ© peut offrir, j’ai besoin de rigueur et de prĂ©cision d’exĂ©cution, mais dans un relâchement artistique total.— Rigueur et prĂ©cision dans le sexe ? Concrètement, cela se vit comment ?— Ben exactement comme en musique. On choisit ensemble une tonalitĂ©, un rythme et un tempo, et on joue Ă quatre mains dans ce cadre.— Et si j’ai un soudain dĂ©sir d’impro ?— Si tu arrives Ă m’entraĂ®ner, je te suis. Mais les solistes de cette trempe sont rares. Très rares, soupire-t-elle avec mĂ©lancolie.— Pourtant, ne trouves-tu pas que quelques surprises pimentent agrĂ©ablement une relation charnelle ?— Sincèrement, avec vous, les mecs, elle est oĂą la surprise ? Entre les prĂ©liminaires et l’éjaculation, ce que vous nous offrez comme surprise augmente surtout votre excitation et l’intensitĂ© de votre orgasme.— Vu comme ça, j’avoue qu’il y a du vrai. Mais c’est dĂ©primant.— Et lĂ , c’est le moment de prĂ©ciser que je suis anorgasmique. Il ne s’agit pas d’anaphrodisie, hein, mais bien d’anorgasmie. Donc j’adore quand un mec me caresse, m’embrasse, me lèche, me masse partout oĂą il a envie de balader ses mains. Et j’adore explorer les charmes virils de mes amants, tout comme me laisser envoĂ»ter par la douceur de leur peau ou la fermetĂ© de leurs muscles, fessiers de prĂ©fĂ©rence. Les rĂ©actions d’un corps viril sous mes caresses m’excitent. Je mouille, mes seins se tendent, les petits papillons font les fous dans mon bas-ventre. Mais cela ne va pas plus loin. Cela me suffit d’ailleurs largement. S’il ne tenait qu’à moi, cela pourrait durer des heures. Ă€ l’inverse, je me ferme complètement lorsque le mec insiste, persuadĂ© qu’il sera le premier Ă me sortir de mon sommeil orgasmique. Un geste de plus et je l’éjecte de mon lit et de ma vie.Je suis bluffĂ© par tant de franchise. Et par cette manière directe de me faire partager ce qui est probablement la raison profonde de sa dĂ©cision de faire un enfant toute seule.— Par ailleurs, je suis incapable de passer une nuit complète entre les bras d’un partenaire. MĂŞme simplement dans le mĂŞme lit. Tout d’un coup, j’étouffe, il faut que je retrouve mon indĂ©pendance. Ă€ ce rĂ©gime, aucun mec ne tient la distance. Imaginer faire un enfant au sein d’un couple dans ces conditions, c’est sans espoir.— À quand remonte ton dernier orgasme ?— En vĂ©ritĂ©, dit-elle pensive, je ne suis mĂŞme pas sĂ»re d’avoir jamais vraiment joui. Du plaisir, j’en ai eu, et de toutes sortes, mais des orgasmes ? Pour vous les mecs, c’est facile, Ă©vident. Mais pour une fille, c’est plus complexe, plus diffus. D’ailleurs, comment dĂ©finirais-tu l’orgasme fĂ©minin, toi ?— J’ai cru comprendre que c’était comme une boule impatiente qui grossit Ă chaque caresse, qui donne envie d’encore plus de caresses, de beaucoup plus de caresses. Avec une envie de plĂ©nitude qui fait grossir la boule jusqu’à ce qu’elle explose.— Ben voilĂ , c’est lĂ que ça coince.— Qu’est-ce qui coince ?— La notion de plĂ©nitude. L’impĂ©ratif de plĂ©nitude, avec ce que cela implique de pĂ©nĂ©tration.— Quelque chose ne s’est pas trop bien passĂ© dans ton histoire de femme ? si tu m’autorises Ă poser cette question.— Au dĂ©but, c’était bien. C’était doux, respectueux. Et il embrassait bien, murmure-t-elle comme perdue dans un souvenir.— Et…— Une nuit, il a succombĂ© Ă ses pulsions. Je dormais, je n’ai rien senti venir et je n’ai pas pu lui rĂ©sister. Depuis, certains gestes amoureux Ă©voquent irrĂ©mĂ©diablement l’impatience, la domination du mâle en rut sur sa femelle en chaleur. Mais moi, je ne suis l’objet de plaisir de personne. J’aime faire l’amour, pas copuler.— Ne peux-tu pas prendre son impatience comme un compliment ? T’es belle, t’es bandante, le mec a envie de toi et ça le rend heureux de te le montrer.— Heureux ? PlutĂ´t excitĂ©, dĂ©branchĂ© de ma rĂ©alitĂ©, monomaniaque de la virilitĂ© triomphante. Avant mĂŞme qu’il pose sa main entre mes cuisses, je sens qu’il veut aller plus loin, au-delĂ de la douceur, du respect, des baisers, des caresses lĂ©gères qui me feraient grimper aux rideaux s’il suivait ma partition. D’emblĂ©e, je sais qu’il faudra qu’il plante son truc en moi et vide ses couilles, sans quoi le pauvre chĂ©ri sera frustrĂ©, conclut-elle, la voix tremblante d’émotion. Toujours et encore finir par vider ses couilles. Et dans le pire des cas, sur mon ventre. Je n’en peux plus de ce rituel sordide.— C’était quand cette nuit d’horreur ? Aucune chance de prescription, de rĂ©silience ?— J’avais vingt ans. Ce salaud a tout fracassĂ© en une nuit. Et il est parti avec les clĂ©s de mes orgasmes.Alors, d’un coup, un lourd silence s’installe entre nous. Comme un brouillard d’automne qui empĂŞche de voir les dĂ©tails du paysage. D’habitude, le silence entre une partenaire et moi me terrifie. Il peut ĂŞtre porteur de tant d’incomprĂ©hension.Or ce silence entre Florence et moi a une intensitĂ© complètement diffĂ©rente. Elle ne s’y retranche pas, elle l’habite, lui donne une couleur qui n’appartient qu’à elle. Elle ne cesse d’ailleurs pas de me regarder, d’être infiniment prĂ©sente.Nous sommes arrivĂ©s Ă un stade oĂą plus rien d’autre ne peut ĂŞtre Ă©changĂ©. Sans doute sommes-nous allĂ©s trop vite, trop profondĂ©ment, trop sincèrement dans notre dĂ©couverte mutuelle. Nous avons besoin d’une pause, mais je ne veux pas perdre ce qui commençait Ă se dessiner entre nous.— Je voudrais protĂ©ger le fil qui nous relie, dis-je enfin, aide-moi !Elle prend ma main droite entre les siennes, la contemple, puis pose sa joue dans ma paume. Quelques minutes plus tard, elle se met Ă embrasser chacun de mes doigts, puis le creux de ma main. Finalement, elle lèche mon pouce, le prend entre ses lèvres et le mordille sensuellement.Alors seulement, elle retrouve une humeur plus joyeuse et m’invite Ă la suivre après avoir rĂ©glĂ© nos consommations.— Allons tresser un fil un peu plus solide dans un endroit oĂą je me sens bien. Je veux te montrer mon atelier. Tu es prĂŞt pour le test final ?— Je suis prĂŞt, mais aussi inquiet, pour ĂŞtre honnĂŞte.— Et pourquoi donc ?— Avant la fin de la nuit, tu auras dĂ©cidĂ© si je suis un bon mâle pour fabriquer ton futur enfant. Ce qui touche Ă l’essence mĂŞme de ma virilitĂ©. Or, en passant par une Ă©prouvette, tu ne gardes de moi que des qualitĂ©s gĂ©nĂ©tiquement transmissibles. Que t’offrir, quelle partie de moi veux-tu dĂ©couvrir, tester, en refusant une relation physique et la sensualitĂ© qui va avec ? Je comprends ton aversion pour une certaine expression de virilitĂ©. Mais si je ne peux pas te toucher, je ne suis que la moitiĂ© de moi-mĂŞme.— Tu te sens castré ? Et qui dit qu’il n’y aura aucune sensualitĂ© entre nous ? Tu as dĂ©jĂ sommeil ? demande-t-elle avec malice, tout en posant furtivement ses lèvres sur les miennes.oooOOOoooElle me fait alors dĂ©couvrir son lieu de travail, avec les instruments qu’elle utilise pour les diffĂ©rentes techniques d’enluminure. Son atelier est très agrĂ©ablement meublĂ© et dĂ©corĂ©. Je m’y sens rapidement Ă l’aise.Il faut dire qu’il lui sert aussi souvent de lieu de vie, lorsqu’elle y reste toute la nuit pour parachever une commande. Un coin repos avec un lit lui permet de prendre des forces entre deux phases crĂ©atives.La nuit est dĂ©jĂ avancĂ©e quand elle arrive au bout de ses explications sur son art. Elle est maintenant prĂŞte Ă me mettre Ă l’épreuve. La meilleure manière de connaĂ®tre quelqu’un Ă©tant pour elle de collaborer Ă un projet commun, elle me demande de rĂ©diger Ă la main un texte qui fixe les grandes lignes de notre contrat de don de sperme.Elle le calligraphiera selon la tradition mĂ©diĂ©viste, puis l’enrichira d’une enluminure autour de la lettre initiale (symboliquement la sienne) et de la lettre finale (symboliquement la mienne). Charge Ă moi de complĂ©ter ensuite notre Ĺ“uvre dans les marges par ces dessins impertinents et mystĂ©rieux qui caractĂ©risent les textes du Moyen-âge.Ce qu’elle attend de son donneur de sperme ? Qu’il joue avec elle tout au long de la crĂ©ation. Qu’il s’inspire de ce qu’elle fait pour inventer des rĂ©ponses troublantes, amusantes, inattendues. Elle veut un jeu de sĂ©duction sur parchemin.Tout en prĂ©cisant qu’une calligraphie rĂ©ussie peut l’exciter tout autant que de longs prĂ©liminaires. Un jambage discrètement glissĂ© par l’enlumineur sous un arrondi ou une lettre tournĂ©e en forme de rĂ©ceptacle peut la faire autant frissonner qu’une caresse intime. Dans ce domaine, les moines copistes ne manquaient apparemment pas de fantasmes ni d’imagination pour les traduire en langage symbolique. Les nombreux escargots, oiseaux Ă long bec, lapins fouisseurs de terriers, archers lubriques ou chiens lĂ©cheurs de fions en tĂ©moignent (1), (2).Inversement, rien ne stimule plus sa crĂ©ativitĂ© calligraphique que des prĂ©liminaires sensuels. Le jeu de mains de Demi Moore et Patrick Swayze sur le tour de poterie dans Ghost (3) correspond assez bien Ă ce qu’elle peut ressentir en rĂ©alisant certaines enluminures, la peau encore chaude des caresses d’un amant pas trop intrusif.— Bon, Ă toi de jouer. Fais-moi un texte inspirant, que j’aie plaisir Ă enluminer. En attendant, je me glisse sous les plumes. Viens me rĂ©veiller quand tu seras prĂŞt. C’est le premier test !— Le rĂ©veil en fait partie ?— Grave.AmusĂ© par le dĂ©fi, je me mets au travail. Mon inspiration baisse après la deuxième strophe. Un reste de rhum au fond d’une bouteille me remet en selle et vers deux heures du matin, je suis capable de proposer un texte Ă peu près satisfaisant.Moi, Simon, Ă©leveur de spermatozoĂŻdes fougueux, dĂ©clare sur l’honneur ĂŞtre sain de corps et d’esprit. N’ayant acceptĂ© aucune tentation lubrique depuis plus de dix jours, C’est animĂ© d’une volontĂ© bien ferme et le cĹ“ur gorgĂ© d’humeurs fĂ©condes que j’ai produit l’épanchement sĂ©minal attendu. J’en remets le fruit ce jour Ă qui de droit, en lui souhaitant un avenir fĂ©cond.Moi, spermatozoĂŻde du sieur Simon, Je dĂ©clare sur l’honneur avoir mis Ă profit la pause sĂ©minale des dix derniers jours pour parachever mon entraĂ®nement physique. C’est donc au meilleur de ma forme que j’entre en lice pour le duel qui dĂ©signera le champion de la fĂ©condation in vitro des ovules de Florence.Moi, ovule de dame Florence, Je dĂ©clare sur l’honneur avoir dormi d’un sommeil profond et chaste au cours des dernières annĂ©es, telle la Belle au Bois dormant. RĂ©veillĂ©e par un chaud baiser du mire alchimiste, je suis prĂŞte Ă recevoir en mon sein le germe viril d’un spermatozoĂŻde fougueux.Moi, Florence, je dĂ©clare sur l’honneur ĂŞtre saine de corps et d’esprit. N’ayant acceptĂ© aucune tentation lubrique depuis plus de dix jours, C’est emprunte d’une douce espĂ©rance et le cĹ“ur tendrement Ă©mu par les charmes du sieur Simon, Que je veux prendre en moi et faire grandir l’ovule que son spermatozoĂŻde fougueux a conquis de haute lutte. Il est temps de rĂ©veiller Florence. Je rĂ©alise alors qu’elle est nue sous la couverture. C’est troublant, et je ne sais pas trop comment faire pour la tirer du sommeil sans dĂ©passer les limites sensuelles dont elle a parlĂ©.J’effleure son visage et Ă©carte les mèches blondes qui le cachent en partie.— Florence !— Mmmmhhh ?— Florence, j’ai fini le texte.— Mmmmhhh ? Nuque…— Tu as mal, tu veux un massage ?— Baiser, doux…Dont acte, longuement, dĂ©licatement. Les odeurs de sa peau et de ses cheveux provoquent une intense rĂ©action quelque part entre mon cĹ“ur et mon bas-ventre. Comme un afflux de sang.— Mmmmhhh, mes seins…— Je, vraiment ?— Les deux, doucement.Dont acte, longuement, voluptueusement. Elle se tourne au fur et Ă mesure de ma progression sur sa poitrine, pour me permettre d’accĂ©der Ă toute sa moelleuse anatomie. Elle profite de mes caresses en soupirant doucement, les yeux fermĂ©s.— Tes lèvres, maintenant.— Sur tes seins ?— OĂą tu veux, mais finis sur ma bouche, murmure-t-elle mollement, comme encore endormie, un bras autour de mon cou pour m’attirer tout contre elle.Par petites touches des doigts et des lèvres, nous nous offrons de sublimes prĂ©liminaires sensuels. Sa manière de s’ouvrir Ă moi et de s’offrir Ă mes caresses et Ă mes baisers est d’une intensitĂ© folle. Cent mille volts de courant Ă©rotique passent entre nous, un incendie sensuel menace d’éclater.Évidemment, conditionnĂ© par plus de vingt-cinq ans d’érotisme Ă©jaculo-centrĂ©, je bande comme un diable. Encore habillĂ©, je ne m’en cache pas, mĂŞme si je prĂ©fĂ©rerais pouvoir afficher la retenue dont elle rĂŞve chez un partenaire de jeux.Nous arrivons enfin Ă reprendre nos souffles au sortir d’un baiser particulièrement profond.— Tu as bu de l’alcool ?— Oui, dĂ©solĂ©, j’avais une panne d’inspiration.— Et moi ?— Tu en veux aussi ? Attends, je t’amène un verre.— Je prĂ©fère le bouche-Ă -bouche.Cette fille n’a pas fini de m’étonner. Je prends une gorgĂ©e de rhum et reviens l’embrasser. Sa petite langue chaude vient chercher les premières gouttes sur mes lèvres, puis elle exige une pleine gorgĂ©e. Pendant que je laisse couler l’alcool sur sa langue, je sens sa main descendre le long de mon ventre et se poser lĂ©gèrement sur mon sexe tendu.— Tu bandes ? Merci, c’est Ă©mouvant. Pas trop frustrĂ© si on se remet au travail sans aller plus loin ?D’un geste Ă©lĂ©gant, elle rejette la couverture, loin d’elle, me dĂ©voilant entièrement son corps. Puis elle se lève, sans chercher Ă cacher quoi que ce soit Ă mes regards.Dès qu’elle a pris place Ă sa table de travail, je sens qu’elle m’échappe. ConcentrĂ©e sur ce que j’ai Ă©crit, elle voit les lettres et les mots Ă sa manière, caractĂ©risĂ©e par la rigueur et la prĂ©cision dont elle a parlĂ©.Des images se forment dans sa tĂŞte, se combinent, Ă©voluent au grĂ© de son imagination, pour finir par se transformer en traits, en boucles, en rondeurs, en creux, en interstices.C’est Ă ce moment que son corps commence Ă se manifester. Suivant l’ambiance dans laquelle elle se trouve, il lui offre par des frissons, des tressaillements, des tensions voluptueuses, des raidissements impatients des sensations Ă©rotiques correspondant Ă l’œuvre qu’elle rĂ©alise.Je la regarde commencer sa mĂ©ditation artistique, puis, après m’être dĂ©nudĂ© Ă mon tour, je m’approche assez près d’elle pour qu’elle perçoive la chaleur de ma peau.Mon torse et mon ventre Ă quelques centimètres de son dos, je dĂ©pose un lĂ©ger baiser sur son Ă©paule, puis un autre Ă la base de sa nuque. Lentement, je remonte le long de son cou, soulevant une Ă une les mèches qui s’interposent entre mes lèvres et sa peau.Elle semble apprĂ©cier, m’encourage mĂŞme Ă poursuivre. Mon intrusion dans sa bulle lui convient. En quelques mots prĂ©cis, elle confirme aimer ce qui se dĂ©gage de mon corps, dĂ©sirer plus de proximitĂ©, plus de douceur sur sa peau, partout.Je pose une main sous ses seins et remonte dĂ©licatement jusqu’à leurs pointes. Elle se serre contre moi, tout en continuant Ă tracer les lettres et les signes. Ce qui nous rĂ©unit est infiniment doux et sensuel.J’essaie de cacher mon Ă©rection en me tournant un peu de cĂ´tĂ©. Elle me retient en me demandant de la caresser avec ma verge dĂ©jĂ bien dure.— Tout est possible, tant que tu ne cherches pas Ă envahir mon intimitĂ©, dit-elle en massant mon bas-ventre de sa main libre.La maĂ®trise dont elle fait preuve en me caressant tout en restant concentrĂ©e sur son enluminure est particulièrement Ă©rotique. Entre deux effleurements presque anodins, elle me masturbe de manière plus prĂ©cise, histoire de faire monter mon dĂ©sir. Et le sien, si j’en crois ses commentaires sur les Ă©motions qui la traversent.Avec autant de retenue que possible, je parcours tout son corps, sans autre intention que de lui donner ce plaisir diffus qu’elle semble attendre de moi. Je ne me souviens pas avoir Ă©tĂ© autant Ă l’écoute du corps et des envies d’une autre femme avant elle.C’est troublant, dĂ©licieux, magique, mais aussi très dĂ©stabilisant. Mes codes sensuels et sexuels sont bousculĂ©s par cette femme Ă©trange, mais infiniment sĂ©duisante.Tout en elle est inattendu, de son langage amoureux prĂ©cis et imagĂ© Ă sa manière d’offrir son corps Ă mes caresses. Si je rĂ©ussis le test qu’elle est en train de me faire passer, je vais offrir mon sperme Ă une grande amoureuse, et une extraordinaire amante. Dommage que le contrat prĂ©voit de ne plus se revoir après une insĂ©mination fructueuse des ovules.Perdu dans mes pensĂ©es et concentrĂ© sur le plaisir que je veux lui donner, je ne remarque pas qu’elle a fini par interrompre son travail artistique. Après avoir posĂ© ses pinceaux, elle se tourne vers moi, les cuisses largement Ă©cartĂ©es.— J’ai une panne d’inspiration. La frustration crĂ©ative me donne envie d’être bousculĂ©e. Viens entre mes cuisses et baise-moi Ă pleine bouche. Je te montrerai comment me faire du bien. Mais n’essaie pas de me faire jouir. Ça me bloque, et pour longtemps. Je veux juste sentir le plaisir couler en moi.Le dos appuyĂ© contre sa table de travail, les pointes des seins dressĂ©s vers le plafond, elle guide ma tĂŞte contre sa vulve lĂ©gèrement entrouverte et humide.Suivant Ă la lettre ses instructions, je la lèche goulĂ»ment du clitoris Ă l’anus, puis entre les cuisses et les grandes lèvres. Après quelques passages, elle me demande de varier les plaisirs, de la pĂ©nĂ©trer dĂ©licatement de la langue, puis beaucoup plus fort.Je pose une main sur son ventre, pour mieux percevoir ce qui s’y trame. De l’autre, je commence Ă me caresser, comme elle vient de l’exiger. Des caresses lĂ©gères puisqu’elle veut un partage Ă©rotique, pas une masturbation Ă©goĂŻste. Elle finit par me rejoindre, en caressant ses chairs intimes que ma langue ne peut atteindre, ou pas assez efficacement Ă son goĂ»t.Nos jeux durent longtemps. Tout son corps manifeste un intense bien-ĂŞtre, sans doute ressemblant Ă un plaisir diffus parcourant chaque parcelle de son ĂŞtre. Progressivement, le goĂ»t de ce qu’elle laisse couler dans ma bouche se transforme, devient plus salĂ©, et surtout plus chargĂ© de ces effluves qui excitent un mâle Ă l’insu de son plein grĂ©.Nous commençons alors Ă faire l’amour d’une manière totalement inconnue pour moi. Je me sens entrer en elle de mille manières diffĂ©rentes, sans jamais la pĂ©nĂ©trer sexuellement. Je partage ses frissons, ses Ă©lans voluptueux, les tensions de son bas-ventre, les secousses qui chez d’autres femmes indiquent l’imminence de l’orgasme.Je perçois tout cela chez Florence, mais d’une manière nouvelle. Nous n’allons pas vers un apogĂ©e orgasmique, mais vers une interminable satisfaction Ă©rotique et sensuelle que nous partageons Ă Ă©gale intensitĂ©.Chacun de nos gestes, chaque caresse, chaque baiser nous donne un intense plaisir. Nous nageons ensemble dans une onde voluptueuse. Ce que l’une ressent traverse l’autre au mĂŞme moment. Nous sommes dans une bulle sensuelle au sein de laquelle nous avons abandonnĂ© toute envie de chercher une satisfaction explosive.Nous n’avons plus conscience du temps qui passe. Finalement, peu Ă peu, nos caresses se font plus lĂ©gères, plus superficielles, moins fougueuses. Il est temps de revenir dans une rĂ©alitĂ© moins jouissive, nĂ©anmoins gavĂ©e de sensations folles et d’émotions troublantes.Après quelques caresses supplĂ©mentaires et un baiser-ventouse qui m’enlèvent tout l’oxygène qui restait dans mes poumons, Florence met provisoirement fin Ă nos joutes.— Va te coucher maintenant, l’inspiration revient et l’enluminure pourrait prendre plus de temps que prĂ©vu. D’ailleurs, l’idĂ©e de m’allonger entre tes bras dès que j’aurais fini ravive mon inspiration.____________________________________________________________(1) https://nostroblogs.wordpress.com/2016/01/22/transgression-protection-humour-le-sexe-dans-les-images-du-moyen-age(2)https://www.erudit.org/en/books/actes-des-colloques-dartefact/actes-17e-colloque-international-etudiant-departement-sciences-historiques–978-2-9816015-4-4/004683co.pdf(3) https://www.youtube.com/watch?v=nMV2IPQrwU0