Résumé de l’épisode 1: L’inspecteur Brouwer commence une enquête sur des prostituées portées disparues dans le quartier de Palmyra. Il s’est adjoint l’aide de Grant, un policier qui travaillait dans la paperasse et qui rêvait de devenir inspecteur. Quand Brouwer et Grant arrivèrent le long des premières artères de Palmyra, il était déjà presque une heure du matin. L’heure où Palmyra commence à respirer, l’heure où ce quartier est le plus vivant, l’heure où l’on ne s’y sent pas seul. L’inspecteur Brouwer parqua la voiture le long d’un canal, l’un de ceux qui délimitait ce « coin chaud »._ Nous continuerons d’ici à pied. » dit-il à son adjoint, « Et seuls. On se sépare. On tente sa chance chacun de son côté. Et rendez-vous à la voiture à quatre heures. Ça va ? »_ Pas de problème._ Vous avez bien compris ce que j’attends de vous._ Oui, des renseignements, même les plus divers, sur mademoiselle Falken._ Impec’. Allez, à tout à l’heure._ A tout à l’heure. » répondit Grant, en s’éloignant déjà._ Ah, encore une chose: en cas de problème…_ Oui, je sais, » le coupa-t-il, « en cas de problème, je suis tout seul, et surtout je ne suis pas flic. »_ Parfait. Bonne chance. En attrapant un flingue dans la boîte à gants, Brouwer regarda s’éloigner celui qu’il avait pris sous son aile quelques heures avant. Il se disait qu’il espérait ne pas avoir à regretter son choix. Grant était encore jeune, et n’avait surtout aucune expérience de ce genre de « mission ». Glaner des renseignements sans éveiller l’ombre d’un soupçon n’était pas chose simple. Quand il eut disparu et tourné au coin de la plus proche rue, l’inspecteur reporta toute son attention sur lui-même, se demandant par où il allait commencer. Comme il venait de se le rappeler, ce ne serait pas facile. Il avait bien une tonne d’idées, mais il se demanda laquelle serait la plus profitable. L’avantage qu’il avait sur quiconque autre, c’était qu’il connaissait très bien ce quartier. Il avait fréquenté Palmyra avant de rentrer dans la police, et maintenant qu’il était inspecteur, les trois-quarts de ses affaires le menaient directement dans les plus sombres endroits de ce lieu maudit. Il regarda alentour, levant les yeux vers les toits à-demi éboulés des vieux immeubles qui bordaient le canal le long duquel ils s’étaient garés. Tout était sordide et délabré, jusqu’aux habitations. Il n’y avait pas encore grand-monde, du moins pas dans ce coin. Quelques passants. Pas trop de putes. Elles étaient plus vers l’intérieur, vers le coin le plus chaud. Aller demander aux putes ? Oui, pourquoi pas, ça pouvait être une solution. Mais difficile de passer inaperçu, dans ce cas. Ces putes, il les connaissait bien, c’était de vraies concierges. Une info, et hop, toute la ville était au courant ! Ou alors, pas n’importe quelles putes… Non, il fallait entrer au coeur de cet endroit, s’enfoncer dans les plus bas quartiers, aller lécher les vitrines des bars les plus glauques, où tout se savait, parce que tout le monde y allait sans que personne n’en sache rien. Oui, c’était sans doute la meilleure chose à faire. Et il savait très bien où aller. Le tout était qu’on ne le reconnaisse pas. Il se mit à marcher, il en avait pour un bon quart d’heure à pied. Grant, quant à lui, n’avait jamais fait ce genre de boulot, et ce quartier lui était presque totalement inconnu autrement que de réputation ou bien en pleine journée. Mais il s’était dit qu’il verrait bien. Qu’il allait marcher droit devant lui, droit vers le coeur de Palmyra, et qu’il improviserait chemin faisant. Alors il se mit à remonter l’une des artères qui menaient vers « la Plaza », comme on disait ici pour désigner la place centrale de Palmyra, là où dans la ville on croisait le plus de putes au mètre carré. C’était une rue relativement étroite, presque étouffante, même, mais heureusement piétonne; tout Palmyra, en fait, avait été interdit aux voitures. Grant se rappelait que les politiciens de quelques années auparavant avaient pensé y faire baisser la prostitution en supprimant la circulation. Et ça avait été tout le contraire. Plus il avançait vers la Plaza, plus il y avait de monde. Quelques filles commençaient à faire les cent pas, ça et là. Et quelques badauds commençaient à les regarder, hésitants, faisant les cent pas sur le trottoir d’en face. Grant sourit. Il savait que ces types là étaient ceux qui n’avaient pas l’habitude, ou pour qui c’était la première fois. Les autres s’enfonçaient plus dans Palmyra et n’étaient pas si hésitants. Il se dit d’ailleurs qu’il n’obtiendrait sans doute aucun renseignement ici, qu’il valait mieux aller voir un peu plus loin. Il repensa à sa discussion avec Brouwer concernant Melinda Falken, la fille qui était portée disparue. Elle avait été vue la dernière fois entre les canaux numéro 5 et 6. Palmyra s’étendait entre les canaux 4 et 8, et le 6 était celui qui passait presque en son centre, presque sur la Plaza. Et ils avaient abandonné la voiture le long du numéro 4. Grant se dit qu’il commencerait ses investigations seulement après avoir franchi le pont du cinquième canal. Plus il avançait, plus il y avait de monde, plus il y avait de vie, plus il y avait de bars, de sex-shops et de boutiques bizarres, et aussi plus les demoiselles qui marchaient à-demi nues sur les trottoirs étaient attirantes. Plusieurs fois, il eut droit à des clins d’oeil, pas du tout discrets; mais s’il y souriait en réponse, il continuait néanmoins son chemin. Il passa bientôt le pont qu’il attendait. Et il arriva dans le quartier chaud proprement dit. Bar, hôtel de passe, théâtre porno, sex shop, bar, hôtel de passe, sex shop, théâtre porno, sex shop, bar, bar, hôtel… Cela n’en finissait pas. Mais curieusement, pas tant de filles que ça, sur les trottoirs. S’il y en avait, elles devaient probablement attendre les clients dans les bars. Grant leva les yeux, scrutant au plus loin devant lui, et il devina les lumières un peu plus vives de la Plaza. Le sixième canal coupait cette rue quelque part entre ici et là-bas. Il s’arrêta et se dit qu’il serait très bien, par ici, pour « mener son enquête ». Il rentra dans le premier bar qui se présenta: « Le sang chaud ». Une douce chaleur l’entoura quand il passa la porte. La lumière était très faible et dans les tons rouge. Il n’y avait quasiment personne. Un type, la cinquantaine, bouffi et l’air dédaigneux, était debout derrière le bar, sirotant ce qui devait être un whisky. Et accoudée au comptoir, une nana d’une trentaine d’années, vêtue et coiffée au plus court et dans les tons noirs, qui darda sur Grant des yeux enflammés dès qu’il passa la porte. Une sombre musique bluesy désepérante se répandait tout autour d’eux._ Bonsoir, » fit Grant en refermant la porte. En guise de réponse, la fille souffla la fumée de sa cigarette, et le type le regarda avec des yeux à moitié révulsés._ Bourbon. » fit Grant en s’avançant. Le type au bar ne répondit rien, se contentant d’une sorte de hoquet, sans doute d’approbation. Grant le regarda plus attentivement. Le type hoqueta encore, ferma les yeux, et se mit à râler longuement. Et au moment où il rouvrit les yeux, une jeune femme se releva derrière le bar, s’essuyant négligemment le menton. Elle repassa de l’autre côté du comptoir. Le barman se renfroqua plus ou moins avant de lâcher enfin, d’une voix satisfaite:_ Un Bourbon, c’est parti ! Et pendant que le type préparait le whiskey, Grant regarda plus précisément les deux nanas, qui ne cessaient pour leur part de le provoquer des yeux. Il venait de trouver par où il allait commencer son enquête…_ Vous me faîtes visiter votre chambre, les filles ? » leur demanda-t-il avec un sourire._ Oh là, oh là, oh là, du calme, bonhomme ! » répondit le barman, « Une seule à la fois ! » Il déposa le verre de bourbon sur le comptoir. Grant paya. Puis se tourna vers la première jeune femme:_ Alors ?_ Vingt billets bleus, payable d’avance. » répondit-elle d’une voix de poissonnière asthmatique. Il se tourna vers l’autre:_ Et toi ?_ Vingt-cinq. Grant retourna son regard vers le type, et fit d’un air d’homme d’affaires texan:_ Cinquante pour les deux. L’homme hésita, puis répondit:_ Soixante._ Cinquante-cinq et c’est mon dernier prix._ Okay. Les filles ne bronchaient pas, ce dont Grant s’étonna. Mais sans chercher à comprendre, il paya les soixante billets bleus. « Ca fait une sacrée somme, » pensa-t-il, mais il se rassura en se disant que c’était pour les besoins de l’enquête. Les filles se levèrent et se dirigèrent sans un mot vers un escalier. Grant vida son verre et les suivit, en fouillant dans ses poches à la recherche d’une capote. Quand Brouwer passa dans l’arrière-salle de cette espèce de bar-bordel glauque, il eut un moment d’hésitation. Est-ce que ça valait le coup de risquer des emmerdes ? Mais il décida que oui, et s’avança finalement. C’était une pièce sombre; ses yeux mirent un peu de temps à s’habituer au peu de lumière. Il cherchait quelqu’un en particulier. Quelqu’une, pour être précis. Marjolia, l’ancienne « reine de la nuit » de Palmyra. Tout autour de lui, de nombreux couples étaient en pleins ébats. Et personne ne faisait attention à lui. Tant mieux. Il zyeuta rapidement autour de la pièce, mais il ne la voyait pas. Il s’avança, fit quelques pas, à droite, à gauche, scrutant la semi-obscurité. Mais il n’apercevait toujours pas celle qu’il cherchait. Il remarqua une charmante jeune femme qui était tranquillement en train de masturber deux messieurs, tout en leur racontant sa vie. Elle parlait de son troisième mariage, et personne ne l’écoutait, pas même les deux mecs, qui, tranquillement vautrés les yeux mi-clos, savouraient ses caresses. Brouwer sourit de la scène. Il s’approcha. Elle le regarda venir, et lui dit:_ Assieds-toi mon mignon, quand y en a pour deux, y en a pour trois._ Tout à l’heure, ma puce. Mais j’ai d’abord besoin d’un renseignement._ Dis-moi tout. Soudain l’un des mecs qu’elle branlait se mit à couiner et à balancer quelques giclées en tous sens. Mais personne encore ne fit attention à lui. Pas même la jeune femme, qui ne semblait tout simplement pas s’en être aperçue. Elle continuait de le branler comme si de rien n’était. Et lui, après avoir fini de couiner, se revautra complètement et continua de savourer ces caresses._ Je cherche Marjolia. » fit simplement Brouwer._ Tu sais, à mon avis, Marjolia aura bien peu de temps à te consacrer. Tu ferais mieux de t’asseoir ici avec nous._ Non, merci, » répondit l’inspecteur avec un sourire, « c’est gentil, mais il faut vraiment que je voie Marjolia. »_ Dans ce cas tu la trouveras tout au fond, dans la grande alcôve. Mais tu risques de pas être tout seul._ Merci. » fit-il en s’éloignant déjà._ Comme je vous disais, » reprit la jeune femme à l’attention de ses deux partenaires, « mon troisième mari décida finalement que… Brouwer n’écoutait déjà plus; il progressait doucement à travers ce qui lui semblait être une foire aux bestiaux. Les nombreux gémissements, plaintes, cris et même hurlements qu’il entendait monter de tout autour de lui l’étouffaient presque. Une femme l’alpagua soudain, l’agrippant par les couilles:_ Je peux faire quelque chose pour toi ? Il s’arrêta, la regarda un instant, et lui répondit sèchement:_ Oui, de la chirurgie esthétique ! Et il continua son chemin tandis que cette femme lui expliquait constructivement qu’il n’était qu’un gros con. Brouwer se dit qu’il avait autre chose à foutre que se prendre la tête avec de pauvres putes. Quand il voulait une pipe, il lui suffisait de demander à sa secrétaire. Il arriva finalement à cette dernière alcôve, et il réalisa que la fille ne lui avait pas menti en lui disant qu’il ne serait pas tout seul. En fait, il ne voyait même pas Marjolia. Mais il la devinait et l’entendait, derrière tout un rideau de mecs en rut, prêts à tout pour se taper la pute la plus connue et la plus respectée de Palmyra. On entendit d’un seul coup hurler un peu plus fort, et l’instant d’après, l’un des mecs quitta le troupeau et s’éloigna. Plus que sept avant lui. Attendre ? Brouwer n’avait pas envie d’attendre, il était déjà bientôt deux heures et demie. Et il en aurait sans doute pour la nuit, s’il devait attendre. Tant pis ! Il décida qu’il allait jouer au superflic. Il sortit le flingue de sa poche, sans que personne ne fît attention à lui, puis il tira un coup en l’air. Tout le bruit ambiant cessa soudain, et toutes les personnes de la pièce s’arrêtèrent de copuler et le regardèrent soudain, inquiètes. Il hurla:_ Le premier qu’est pas hors de ma vue dans dix secondes, je le descends ! La plupart des gens sortirent à toute vitesse de la pièce, affolés. Et Brouwer fit s’en aller les derniers, en les menaçant. Seuls restèrent un mec, endormi ivre mort sur un fauteuil, et Marjolia, qui regardait l’inspecteur, presque amusée._ Ah, Brouwer, ça faisait bien longtemps ! » lui fit-elle naturellement. Il la contempla quelques secondes. Elle était restée installée dans la position où elle se trouvait avant qu’il ne soit intervenu, allongée sur le côté sur un canapé, les cuisses bien écartées. Mais un mec entra soudain en hurlant à l’attention de Brouwer:_ Dis-donc, Ducon ! Tu crois que je vais laisser un petit connard comme toi venir faire la loi dans mon putain de bar ? Le type était armé d’un vieux fusil à pompe qu’il pointait droit sur l’inspecteur._ Ta gueule, pépère ! » répondit Brouwer en pointant également son arme sur le nouvel arrivant. Puis en désignat Marjolia: « Je suis flic, et faut que j’aie un entretien avec madame ! »_ Mademoiselle ! » corrigea celle-ci, avec un sourire._ J’en ai rien à foutre, putain de merde ! Tu dégages de mon bar ! Si tu veux une pipe, tu fais la queue comme tout le monde !_ Aussitôt que j’aurai discuté quelques minutes avec Marjolia, je me casse, et je te laisse faire la loi dans ton bar. Mais d’ici là, c’est toi qui fous le camp…_ Eh ben c’est ce qu’on va voir ! Le patron s’approcha, tout en chargeant son fusil. Brouwer tira, sans prévenir, mais visant à côté. Le type se jeta à terre, prêt à riposter. Mais l’inspecteur fut le plus rapide; il lui sauta dessus, lui assenant un grand coup de la crosse de son revolver. Le type s’évanouit, et Brouwer ramassa le fusil._ Port d’armes illégal ! L’arme est donc confisquée. » dit-il avec un sourire en revenant vers Marjolia._ Ca y est, tu as fini de jouer à l’inspecteur Harry ? » lui fit la prostituée._ Oh, ta gueule !_ Qu’est-ce que tu veux ?_ Un renseignement._ T’as intérêt à me l’acheter, parce que là, je suis en train de perdre un paquet de fric._ Si ce que tu me dis vaut le coup, t’auras plus besoin de bosser ce soir… Marjolia se rassit un peu plus convenablement._ Alors, de quoi s’agit-il ?_ D’une certaine Melinda. Melinda Falken. Il était à peine trois heures quarante-cinq lorsque Grant revint à la voiture, se traînant d’un pas exténué. Il s’appuya sur le capot du véhicule, scrutant la nuit à la recherche de la silhouette de l’inspecteur Brouwer. Il se dit qu’il aurait pu rester quelques minutes de plus à chercher des renseignements, puisqu’il était en fait en avance. Bah, un quart d’heure à attendre, ce n’était pas la mort. Mais c’était vrai qu’il commençait d’être méchamment fatigué. Il regarda alentour; d’un côté le canal qu’enjambait un pont, marquant l’entrée de Palmyra, de l’autre la ville endormie. La différence était vraiment flagrante. À quelques mètres, Grant remarqua un bistrot, encore ouvert, donnant sur la place où ils s’étaient garés. Il pourrait prendre un verre, tout en voyant Brouwer lorsque celui-ci arriverait. En comptant l’argent qu’il lui restait, Grant entra dans le bar. Il s’assit à une table, près d’une fenêtre qui permettait de voir la bagnole. Il y avait quatre ou cinq clients. On était ici à l’extrême limite du quartier chaud, et le bar n’était pas aussi glauque que ceux qu’il avait pu voir dans Palmyra. En fait, il s’y sentait même presque bien. Une magnifique jeune femme court-vêtu s’approcha:_ Qu’est-ce que je vous sers ?_ Un grand café, s’il vous plaît. » lui répondit Grant, les yeux plongés dans le décolleté de la serveuse._ Nous ne faisons plus de boissons chaudes à cette heure-ci, monsieur._ Ah… Euh… Ben… Alors, donnez-moi, euh… un bourbon, s’il vous plaît._ C’est noté. Et elle fit demi-tour, roulant ostensiblement ses fesses somptueuses, où les yeux de Grant allèrent encore se perdre un peu. Mais quand la serveuse revint, il ne la regardait plus du tout. Il était en train d’essayer de faire le point sur les quelques informations qu’il était parvenu à obtenir au cours de cette virée dans Palmyra. Pas grand-chose, certes, mais quand même. Tout n’était pas infructeux. Peut-être que Brouwer aurait lui aussi des informations, et qu’ils pourraient les recouper._ Seize billets verts, s’il vous plaît. » fit la serveuse, en posant le verre sur la table, tirant Grant de sa rêverie:_ Hein ? Seize billets verts ?_ C’est le tarif de nuit, monsieur… Grant ressortit son portefeuille, et fouilla. Il en extirpa quatre billets bleus, qu’il tendit à la jeune femme, en disant:_ Tenez, gardez tout. Mais, à ce prix-là, vous pourrez bien me tenir un peu compagnie ? La serveuse prit l’argent, puis regarda Grant droit dans les yeux, d’un air malicieux. Elle se pencha vers lui, pour venir lui parler à l’oreille. Il eut un instant une vue plongeante sur les seins magnifiques de la demoiselle. Elle lui susurra d’un soupir qu’elle valait beaucoup, beaucoup, beaucoup plus que ça. Puis elle s’éloigna, sans vraiment laisser à Grant le temps de faire autre chose que de la regarder rouler du cul en rejoignant le comptoir. Malgré ses exploits de la nuit, il bandait. Il avait carrément envie de tenter d’aborder plus sérieusement cette merveilleuse serveuse. Elle s’était postée derrière le bar, penchée légèrement en avant, accoudée sur le comptoir, et, de ses yeux de braise, elle allumait et provoquait le policier. Celui-ci sut qu’il devait aller répondre à ces provocations. Il se leva et s’avança vers elle. Mais une voix l’interrompit:_ Grant ! Il se retourna._ Ah, c’est vous, Brouwer. Vous êtes en avance, non ?_ Eh bien, vous avez l’air content de me voir, on dirait… Les deux hommes allèrent finalement s’asseoir à la table où attendait encore le bourbon. Grant s’installa face au bar, de façon à pouvoir toujours contempler la serveuse._ Alors ? » fit Brouwer._ Hmmm ?_ Alors ? Qu’est-ce que vous avez obtenu ?_ Rien encore, mais je pense qu’il y a moyen… Brouwer se retourna alors, afin de voir ce qui captivait tant l’attention de Grant. Il sourit, puis reprit sèchement:_ Bravo, Grant, elle est superbe ! Mais je ne vous parle pas de ça !_ Ah… Euh… Désolé._ Alors ?_ Alors, eh bien, j’ai pu longuement discuter avec une ou deux personnes, qui m’ont confirmé que… Il s’interrompit. Brouwer le questionna des yeux. Mais il remarqua alors la serveuse qui s’avançait vers eux. Sans doute pour prendre la commande._ Scotch ! » fit l’inspecteur sans attendre de question, et sans même se retourner. La jeune femme fit demi-tour, attirant encore les yeux intéressés de Grant._ Qui vous ont confirmé quoi ?_ Hein ? … Ah, euh, qui m’ont confirmé que de nombreuses rumeurs couraient dans tout Palmyra._ C’est tout ?_ Non. Ces personnes connaissaient Melinda Falken._ Et ?_ Et d’après ces personnes, c’était une « occasionnelle »._ Mais on le savait déjà, tout ça !_ Oui, mais attendez. Melinda n’était pas le genre de filles à se taper quinze mecs dans une soirée. Un ou deux à tout casser. Et sur rendez-vous, seulement._ Et alors ?_ Eh bien alors, elles l’ont vue la dernière fois il y a trois jours attendre sur un trottoir. Ce qui n’était vraiment pas dans ses habitudes. Etrange, non ? Tandis que Brouwer semblait réfléchir un instant, la serveuse revint poser le whisky sur la table._ Combien ? » lui demanda l’inspecteur._ Quarante billets bleus. Soixante pour les deux. » répondit la fille._ …?_ A moins que vous ne vouliez parler de votre whisky ? » reprit-elle après un silence, avec un sourire provocateur._ Euh, oui, je parlais du whisky…_ Alors, c’est seize billets verts. Brouwer fouilla dans ses poches et en resortit une liasse de billets verts qu’il tendit à la serveuse. Celle-ci en prit seize, et lui rendit le reste, avant de s’éloigner de nouveau vers le bar. Les deux hommes restèrent un moment silencieux, perdus dans leurs pensées. Ce fut Grant qui rompit le premier ce silence, d’une voix hésitante:_ Euh, dites-moi, inspecteur ?_ Hmmm ?_ Vous pourriez m’avancer quarante billets bleus ? Brouwer regarda avec un sourire croissant le visage tendu de son collègue. Il fouilla de nouveau dans ses poches, et sortit une liasse de billets bleus. Il compta:_ Dix… Vingt… Trente… Quarante… Il les tendit à Grant, qui le remercia vivement avant de se lever et de se diriger vers le bar, d’un pas déterminé. Mais Brouwer continua de compter:_ Dix… Et vingt… qui nous font soixante ! Et à son tour, il s’approcha du comptoir.