Résumé des précédents chapitresParti en Bretagne à la demande d’Anna, Jean retrouve Patricia. Tout en enquêtant, il s’attache de plus en plus à elle.** *Chapitre III : Retour à ParisVendredi. J’ai joué à l’autruche toute la journée, refusant de penser ou de prendre une décision, quelle qu’elle soit. Hier soir, je suis allé prendre congé de mes hôtes. J’ai eu droit à l’apéritif, hélas, et j’ai même retenu le nom, cette fois-ci : Chouchen. J’avais amené un bouquet de fleurs à la dame, qui est devenue tout rose. Encore un grand mystère pour moi : l’effet d’un bouquet de fleurs sur une femme, quel que soit son âge. Je leur ai promis que je ne les dérangerai plus, ils étaient déçus.Ce matin, donc, départ pour Paris. J’ai eu largement le temps de finir mon Ballard dans le train. Que vais-je lire maintenant ? Je refuse d’y penser une seule seconde. Quand je vous disais…Courses, bricolage, remise en route du studio, passage chez les parents… Journée banale, mais active. Le soir, petit coup de fil rapide à Anna, on se voit demain après-midi.** *Samedi. Anna vient cet après-midi. Est-ce que je refais le coup de la mousse ? Non. J’ai besoin de réfléchir à ce que je vais lui dire, et à ce que je ne vais pas lui dire. Je prépare quand même des gâteaux secs et une petite crème. J’ai essayé vainement de joindre l’adjudant Le Guellec. Il n’est pas de garde. Patricia m’a appelé. Elle semble bien accrochée. Elle a trouvé quelques noms, mais pas les bons. Alors nous avons parlé de tout et de rien, histoire de s’écouter, de rester ensemble.15 h, Anna est là, crispée, inquiète, sur la défensive. Je lui fais un compte-rendu détaillé, un brin incomplet quand même. Elle rit lors de l’histoire des poivrots, je crois qu’elle n’a pas bien compris ce que Jules voulait dire. Je saute ce que j’ai appris sur la soirée du péché originel et lui présente mes conclusions provisoires, avec les perspectives que cela ouvre. Je reste beaucoup plus optimiste que je ne le suis.Anna a quand même senti ma réserve. Fine mouche, elle sait que j’en ai appris beaucoup plus. Tout de suite, elle attaque :— Si tu creuses du côté de la soirée, tu vas apprendre des choses sur moi qui ne vont pas te plaire. Je… je ne veux pas que tu penses du mal de moi. Cette histoire est une douleur terrible qui me ronge depuis des mois.— Je ne juge pas, Anna. Le seul juge ne peut être que toi. C’est toi qui décides du bien et du mal. C’est ta vie. Tu en fais ce que tu veux, avec qui tu veux et comme tu veux.— Jean, embrasse-moi s’il te plaît, j’ai besoin de me sentir plus propre.Nous nous sommes enlacés, mais le baiser n’a pas été vraiment fougueux, d’un côté comme de l’autre. J’ai tout de suite enchaîné avec les gâteaux et la crème pour essayer de détendre l’atmosphère. Un petit B. B. King (Lucille) en fond sonore, et voilà, ça va mieux.Elle a repris le contrôle de la situation, nous avons réglé les différents petits soucis – financiers et autres – et envisagé la suite. Elle acquiesce à toutes mes propositions.— Jean, tu as vraiment été génial (toujours ce besoin de pommader), tu as obtenu des résultats inespérés. Mon angoisse est toujours là, bien présente, mais tu me donnes de grandes bouffées d’air frais.— « Air frais », tu as de ces mots ! Je dirais plutôt nauséabond, avec des remugles surgissant des profondeurs de l’onde. On est plus dans Lovecraft que dans la Bibliothèque Rose. Quant à mes résultats « géniaux », ils sont essentiellement dus à Patricia qui a été d’une gentillesse et d’une disponibilité rares. Sans une Bretonne à mes côtés, je n’aurais rien obtenu. Mais je peux tout arrêter très vite, il y a des risques maintenant qu’on s’approche, et je ne veux pas qu’elle en prenne. Elle n’a rien à voir dans cette histoire.— Des risques ? Mais Clara, alors…— Anna, nous avons affaire à des prédateurs sexuels, et d’après ce que tu me dis, tu t’en es rendu compte. Ne nous voilons pas la face, si on s’approche trop près… Ta sœur s’est approchée très près, peut-être trop près.— Moi aussi, et ça fait très mal.Les larmes, encore. Quand va-t-elle guérir, retrouver le sourire ? Elle n’ose plus venir dans mes bras, et moi je n’ose plus la toucher. Il reste peut-être l’humour ?— Et si tu me racontais ce qui s’est passé, peut-être.— Non !— Alors, tu me le mimes.— Idiot !— J’ai trouvé, on le joue tous les deux.— Tu es bête.— Faudrait savoir. Tout à l’heure, j’étais un génie, maintenant je suis un idiot-bête. Le temps… de trouver… la chicote… à chameaux… ah ! la voilà ! Je vais donc pouvoir t’expliquer ce que peut faire à une femme un idiot-bête génial.— Jean ! Tout ce que tu veux, mais pas ça.— Tout ce que je veux ? Mmh, c’est une proposition alléchante.Je m’approche d’elle, l’air gourmand et concupiscent.— Non, non, pas tout. Au secours, un prédateur sexuel !Elle rit, me repousse, mais en reculant, bute sur le lit et tombe. Je me jette sur elle et l’emprisonne entre mes cuisses. Elle ne lutte plus et se remet à pleurer. De gros sanglots déforment sa voix.— Pas ce soir, Jean. Je suis trop tendue et je me sens salie, pas digne d’être dans tes bras. Je… je n’ai pas envie, pas avant que tout cela se termine, d’une façon ou d’une autre.— Ah oui, mais alors, et mon salaire ? Comment comptes-tu régler mes émoluments si tu refuses de t’allonger ? C’est un problème, ça.Un éclair traverse ses yeux et me fusille. Elle se dégage de mon emprise, se lève et se déshabille en un rien de temps. Elle est nue, à l’exception de ses escarpins bien sûr, avec un regard dur et fier. Elle semble me défier de tout son corps. Elle est magnifique quand elle se bat comme ça.— Si c’est mon corps que tu veux, tu peux continuer à le salir, je ne suis plus à ça près.— Habille-toi et rentre chez ton mac ; si c’est pour te voir écarter les cuisses, ça ne m’intéresse pas.Paf ! J’y ai droit. Une belle gifle bien méritée. Elle se rhabille aussi rapidement qu’elle s’était déshabillée et s’en va sans un mot. Je reste brisé. Comment ai-je pu laisser dériver la situation comme ça ? Que faire maintenant ? Je n’ai pas besoin de son cul, il y a Patricia pour ça. Mais, et la tendresse, bordel ! J’aimerais bien simplement la prendre dans mes bras. Chasser ses souvenirs maudits de partouze. Ce n’est pas elle toute cette comédie, tout ce foutoir. Le téléphone, maintenant. Pas envie de parler à qui que ce soit.— Allo, oui.— Jean, je…— Anna ?— Oui, Jean, j’aimerais dîner avec toi, si tu as une assiette de pâtes…— Monte.Ouch ! Donc, elle a encore besoin de moi pour l’enquête. Parce que, la connaissant un peu, je ne crois pas trop au repentir. Elle veut simplement me payer mon dû, me donner une petite récompense pour mes bons résultats à Rennes.L’accueil est assez distant. Je m’installe à la cuisine pendant qu’elle plonge sur une BD. Je prépare consciencieusement mon repas : spaghetti al dente avec sauce tomate, œuf dur et saucisse grillée. Après, un morceau de fromage et le reste des gâteaux secs à la crème. Ça ira bien. Une petite bouteille de Beaujolais va peut-être un peu réchauffer l’atmosphère. Ne plus rien dire, la laisser faire et diriger les opérations. Toujours dire oui à une femme ! C’est pourtant simple. Ça leur fait plaisir et ça n’engage à rien. Je dois être trop fier, trop orgueilleux pour accepter ça.Le repas détend l’atmosphère. Nous parlons de tout et de rien, du choc pétrolier et de la dégradation de la vie politique française… J’ai mis du jazz sur la platine, le Dave Brubeck Quartet. J’attends qu’elle se décide.— Jean, on est mal partis tous les deux. Je suis désolée pour la gifle. C’est moi qui la méritais. Vendre mon corps ! À toi ! Je deviens complètement folle dans cette histoire. Je ne t’ai jamais vu lever la main sur une femme, au propre comme au figuré, alors là tu m’as surprise et j’ai mal réagi. C’est comme toujours entre nous, on est bien ensemble, mais quand un problème surgit on veut avoir raison tous les deux et ça casse. Je suppose que tu souhaites arrêter l’enquête ?— Ça dépend de toi. Tu veux peut-être arrêter notre collaboration.— Non. Si tu es toujours partant.— Eh bien, les Bretonnes ayant beaucoup de charme, je pourrais peut-être continuer à me dévouer pour cette grande cause.Elle vient s’asseoir sur mes genoux et met ses bras autour de mon cou en souriant.— C’est Patricia qui te rend tout chose ? Tu ne vas quand même pas dire qu’elle est mieux que moi, espèce de vieux cochon.Et elle m’embrasse violemment, en y mettant tout son cœur. J’avoue me laisser faire et même débuter une petite érection des familles qu’elle ne peut ignorer. Ça lui a toujours fait plaisir de voir un homme bander pour elle. Pas le genre à avoir peur, au contraire. Elle prend ça pour un compliment. Je ne peux quand même pas la laisser faire toute seule, alors je commence à caresser son corps, le dos, puis les fesses et les cuisses. Elle se tortille sur ma queue qui a maintenant atteint une bonne taille. Elle décide donc de lui procurer une certaine liberté et dégrafe mon pantalon. En un tour de main, elle a tout enlevé. Elle se jette dessus et attaque une lubrification en règle.— Et ça, elle sait faire Patricia ?— Euh, oui.— Salaud ! Aussi bien que moi ?— Euh, oui, enfin presque…— Et ça, elle connaît ?Elle pratique un mouvement tournant avec sa bouche tout en me branlant d’une main et en me caressant les couilles de l’autre, ce qui m’amène au bord de la jouissance.— Arrête ou je pars ! Tu es la meilleure, la plus belle et la plus salope. Je t’aime ! Il n’y a que toi dans ma vie…— N’exagère pas, s’il te plaît. Moi j’aime ta queue. Tu veux bien que je la monte ?— C’est vraiment pour te faire plaisir, parce que sinon…— Salaud !Elle cherche toujours à prouver qu’elle est mieux que les autres, dans les études, dans le travail, pour draguer, et là c’est pour me montrer qu’elle baise mieux que Patricia. Alors elle y a mis tout son cœur et il n’a pas fallu bien longtemps, hélas, pour que nous explosions tous les deux. Trop court. Nous sommes restés un bon moment sans bouger, collés l’un à l’autre.— C’est quand même dommage que nous ne puissions vivre ensemble, parce qu’est-ce que j’aime faire l’amour avec toi ! C’est propre, sain, sans arrière-pensée. Tu as une belle queue et tu m’as toujours fait jouir.— Tant mieux, mais ce n’était pas facile de s’en rendre compte. On avait l’impression que tu subissais.— Idiot ! Non, mais tu as une grande qualité, par rapport aux autres, tu cherches à nous faire jouir. Et comme moi je ne suis pas très expressive, enfin je n’étais pas, tu ne te rendais pas compte que j’avais eu mon plaisir. Alors tu continuais et je me souviens avoir dû simuler une deuxième jouissance pour que tu te décides à tirer le rideau.— Ah la sa-lo-peu… Attends que je retrouve la chicote.Nous avons parlé longtemps, je lui caressais le corps, les seins, je lui ai même fait un petit cunnilingus ; et puis elle s’est décidée.— Jean, je dois te dire ce que j’ai fait, tu l’apprendras de toute façon. Voilà, nous étions à une soirée qui a dégénéré dans le genre partouze et je me suis retrouvée seule. Michel et Clara avaient disparu, chacun de leur côté, remarque. Michel avec Christiane, je pense, mais je ne suis pas sûre. Enfin, elle le collait bien depuis le début de la soirée. Clara était avec ce gros porc de Roland, elle lui a même fait des trucs bien dégoûtants devant tout le monde avant de disparaître. Je ne suis pas restée longtemps seule, un type est venu et m’a proposé la botte. J’ai refusé. Peu après il est revenu avec deux copains et… ils m’ont forcée.— Tu sais te défendre, pourtant. J’en ai vu quelques-uns repartir vite fait la queue pendante.— Oui, mais ils m’ont tout de suite frappée. J’ai eu peur, très peur, parce qu’on voyait dans leurs yeux qu’ils souhaitaient que je me rebelle pour frapper plus fort. Sans personne pour m’aider, me défendre, j’ai cédé. Ils m’ont d’abord obligée à les sucer et les branler tous les trois, puis ils m’ont prise à trois, chacun leur trou. J’ai hurlé et ils m’ont encore frappée. Tout le monde s’était attroupé pour regarder. Ils ont joui tous les trois en moi et j’ai joui aussi. Enfin, disons plutôt un spasme nerveux. J’avais du foutre partout. Je crois que des spectateurs… mais je ne sais pas. Je me suis évanouie. C’est une fille qui m’a réveillée et aidée à aller jusqu’à la salle de bains. J’ai bien dû rester une heure sous la douche pour essayer de me laver de toute cette pourriture. Mais ce n’est pas tout. Deux gouines sont arrivées. Elles devaient chercher un endroit calme pour se bécoter. Elles m’ont vue sous la douche et sont venues se frotter à moi. Elles se sont servies de moi toutes les deux et m’ont fait jouir avant de m’obliger à leur rendre la pareille. Elles m’ont ramenée à Rennes et se sont encore servies de moi, mais cette fois avec du matériel. Je passe sur les détails. Je me suis sentie humiliée comme jamais. Puis elles m’ont jetée dehors.Cette fois-ci, elle n’était pas la seule à pleurer.— Tu ne m’avais pas dit que tu aimais faire l’amour comme ça. Sinon, j’aurais fait un effort pour te faire plaisir.— Salaud, salaud, salaud…Sa voix s’est éteinte dans un murmure. Elle dormait tout contre moi, apaisée, rassurée. Je sais que dès que l’enquête sera finie elle partira et je ne la reverrai plus. Mais en ce moment je suis bien, et elle aussi. Alors, carpe diem.Chapitre IV : PatriciaLundi midi, j’étais de retour à Rennes. Je suis allé directement chez Pat’ qui m’a reçu… tendrement. J’ai beaucoup de chance en ce moment. Je côtoie des filles géniales, mais c’est vrai que Pat’ me plaît beaucoup. Elle a tout pour elle cette fille, jolie, intelligente, sympa, un bon boulot et elle sait profiter de la vie simplement, gentiment. Nous décidons de retrouver la maison de la soirée. Elle a récupéré le nom et l’adresse des propriétaires. Le fils s’appelle Nicolas.Nouvelle virée dans la campagne bretonne, cette fois au sud de Rennes. La campagne est belle en cette fin de septembre. Ce ne sont pas encore les couleurs de l’automne. Les arbres sont vert bouteille avec un je-ne-sais-quoi de triste. Un soleil déclinant nous arrose agréablement. Pat’ a récupéré sa vieille 4 L poussive, ce qui fait que je suis plus à l’aise. Avec un 0 à 100 km/h en plus de 30 secondes, je ne risque qu’une chose, c’est que ce soit un camion qui nous double. Je lui parle d’une nouvelle piste, les deux lesbiennes qui ont ramené Anna à Rennes. Elle éclate de rire.— En plus, elle a fait la connaissance d’Agathe et Charlène. Alors là elle a eu droit à la totale ! Je les connais bien, tout le monde les connaît. Ce sont les gouines officielles de la bande, et même de toutes les bandes. Elles sont adorables, pas du tout prédatrices. Toutes les filles potables de Rennes y sont passées. C’est la tradition. Le jour où tu es toute triste et que tu as besoin d’un câlin, tu vas les voir. En plus, tu fais ton initiation. Ce n’est pas désagréable, tu sais, de faire l’amour avec une fille.— Ah bon, toi aussi…— Bien sûr. Mais je préfère nettement les hommes. On recherche simplement des petites choses que vous ne pouvez (ou ne voulez) pas nous apporter, comme une certaine douceur. Moi, la douceur, je trouve que c’est bien, mais pas suffisant. J’ai besoin de votre force, de votre violence (enfin pas trop quand même). Je pompe votre énergie, je suis une prédatrice. En tout cas, avec ces deux-là, pas de souci, elles n’ont jamais fait de mal à une mouche, ta copine a dû être effrayée après ce qu’elle avait subi. Quant à se faire jeter, c’est normal, elles ne veulent personne chez elles, sauf pour jouer la nuit.— Si elles font toutes les bandes et pas mal de soirées, elles connaissent peut-être les trois mariols qui ont défoncé Anna. Et Roland.— Ça, c’est très possible. Une bonne piste. Faut se méfier avec toi, tu as oublié d’être bête et tu réagis vite. Je vais avoir beaucoup d’énergie à pomper, si tu veux bien.Elle rit de nouveau. Elle est vraiment nature. Incroyable qu’elle ait pu être mêlée, même de loin, à toutes ces turpitudes.— Voilà, on approche. C’est derrière la colline. Comme tu peux le remarquer, ils ont tous choisi des coins très isolés. Le portail est au bord de la route, on va savoir tout de suite s’il y a quelqu’un. Ah non, c’est fermé avec un gros cadenas.— Arrête-toi dans le chemin là-bas, on va aller voir par-derrière si la maison aussi est fermée. En passant par le ruisseau, on devrait pouvoir s’approcher.— Tu veux bien de moi, cette fois ?J’ai droit à un grand sourire. Je soupire.— Je suis bien obligé, si je te refais le coup de Cancale, tu vas me faire la tête trois jours (au moins).— Espèce de Parisien !L’insulte suprême. Je lui catapulte une bise sur la joue et nous partons « broussailler », terme parfaitement approprié, car entre les genêts, les ronces et autres orties, nous progressons difficilement. Enfin, arrivés au ruisseau, ça va mieux, il y a un petit passage. Probablement des pêcheurs. Nous nous arrêtons en limite de propriété. Tout semble fermé ici aussi. Volets clos (en bois, ceux-là, ouf !). Pas un chat. Pat’ me montre les différentes pièces : là, le salon, là, la cuisine, les chambres. Bon, j’ai vu, c’était nécessaire, maintenant demi-tour et on rentre.Nous ne sommes arrivés chez elle que vers 18 h. Pas le temps de faire d’autre visite. Pat’ téléphone à ses « copines » pour essayer de leur tirer les vers du nez pendant que je me lance dans LE défi ultime : faire des crêpes à une Bretonne ! Voilà, ma pâte est prête, au frigidaire, on verra plus tard. Je débarque au moment où elle raccroche le téléphone. Elle a un grand sourire.— Je m’en doutais, elles connaissent pratiquement tout le monde. J’ai pu faire parler Charlène, c’est la pipelette des deux. Roland n’est pas un bon coup (sic). Elles n’ont pas testé, bien sûr, mais elles ont eu des échos. Il est très copain avec un certain Anthony, de Lorient. Je ne le connais pas et il n’était pas à la fête. On les voit souvent ensemble. Pas plus intéressant que Roland. Les filles ne s’en approchent pas trop. Elles se méfient. De toute façon, elles ne connaissent ni son nom ni son lieu de résidence. Pour les trois loustics, elles m’ont dit de faire attention, ce sont de vrais sauvages. Ils ont déjà démoli trois ou quatre filles, dont une, sérieusement. Jamais de plainte contre eux. Ils sont trop dangereux. Ils ont fait quelques opérations « représailles » qui ont laissé des souvenirs cuisants à certaines. Je crois que ta copine a eu de la chance, enfin si l’on peut dire… Ils sont à Rennes la plupart du temps, mais naviguent pas mal dans toute la Bretagne, en faisant d’autres victimes un peu partout.— Ça devient très sérieux. Demain, je téléphone à l’adjudant. Par contre, il ne semble pas y avoir de lien entre les « sauvages » et Roland, donc avec Clara.— Exact. On pourrait voir du côté d’Anthony, mais là on n’a rien. Ni nom ni adresse.— On pourrait peut-être payer un verre à Jules ? C’est notre dernier espoir. Le problème c’est qu’à jeun il ne dira rien, il ne voudra pas perdre son boulot. On essaie quand même. Allez, à table ! Profitons d’une dernière bonne soirée avant que tu ne te fasses découper en rondelles.— Oh, Jean ! Tu me fais peur, arrête.J’avais faim, rien mangé depuis le petit-déjeuner innommable du buffet de la gare Montparnasse. Mais j’avais aussi faim d’elle et j’ai exigé qu’elle me prête son corps entre deux crêpes. J’en ai même goûté une entre ses cuisses. Elle a voulu faire pareil et en riant à gorge déployée elle a enroulé ma queue avec sa crêpe et s’est mise à tout déguster à la foi. Dément. J’ai failli cent fois exploser et n’en pouvant plus je l’ai plantée contre le mur, ses cuisses enroulées sur mes reins, ses bras autour de mon cou et nous avons joui comme des sauvages. J’ai eu l’impression que tout l’immeuble avait tremblé tellement c’était fort. Elle m’a dit, plus tard, qu’elle n’avait jamais mangé d’aussi bonnes crêpes. Ah, les Bretonnes !** *Mardi matin. Coup de téléphone à l’adjudant Le Guellec. Il commence à être très intéressé, surtout par la « bande » d’ailleurs. Il a déjà vu passer des signalements, malheureusement sans plainte. Il va lancer une surveillance avec regroupement des signalements. Par contre pour Clara, il n’a rien, comme nous, et n’a jamais entendu parler d’un « Anthony » sur Lorient. Il nous conseille de laisser tomber pour l’instant. Elle finira bien par resurgir.Patricia est très excitée par tout cela. Elle cherche des adresses de copains et copines, fouille dans ses archives photos (bonne idée, ça) pour essayer de trouver une silhouette ou un visage. Bref, elle est tellement occupée qu’elle ne pense même pas au repas. Je descends chercher deux pizzas dans une rue voisine et nous nous restaurons entre deux photos. Elle a retrouvé un de la bande des trois et cherche frénétiquement les autres. Je sens qu’elle va faire toutes les boîtes à photos de Rennes et même peut-être de toute l’Île et Vilaine. On ne peut plus marcher tellement elle en a sorti.Pas rassasiée, elle téléphone au « photographe officiel » de sa bande de copains et lui demande si elle peut aller fouiller dans ses archives. Gonflée quand même, la nana. Il doit avoir des clichés « privés » le copain. Il accepte cependant de lui sortir un carton. Nous irons voir ça demain, parce que cet après-midi, direction Cancale, le café breton, Jules et les huîtres du Pied de Cheval. Mais avant j’ai une petite envie qu’elle calme rapidement en me disant que la bagatelle c’est toujours après le travail, jamais avant, sinon ça rend tout mou. Organisée, en plus. Et la fantaisie dans tout ça ? Pour se faire pardonner, elle vient me faire un bon gros bisou et se plaque sensuellement contre moi.C’est moi qui fuis cette fois-ci, sinon je la viole ! À la sauvage ! Allez en route. Avec sa vieille 4L, je n’ai plus qu’une angoisse, c’est de tomber en panne. Elle m’explique que son frère peut la réparer, alors qu’avec une voiture moderne c’est plus compliqué. J’ai beau lui dire que les voitures modernes ne tombent jamais en panne, elle ne veut rien entendre. Je crois que ça lui fait plaisir que son frère s’occupe d’elle.Une (bonne) heure plus tard, nous arrivons au café-boulangerie. La patronne est là. Elle nous reconnaît tout de suite.— Jésus-Marie-Joseph ! Les petits, alors ça va ? Qu’est-ce que je vous sers ?J’ai bien envie d’un Perrier pour me réhydrater, mais ça ne doit pas se faire ici. Il y a quelques clients pour l’épicerie et la boulangerie, mais personne au bar. Et on raconte partout que ça picole sec en Bretagne ! C’est faux, la preuve devant moi.— Mettez-nous deux cafés, puisque Jules n’est pas là pour nous les reprocher.— Ne vous inquiétez pas de Jules, il n’est pas méchant.— Je sais, patronne, vous prenez un café avec nous ?— C’est pas d’refus, merci. C’est calme à c’te heure. Les hommes travaillent encore et les femmes repassent. Vous êtes de Rennes ?— Elle, oui, moi je suis un étranger, attiré par les jolies Bretonnes.— Ça se voit que vous n’êtes pas d’ici. Parisien ?— À moitié seulement.— Et la petite est de Rennes ?— À moitié seulement, l’autre moitié est à Paimpol.— C’est joli Paimpol, je connais. Alors vous, vous êtes une vraie Bretonne.— Vraie de vraie.— Alors, restez chez nous, ne partez pas avec des étrangers qu’on sait même pas où c’est chez eux.— Oui, mais celui-là, il est mignon et je ne veux pas le laisser à une autre.— Vous avez raison, vous allez bien ensemble, pour un étranger il a l’air bien. Mais j’ai dit assez de bêtises. Je vous laisse, j’ai des clientes à servir.— Revenez quand vous aurez fini, j’ai des trucs à vous demander.— D’accord, à propos de quoi ?— À propos d’huîtres !Elle rit et s’éloigne. Cela semble bien parti, notre affaire. Elle nous a à la bonne, la vieille. Peu après, elle revient.— Vous savez, ça fait du bien de voir des jeunes ici. Mon bar n’attire plus que des vieux. Les jeunes partent tous à la ville. À propos, vous avez un grand merci de la part de Jules pour la tournée. Il était désolé que vous l’ayez vu dans c’t état. Et il sera encore plus désolé de vous avoir raté aujourd’hui, la petite lui a tapé dans l’œil, sans penser à mal, m’sieur. Quoique, il ne va peut-être pas tarder. Il finit tôt en cette saison. Ya pas grand-chose à faire dans les jardins. Alors qu’est-ce que vous voulez savoir sur les huîtres ?— La petite adore ça et je voudrais profiter de notre passage ici pour lui en faire déguster. Où est-ce qu’on peut en trouver de bonnes ?— À manger dans un bistrot ? Ben, allez de ma part « Chez Jacques », sur la route qui longe la baie. Il a les meilleures du coin et c’est pas cher.— On ne connaît pas votre nom, patronne.— Marie Le Clec’h. Il me connaît bien. Il a été très gentil à la mort de mon mari. C’est qu’il avait bu presque toute la baraque, le vieux ! Ça a été dur pour remonter la pente.Elle ne décolle plus de la table. Elle a trouvé un bon public.— Euh là, voilà Jules. Jules ! Viens ici ! Ce sont les jeunes qui t’ont payé un coup. Il ne s’en souvient même pas, ce vieil abruti, tellement il était saoul. Allez, Jules, je te laisse faire la causette, j’ai du travail.— Amenez-nous deux blancs secs, Marie s’il vous plaît.— Et la p’tite, elle veut quelque chose ?— Non merci, Marie.— Alors Jules, ça a l’air d’aller bien mieux que la semaine dernière.— Ça allait bien la semaine dernière, j’étais juste un peu fatigué, rapport au travail que j’abats en ce moment.— Vous nous aviez dit que vous entretenez des propriétés dans le coin.— Ouais, trois en même temps, c’est du boulot.— Vous faites aussi les potagers ?— Juste un chez les Lecomte. On fait 50/50. Je prends la moitié de la production. Ça permet de manger des légumes et des fruits, parce qu’ils ont aussi un verger.— Ben dit donc, c’est une belle propriété qu’ils ont là.— Ah oui, sûr !— Ils ne doivent pas venir souvent avec leur commerce.— Oh si ! Tous les dimanches et lundi à la belle saison. Ils arrivent même le samedi soir des fois. C’est quand le vieux veut prendre la marée de bonne heure pour aller pêcher.— Ah oui, c’est pratique, il n’y a pas une heure de route.— Sûr, et avec leur grosse voiture, c’est confortable.— Alors vous êtes tranquille toute la semaine pour travailler, c’est bien.— Tranquille, tranquille, c’est vite dit. Des fois y a le fils qui amène ses poupées. Faut voir le genre des poupées. Ah là là ! Dans ces cas-là, il ne me veut pas dans ses pattes. C’est pénible parce que le travail n’est pas fait et je me fais engueuler !— Jésus-Marie-Joseph ! Jules ! Reste poli.— Oui, Marie, on cause, c’est tout.Il nous regarde avec un visage matois.— Des fois, je le piège, comme la dernière fois. Il est venu il y a trois semaines avec une qui paraissait pas d’ici, pas bretonne, quoi ; il a voulu me virer, alors je lui ai cassé une bougie. Il pouvait plus démarrer ; ils sont bien restés trois jours, j’avais prévenu Yves, le garagiste, je lui avais dit de pas trouver trop vite d’où ça venait. Quand ils sont repartis, la copine avait un coquard sur chaque œil. Elle mettait des lunettes de soleil, mais ça se voyait quand même. C’est un gars désagréable, mais faut reconnaître qu’il sait parler aux femmes !— Jules ! Dis pas de bêtise.— Merci du conseil, Jules, dès ce soir, je vais « parler » à Pat’ correctement.— Il ne manquerait plus que ça que tu me frappes. Non, mais ! Je rêve ! Prêtez-moi un rouleau à pâtisserie, Marie, que je lui explique ce que c’est qu’une Bretonne ! Il n’a pas l’air d’avoir tout compris !— Ma chérie, mon petit cœur…Tout le monde riait dans le café. Jules était aux anges, c’était lui qui avait initié la plaisanterie.— Si j’ai bien compris, je dois payer une tournée générale pour me faire pardonner.— Sûr ! Sûr !— Tu as assez bu, tu vas filer à la maison, non mais !— Allez, Marie, une tournée sur mon compte. Je ne boirai rien, c’est promis, mon trésor adoré !— Faux cul en plus. Tu vas voir !Les mémères de l’épicerie étaient pliées en deux. La patronne se tenait les côtes. Je suis allé faire une bise à Pat’ et tout le monde a applaudi. Ça allait causer dans les chaumières pendant quelques jours. Gagné, on savait presque tout ce qu’on voulait. En partant, je glisse à Jules :— Tu ne sais pas où on peut le trouver, par hasard, le gars Lecomte. Bien envie de lui faire une blague aussi. Je n’aime pas trop sa façon de « parler » aux femmes.— Pas du tout, et ça ne m’intéresse pas. Plus il est loin, mieux je me porte.— La fille avec qui il était, ça ne serait pas celle-là par hasard ?Je lui montre la photo de Clara. Il me regarde, interloqué.— Ah ben ça alors, oui, mais comment…— Merci, Jules.Je lui souris.— Allez, bonsoir m’sieurs-dames.À peine sorti, j’attrape Patricia et l’embrasse comme un fou. Clara, bien vivante ! Des visages réjouis s’écrasaient sur les vitres. Peu importe, j’étais sacrément soulagé. Du coup, l’assiette d’huîtres s’est transformée en un plateau de fruits de mer, tant pis pour l’addition, je ferai la vaisselle ! Heureusement que c’est Pat’ qui conduisait parce que j’ai un peu dépassé la dose de vin blanc.Nous sommes rentrés bien tard et nous avons dormi tranquillement pour une fois. J’ai même fait la grasse matinée le lendemain, juste réveillé par une bonne odeur de café et croissants chauds. Elle avait préparé un petit-déjeuner royal.— Tu oublies que nous allons voir Christian, il a un carton de photos à décortiquer.— Pas à 8 h quand même, le pauvre.— Allez, hop ! Tu vois ce que c’est que de picoler un peu trop.Elle est insatiable. Elle fonce comme un bulldozer, et gare à qui se trouve sur sa route. C’est de ma faute, je n’ai pas assuré hier soir, alors le trop-plein déborde. J’ai quand même pris mon temps pour manger ; un petit-déjeuner comme ça, ça se déguste. Elle aussi d’ailleurs a traîné un peu à table. Puis vers 9 h nous sommes allés voir le copain, avec un paquet de croissants pour se faire pardonner notre intrusion.Pat’ a immédiatement plongé dans le carton, très concentrée. Elle ne nous entendait même pas. Moi, je ne servais pas à grand-chose, ne connaissant pas les gugusses, alors j’ai discuté photo avec le gars Christian. Il est vraiment passionné. Il m’a montré tout son matériel, les boîtiers, les objectifs, les filtres… Patricia poussait des petits cris de temps en temps et mettait une photo de côté. Christian est allé vérifier ce qu’elle cherchait, puis m’a tiré par la manche et emmené dans sa chambre. Il a sorti un carton, a fouillé dedans et, rougissant, m’a tendu une photo.— Je ne peux pas lui montrer celle-là, planque-là.Incroyable, c’était une photo de la fameuse soirée, avec Anna en train de se faire défoncer par les trois gars ! À mettre dans un musée de l’érotisme. Elle a quand même plus l’air de souffrir que de prendre son pied. J’ai d’un seul coup une grosse barre sur l’estomac. Je la mets dans mon portefeuille et nous ressortons retrouver Patricia qui ne s’est même pas rendu compte que nous n’étions plus là. Tout d’un coup, elle lève la tête et me dit :— Ça y est, je les ai tous les trois sur plusieurs photos, regarde. Là. Et là. Super, on a ce qu’on voulait, merci, Christian. Tu n’as pas leur adresse par hasard ? Non ? Tant pis, merci encore. Je t’offre un pot à l’hôpital quand tu veux et je te laisse photographier les salles que tu veux.Nous sommes retournés chez elle pour contempler nos trésors et faire le point. Elle était heureuse, le coup des photos était à son initiative et ça avait marché. Elle pérorait et gesticulait devant toutes les boutiques que nous longions, donnant son avis sur tout :— Moches, les casseroles. As-tu vu le soutien-gorge, beuark. Super la cafetière, belle ligne…Nous avons fait quelques courses, puis, retour au bercail. Elle a posé toutes ses photos sur la table et m’a expliqué qui était qui. On aurait dit un prof’ qui faisait la leçon. Elle était hypersérieuse et concentrée. Au bout d’un moment, elle s’est arrêtée, m’a regardé, a froncé les sourcils.— Jean, ça ne va pas toi, j’ai raté quelque chose ce matin ?— Pas vraiment.— Dis-moi, s’il te plaît.J’ai sorti la photo de ma poche et la lui ai tendue en tremblant.Elle s’est jetée à mon cou.— Jean, reste avec moi. Je… Protège-moi s’il te plaît.Elle enfonçait sa tête dans mon torse comme si elle voulait entrer dans ma poitrine.— Fais-moi l’amour, doucement, comme tu sais le faire, je t’en prie. Aime-moi, aime-moi !Nous sommes tombés sur le lit, tous deux enlacés, et nous avons fait l’amour, mais beaucoup plus sauvagement que prévu. Comme s’il fallait se battre pour exister. L’extase a été violente et nous a rejetés loin l’un de l’autre, en sueurs, à bout de souffle. Elle est calmée, pas vraiment détendue, le visage encore ravagé, mais calmée.— Jean, je ne comprends pas comment tu fais. Tu débarques en ne connaissant personne, tu n’es pas breton, tu as des manières de Parisien, et tu arrives à pénétrer partout, à recueillir des confidences, des photos qu’on ne montrerait normalement à personne, et tout ça tranquillement, avec le sourire. Les gendarmes, Jules et Marie, Christian, même moi, tu mets tout le monde dans ta poche. Es-tu redoutable ou simplement adorable ? Je veux savoir.— À toi de décider.— En tout cas, je ne te présenterai jamais mes copines, elles seraient capables de tomber dans ton lit, espèce de vieux cochon.— Si ça peut leur faire plaisir, je me dévouerai (gros soupir).— Méchant, je te hais !Elle me martèle de ses petits poings. Je la serre contre moi. Nous sommes tellement loin de tout ce monde pervers, de cet univers glauque qu’il nous est difficile de comprendre, d’imaginer seulement.Nous décidons de faire le point. La situation s’est (un peu) éclaircie :1) Clara est vivante, du moins était vivante, quoiqu’amochée, il y a trois semaines. Mission de départ en bonne voie.2) On ne sait pas où elle est, mais elle est sûrement encore avec Roland.3) On a identifié une bande de « sauvages » qui écume la région à la recherche de proies faciles.Nous sommes cependant devant plusieurs problèmes :1) Localiser Roland et identifier un certain Anthony, qui est peut-être la clef du problème.2) Localiser et identifier les « sauvages » ; trouver des femmes qui ont subi des sévices de leur part. Ça va plutôt être le travail de la gendarmerie.Les actions à entreprendre :1) Voir les parents de Roland, leur faire peur. Ils savent peut-être quelque chose. Ça, c’est pour moi.2) Essayer d’identifier Anthony. Patricia va téléphoner à tous ses copains-copines. On a peut-être un indice à trouver.3) Revoir Le Guellec, lui fournir des photos (pas celle de la soirée, quand même) et quelques détails. Essayer de récupérer quelques infos. C’est pour moi aussi.On se partage la tâche : Patricia au téléphone, et moi je file chez les Lecomte, à la quincaillerie. J’ai juste le temps. D’abord un coup de fil à Le Guellec. Il peut me recevoir, demain matin, 7 h 30. La vache, il le fait exprès pour m’embêter, pas possible. Donc seule solution : la 4 L.En attendant, visons la rue du Four.— Bonjour, je cherche M. Lecomte s’il vous plaît.— C’est moi. Qu’y a-t-il pour votre service ?— Est-ce que nous pourrions parler tranquillement ?— C’est à quel sujet ?— Votre fils.— Je vois, venez dans mon bureau.Nous traversons le « hall de gare » et arrivons une bonne heure plus tard (oui, j’exagère, je sais, mais c’est grand quand même) dans un réduit sombre et triste qu’il a le culot d’appeler un « bureau ».— Je vous écoute.— Monsieur Lecomte, votre fils est parti il y a quelques mois – trois pour être précis – avec une jeune femme que je connais assez bien. Il en a parfaitement le droit, elle aussi d’ailleurs, ils sont tous deux majeurs et vaccinés. Il se trouve cependant que cette jeune femme n’a plus donné signe de vie à sa famille et ses amis depuis deux mois. Ceux-ci sont donc légitimement inquiets et ont déposé un avis de recherche à la gendarmerie. Peut-être les avez-vous déjà vus ? Non ? Ce n’est pas très étonnant, l’avis a été déposé lundi. Ma démarche est simple. La famille – les parents et sa sœur qui sont des amis proches – m’a demandé de venir voir s’il n’y avait pas plus simple que la Gendarmerie française, corps pourtant hautement estimable. Donc, j’enquête ici depuis quelques jours pour essayer de retrouver sa trace. Avez-vous de leurs nouvelles ?Le père Lecomte est devenu aussi pâle qu’une feuille de papier à cigarette. On dirait un masque de cire. Il tremble en répondant.— Nooon-non. Je… Mais ils n’ont rien fait de mal, pourtant.— Je ne sais pas. Pour l’instant, pas de plainte, un simple avis de recherche.— Ah bon. Mon fils part souvent en voyage. Là, c’est le cas. J’ai eu de ses nouvelles il y a un mois environ. Il était en Espagne.Je commence à m’énerver un peu et je me fais un masque très dur. Humphrey Bogart à côté ne ferait pas le poids.— Monsieur Lecomte, ne vous moquez pas de moi, s’il vous plaît. Votre fils n’est pas plus en Espagne qu’il n’y a de beurre aux choses… Il y a trois semaines, il était dans votre maison de Cancale avec la jeune femme en question, pas en très bon état, paraît-il, ce qui pose la question de la requalification de l’avis de recherche en plainte pour coups et blessures. Nous ne sommes plus du tout dans le même registre.Il commence à paniquer. Je lui donne l’impression que je vais lui sauter dessus pour le tabasser.— Je… je n’ai pas… je n’ai pas de nouvelle de lui depuis longtemps, c’est vrai. Ma femme non plus, sinon je le saurais.— Monsieur Lecomte, nous allons partir tous les deux à Cancale, tout de suite, avec votre voiture, et nous allons voir s’il n’a pas laissé des indications ou des traces quelque part. Mais d’abord, je dois téléphoner.— Allo, Pat’ ? C’est moi. Je suis avec Monsieur Lecomte qui me propose gentiment de m’emmener à Cancale, pour visiter la maison. Nous partons. Il est 18 h. Si je ne suis pas rentré à 21 h, tu préviens l’adjudant. Son numéro de téléphone est sur le bureau. Oui, oui. Pas de souci. À tout à l’heure.Le père Lecomte commençait à se ressaisir.— Vous voyez, j’ai une secrétaire très dévouée.— Jeune homme, vous n’avez pas le droit de menacer des braves gens.— Je ne vous menace pas, vous m’offrez spontanément votre aide, parce que vous êtes inquiet pour votre fils et nous allons clarifier la situation. C’est tout. On ne va pas culpabiliser des amoureux. S’ils sont bien ensemble, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Moi, je cherche juste à savoir si cette jeune femme est en bonne santé morale et physique. Le reste ne me regarde pas et ne m’intéresse absolument pas. Allons, dépêchons, l’heure tourne, vos employés fermeront la boutique.— Ma femme…— Laissez votre femme en dehors de tout ça. C’est une affaire d’hommes. Que ça reste entre nous. Elle serait trop inquiète.Ouf ! je commençais à faiblir, mais il a pris sa veste et nous sommes partis – en Mercédès s’il vous plaît – dans les embouteillages rennais. Incroyable. Je n’aurais pas cru pouvoir aller aussi loin. Nous avons un peu bavardé pendant le trajet. Et il m’a lâché – entre autres – le fameux Anthony, nom et adresse compris ! La totale ! Heureux le père Jeannot ! Par contre, les prédateurs, il ne connaît visiblement pas.Arrivé là-bas, je contacte Patricia pour lui dire d’arrêter ses coups de fil et lui donner le nom du fameux Anthony. Le père Lecomte, ça l’inquiète mon organisation avec sa secrétaire. Il sait que tout est en route et qu’il ne peut plus rien stopper. J’ai bien sûr laissé le vieux fouiller dans les affaires, mais j’ai quand même jeté un œil en douce dans toutes les pièces. Je lui ai même demandé la permission de visiter cave et grenier. Rien. Pas une affaire de femme, pas de trace suspecte. D’après lui, tout est normal. Une heure après, nous retournons à Rennes. Je le remercie en lui demandant de me joindre de toute urgence en cas de nouvelles de son fils. Lui aussi est soulagé, je crois. À 21 h, je suis chez Patricia, heureux de ma journée, finalement, malgré le choc de la photo.Nous n’avons pas traîné, car il fallait se lever à 5 h pour aller voir l’adjudant.Chapitre V : Week-end en amoureuxJeudi 7 h 15, nous arrivons à Merdrignac, toujours en 4 L. Brave petite auto. L’adjudant était déjà là. Nous avons discuté un moment. Il a tenu à faire la connaissance de Patricia (eh oh ! elle est à moi, celle-là, faudrait pas qu’il s’imagine…). Je lui ai laissé des photos des trois loustics. Il avait l’air de commencer à me prendre au sérieux. Je lui ai bien sûr tout dit de ma virée avec le père Lecomte. Pour Clara, il m’a prévenu de nouveau, il ne peut rien faire. Il a simplement fait un signalement pour « disparition » et n’ira pas plus loin. Il pense que j’ai fait le tour de la question et m’a félicité pour la qualité de mon enquête. Pour les prédateurs, il m’a juste dit : « C’est en route, on s’en occupe ». Il avait le regard dur. Il a dû avoir pas mal d’infos, du genre qui ne font pas toujours plaisir. Bref, il ne m’a rien dit d’intéressant, par contre je lui ai fourni pas mal de billes. Je le lui ai fait remarquer. Il a souri, mais n’a rien donné.À midi, nous étions rentrés à Rennes. Il restait à s’occuper d’Anthony, à Lorient. Je n’avais vraiment pas envie. J’étais un peu fatigué de toute cette tension. Je me payerais bien un bon break. Remuer la m… ça va cinq minutes, mais point trop n’en faut. Alors j’ai eu une idée brillante (comme d’habitude, n’est-ce pas ?).Elle était dans la cuisine en train de concocter un de ces trucs innommables dont elle a le secret.Ouch ! Gros coup de poing dans l’estomac.— Patricia ! Qu’est-ce que tu viens de dire ?— J’ai dit : « Oui, mon chéri », pourquoi ?Elle sort de la cuisine en souriant et en s’essuyant les mains sur un vieux tablier ceint autour de ses reins. Je souris de concert.— C’est mignon. Tu sais que ça me plaît bien que tu m’appelles comme ça.— Oh, Jean…— Tu… tu as une idée de ce que je voulais te demander ?— Non pas du tout.— Eh bien, comme j’en ai un peu assez de Rennes et que tu es en vacances, je te propose d’aller à Paris trois jours avec moi, si ça ne t’ennuie pas.Elle me saute au cou en riant aux éclats.— Oh oui, oh oui, oh re-re-oui ! Et on ira sur les quais ?— Bien sûr, trois fois, comme prévu.— Et on fera le tour de ton lit ?— Ça, je ne sais pas.— Méchant, méchant, je t’aime !— Allez, laisse ta tambouille, fais ton sac et direction la gare. Ils n’ont qu’à se débrouiller tout seuls dans leur fosse à lisier.— On ne prend pas la 4 L ?— La pauvre, elle ne ferait pas 10 mètres à Paris (si elle y arrive) et tomberait en morceaux.— Tu es méchant.— Non lucide, et je lui sauve la vie. C’est beau, non ?— Je te hais !— Faudrait savoir, madame.— Qu’est-ce que tu as dit ?— Faudrait savoir madame.— Oh Jean !Et elle fond en larmes. C’est bien la première fois que je la vois pleurer.— Jean… Jean…— Oui, je sais, tu me hais.Nouvelle crise de larmes, mais cette fois dans mes bras. Nous nous embrassons très longuement, très tendrement.— Le train part dans cinq minutes.— On pourra s’embrasser ?— Pas sans l’autorisation du contrôleur, sinon on va au-devant de graves ennuis.— S’il refuse, je lui arrache les yeux !— Du calme, du calme. Allez, dépêche-toi.En moins de deux minutes, elle est sur le pas de la porte avec son sac. Une heure après, nous étions dans le premier train pour Paris.** *— Ah, tu vois : eux ils s’embrassent.Elle me désigne un couple de jeunes amoureux qui se bécotent gentiment dans le compartiment.— Oui, mais ils ont payé un supplément. Moi je n’ai pas les moyens.— Oooh ! Tu exagères.— Et puis tu sais, je te l’ai dit, nous avons besoin de l’autorisation du contrôleur, sinon on risque une forte amende.— Méchant ! Espèce de… espèce de Parisien !— Et puis, pour s’embrasser, il faut être amoureux.— Roooh ! Jean ! Je te hais.Elle fait semblant de bouder. Nos voisins sourient. J’adore quand elle fait semblant de se fâcher, qu’on se chamaille avec des arguments pour le moins spécieux. Elle était tellement contente de venir à Paris qu’elle n’a pas arrêté de bavarder, un vrai moulin à parole. Les voisins ont dû terminer très fatigués, les pauvres.Arrivés à Montparnasse, direction le studio pour poser nos affaires, puis nous avons dîné dans le petit restau nord-africain en bas de la rue qui fait un excellent, très bon, bon, correct couscous, surtout pas cher. Puis retour at home, je suis nerveusement épuisé par les évènements de ces derniers jours et déclare forfait pour la soirée. La pauvre, elle aurait sûrement voulu sortir, mais là pas possible, pas possible, pas possible…Réveillé en pleine nuit par une moto pétaradant rue de Vaugirard, je suis très étonné de trouver une aussi jolie fille dans mon lit. Alors, que voulez-vous, je ne suis qu’un pauvre pêcheur, succombant en permanence au péché de la chair ! Ayez pitié, mon Dieu ! Bref, je ne me suis pas fait prier et ai profité du sommeil de la belle enfant pour lui faire subir les pires tourments. Enfin, elle n’a pas eu l’air de s’en plaindre vraiment. Tout juste un petit cri de surprise, suivi quelque temps après par un gros râle que je qualifierais de profane accompagné d’un « Roooh, Jean ! ».** *Alors ça, c’est de la grasse-matinée. 9 h ! je me réveille à 9 h, et Patricia qui dort toujours à côté de moi, bien partie pour faire le tour du cadran. C’est épuisant la Bretagne et les Bretons. Je reste un moment à l’admirer ; qu’est-ce qu’elle est belle ! Son petit museau dépasse de la couverture, elle a le sourire aux lèvres et paraît incroyablement détendue et calme. Son corps est caché par les draps ; j’ai très envie de la découvrir pour l’admirer, mais je me retiens. Je me lève et vais préparer le petit-déjeuner. J’ai le temps de prendre ma douche, sortir chercher une baguette, désolé pour les croissants, mais les finances sont en berne. Cela va m’obliger à trouver un travail, tant pis pour la thèse, je la finirai plus tard.10 h, un gros soupir émerge des draps en même temps qu’elle.— Où… où suis-je ? Jean ?— Maadaame est servie.Je fais une entrée triomphale dans la pièce, avec le plateau petit-déjeuner.— Si maadaame veut bien se donner la peine…— Quelle heure est-il ?— 10 h— 10 h ? Non !— Si !— Oh là là, on va être en retard.— En retard pour quoi ?— Je ne sais pas, on n’a rien à faire ?— Rien de rien.— Ah bon, alors c’est bien. C’est curieux, j’ai l’impression d’avoir fait des choses cette nuit.— Tu as dû rêver.— Possible, mais c’est bizarre. Enfin, si tu le dis. Jean, Jean…— Oui ?— Tu sais, c’est bizarre aussi d’être là ce matin. Mais… mais je suis toute nue !— Pas vraiment, tu as un drap qui cache, hélas, des formes que j’aurais plaisir sinon à admirer, caresser, voire même embrasser.— Oh ! C’est grave. Si je me lève, le drap tombe et je suis nue.— Exact.— Si je reste assise, je ne peux pas faire ma toilette, alors…— Tu es piégée. Je suis un prédateur qui abuse des jolies femmes, Bretonnes surtout, qui tombent dans ses rets.— Jean, au secours, défends-moi !Elle se lève et saute à mon cou. Nous restons un moment sans bouger d’un millimètre, elle avec ses bras autour de mon cou et moi avec une main sur son dos et l’autre sur sa fesse. Je sens son souffle sur mon épaule et ses seins me caressent agréablement la poitrine.— Jean, tu m’amènes sur les quais ?— Dans cette tenue ?— Il est bête ! Allez, laisse-moi m’habiller et on y va.— Bien madame, nous souscrivons aux désirs de madame et ferons tout pour la satisfaire.— C’est comme ça qu’on parle à Paris ? Je vais avoir du mal à m’habituer.Il est déjà 11 h lorsque nous sortons prendre le métro. Ou bien seulement 11 h, suivant l’endroit où nous allons. Parce que d’une part les bouquinistes n’ouvrent pas avant 14-15 h et d’autre part pas mal de magasins vont fermer à midi. Donc, timing serré et choix rationnel. Direction la rue de Rennes (ça s’impose), c’est direct par le métro ; on va faire les boutiques de chaussures qui envahissent le bas de la rue avant de passer à Saint-Germain-des-Prés manger un sandwich au Drugstore, en évitant le café de Flore, ou les deux Magots, trop chers pour moi. Et puis Sartre, presque aveugle, paraît-il, ne s’y montre plus.Eh bien, même elle a craqué. Les chaussures et les sacs à main, ça leur fait des gouzi-gouzi partout à ces dames. Elle criait et trépignait devant chaque étal, comme un gosse devant un sapin de Noël.— Et celles-là, tu as vu ? Oh, celles-là…J’ai fini par la faire rentrer dans une échoppe qui me paraissait correcte et elle s’est offert une paire d’escarpins, du genre on ne peut absolument pas marcher avec, mais ce n’est pas grave, ils sont beaux, pas chers, et impossibles à trouver à Rennes ; toutes les copines vont baver. Na ! Bon, ça lui plaît, ces boutiques, je prévois donc un passage par Sèvres-Babylone pour plus tard, vu son style discret, mais bon genre, elle devrait y trouver des petites choses sympas. Je suis quand même un peu déconfit ; trimbaler une jolie fille et ne pas pouvoir l’habiller avant de la déshabiller, c’est la honte.Après avoir acheté nos sandwichs, nous sommes allés les déguster sur un banc de la place de Furstemberg, où un « Américain » a voulu nous prendre en photo en train de nous embrasser. Le mythe Doisneau a la vie dure. Enfin, doucement, tranquillement, nous sommes arrivés sur les quais par les Grands Augustins. Nous avons commencé par là où je finis d’habitude : les boutiques de partitions. Je n’y connais rien en musique, mais j’aime bien consulter ces brochures magiques qui me font rêver. Patricia joue un peu de piano, alors elle plonge là-dedans avec un air affamé. Une heure ! nous sommes restés une heure dans la boutique, sans rien acheter. Pauvres commerçants, quelle patience, quand même ! Enfin, nous avons fait les bouquinistes « à l’envers » en remontant jusqu’à la tour d’Argent. Nous commencions à avoir un peu mal aux pattes, alors je l’ai entraînée dans un Ciné-Club de la rue des Écoles voir un « Marx Brothers ». On ne peut pas se tromper, cela fait au moins vingt ans qu’ils jouent leurs films en alternance, tous les jours du premier janvier au 31 décembre. Nous avons eu droit à « Plumes de Cheval », et nos mollets nous ont dit merci.Bien détendus et reposés, nous sommes revenus à l’Odéon puis Sèvres-Babylone d’où le 39 nous a ramenés tranquillement à la Mairie du XV.J’avais envie d’elle depuis ce matin où elle s’était précipitée nue dans mes bras. Alors j’ai pris ma grosse voix (genre John Wayne quand il s’adresse aux méchants dans Rio Bravo) :— Déshabille-toi !— Attends que je mette mes escarpins, j’ai envie.Pourquoi ça ne marche jamais quand je veux faire le méchant ?— Comment me trouves-tu ?— Déshabille-toi et je pourrai te répondre.— Cochon ! Je parle de mes escarpins. Est-ce qu’ils me vont bien ?— On dirait qu’ils ont été faits pour toi et moulés sur tes petits pieds mignons !— Tu es un idiot-bête.Elle reste un moment debout sur ses escarpins, rougit, se déshabille avec grâce, remet ses escarpins et se tourne vers moi.— Tu me prendrais avec mes escarpins ?Je me déshabille (sans aucune grâce). Elle se précipite dans mes bras.— Je te prendrais n’importe où, n’importe quand, n’importe comment et avec n’importe quel accessoire.— Jean, Jean… j’ai l’impression d’être bête quand tu es là. Je fais n’importe quoi, je dis n’importe quoi et je suis heureuse. Serre-moi fort. J’ai envie de ta queue. Je la sens contre mon ventre, elle est trop grosse.Elle se laisse glisser le long de mon corps jusqu’à l’objet désiré et commence doucement la lubrification. Pour l’instant, je la laisse faire, c’est vraiment très agréable, mais j’ai tellement envie d’elle que je crois que je vais la violer dans les secondes qui suivent.— Patricia ! j’ai envie de toi, de tes lèvres, de ton ventre…— C’est tout ?— Patricia…Je la relève doucement.— Embrasse-moi, je t’aime !— Oh oui ! Jean !Ce fut le baiser le plus passionné, le plus fou qu’il ne m’est jamais arrivé de vivre. Nous ne pensions même plus à faire l’amour. Je ne savais plus où j’étais. Nous sommes tombés ensemble sur le lit, et nous avons joui tout de suite, juste emboîtés, sans bouger, avant de rester un temps infini dans les bras l’un de l’autre.— Jean, j’ai l’impression de rêver. Je plane complètement. Qu’est-ce qui nous arrive ?— Je ne sais pas, mais je crois que c’est grave, docteur.— Grave ?— Oui, tu n’as pas de chance. Tu es prisonnière d’un prédateur sexuel qui va abuser de toi et de ton corps.— Jean, au secours, défends-moi !Nous sommes restés au moins la moitié de la nuit à parler, rire, chanter tout en se caressant. J’ai couvert son corps de baisers. Elle m’a dit que ça la réchauffait mieux que la couverture. Et puis nous avons fini par nous endormir.** *P… de téléphone ! C’est indécent de réveiller les gens comme ça.— Allo, oui !— Jean, c’est Anna, pas encore réveillé ?— Nuit courte, fatigué. Quelle heure est-il ?— 10 h.— C’est l’aube !— As-tu des nouvelles ?— Oui, pas trop mauvaises, faut qu’on se voie.— À quelle heure ?— 14 h, ça va ?— D’accord, à tout à l’heure.Patricia s’était réveillée, bien sûr. Je l’embrasse.— Le travail reprend bébé.— Oh, Jean, tu veux bien encore de moi, ce matin ?— Ce matin, demain matin et tous les autres matins.— Jean…— Mais on verra ça plus tard, pour l’instant, douche et petit-déjeuner. Je mettrai un peu d’ordre dans la pièce après.— Tu veux me virer ?— Tu plaisantes bébé. JE-TE-GAR-DE. Ça va comme ça ? Par contre, je préférerais que tu ne sois pas là quand Anna viendra. Je la connais. Elle va mal le vivre, sortir ses griffes et faire tout ce qu’elle peut pour nous démolir. Elle est trop orgueilleuse. Elle ne supporterait pas que tu sois sur son chemin.— Tu ne veux pas lui dire que nous sommes ensemble ?— Elle le sait déjà depuis la semaine dernière.— Mais la semaine dernière, nous n’étions pas…— Pas encore, mais je l’espérais bien. J’avais un petit (tout petit) faible pour toi.— Méchant ! Tu es un manipulateur, un affreux.— Oui, je sais, tu me hais. Alors, en attendant, fais-moi un gros bisou.À midi, tout était prêt. Nous nous sommes mis d’accord sur la synthèse à faire à Anna, nous avons avalé un petit casse-croûte et je lui ai indiqué les choses à voir dans le quartier, boutiques, squares, rues sympas… À une heure et demie, elle était partie.Anna est arrivée à l’heure, comme d’habitude.— Clara est vivante, enfin, était vivante il y a trois semaines. Elle était à Cancale avec Roland. Ils sont repartis depuis, en voiture.Elle a les yeux qui se mouillent, les lèvres qui se mettent à trembler. Elle vient tout de suite m’embrasser (sur les joues).— Merci Jean. Tu es génial.— Attends, on n’est pas rendu. Nous avons encore beaucoup de choses à faire.Je me lance dans un compte-rendu le plus détaillé possible, occultant simplement quelques détails gênants comme la fameuse photo, ainsi que les coquards de sa sœur.— Comme tu vois, le but est maintenant de mettre la main sur le gars Anthony. Et si l’on peut trouver encore quelques bricoles sur les barbares… Mais là, c’est plutôt le travail de Le Guellec.— Qu’est-ce que tu veux faire ? Tu continues ou tu arrêtes ?— Franchement, Anna, je ne sais pas, je n’ai pas décidé. C’est nerveusement épuisant. On va de merdier en merdier. L’atmosphère est irrespirable. C’est… c’est un plongeon dans l’horreur par moments. Je vais essayer d’aller à Lorient cette semaine pour retrouver Anthony, mais pas longtemps. Si je ne trouve pas, tu te débrouilles autrement. D’accord ?— D’accord. Et je continue à te payer en nature ? Tu sais que j’y trouve beaucoup de plaisir.— Non. Je… je… Laisse-moi le temps de digérer tout ça. Et puis il faut que je garde des forces pour mes petites Bretonnes, tu ne crois pas ?— Salaud ! Vieux cochon ! Je vais m’en occuper, moi, de tes copines. Je vais en faire des crêpes de tes Bretonnes. À propos, et Patricia, ça va ?Elle m’avait dit ça avec un grand sourire amusé, mais je ne m’y fiais pas trop. Nous avons continué à bavarder un peu, je l’ai mise sur mes genoux et elle m’a embrassé en me faisant promettre une bonne grosse partie de jambes en l’air quand tout serait fini. Puis elle est partie, mais m’a demandé de la prévenir si je faisais une virée à Lorient.Ouf, ça ne s’est pas trop mal passé. Elle a bien dû remarquer certaines affaires dans la pièce qui ne sont pas à moi, mais elle n’a rien dit. Bizarre. Peut-être le soulagement des bonnes nouvelles de Clara.Peu importe, Patricia m’attend. Filons au square Saint-Lambert. Je fais un petit détour par le marchand de journaux pour acheter Pariscope, puis par le cinéma pour voir si, par hasard, un vieux bon ne serait pas affiché. Eh bien non, ça ne m’inspire pas.Elle est sagement installée sur un banc. On ne voit qu’elle dans ce square, tellement elle est mignonne. Tous les autres paraissent s’agiter comme des pantins gris et tristes, mais elle, elle semble baignée d’un halo lumineux… Allons, je rêve. Et bien non. Je ferme et rouvre les yeux plusieurs fois, mais on ne voit vraiment qu’elle dans ce square ! Elle lit avec un petit sourire.— Pat’ ? Tu m’aimes ?Elle lève les yeux et se précipite dans mes bras.— Bien sûr, gros bêta !— Alors, viens, viens vite.— Où ça ?— Je ne sais pas, ce n’est pas important, mais partons.Je compulse fébrilement Pariscope et tombe, coup de chance, sur la perle rare : on joue au Théâtre des Bouffes-Parisiens une pièce de et avec Robert Lamoureux, « Diable d’homme ».— On y va !— C’est bien le théâtre ?— Pas terrible, je le fais exprès pour t’ennuyer.— Méchant ! Je te hais !Elle me regarde avec ses yeux grands ouverts, comme étonnée que je sois devant elle. J’ai encore envie de l’embrasser. Allons, du calme, des enfants courent et crient autour de nous. Et le gardien, en uniforme, avec son sifflet ! Ils sont même deux aujourd’hui. Grand luxe. La mairie du XVe est riche !Je fonce vers la cabine téléphonique, sors quelques pièces de ma poche, compose le numéro du théâtre et réserve deux places au pigeonnier. J’entends à la voix pincée de la caissière qu’elle aurait préféré mieux. Elle s’en remettra. Il faut bien tout remplir dans un spectacle, même le pigeonnier, et c’est en général de là que la claque démarre.Petit détour par la rue Bausset où l’épicerie Ragueneau peut tout fournir, de l’entrée au dessert, pratique pour moi. Nous récupérons de quoi nous restaurer pendant deux jours et retour at home. Un peu de cuisine rapide et hop, direction le jardin des Tuileries. Je prendrais bien le bus, mais ce n’est pas très fiable le samedi, surtout quand il y a des changements. Donc, métro. Patricia s’amuse encore avec le plan lumineux de la station Vaugirard. Elle rit de tout, c’est formidable. Mais cette fois, ce n’est pas drôle, pas de changement, c’est direct jusqu’à Concorde.Et là, choix cornélien : on prend par le jardin ou par les arcades de la rue de Rivoli ? Je n’ai jamais vraiment apprécié ce jardin, je ne sais absolument pas pourquoi. Trop « propre », plutôt trop rectiligne dans son dessin, ou trop grand. Donc rue de Rivoli et nouveau petit cours d’histoire en passant devant le Meurice. Je l’ai prévenue que nous arrivions dans des rues qui n’étaient pas pour nous, trop opulentes, où l’argent dégouline de partout, mais où je suis incapable de trouver mon bonheur (pas de bouquiniste…) et où elle ne trouvera pas de paire de chaussures à moins d’un mois de sa paye mensuelle. Par contre, si elle veut acheter un bijou… je lui suggère de s’installer au bar de l’Hôtel Intercontinental, puisque nous passons devant pour gagner la place Vendôme, et en moins d’un quart d’heure elle aura trouvé chaussure à son pied et bijou autour du cou. Ah, l’avantage d’être une jolie femme !— Mais ce sont des prédateurs aussi.— Eh oui, mais riches, donc ils font ce qu’ils veulent. Ils prennent, ils jettent ; la femme est un produit de consommation courante à date de péremption assez courte. C’est le jeu.— Jean, je n’ai pas envie d’aller au bar.— Tu as tort.— Méchant, tu ne veux plus de moi.— Oh si ! Mais là, je ne peux pas lutter.— Jean, embrasse-moi, j’ai peur.— Ne leur laisse pas ce plaisir, ce sont des requins. Si tu ne t’approches pas, ils ne te feront rien. Ils n’ont pas besoin de chasser, ils ont tout ce qu’il faut dans leur cercle. L’argent et le pouvoir ont toujours fasciné les femmes. Par contre, si tu t’approches… Ou alors si tu sais les dresser, cela devient faisable, mais dangereux. Viens, je vais te montrer un des plus grands bijoutiers au monde.Nous traversons la place Vendôme, pas besoin de cours d’histoire ici, elle connaît mieux que moi, et je la plante devant un très bel immeuble avec de grandes baies vitrées. Au-dessus, en lettres dorées « Van Cleef & Arpels ».— Voilà.— Mais, les vitrines sont vides !— Oui, ce n’est pas la peine de montrer. Il faut entrer. Et même à l’intérieur il n’y a pratiquement rien de visible. Tu demandes ce que tu veux et on sort les présentoirs. Regarde, à côté tu as Boucheron, un autre très grand. Et là, rue de la Paix, Cartier. Viens, tu verras plein de bijoux et de montres dans les vitrines.— Non, allons-nous-en, ça me met mal à l’aise.— Comme tu veux, on va prendre la rue du Faubourg Saint-Honoré.— Le théâtre est à côté de l’Élysée ?— Pas vraiment, mais le problème c’est que les comédiens sont à l’Élysée !— Jean ! Notre Président n’est pas un comédien quand même.— En sortant du théâtre, je t’amènerai à la poterne par où passent les p… de la République. C’est un secret de polichinelle.— Oooh !— Allez, il est l’heure, allons voir Robert.Je crois que je lui ai un peu gâché le début de soirée. J’essaierai de me rattraper au lit. Heureusement, la pièce était super. Nous avons bien ri, Robert était en forme olympique et a mené le spectacle avec fougue.— Pourquoi tu l’appelles Robert, tu le connais ?— Pas vraiment, un peu quand même. Nous habitions le même immeuble sur le même palier, à l’époque où c’était un illustre inconnu, et comme il n’y avait que deux portes par palier, mes parents le connaissaient bien, lui, sa première femme et leur fils, Jean-Louis, je crois. Ils avaient le même âge, à peu près, avec ma mère. Moi j’étais trop jeune pour m’en souvenir. J’avais autour de deux ans. Par contre, j’ai des histoires sur lui, je te raconterai un jour.Nous avons marché jusqu’au coin du palais de l’Élysée et je lui ai montré une petite porte.— Tu vois, cette porte s’ouvre parfois le soir pour laisser entrer ou sortir des jeunes femmes, charmantes, comme toi. Qui vont-elles voir ? Mystère. Enfin, quand je dis mystère…— Oooh !— Allez, viens, on s’en fout, tu ne crois pas ?Retour place de la Concorde, avant que le dernier métro ne passe, puis studio. Ouf, journée pleine, riche et plaisante. Vous voudriez peut-être que je vous conte par le menu ce que nous avons fait après. Eh bien, non. Bisou et dodo. Enfin, ce n’était pas tout à fait ça. Nous avions besoin d’une grande nuit et ce fut une grande nuit. Nous avons fait l’amour, longuement, comme des fous. Et là aussi, elle est formidable. Ce n’est plus une débutante, elle sait aller chercher son plaisir, elle sait en donner, elle connaît les petits trucs qui vous envoient rapidement au septième ciel. Et puis nous avions besoin « d’apprendre » l’un de l’autre, savoir ce qui donnait le plus de sensations, les choses à faire et celles à éviter. Épuisés, heureux, nous nous sommes endormis tard (ou tôt, si l’on veut) sans nous en rendre compte.** *Encore une grasse-mat’, mais là c’est normal, nous sommes dimanche. Nous nous séparons ce soir, du coup nous restons longtemps dans les bras l’un de l’autre, sans rien dire. Tiens, quand elle ne parle plus c’est que quelque chose ne va pas. C’est très féminin, ça.— Tu sais Jean, c’est bizarre. Quand tu es arrivé à Rennes, j’étais heureuse de te voir. Nous avions passé une journée – et une nuit – très agréable à Paris ensemble et je comptais bien recommencer le même genre de chose, mais une fois, et puis c’est tout. Un peu de plaisir dans ce monde de brutes comme tu dis. Mais tu m’as demandé de l’aide, et là je n’étais pas contente. Tes copines, je m’en moque, d’autant que je ne les apprécie pas vraiment. Donc j’étais en colère et je cherchais un moyen de me débarrasser rapidement de toi. Et puis, lors de la virée à Cancale, j’ai eu peur. Peur pour moi d’abord quand tu m’as laissée seule sur le bord de la route, peur pour toi ensuite. J’ai même un peu paniqué. Tu ne revenais pas ! J’avais envie de te sauter au cou lorsque je t’ai vu courir vers la 4L. Et puis le bar, la façon dont tu as tiré les ficelles. J’étais émerveillée. Après, c’était foutu pour moi, quand tu m’as embrassée, dans la voiture, j’étais déjà très amoureuse de toi. Une espèce de coup de foudre.— Ah ! Parce que tu es amoureuse de moi ?— Méchant, je te hais ! Et toi, tu m’aimes un peu ?— Il me semble te l’avoir prouvé, non ?— Ça ne veut rien dire. Tu peux avoir envie de moi et ensuite me laisser tomber comme une vieille chaussette. Profiter de mon corps et c’est tout. Méchant.— Pour moi, je crois que ça s’est imposé lentement, comme naturellement. J’étais heureux d’être avec toi. J’ai eu le coup de grâce hier soir, quand tu m’as embrassé… avec tes escarpins. Là, j’ai su que j’étais foutu.— Ah, tu vois qu’ils sont bien mes escarpins. Tiens, je vais les mettre tout de suite.— Tu ne vas pas les mettre dans le lit quand même.— Et pourquoi pas monsieur ? Si j’ai envie ? Et puis ça te rend amoureux, alors ça ne se discute pas.— Ah là là, ça en a fait du dégât, mai 68, la féminité triomphante et gnagnagna… Je parie qu’un jour, l’une d’entre vous va revendiquer le droit de penser ! Tu imagines, une femme, penser ? Mais où va le monde ?J’ai ramassé les deux oreillers sur la tête et elle s’est mise à me frapper la poitrine avec ses petits poings. Je riais à gorge déployée.— Méchant, je te hais !— Pouce ! Je m’avoue vaincu. Je ne recommencerai plus. Allez, habille-toi.— Mais je suis bien toute nue !— Ah bon, je voulais t’emmener sur les quais, tant pis.— Je suis prête. Ça y est, on y va ?— Je crois que tu as oublié ta culotte.— Ah oui, c’est vrai.Je lui avais montré vendredi une petite partie des quais rive gauche, puis hier, la rive droite, même si nous n’avions pas trop arpenté les quais. Je lui ai fait la totale avec le fleuve en bateau-mouche aujourd’hui. On avait bien dit trois fois ? Nous sommes partis de la tour Eiffel « On y monte, dis ? », je l’ai débarquée à la fac des Sciences. Nous sommes revenus par le jardin des Plantes jusqu’à la grande galerie du Museum, hélas fermée. Nous avons pris le thé à la Grande Mosquée. J’ai rarement vu quelqu’un d’aussi heureux. Elle riait, chantait, parlait comme une moulinette, s’étonnait de tout et de rien.Le retour fut moins joyeux. Arrivée au studio, de grosses larmes coulaient sur ses joues.— Jean, Jean… J’ai passé une semaine formidable avec toi. Je ne veux pas que ça s’arrête là. Pour une fois que je trouve un garçon gentil qui ne pense pas qu’à mon cul.— Mais je ne pense qu’à ça. Parce que tu as un beau cul.— Idiot, je… les aventures sans lendemain, ça me fatigue maintenant. Et toi… toi… je tombe sur un sale type qui habite à 3 heures de train de chez moi. Méchant, je te hais !Je l’ai prise dans mes bras, mais ça ne servait à rien. De gros sanglots la secouaient.— Jean, fais quelque chose. Je t’aime !J’étais désemparé, incapable de réagir, bousculé pour la première fois dans mon train-train. Je baissais la tête en signe d’impuissance.— Pat’, nous sommes dans l’émotionnel… Impossible de décider quoi que ce soit. Revenons dans le rationnel, essayons de réfléchir calmement.— Pas possible.— Si ! On a des pistes, on est des grands, on peut avoir du travail facilement n’importe où. Nous avons chacun un logement et même si je n’ai pas de revenu pour l’instant, cela ne saurait tarder. Je peux aller vivre à Rennes avec toi, tu peux venir vivre à Paris avec moi. Alors, dédramatisons. La seule chose qui me paraît impossible, c’est de vivre séparément à 3 heures de train l’un de l’autre.— Oui, oui.— On y pense dans les jours qui viennent. Moi, je vais trouver du travail, tant pis si ça retarde ma thèse, mais je n’en peux plus et je ne veux pas vivre à tes crochets. Et puis je dois retourner en Bretagne, à Lorient pour retrouver l’autre petit c… ; on peut se voir à ce moment déjà et poser des bases pour la suite.— Oui. Viens vite.— Ce soir ?— Oh oui !— Allez, on s’en va.— Tu ne me fais pas une de tes blagues idiotes ?— Non-non.Une heure après, nous étions dans le train pour Rennes.À suivre