Clin d’œil à Marceline Desbordes-ValmoreUne fin d’après-midi, un sentier forestier au bord de l’eau.Il marche d’un pas allègre, nez au vent, pensées vagabondes. La nature déploie pour lui ses merveilles : gesses, myosotis, chèvrefeuilles, boutons d’or… Mille fleurettes colorent le bord du chemin de leurs corolles pastel. Le promeneur s’enivre de leurs parfums auxquels se mêle, plus sucré, celui des pins en fleur. Un appel à la gourmandise !Admirant la libellule et le papillon, il sourit et songe que la forêt est un jardin d’Eden à qui sait la voir…Il suit les méandres du ruisseau, bercé par le murmure de l’eau qui caresse les rochers. L’air est vibrant de vie, la fraîcheur du sous-bois l’enveloppe tandis que le soleil saupoudre d’or l’eau, la terre meuble, les touffes de fleurs sauvages… Il est heureux, serein dans cet univers enchanteur.Soudain, elle apparaît.Juste là , à à peine quelques pas, sur la rive opposée. Comme si le bois n’était que l’écrin de cette rose de nacre et de velours.Elle lève les yeux de son livre en repoussant une mèche de jais derrière son épaule nue. Ses iris de saphir se posent sur lui et un sourire étire ses lèvres cerises. Avec grâce et nonchalance, elle se redresse.L’eau nous sépare, écoute bienSi tu fais un pas, tu n’as rien.Ils sont là , face à face, de part et d’autre de la rivière, elle, saisissante et lui, saisi.Il contemple stupéfait cette silhouette élancée savamment enveloppée de soie. Une chevelure d’ébène encadrant toute en ondulations un visage aux traits fins, des yeux en amande aux cils d’une longueur impossible, le nez droit, les pommettes hautes et une bouche délicieusement charnue.Il suit du regard la courbe gracieuse de son cou de cygne, puis celle de l’épaule jusqu’à la lisière des voiles écarlates sous lesquels disparaît son bras souple. Et là , sous le corsage ajusté de sa robe d’un autre âge, le doux renflement de sa poitrine et le contrepoint délectable de sa taille étroite. Sous une corolle de crêpe dont l’ourlet se perd dans l’herbe, il imagine l’arrondi de ses hanches et d’interminables jambes.Attiré comme par un aimant, il relève les yeux vers le bustier satiné. Elle en lisse l’étoffe d’une main faussement distraite, s’attardant du pouce sur les bourgeons tendres. Elle joue un moment, puis descend à sa taille mince. Les doigts agiles jouent paresseusement sur la boucle complexe de la ceinture. Il sent sa gorge se serrer, ses vêtements l’étouffer…La bande de satin s’ouvre soudain et coule jusqu’à terre. Il inspire une profonde goulée d’air, surpris de découvrir son souffle suspendu. Le sang bat plus fort dans ses veines, une chaleur diffuse s’épanouit au creux de son ventre.Elle repousse encore les lourdes boucles de sa chevelure et il lui semble sentir leur soie s’enrouler entre ses doigts tendus.Le regard brillant, elle se caresse lentement les lèvres du bout de la langue. Le goût sucré des cerises vient se poser sur sa bouche sèche. Impatient, il esquisse un geste vers elle.L’eau nous sépare, écoute bienSi tu fais un pas, tu n’as rien.Le souffle court, il reste là , immobile, hypnotisé, captif des yeux de saphir. Elle glisse une main paresseuse jusqu’au ruban qui couronne son décolleté. Elle joue avec du bout de l’ongle.Il laisse sa vie se réduire à ces doigts qui font battre son sang, pris au piège d’un étrange enchantement. Ses vêtements sont trop étroits, l’air lui manque… D’où lui vient cette folle passion ?Elle l’enveloppe de son regard pénétrant avec un léger sourire. Le nœud cède enfin et le corsage se relâche un peu alors qu’avec une exquise lenteur elle fait glisser les liens dans les œillets. Il inspire brièvement, le souffle incertain.Elle se dévoile peu à peu en tirant les lacets sans hâte, l’œil pétillant. Le corsage se fend et éclate comme fleur qui éclot. Il guette, avide, le moindre petit morceau de chair blanche.Enfin, le ruban est entièrement dénoué. Du bouillonnement de soie, elle libère le haut de son corps, abandonnant à ses pieds la riche étoffe.Il regarde, bouillonnant, sa taille fine autour de laquelle s’enroulent encore les jupons, le dessin à peine esquissé de ses côtes et ses seins… Menus, mignons, poires blondes couronnées de groseilles.Sur son propre torse, il sent la brise. Quand a-t-il perdu sa chemise ?Mais la question n’a déjà plus d’importance : entre ses doigts, elle fait rouler en douceur les pointes vermeilles. Leur goût piquant vient lui titiller le bout de la langue.Ses poings se serrent pour ne pas trembler, il veut mieux goûter leur acidité.L’eau nous sépare, écoute bienSi tu fais un pas, tu n’as rien.Un pas en arrière sans détourner le regard. Elle sourit avec malice, l’œil taquin, et fait courir sur elle ses doigts fins.Il les suit des yeux, des fourmillements dans les mains, la bouche sèche, les veines en feu.Elle tourne lentement sur elle-même, roulant des hanches avec grâce. Elle délace avec paresse un nœud perdu dans la crêpe écarlate. Un jupon se détache de sa taille et glisse à terre dans un murmure feutré. Un autre est encore là qu’elle attaque avec la même nonchalance en ondulant sans fin. Il glisse à son tour, mais, comme les vagues se suivent sans fin, il reste encore une couche de soie…Ses jambes ne le portent plus et il s’agenouille, coulant à terre pareil aux jupons qu’elle ôte comme on effeuille une fleur. Il regarde, fébrile, impatient. Il se consume et comme l’amant, interroge les pétales écarlates : un peu, beaucoup, à la folie…Elle danse langoureusement sans trêve, insaisissable et ensorcelante, semant le crêpe autour d’elle comme le printemps sème les fleurs.Et puis, elle se tourne d’un mouvement fluide. Elle s’immobilise un instant pour lui lancer un regard espiègle et brûlant par-dessus son épaule nue.Elle écarte les mains.Dans un froufroutement d’ailes d’ange, le dernier jupon choit enfin.Apparaissent deux petites fesses rondes à la peau veloutée.Il laisse échapper un soupir rauque qui la fait rire. Il se sent vibrer tout entier sur les notes claires, irrésistiblement attiré.L’eau nous sépare, écoute bienSi tu fais un pas, tu n’as rien.Au bord de la folie, il demeure pétrifié sur l’herbe tendre, le ventre en proie à des flammes terriblement délicieuses.Elle ondule, sensuelle et lascive, suivant le tempo du sang qui pulse de désir. Mais n’est-ce pas son pied léger qui en bat la mesure ?S’abandonnant à une musique mystérieuse, elle danse, ses mains voletant autour d’elle comme deux papillons. Elles vont et viennent, cajolant le velours de sa peau pour y semer des étincelles.Électrisé, il se laisse ensorceler par ses effleurements et l’orage qui gronde en lui. S’il pouvait seulement orienter les caresses voluptueuses à sa guise… Oh, oui, si elles pouvaient se poser là , sur son ventre de neige puis glisser lentement jusqu’aux boucles sombres qui dissimulent, il le devine, un trésor des sens…Un lourd parfum floral lui emplit les poumons, le faisant trembler. Il se passe la langue sur les lèvres en la dévorant des yeux sans retenue.Les doigts fins semblent entendre sa supplique muette et se faufilent plus bas, toujours plus bas. Elle a cessé de danser pour s’étendre à demi dans l’herbe tendre. D’un index curieux, elle approche ses secrets.Il contemple cet explorateur qui attise le désir alors que son propre sang menace de lui faire perdre le peu de contrôle qu’il a encore sur lui-même.L’eau nous sépare, écoute bienSi tu fais un pas, tu n’as rien.Il se mord les joues pour ne pas gémir… mais est-ce frustration ou plaisir ?Elle replie ses longues jambes, effleure la peau fine de ses cuisses. Il en devine la douceur de pêche sur sa bouche affamée. S’il pouvait embrasser ce genou, puis laisser ses lèvres couler jusqu’à mordre à belles dents dans la chair tendre, jusqu’à pouvoir caresser du bout de la langue la perle si sensible…La main ensorcelante suit le cours de son désir, remontant un peu plus vers la source… Et elle y plonge un doigt dans un doux soupir. Mais n’est-ce pas lui qui gronde ? Elle se cambre avec sensualité. L’air s’épaissit, le sous-bois s’emplit d’une chaleur moite délectable. Son poing se serre sur sa cuisse nue, sa verge est douloureusement gorgée de sève…À travers ses longs cils, les pupilles saphir le dévorent alors que perle de joie sa féminité. Il ne fait aucun doute qu’elle aime ce qu’elle voit lorsqu’il referme le poing sur son sexe. Une plainte s’élève dans le sous-bois, mais bien avisé celui qui saurait dire de quelle gorge elle naît. Qu’importe ! Devant l’ensorcelante apparition, l’excitation enfle et grandit, l’embrasant sans pitié. La sève monte, une larme apparaît.Elle capte son regard et porte un doigt humide à ses lèvres. Sa langue gourmande vient le laper avec langueur. Au bord de l’extase, il goûte le vin doux de cet étrange baiser jusqu’à s’en enivrer.Malgré lui, son corps se dresse, s’avance, son vit se tend vers elle…L’eau nous sépare, écoute bienSi tu fais un pas, tu n’as rien.Il se laisse retomber sur les talons dans un petit rire étranglé. Ciel, comment ne pas désobéir ? Où trouver la force de ne pas la rejoindre ? Elle est si proche, si accueillante… et pourtant inaccessible.Le regard brillant, elle s’alanguit un peu plus parmi les fleurs et reprend une exploration plus vive, plus marquée. Entre ses doigts fins, elle fait rouler la perle de son plaisir, ondulante, offerte sans pudeur aux yeux fiévreux qui se délectent d’elle.Comme en transe, il admire la danse ensorcelante de ce sexe qui pleure pour lui au son d’un chant primitif et sauvage. Le chant de la volupté.Il enroule ses propres doigts plus étroitement autour de sa verge à la sensibilité exacerbée. Il suit le rythme soutenu qu’elle impose en enfouissant de nouveau un doigt en elle.Il tremble et vacille, fébrile, fou, euphorique. Le désir d’elle le laisse en cendres brûlantes. Elle glisse un second doigt en elle, la tête renversée en arrière, le souffle court, les jambes largement ouvertes, le bassin tendu et dans un cri sauvage, elle s’offre enfin l’extase.C’en est trop. Il brûle, il meurt, la passion a eu raison de lui.Cette peau de velours faite pour les caresses, ce corps de liane ondulant de plaisir, cette féminité palpitante sous l’orgasme. Tout n’est qu’appel à la fusion. Il n’est qu’un homme et son être tout entier ne tend plus qu’à vénérer cette femme de ses lèvres, de sa langue, de sa chair.Fou, inconscient, vers elle, il s’élance…Mais ses mains avides ne se referment que sur une bande de satin, le feu dévorant ne trouve que la fraîcheur du ruisseau. Dans un battement de cils, elle s’est évanouie dans l’air, ne laissant sur la rive qu’une ceinture écarlate et un feuillet :L’eau nous sépare, écoute bienPour aujourd’hui, je n’ai plus rien.