Et après ?Quarante-cinq minutes de voiture sous le soleil. J’arrête la Mini Cooper. Chaleur épaisse qui enveloppe mon corps et cuit ma peau à petit feu. Il est déconseillé, ou peut-être même interdit de conduire avec ça et pourtant… Baladeur numérique dans les oreilles et Vertigo de U2 crachant ses décibels au cœur de mes tympans, je remonte l’allée de graviers rouges d’un pas décidé. En lunettes de soleil, short blanc et débardeur noir, en ordre de marche je suis. Je déverrouille la porte verte qui mène dans l’arrière-cuisine ensoleillée, lance mon sac en velours sur le carrelage et virevolte autour de la table à la recherche de boisson fraîche. Ouverture du réfrigérateur et fermeture de la porte d’un coup de talon, je m’abreuve de jus d’oranges au goulot. Moitié dans la bouche, moitié sur le menton et sur le débardeur. Façon exquise et sale d’entamer la fin d’après-midi. Pour cette première semaine des congés d’été, tandis qu’autorité parentale et personnel de maison restent végéter à Paname, ma sœur et moi-même, en téméraires jeunes filles, profitons de notre première semaine de vacances dans le sud de la Corse dans la seconde demeure familiale.—oooOooo—Chers habitués, je m’excuse du désagrément encouru, mais je me dois de me présenter, pour les nouveaux arrivants, les anciens sans mémoire et les retardataires…J’ai dix-neuf ans et quelques mois, je suis intermittente des études dans la catégorie « architecture intérieure » et je m’appelle Amélie. J’ai la malchance d’habiter à l’occasion à Rueil-Malmaison chez des parents trop stricts. Mon père, voyageur au-dessus des flots et des comptes bancaires est directeur d’une société d’exportation de carburants. Il s’appelle Pierre-Alain, mais est connu dans le milieu sous le nom de « Du fric, du fric et encore du fric ». Ma mère est directrice d’un centre de loisirs aquatiques en plein Paris. Ma mère ? Ah oui ! Tiens, c’est elle ! Des fois je suis obligée de regarder des photos pour me souvenir de son visage. Absence parentale oblige.J’ai une sœur en terminale (redoublante chronique). Une sœur jumelle. Même jour, même année, même endroit. Elle est sortie du ventre de ma mère trois minutes après moi. Je suis l’aînée. C’est cool. Elle s’appelle Garance. Nous sommes proches. C’est mon rayon de soleil dans la famille. Elle m’amuse, me ravit, m’encourage dans mon peu de travail. On rigole, on danse, on craque le fric de papa toutes les deux. C’est ma petite sœur chérie que j’adore. Nous sommes complices, elle sait presque tout de mon intimité, mes relations conflictuelles et chaotiques avec les mecs. Je sais presque tout de la sienne.—oooOooo—Voilà pour les présentations, j’aurais pu entrer dans un remake d’une famille formidable, mais avec les mains collantes de jus de fruits je m’en retourne à une tâche plus matérielle : ouvrir mon sac et en extraire les achats. Deux heures sur des routes étroites pour revenir de Porto-Vecchio, tout ça pour une malheureuse fringue ! Quel gâchis ! Glissant le tee-shirt bleu (modique somme de 14 euros) par-dessus mes cheveux noirs, je m’observe dans le miroir du couloir : un mètre soixante-neuf pour soixante kilos. Cheveux brillants, noir corbeau et très lisses qui descendent un peu au-dessus de mes épaules. J’ai les yeux très bleus, un petit nez retroussé légèrement épais au niveau des narines et un grain de beauté sur la lèvre inférieure. Ma sœur, ben ma sœur… c’est la même. Sans le grain de beauté sur la lèvre et avec une cicatrice excitante sur le sein gauche. Oui, oui. Je l’ai vue. Je pose de face, de profil et de dos devant le miroir, en rentrant le ventre, en rehaussant mes seins et en posant d’une façon aguicheuse les mains sur mes hanches. Soudain ma sœur jaillit de sous la voûte qui mène du couloir au salon. En short en jean décousu, mini tee-shirt gris foncé effet mouillé par endroits et débauche de peau pour le reste, elle s’affale sur le carrelage frais et me regarde en contre-plongée :— Ben mon Am’ (à prononcer comme le jambon anglais et non comme l’âme) c’est pour acheter ça (air dédaigneux) que t’as abandonné ta sœurette si longtemps ?— T’aimes pas ? Ça fait été chaud, chaud, chaud. J’aime bien, en plus le bleu va avec mes sandalettes !— Toujours à vouloir assortir tes machins, on est à la plage ici, relaxe baby ! A propos de plage, je m’en vais faire un tour dans la piscine, tu m’accompagnes, je suis sûre que tu veux jouer au ballon !Garance a cette façon de changer de sujet et de faire glisser la conversation vers tout à fait autre chose. J’enlève mon tee-shirt bleu, agrippe la main de ma sœur pour l’aider à se lever et nous voilà bras dessus bras dessous marchant vers la piscine du jardin. Elle descend les marches qui mènent au bassin et se jette à l’eau sans prendre la peine d’enlever ses vêtements. Après tout, c’est Noël, je plonge aussi. Je m’allonge sur un matelas pneumatique pendant que ma sœur se prélasse adossée au bord du bassin. Ballottée par le clapotis de l’eau, mon esprit s’apaise. Le lent mouvement des flots et la chaleur ambiante me transportent vers de calmes pensées.—oooOooo—Samedi de notre dernière soirée parisienne avant fermeture pour congés annuels. Il est près de sept heures du matin. Nous sommes allées en fête quelque part dans un endroit bruyant et bondé. Les corps se collaient, les lumières blessaient les yeux et l’alcool enivrait les esprits. Je regarde Garance, dix-neuf ans et toutes ses dents. Majeure et vaccinée. À l’origine aussi brune qu’un trou noir, mais agrémentée d’un vertigineux rouge safran. Aussi yeux bleus que la mer des Caraïbes. Elle les a gonflés, auréolés de traces noires, vestiges d’un monument de maquillage érigé pour l’occasion. Ses lèvres sont redevenues roses pâles. Il me semble qu’elles étaient blanches au début de la soirée d’hier. Des images bizarres me reviennent, mélange de clichés flous et de scènes monstrueusement nettes. Garance, le bruit, les verres, la foule, la chaleur, les basses, les cris. Comment suis-je rentrée à la maison ? Le rideau noir rechigne à se soulever sur l’historique de ce soir-là. Une drôle de musique saccadée et inquiétante résonne dans ma tête. Mélange de flash-back enchaînés et d’instants saisis au vif. La porte rouge qui s’ouvre, mon corps qui heurte le mur. La soirée devenue folle m’a entraînée une nouvelle fois sur le chemin hasardeux qui mène à désirer le corps de Garance. Pas besoin de me rappeler les premières fois pour comprendre que j’ai dû… encore avoir envie d’elle ce soir-là. Pourtant, je me remémore sa façon… abjecte… de se déshabiller dans ma chambre il y a de ça quelques semaines.Eh oui… pour les néophytes je me suis tapée ma sœur ! Pas besoin de faire un effort pour que reviennent les souvenirs de cette matinée tragique où elle m’embrassa dans le couloir et où le lit devint champ de bataille pour filles consentantes.Ce matin nous sommes avachies dans le canapé, « entre le sommeil et dormir ». Je la scrute, curieuse et un rien inquiète. Elle reste silencieuse, me dévisageant les yeux à demi clos. Les lèvres collées dans un mélange cruel de composition approximative.Nouvelle image aveuglante qui frappe mon esprit. Mes mains sur une chemise à rayures. Une valse virevoltante et le corps qui porte ce tissu de venir s’échouer sur un mur de carrelage. J’intensifie mes efforts, cherchant parmi les souvenirs éparpillés en mosaïques pour tenter de retrouver les pièces du puzzle. Piocher une photo punaisée au mur, parmi la centaine d’autres, hautes en couleurs et criardes. Garance dans sa chemise blanche rayée de noir. Son jean serré, son blanc à lèvres collant. Une débauche de lumières. Les verres qui s’entrechoquent dans le dancing. Et là, dans ce réduit nommé toilettes, j’attrape à pleines mains la chemise de Garance et l’attire à moi. Entraînée par mon élan, elle manque de trébucher et s’écrase contre moi. Sensation défendue, sa poitrine qui se colle contre mes seins sous sa chemise tendue, cachant un paradis voluptueux qu’il me tarde de dévorer. Les corps ondulent, oscillent dans la moiteur de l’endroit et alors que j’amorce un baiser, un ami qui passe dans le réduit l’emporte vers la piste de danse. Poignardée dans le dos que je suis !—oooOooo—Mon matelas chavire et je tombe à l’eau. Electrisée par le contact du liquide tiède sur ma peau brûlante, j’en ai momentanément le souffle coupé. Garance, rieuse et contente d’avoir sabordé mon embarcation s’esclaffe, debout à mes côtés avec de l’eau jusqu’aux seins. Son tee-shirt gris colle à sa peau et fait apparaître sa poitrine tendue. Sa peau mouillée luit, zébrée des reflets du soleil sur la surface de la piscine. Il pourrait y avoir en moi à cet instant, comme les prémisses d’une excitation naissante. Ma jumelle et moi-même, seules au milieu de nulle part. avec le poids du passé incestueux qui nous hante. En fait, je me demande si chacune ne considère pas sa sœur comme un jouet potentiel. Attendre que le temps passe en sachant que si l’occasion se présentait… l’inondation d’adrénaline serait à portée de mains. Et l’occasion se présentait plutôt bien, noyées dans la piscine. Envahir la bouche de ma sœur avec ma langue.Elle questionne tout en triturant mon avant-bras du bout des doigts.— Est-ce que parfois tu y repenses ?Immédiatement je sais à quoi elle fait allusion. À ce matin de mai, il y a trois mois de ça. Ce fameux matin où elle est entrée dans ma chambre quand je me livrais à une petite activité en solitaire. J’avais interrompu mon aventure et nous avions parlé, parlé, parlé (le ventre en feu j’avais cru que ça ne finirait jamais) avant que d’un tacite accord commun nous nous lançâmes dans une séance de sexe stupide. Chacune, en égoïste orgueilleuse, s’étant déchaînée sur sa ravie petite personne sans se frotter à l’autre. Bon d’accord, environ deux heures après cet événement, d’un nouvel accord sous-entendu et dans un élan de péché de chair, tant désiré depuis cent vingt minutes, chacune s’était finalement abandonnée à l’autre sous les draps. Les images rejaillissent, elles tanguent et se stabilisent. J’acquiesce :— Oui j’y repense. Mais si tu veux tout savoir, miss, avant que tu me mettes à l’eau, je repensais plutôt à notre dernière soirée commune à Paris !— En boîte ?— Ouais. Là-bas même !— Et qu’est-ce qu’il y a eu de si extraordinaire pour que tu y repenses ?— La musique ! fis-je feignant l’imbécillité parfaite.— Ah ouais ? Et d’ailleurs à propos je peux savoir pourquoi tu m’as accompagnée dans les toilettes ? Si la musique te plaisait tant, t’aurais pu rester en piste !— La musique ! Trop, trop bien, marmonnais-je à demi-voix.— Fais pas l’innocente avec moi Mélie !— Ben j’aimais bien ton maquillage.Elle tapote l’eau juste sous mon menton pour m’envoyer une vaguelette en plein visage.— Et ma chemise ? Tu l’aimais bien ?— J’ai arraché des boutons en tirant d’ssus. Je l’aime mieux ouverte.— Si Jonathan n’était pas arrivé quand on était dans les toilettes, tu m’aurais violée ?— Possible…Elle s’esclaffe. J’adore son rire. Il démarre en première, fait exploser le compte-tours et s’arrête en sixième (voiture de luxe. Papa a fait sa deuxième fille comme sa Jaguar). Elle cale toujours. J’aime aussi la façon qu’elle a d’employer des mots des tribunaux pour parler de ce que je lui fais, lui ai fais, lui ferais ou aurais pu lui faire. « Reprise de justesse, délit de sale gueule, viol, vol à main armée, viol à main armée ». Quoique ce dernier n’a jamais eu lieu. À main tremblante, à main mouillée, à bouche que veux-tu ou même à cœur qui cogne, mais jamais, Ô grand jamais à main armée ! J’enchaîne :— Enfin bon, les toilettes faisaient à vu d’œil trois mètres carrés, ça aurait été difficile. On prend de la place.— Dis que je suis grosse !— Je dis que tu prends de la place !— Debout ?— En fait, je ne t’aurais pas violée. J’avais le corps qui vibrait, les yeux explosés et environ quatre grammes. J’aurais tremblé. J’étais impuissante. Incapable de bander. Je t’ai agrippée et attirée à moi pour sentir un peu de chaleur humaine, je crois que j’avais peur au milieu d’autant de monde.Je ricane. Elle s’indigne :— Et ta tentative de m’emballer ? C’était pour la chaleur humaine ?— C’était parce que t’avais vidé mon verre, je voulais reprendre ce que j’avais payé. J’ai passé l’âge de me faire arnaquer. Et crois-moi j’aurais été le chercher loin, le contenu du verre !— Loin comment ?— Loin comme aussi loin que peut descendre ma langue et plus encore !— T’es crade !— Je sais que t’aimes ça.Nouvelle vague en pleine face. J’avale de l’eau par le nez, toussote et éternue.— Je n’avais pas vu les choses comme ça.— Par contre, le lendemain matin, quand on était assise dans le canapé en train de comater… là j’aurais pu te violer.— Ça fait plaisir, dit-elle sur un ton très déçu. Je me fais belle, trois tonnes de maquillage, superbe chemise et tout, douche, shampooing, après-shampooing et tu me veux dégueulasse, gluante et décousue le lendemain matin !— Je t’aime pas quand t’es esthétique ! Je te préfère naturelle le matin au réveil ou après incendie. Ou pourquoi pas après noyade, avec les cheveux mouillés, le maquillage détrempé et la peau fripée. Mais bon, de toute façon, le samedi matin t’étais incendie et noyade réunis.— C’était le blanc à lèvres qui t’excitait ?— Comment t’as deviné ?— Je te voyais. J’avais beau être fortement alcoolisée, endormie, je te voyais me lorgner du coin de l’œil.— Pourquoi tu continuais à faire canapé commun si ça t’ennuyait tant que ça ?— La flemme de monter. Et toi ? Pourquoi tu dégageais pas si tu pouvais pas résister ?— Je pouvais pas me passer du mascara collé sur tes joues et de ton haleine de lendemain de fête !Elle rit. Raz-de-marée sur le visage. Je remplis ma bouche d’eau et lui souffle à la figure.— On a dormi jusqu’à quinze heures, non ? Quand on s’est réveillées, t’avais encore envie ?— Je t’ai pas regardée. J’ai couru dans la douche pour me rafraîchir, j’avais encore deux grammes. Tu ne m’intéressais pas.— Sœur indigne.— Bon, fis-je d’un ton bourru, si, tu m’intéressais encore, mais pas de cette façon-là !— Hum, hum, intéressant. De quelle façon alors ?Un nuage passa devant le soleil. Seul moutonnement gris dans le ciel bleu azur.— Ben moins violemment, je t’aurais juste fait des câlins…— Sinon tu m’aurais pas fait de câlins ?! T’aurais fait quoi ?— Je t’aurais déchiquetée, fis-je avec un clin d’œil.— Tu n’as pas répondu à la question ?— Mais si ! Je te dis que je t’aurais déchiquetée, tu m’agaces !— Pas cette question-là, l’autre !Je refis l’historique de la conversation, parcourant les dialogues en sens inverse. Mais je ne voyais pas.— Laquelle ?— Celle du début. Tu y penses encore au jeudi matin ?— Je t’ai dit oui ! Et puis avec tout ce que tu poses comme questions sur notre soirée à la boîte et tout ça, tu peux être sûre que j’y repense !— Et ça te fait quoi ?Elle regardait le fond du jardin qui descendait en pente douce jusqu’à une forêt de pins qui donnait sur une crique rocheuse. Le regard dans le vide je réponds :Voilà, c’était dit. Trois mois de silence absolu sur le sujet tragi-comique, le sujet de société tabou où il est question de sœurs incestueuses. Je répondrai aux amateurs de scandales et aux détracteurs du plaisir physique que ma sœur est la même que moi et je ne vois pas où est le mal de faire l’amour avec soi-même ! Puff, les détracteurs critiquent sûrement la masturbation. Bien sûr, le seul but du sexe est la procréation. En chemise de nuit en dentelle, madame doit se donner le soir venu avec la lumière éteinte. À coup sûr en janvier pour espérer que naisse le petit ange en septembre. Pas de sexe avant le mariage (maman si tu m’entends). Ma fille tu épouseras un homme, mon fils tu trouveras une jolie femme. Bien sûr, les détracteurs du sexe pensent chambre de la maison familiale (Neuilly à côté de chez les voisins Familles de France dont les six enfants sont scouts) avant de penser toile de tente. Pensent cheveux attachés et douche prénuptiale avant de penser corps en sueur et chocolat sur les doigts. Pensent ovules et spermatozoïdes, oui Madame vous avez le droit de faire du sexe en chambre, mais pas de sexe en pantalon, vous avez le droit de murmurer le prénom de votre époux pendant le coït, mais l’orgasme est interdit. Sexe biologique. Sexe mécanique. Ne criez pas tout ira bien !Bon, trois mois sans un seul flash-back. Et maintenant je lui avoue que ça m’excite. Elle regarde toujours le fond du jardin. Ses cheveux bruns collent sur ses tempes mouillées. Son ventre nu dispute à sa poitrine le droit d’être couvert par le tee-shirt. Elle revient triturer mon bras. Elle fait bien attention à ne pas planter ses ongles blancs dans ma chair moelleuse. Je donnerais tout ce que je possède pour savoir le fond de sa pensée. Ma voiture, mon tee-shirt, la somme d’argent nécessaire s’il le faut ! Je demanderai l’appoint à papa « c’est pour Garance, je veux savoir si je l’excite aussi ». Je lui demande :— Et toi t’y repenses ?— Ouais, râle-t-elle en mâchonnant un chewing-gum imaginaire.— Et ça te fait quoi ?À la vue de son expression concentrée et de son visage crispé, j’attends une réponse élaborée dans le genre philosophie Garancienne. Elle lève les yeux au ciel (puff, banalité !).Ah.—oooOooo—Bon, y a pas à dire, la piscine c’est cool. Ça évite d’exploser nos précieux pieds sur le chemin qui mène à la plage. Ça évite d’avoir du sable entre les orteils et d’en mettre plein la baignoire. Ça évite de faire copine-copine avec une méduse.Mais la piscine assagit les âmes. On traîne jusqu’à vingt heures dans l’eau tiède en parlant art, culture, éducation. L’influence du gouvernement sur les spécificités régionales et l’utilisation du pigment pourpre dans les œuvres de Monsieur Untel. Bien entendu. On se ferait bien apporter un rafraîchissement par sa sœurette. Mais la sœurette en question veut que les rôles soient inversés et on meurt de soif. Elle meurt en premier parce qu’elle a encore plus soif que moi et je vais la chercher au fond.La piscine excite les foules. On bataille, on se blesse avec le matelas pneumatique (avez-vous remarqué comme les soudures entre les parties supérieure et inférieure piquent ?) on s’agrippe les cheveux, on se lance le ballon jaune en plein visage pour que nos joues soient rouges. Les cuisses se heurtent, les mains s’emmêlent et le brasier naît au creux du ventre.La piscine enflamme les ventres. Le sang est bouillant, il fait un tour, une main se pose sur le ventre nu, il se glace et refait un tour plus doucement. La paroi abdominale palpite, les cuisses se tendent. L’esprit divague sur mille et une façons de copuler avec sa sœur… mais la piscine affame et fatigue.Et il est vingt heures et beaucoup de minutes quand on décide d’en sortir. Le ciel s’est couvert. L’atmosphère pèse plus lourd. La lumière aveuglante devient ombre pesante. L’orage est aux portes de la Corse. Les corps sèchent. Et les nanas rentrent dans la salle à manger / cuisine. Un mélange d’attraction venue d’ailleurs et de banals besoins bestiaux attirent, mais aussitôt repoussent les jumelles.Bon Jovi. It’s my life.Garance a dû pousser l’amplificateur de la chaîne hi-fi dans ses derniers retranchements. Penchée au-dessus du plan de travail, je débite rapidement un concombre et quelques tomates en tranches fines. Ma sœur sur la musique, virevolte en rythme autour de moi, m’apportant l’huile d’olive et le poivre. Le saladier se colore de rouge et de vert, j’adjoins la touche de jaune avec un poivron tranché en lamelles. Mes mains tremblotent et mon ventre cogne. Je manque d’entailler mes doigts à chaque posé de couteau. Ma sœur sort deux verres du placard et court dans le salon pour nous ramener une bouteille de whisky. La meilleure marque de mon père. Sacrilège dirait-il de le boire dans des verres de cuisine et non issus du buffet des grandes occasions. Garance en verse deux larges portions en continuant de danser comme une folle. Pour chasser les démons ? Pour m’exorciser à distance ? Je remue la salade de légumes et pose en son sein des tranches de mozzarella de façon à ce qu’elles baignent dans l’huile. Alors que ma brunette de sœur s’approche pour me tendre le verre, elle ne peut s’empêcher de coller son bas-ventre contre mes fesses. J’ai parfois envie dans ces instants-là de me retourner et de lui asséner une méchante gifle pour qu’elle évite à tout prix de me lancer sur cette piste-là. L’excitation latente cette fois me fait tressaillir et je me retourne, les mains pleines d’huile, bien décidée à lui assener le coup de grâce. Je plaque mes mains sur ses deux joues et la fixe dans les yeux, elle soutient mon regard, amusée, et je bougonne sur un ton badin :— On fait à bouffer espèce de petite garce, on est pas au saloon. Laisse-moi travailler tranquille. Va-t’en jouer dans le jardin sinon on ne mangera jamais !Elle tire la langue et se dégage de ma prise.— Tu viens de me graisser les joues avec ta foutue huile !— Va prendre une douche, ça te calmera.— Je suis très calme, répète-t-elle trois fois sur un air d’opérette.Et de s’en aller le verre à la main. J’avale la moitié du mien d’un trait. Mes yeux s’emplissent de larmes, ma gorge me brûle. Je sens l’alcool enflammer mon œsophage. Du fond de la gorge au haut de l’estomac. La tête va me tourner. Pourquoi l’excitation apparaît aujourd’hui ? Nous étions seules hier soir aussi, nous avons mangé dans la même maison, nous avons batifolé dans la même piscine sans une once de désir. J’ai simplement pensé à notre soirée en boîte de nuit, j’ai évoqué cette dernière à ma sœur. On a vaguement parlé de notre jeudi. Et à l’unisson, le désir s’en est suivi. Enfin…, je suppose qu’il s’en est suivi chez ma sœur. Chez moi il est là. Immense, dressé, tendu et trop abandonné. Chez elle ? À voir ses gestes nerveux et son empressement… Immense, dressé, tendu… À croire que notre unité chromosomique fait notre unité sexuelle. Pourtant, je n’ai pas eu d’orgasme quand ma sœur se faisait sauter par Ludovic dans sa chambre universitaire. Merde ! Peut-être qu’elle n’en a pas eu ?! Panique à bord. Je crie :— Gaga, viens voir par ici ?Elle accourt ventre à terre, les yeux embués par le whisky.— Dis donc, quand tu as fait l’amour avec Ludo, t’as eu un orgasme ?Alle me fixe, les yeux ronds. La bouche entrouverte. Incrédule.— Pourquoi ? (avec une voix qui traîne).— Je me demandais ?— C’est la salade de tomates qui te fait ça ? C’était il y a cinq mois. Tu crois que je m’en souviens !— Oui.— Non.— Si. Tu y repenses chaque soir et chaque matin. Ne dis pas le contraire !— Non.— Si.— Bon d’accord. Oui je m’en souviens. Putain. Son petit lit là… son ventre… ses…— Ga ! Je te demande pas l’historique ! Juste si t’as eu un orgasme !— Oh, bon ça va ! Non ! Pas la première fois, j’ai eu mal !— Et la deuxième ? Si je me souviens bien de ton récit haletant et troublé, la nuit a été longue…— T’appelles ça longue toi ? Deux fois ?! Oui la deuxième fois j’ai eu un semblant d’orgasme ouais. Bon, tu te décides à me dire pourquoi ?— Je pensais que notre gémellité faisait que quand tu jouissais, je jouissais aussi ! fis-je avec un sourire.— Ben à toi de voir si tu jouis le soir, le matin quand tu ne fais rien de spécial. Hé hé !— Madame orgasme souvent à ce que je vois. Tout du moins, plus souvent toute seule qu’accompagnée.— Accompagnée j’ai orgasmé avec toi et avec Ludo la deuxième fois je crois. Et sinon je suis bien obligée d’orgasmer toute seule !— Tss…— À toi de voir si quand on était sur mon lit on a rendu les armes en même temps ! Et quand on était dans ta chambre, était-ce simultané ?Elle sourit. Et je déclare tristement :— Non, malheureusement je ne crois pas.— Pourquoi malheureusement ?— Ben tu sais bien que mon rêve le plus doux est celui d’atteindre le septième ciel en même temps que toi !Le ton était celui de la plaisanterie, mais c’était la vérité. Quoi de plus attrayant que de savoir que l’autre ressent à peu près la même chose en direct et en simultanée ? Nouveau plongeon dans la conversation glissante. J’achève la salade et emporte le saladier d’une main et le verre d’alcool de l’autre. Une fois assise devant la table j’avale le fond de Scotch. Gaga se jette sur la bouteille pour me resservir. Je pose ma main à plat sur le verre pour modérer le geste. À croire qu’elle veut saouler sa sœur. Soudain ça me tenterait bien. J’ôte ma main. Il fait presque noir. Le ciel s’est tapissé d’ombres gigantesques qui roulent, menaçantes et gorgées d’eau. Ma sœur à peur de l’orage. Elle me regarde anxieuse :— Ça va craquer ?— Probablement. C’est un joli accueil pour notre deuxième nuit.— J’te préviens Mélie, s’il y a du tonnerre je viens dormir avec toi !Et s’il n’y a pas de tonnerre ? pensais-je.J’approche son assiette et dépose tomates, poivrons et fromage italien au fond. J’observe son profil, en contre-jour parfait devant la baie vitrée. Son nez droit avec ses ailes dilatées, ses sourcils durs. Sa bouche, petite proéminence rosée et vallonnée sur peau légèrement bronzée. Voilà qu’elle entrouvre ses lèvres. Elles se décollent l’une de l’autre avec ce petit mouvement de peau qui colle d’abord tout en se tendant, se détache et qui finit par revenir à sa place. Bruissement imperceptible de moins d’une seconde, mais horriblement excitant. Elle porte sa fourchette à sa bouche et le poivron jaune disparaît. La fourchette s’éloigne, luisant d’infimes traces de salive et ses joues s’affairent. Elle mange ! Voilà qu’elle mange ! Je laisse échapper un « aah » d’extase. Elle me regarde et abandonne toute tentative de me comprendre. La chaîne stéréo joue Indochine : l’Aventurier. Garance valse des épaules et mon pied bat le tempo. Je mange. Elle mange. Nous regardons l’écran plat, une série américaine. Une fille en robe rouge courte s’amourache d’un garçon blond qui traîne les pieds. Je reluque Garance du coin de l’œil. La salade s’en va vers d’autres horizons et je file vers la cuisine. Il faut qu’elle mange des cerises. L’épisode d’engloutissement du poivron me portait vers de telles hauteurs que je n’ose imaginer la sensation que me procurerait l’avalement d’une cerise. Garance regarde le saladier. Boules rouges, queues vertes. Elle s’amuse, se délecte de cette phrase. Dans un élan sublime, elle porte un fruit à sa bouche. Ses incisives fendent l’aliment qui répand son mortel venin sur les collines roses pentues que forment ses lèvres. Ses doigts (index et pouce) se mêlent au jeu dans un délicat mélange de lèvres, de dents, de jus de cerise, de bouillie de fruit et de doigts humides. Mon ventre explose. Une ligne de tir en profondeur qui partirait du pubis pour remonter au nombril.La phrase claque dans l’air. Les doigts de Garance s’en allant larguer une cerise en bouche suspendent leur vol. Battement de cils. Halètements. Ils reprennent leur voyage et la cerise tombe. Parole humide :— Toi aussi. Depuis la piscine.Ma chaise crisse sur le carrelage quand je la recule. Indochine se tait. Le Cd est fini. J’enchaîne :Elle met pied à terre et se dresse entre la chaise et la table. J’attaque. Elle se retourne pour poser ses fesses sur l’extrême bord de la table. Je plane. Je saute. Mes mains saisissent ses flancs. Là où le tee-shirt s’arrête. Mes doigts électrisent sa peau. Ma poitrine se colle contre la sienne. Elle sent le chlore, le parfum, la cerise, la sueur et d’autres choses plus dramatiques encore. Elle sent l’envie, l’extase, le désir brûlant. Sa peau est braises portées au blanc. Nos poitrines s’unissent. Nos visages se font face. Et je la pousse. Ses fesses glissent vers l’arrière et elle tombe à demi plat dos sur la table. Les assiettes s’entrechoquent, les verres chutent. Mes cuisses entourent ses cuisses, j’abats mon bas-ventre contre le sien. Garance sous Amélie. Position du Kama-Sutra. Je pèse de tout mon poids pour la renverser définitivement contre la table. Elle s’affaisse à plat dos sur le bois. Ses pieds quittent le sol. Je m’allonge comme je peux sur sa poitrine. Mes mains lâchent ses flancs. Je pose mes paumes sur le plat de la table et glisse en avant. Le saladier vide chute et se brise. Celui qui contient les cerises chavire et elles se répandent sous mes doigts. Tout ceci en l’espace de quatre secondes sublimes. Mes lèvres se collent à celles qui mangeaient si sensuellement. Je retrouve leur goût, leur putain de chaleur. C’est atroce. Je mordille. J’agonise. Cerise et salive. Je me régale, je m’abreuve, je m’enivre. Une épée ou plutôt un sabre laser avec les batteries chargées à bloc s’enfonce dans ma chair. Garance m’embrasse. J’embrasse Garance. Nos lèvres se serrent, se refusent et se donnent, s’abandonnent et fusent les unes vers les autres. Nos langues fourmillent. Je la visite, je la travaille, je la fourbis, je l’astique, je la racle. Trois mois. Et ce souvenir si lointain d’un baiser. Mes mains se glissent sous le tee-shirt. Sa poitrine est nue en dessous. Mes doigts agrippent, malaxent, travaillent, creusent, caressent, anéantissent. J’excite ses tétons durcis, je pince, je vrille, je blesse. Elle frétille sous moi. Et j’appuie de tout mon être. Je voudrais peser plus lourd encore pour l’étouffer. La capturer. La tuer là. Tout de suite. Mes mains redescendent, quittent le tee-shirt et glissent entre le haut du pantalon et le tissu de la culotte. Je tire, j’arrache. Je pousse Garance du bas-ventre pour la faire s’allonger encore plus à plat sur la table. La bouteille de whisky s’arrête au bord du gouffre. Je l’attrape, je dévisse le bouchon et je libère la bouche de ma sœur. On boit. De larges lampées. Et la bouteille tombe sans se casser. Garance occupe toute la table et je me hisse sur elle. À califourchon sur ce corps brûlant. Mes mains passent entre le tissu de la culotte et ses fesses. Je cherche la ligne creuse qui sépare ses deux petites vallées de chair. Mes doigts frétillent. Mes doigts collent, accrochent et avancent encore. Mes doigts visitent doucement et légèrement un petit puits étrange. Et mes mains changent de côté pour travailler ma sœur de face. Ses poils durs. Ses poils mouillés. Un flot d’envie me fait glisser en elle sans un effort. Elle m’engloutit passivement. Mon index et mon majeur s’en vont. C’est étrange le chemin qu’ils parcourent. C’est étroit et soudain totalement offert. C’est doux et liquide. C’est dur et puis plus dur encore. Garance je veux te visiter. Les corps reprennent leurs souffles. Volent le souffle de l’autre tellement les bouches sont proches. Les yeux de Garance sont fermés lorsque j’ouvre les miens. Et ils apparaissent soudain, bleus, totalement bleus. Et nos langues s’emmêlent encore alors qu’ils sont toujours ouverts. On cherche une trace de plaisir dans l’autre, on cherche un peu de réalité dans un regard déjà lointain. Et on referme les paupières. Mes cuisses me brûlent, mélange de mauvaise posture et d’excitation à son paroxysme. Je veux jouir. Mais à une condition. Qu’elle me serre à se glisser en moi et que je puisse hurler son prénom pour qu’on m’entende jusqu’à la lune. Trop difficile à obtenir cette condition ! Alors je ne jouis pas. Je souffre en silence. Sa langue rend les armes et j’attaque son palais. Je voudrais me glisser dans sa gorge et descendre au plus profond de ses entrailles. La connaître de l’intérieur. Manger sa chair palpitante. Mes paupières se soulèvent sous le poids des larmes qui coulent. Ma pensée jouit des souvenirs de nos corps sous la couette de ma sœur. Je veux retrouver cette chaleur avant de laisser mon corps mourir. Je soulève ce corps de jeune fille et chute à terre. Garance s’assoit au bord de la table. J’ai le cœur qui cavalcade à six cents à l’heure. Elle panique, tend ses mains vers mon visage. Je les prends et embrasse ses doigts.— Ça va ma puce, mais la table m’est inconfortable, lui dis-je.— T’avais qu’à te reposer sur moi. Je m’en foutais. Je veux encore !Et le téléphone sonne. Nos regards se croisent. Je lâche ses mains. Je marche jusqu’au fauteuil du salon. Il est posé là. « Maison Paris ».Voilà que le vaisseau-mère s’inquiète du vaisseau-deux filles en manque. Je décroche le souffle court. Bonjour maman ! Ça va ? Oui ? Le temps ? Beau. On va avoir de l’orage. Oui ma sœur va avoir peur ! Tu te souviens qu’elle a peur ! C’est bien maman. Pas trop ennuyées ? Non j’ai fait du shopping et on a fait de la piscine ? Bien mangé ? Oui une salade ? Le régime ? Non maman, ce sont les vacances ! Ce soir ? Faire quoi ?! Du sexe bien sûr, d’ailleurs j’ai une forte envie de m’envoyer balader au ciel là. Ma sœur va m’aider elle sait bien s’y prendre. J’ai le ventre qui pétille. Et puis putain, sa bouche est trop classe. Un vrai luxe. J’y suis si bien. Faire quoi ce soir ? Ben rien de spécial, on va mater la télé ! Mater ? À pardon ! On va regarder la télé ! Me laisser ? Non, non tu me dérangeais pas ! Mais je vais débarrasser la table alors oui, à plus tard maman ! Merci d’avoir appelé ! Tut… tut… tutEt ma sœur de revenir à la charge. Cavalerie dans le salon, elle m’explose à la figure et s’épanche de mille larmes :— Je t’aime Mélie. Je t’aime Mélie. Je t’aime ma chérie d’amour. Je t’aime.Le cœur battait moins fort depuis maman, mais là il recommence.— Oui moi aussi je t’aime ma Gaga.— Bisou ! Fais-moi des bisous !J’embrasse son front, ses oreilles. Je glisse la pointe de ma langue à l’intérieur. J’embrasse la terminaison de ses cheveux sur ses tempes humides. Et je mordille son nez. Un ange passe, mais la raison s’élève contre la passion. Elle décrète :— On ne peut pas faire ça ! On a fait ça une fois, mais c’était un accident, ou un test, ou je ne sais pas quoi ! On ne doit pas prendre goût à ça !— Mais c’est trop bon Gaga !— Mais oui, mais on ne doit pas ! C’est ignoble !— La dernière fois, c’était toi qui voulais et moi qui hésitais et là…— Mais oui, mais la dernière fois c’était un gros trip. Maintenant on en veut encore, c’est mal !— Mais personne n’en sait rien ! Et puis ça nous plaît !— Mais oui ça nous plaît, mais on est sœurs bordel !Elle se retourne et déclare :— Je vais nettoyer le boxon et ensuite je vais me coucher. Je suis vannée.— T’es pas excitée ? Rien du tout ? Moi j’ai le ventre en feu, dis-je d’un ton déçu et suppliant.— Tu n’auras qu’à te toucher !Je reste coite. Incrédule. Elle m’abandonne. Elle me dit il y a cinq minutes que « moi aussi je l’excite » et Madame abandonne sans rien obtenir. Tout d’un coup, je suis prise d’un doute. Et si elle avait orgasmé ? J’ose :— T’es rassasiée en fait ? T’as eu un orgasme pendant qu’on jouait ?— Non. Mais je ne peux pas en avoir un avec les doigts de ma sœur. C’est tout.Et de partir dans la salle à manger nettoyer les restes de notre bataille. Je reste sur le fauteuil avec des vestiges de larmes qui finissent de sécher au milieu des joues. Mes cuisses et mon ventre sont hantés par un fantôme insatisfait qui lacère l’espace qu’il occupe de ses griffes. Je me lève hagarde, morte-vivante en salon, je passe dans le couloir et farfouille dans mon sac à main pour y trouver mon paquet de clopes. Réservé aux cas d’urgence ! Je sors sur la terrasse et comble mon corps à présent inutile de la fumée divine de la cigarette. Je la maudis. Je la haïs. Je revois son visage collant barré d’une mèche de cheveux noirs. Mon ventre se tait progressivement, à croire que la cigarette calme l’ardeur. Je tire la baie vitrée et rentre dans la maison. La table est débarrassée. Les assiettes sont dans l’évier. Le sol est à nouveau propre. Je gravis l’escalier en pleurant.—oooOooo—J’ai honte. Je n’arrive pas à expliquer pourquoi. Certainement, car je sais au fond de moi que ça ne peut mener à rien. On baise, mais c’est tout. On ne sera jamais que des sœurs. C’est l’ange qui parle ainsi. Le démon m’explique différemment : « quand tu sors avec un mec, tu ne penses pas forcément au mariage ni à ce que sera la vie dans deux semaines ! Tu prends ton pied ! Avec elle, c’est pareil ! »Sauf qu’avec elle on remet ça au goût du jour souvent. Le jeudi matin, le soir en boîte et ce soir-ci. Je n’ai pas pris de douche. Je me couche nue. Je sens le chlore de la piscine. Je ne me lave même pas les dents. J’ai le moral trop faible. Il fait une chaleur collante dans ma chambre au premier étage. Les volets en bois blanc sont tirés. Dehors la nuit est presque complètement tombée. Et la pluie fait son apparition. D’abord des grosses gouttes qui pleuvent de façon disparate. Puis le flot devient continu. Un éclair zèbre le ciel et l’ambiance de la chambre devient violette psychédélique quelques instants. Je repasse le film de la soirée. Un film en trois dimensions avec les odeurs, les textures et les sensations. Sa bouche, son cou. Son ventre doux et dur. Déplacement des troupes au cœur du mien. J’allume une cigarette au lit. La règle morale veut que je fume dehors. Passons. Ma main gauche court à ma perte. Je titille mon sexe. Quelques effleurements. Le drap léger, blanc cassé, m’entoure et chatouille ma peau délicieusement. J’enfonce la première phalange de mon index. J’évite le clitoris. Je simule une griffure et ma gorge se noue. J’ai envie de me faire mal. Après tout, Garance n’avait qu’à m’être tendre et elle m’a été garce. Ma main cherche la poignée du meuble bas qui borde mon lit. J’ouvre le premier tiroir à l’aveugle à la recherche d’un objet qui me ferait mal. Il n’y a rien à portée de main. Mes larmes rejaillissent. Tout s’oppose à moi ce soir. J’hésite à me lever pour dénicher quelque chose, mais abandonne très vite. S’il faut que je me fasse mal, je le ferais toute seule. J’immisce trois doigts dans mon sexe palpitant. Et je me viole encore. Ça fait mal, c’est minable. J’ai l’air de quoi. S’il n’y avait pas la pluie et les explosions de tonnerre, j’entendrais un bruit humide en provenance de mes cuisses. J’étire les jambes, je joins les talons et exerce une pression l’un contre l’autre pour tendre encore plus les muscles de mes jambes. Garance me disait « Tu n’auras qu’à te toucher ! » et bien c’est fait !! T’es contente espèce de petite salope. Des vaguelettes de plaisir affluent sur le rivage brûlant de mon bas-ventre, Garance en images à l’antenne. Je l’imagine manger, je l’imagine jouissant sous un garçon inconnu. Je l’imagine dans la douche arrosant son sexe avec le jet d’eau tiède.Tourmentée à en connaître l’extase psychologique, je m’assois finalement au bord du lit. La fenêtre derrière les volets en bois clos semble vibrer à s’en rompre à chaque nouveau fracas du tonnerre. Je suis une petite fille dégoulinante qui voudrait bien se sentir partir. Et ma sœur frappe à la porte. Mon cœur éclate. Je m’allonge, ajuste le drap et fais mine de somnoler. D’une voix pâteuse :La porte s’ouvre et elle apparaît dans la lumière d’un éclair. Un vent de panique souffle dans ma direction. J’allume la lampe de la table de chevet. Elle est en chemise de nuit violette. Elle s’approche et demande à mi-voix :— J’ai peur de l’orage. Tu veux me renvoyer dans ma chambre ? On s’est fâché c’est nul.Imparable sa phrase « tu veux me renvoyer… ». Non bien entendu.Elle esquisse un sourire, je crois, et approche à petits pas. Elle s’allonge à plat dos au-dessus du drap juste près de moi et soupire avec émotion :— Trop chiant l’orage. On dirait qu’il ne va pas s’arrêter. Je flippe comme une folle.— Maintenant avec moi, tu n’auras plus peur.Je pose ma main sur son bras. L’orage détonne encore.— Tu viens de fumer ?— T’as gardé un bon odorat malgré le whisky toi, dis donc !Elle se tourne vers moi, nos visages se font face. Elle rétorque :— Le whisky me fait dérailler.Son bras gauche s’enroule autour de moi par-dessus le drap. Je lui murmure :— Viens sous le drap avec moi.Elle s’agite et s’enfonce sous le tissu. Ses cuisses nues heurtent les miennes. Elle tire l’étoffe par-dessus nos corps et nos têtes. J’interviens :— Tu veux qu’on crève de chaud ma puce ? Laisse-nous respirer ! Tu sens bon. Tu t’es douchée ?— Quand tu faisais ta crise d’adolescence en terrasse.— Je ne…— Chut ! Tu crisais, ne dis pas le contraire !— J’avais envie de…Elle enroule ses bras autour de mon corps et m’attire. Ses lèvres happent ma bouche et elle m’embrasse quelques instants.— De ça ?— De ça.Un nouveau baiser m’arrive. Il s’attarde, s’éternise. Je m’habitue à la présence de sa langue. Je cohabite. On respire comme on peut. On s’échange sûrement quelques litres de salive, des kilos de germes, des zestes de cerises en provenance de ma bouche. Et c’est bon. Mes larmes jaillissent encore. Je caresse son visage lorsqu’elle cesse son baiser. Une caresse tendre et aimante. Je parle d’elle, de son absence depuis l’épisode du fauteuil. Je lui explique mon ventre qui grogne. Je lui raconte comme j’ai envie de m’extasier d’elle. Je lui explique le dard brûlant et la violence de mes doigts. Je lui explique ce que ça fait de se toucher lorsqu’on veut que ce soit elle qui le fasse. Et elle me fait taire en m’embrassant. Petits coups de langue sur mes lèvres. Elle occupe mes narines et mes joues. Elle lape mes paupières. Je respire ses cheveux noirs. C’est bon et délicat. C’est difficile et tragique. Je me dégage de son emprise et me hisse sur elle. Mon ventre se pose sur le sien. Nos seins se parlent. Je mordille son cou et emprisonne sa carotide battante. L’empreinte de mes incisives s’imprime sur sa peau.C’est officiel. J’ai atteint le stade de non-retour. J’ai envie de m’accoupler avec elle. Je glisse à son oreille :— On peut se reproduire toutes les deux ?— On peut essayer pour voir si ça marche.— Ouchh.J’entame le déshabillage. Sa chemise de nuit passe le cap des épaules et s’en va. Je dévore à la bouche sa poitrine lourde. Je lèche son ventre et son nombril. J’agace sa cicatrice. Nos cuisses glissent l’une sur l’autre. On étudie la physique des corps, la dynamique des fluides. Comment occuper l’espace d’un autre être. Je pose mon genou sur son sexe. Elle halète. On inverse la posture dans un mouvement harmonieux. Elle s’allonge au-dessus de moi. Ses cheveux pendent devant son visage. Nos bouches collent l’une à l’autre, des traces humides se forment sur nos joues et nos mentons. Et ma main de grimper dans l’abîme.— Descends ! lui murmuré-je.Elle se laisse tomber complètement sur moi et s’empale sur trois doigts inclinés à la perfection. Je glisse en elle et entame une banale chorégraphie de doigts. Petites lèvres, clitoris. Autres endroits. Partout où coule quelque chose de chaud et de visqueux. Elle m’embrasse éperdument. J’ai le cœur qui perd le rythme. Je pose mes jambes par-dessus les siennes. Nos mollets se touchent. Je l’enserre dans cet arc de cercle. Nos bas-ventres se touchent, seulement séparés par ma main qui s’agite en elle. La sienne galope vers mon entre-jambes. Son index s’insère en moi. Un râle de plaisir s’échappe de ma gorge. Ma langue s’enfonce plus profondément encore dans sa bouche. Je voudrais pénétrer sa gorge. J’ai honte de n’avoir que ma main à lui offrir. Je lui explique la situation et elle anticipe. On se retourne encore et je viens dévorer son sexe avec les dents. Ma langue tâte et caresse son clitoris. Mon nez hume son odeur et mon visage s’imbibe de ses fluides. Mes mains saisissent ses fesses. Je l’attire plus fort contre ma bouche. Mes lèvres fusionnent avec sa chair muqueuse. Mon index prélève un impeccable fluide de glissement et force l’entrée de sa petite vallée fessière. Je triture cet endroit intime. J’assaille Garance partout où c’est possible. Mon majeur rejoint mon index au creux de son anus. Elle tressaute, prise de convulsions. Et elle émet des petits jappements inédits. J’abandonne le travail de ma bouche et la remplace par ma main.J’ai l’impression de jouir en même temps qu’elle cette fois. Par la force de ses doigts, par la texture veloutée et ardente de sa peau, par le goût de son corps liquide, par les sons de sa gorge et par l’immensité de l’attraction qu’elle exerce je m’offre un orgasme première classe. Il déchire et se tarit, puis renaît plus fort encore et ondule en moi. Comme un serpent à l’agonie qui se fraye un dernier chemin. Je crie. Oui ! je crie. Un « ahh » rauque et long. La seule chose que j’ai pu émettre. Et l’orgasme s’apaise, mais les doigts Garanciens continuent leur torture humiliante. Et je m’agrippe à elle, perdue et affolée, elle ne s’arrête pas. Et l’orgasme imminent revient en fanfare. Il me brise et m’abandonne et il revient encore lorsqu’elle mord ma lèvre inférieure jusqu’au sang. Et je m’en fous de ce qu’elle ressent. J’ai peut-être même arrêté de la masturber. Alors, je me concentre et je la triture avec tout ce qu’il me reste d’énergie. Elle se tord, semble s’enrouler autour de mes trois doigts plantés à la verticale dans son ventre. Je la défonce. Mon bras libre l’entoure par les épaules, sa tête se cale au creux de mon cou et elle expulse l’air de ses poumons contre la chair qui recouvre ma clavicule. Un air brûlant et humide. Elle hoquète et des spasmes la font se cabrer. On explose avec le tonnerre. On se décolle du matelas en un seul corps. Elle s’affaisse sur moi encore vibrante. Et je continue mollement de la tripoter. Ses cuisses se serrent. Et nos ventres se calment. Et elle reste échouée sur moi, le menton contre mon épaule. Elle pleure dans l’oreiller. Ses doigts restent en moi et les miens restent en elle. Son poignet ne bouge plus. Alors, j’agite le bassin et ils caressent encore mon clitoris trop douloureux. J’ajuste la position et m’excite encore un peu sur ses doigts figés en moi. Et tout est terminé. Nos mains sortent. Elle se glisse sur le flanc et on se fait face. Nos respirations sont rapides, syncopées. La sueur perle sur son front et elle est belle dans l’extase. Elle me complimente avec tout le désespoir qu’elle peut mettre dans sa voix :J’ai dû lui caresser le dos pendant quelques minutes. Le temps qu’on reprenne possession de nos moyens, que le vertige s’éloigne, que le tangage s’atténue. Sa main a entouré mes doigts et s’est calée contre ma paume. Amélie humide de Garance et Garance humide d’Amélie se sont endormies lovées l’une en l’autre.—oooOooo—L’aube allait apparaître dans quelques minutes lorsque je me suis réveillée. La lumière d’un soleil encore rosé filtrait à travers les fentes du volet. La douce chaleur qui régnait dans la pièce était renforcée par la tendre et humide tiédeur du corps de Garance collé au mien. Elle dormait. Je voyais les flans de son nez se soulever régulièrement. Ses lèvres étaient sèches en leur milieu, mais collées l’une à l’autre par une humidité gluante. Sa main reposait tout près de ma cuisse et je fis en sorte de me mouvoir pour la recouvrir. Elle était fraîche. N’y tenant plus je posai ma bouche contre la sienne. Imperceptiblement elle frémit. J’avale le souffle qui s’échappe de son nez. Ma lèvre supérieure se glisse entre les siennes qui se décollent finalement. Elle se débat et referme ses lèvres sur la mienne. Sans ouvrir les yeux, elle glisse sa langue vers mes incisives. Nos bouches s’emmêlent. Je la réveille par ce baiser. Sa main s’échappe de sous ma cuisse et vient épouser la forme de mon oreille et de ma joue. Son autre main me serre par la taille. Nos corps se meuvent dans un froissement de draps. Je l’enjambe et elle pousse un petit soupir entre l’envie et la colère douce d’être obligée de quitter le sommeil. Son haleine tiède et douce m’enivre d’arômes matinaux. Elle murmure :— Tu as bien dormi ?— Oui très. Toi aussi je pense, tu n’avais plus peur de l’orage n’est-ce pas ? J’ai envie de toi mon petit ange.J’embrasse la peau de son cou et celle sous le menton. Ma divine se livre passivement. Passons sur les baisers que l’on rejoue aussi fort aussi bien. Un avion de chasse perfore mon ventre et lance ses missiles quelque part contre mon utérus. Un orgasme comme une grande. Je le voudrais en pyjama, je la voudrais avec des tresses, je le voudrais en mangeant une glace à la vanille, je la voudrais endormie. Jouissance en silence en me collant à elle. Dernier tressautement avant de rendre l’antenne.Elveaparadise 2006 ©