Il faisait froid.Je relevai mon col.J’étais seul. Marchant dans cette ville inconnue dont la seule musique semblait être celle de mes propres pas dans l’écho de la nuit d’hiver. Au loin, quelques rires s’échappaient. Probablement un groupe d’amis qui s’amusaient, et qui, loin de me divertir, me renvoyaient à ma propre solitude.Besoin de chaleur.J’entrai alors dans un bar, et commandai un Jack. Double. On a beau critiquer l’alcool, c’est parfois votre seul compagnon. Mais tandis que je me lamentais intérieurement sur le sens de ma vie, je l’aperçus. Assise dans l’angle opposé de la pièce, et avec une étonnante discrétion, elle semblait me fixer du regard depuis un long moment déjà . Pourtant le fait que je la remarque n’avait pas l’air de la déranger. Sans ciller, elle m’observait de son regard profond. Son regard… Ses yeux, d’un bleu très riche, étaient pour ainsi dire la seule partie de son visage que je pouvais percevoir réellement. Comme hypnotisé, je ne pouvais me détacher de cette emprise et bientôt, d’un mouvement presque mécanique, presque involontaire, je m’approchai de sa table, sans avoir la moindre idée cependant de ce que je pourrais lui dire une fois y être parvenu. Ma venue ne semblait toujours pas la surprendre. Ni la gêner. Tout en m’approchant d’elle, je la jugeai à mon tour. Ses cheveux d’un noir parfait tombaient dru le long de ses joues et cachaient en partie la blancheur de son teint et la finesse de ses traits. Ses lèvres pâles et délicates tenaient elles aussi de la beauté froide et je m’étonnai à m’imaginer déjà déposer mes lèvres sur les siennes. Devant elle, se tenait un verre de vin. Je ne sais si le plus surprenant était la présence d’un alcool noble dans ce lieu, ou le fait qu’il fût servi dans un verre à pied du plus bel effet.— Pourrais-je vous offrir un coup à boire ?Ces mots avaient surgi de ma bouche trop vite pour que je pus les en empêcher, et pourtant, pour la première fois ses yeux s’éclairèrent. Elle était surprise par ce que je venais de dire. Mais plus que ma maladresse, c’est sa surprise qui semblait l’étonner. Comme si cette personne n’avait plus rien vécu de nouveau depuis un long moment déjà . Elle éclata en un rire froid, et pourtant on n’y notait aucune présence de moquerie, ni même cette trace de supériorité vaniteuse qu’ont les belles femmes qui ont l’habitude de se faire aborder. Non, ce rire bref mais non feint témoignait d’un véritable amusement, comme si je venais de dire une quelconque blague, et se démarquait surtout par son étrange absence… de vie. Loin de me rassurer, ce rire me mit mal à l’aise et pour la première fois, je détachai mes yeux de son regard, pour scruter alentour et jauger de mon ridicule dans ce lieu fréquenté. Mais personne ne nous regardait. Nous n’étions pas ignorés comme on peut habituellement l’être à la capitale, non. C’est comme si nous n’existions pas. Comme si nous étions déjà morts.À ces quelques mots, je me retournai vers la femme et ne découvris qu’une place vide. Une table vierge devant une chaise inoccupée. Je m’étonnai une dernière fois de cette rencontre. L’avais-je rêvée ? Mon esprit mélancolique m’envoyait-il des fantômes pour accompagner ma solitude ? Je préférais ne pas répondre et laisser à cette rencontre le parfum de mystère qui l’entourait. Je déposai un billet sur ma table et sortis de ce lieu pour retrouver la réconfortante solitude du froid hivernal.J’étais alors de nouveau dans les éléments qui, par la force des années, étaient devenus miens. La nuit. La solitude. Et ce temps glacé, qui s’insinuait jusque dans mon être pour y faire naître la mélancolie. Je quittais ce bar dans lequel j’avais voulu trouver un peu de chaleur, et dans lequel pourtant je n’avais rencontré qu’un tête-à -tête avec mes propres rêves. Pour la troisième fois de la journée je me promis de ne plus toucher à l’alcool.Depuis que j’étais sorti, dans les rues désertes, j’avais l’impression d’être suivi. Mais par qui ? À chaque fois que je me retournais, même brusquement, je ne voyais qu’un trottoir vide. Je commençais à m’inquiéter. Non pas à propos de l’identité du fantôme me poursuivant, mais quant à ma santé mentale…Des pas derrière moi. Je les entendais distinctement à présent. Mais je n’osais me retourner. Les pas se rapprochaient. Je ralentis, pas de ma propre volonté. Mes jambes m’obéissaient mal. Je m’arrêtai. Les pas stoppèrent également. Je sentais la présence derrière moi. Inquiétante et étrangement familière à la fois. Je réajustai mon chapeau, comme pour me donner du courage, habillai mon regard d’autant de dureté que je pus, avant de faire volte-face. À ce moment précis, une légère brise souffla vers moi, et je sentis contre le dos de ma main une légère caresse, comme déposée par les délicats doigts d’une femme. Mais la rue était une nouvelle fois déserte. Enfin, pas tout à fait déserte. Elle était habitée par un parfum. Ce parfum, je n’arrivais pas à l’identifier clairement, mais il me renvoyait à l’image de la femme rencontrée dans le bar.Je me rendis alors compte que je retenais mon souffle. En un soupir, je décontractai mes muscles raidis. Quel idiot je faisais ! Se sentir poursuivi par un fantôme ! C’était d’un ridicule. Un sourire se forma sur mon visage, me redonnant l’illusion d’assurance nécessaire pour repartir. Il fallait que je trouve rapidement un endroit où dormir, il semblait que j’étais trop fatigué ce soir. Mais alors que je reprenais mon chemin, mon sourire se figea. Mon pied se glaça en se posant sur le sol. Devant moi se tenait la femme. Elle était à plusieurs mètres, mais je savais que c’était elle. À demi tournée vers moi, elle esquissait un sourire joueur. Il y avait quelque chose de félin dans son rictus. Avec une grâce infinie, elle se dirigea vers une ruelle sombre. Ses cheveux qui flottaient doucement dans l’air froid, sa main qu’elle laissait traîner derrière elle, son sourire, son regard, tout en elle m’invitait à la suivre. Et même un peu plus. C’est comme si elle s’adressait à moi. J’entendais sa voix comme si elle résonnait directement en moi.Avais-je réellement le choix ?Je m’enfonçai à mon tour dans la sombre ruelle.Un pas après l’autre, j’avançai.Précautionneusement.De tout petits pas.Alors que mes yeux s’habituaient à l’obscurité, ce fut presque sans surprise que je pris conscience que la femme n’était pas là . Pourtant, cette fois-ci je le savais. Je n’avais pas rêvé. Ce fut pour cela que je continuai d’avancer. Un pas après l’autre, tout doucement. Dans la froide nuit de cette ville inconnue, je n’avais pas peur. Plus peur. Je m’avançais pourtant dans les ténèbres, entre les immondices, environné par un parfum d’ordures et de pourriture. Mais alors que je m’enfonçais dans ce néant, mon esprit était ailleurs. Le souffle court, le geste grave, j’avais l’impression de pénétrer un lieu sacré, l’impression de poser le pied dans une église et d’en parcourir la nef.C’est alors que je perçus un changement. C’était peut-être quelque chose dans l’air. Dans cet air sec qui me rendait extrêmement attentif, extrêmement éveillé. Ou alors était-ce en moi. Un imperceptible changement, mais qui signifiait tant.Elle est là .Derrière moi.Je m’arrête. Je reste interdit. Me détends. Ferme les yeux. Inspire profondément. L’odeur désagréable est partie, comme envolée, et à sa place, j’hume un délicieux parfum. Ce parfum, c’est celui de la nuit. Celui de l’éternité. Ce parfum c’est le parfum d’une caresse éthérée, le parfum de la promesse de volupté. Le parfum de la tristesse aussi, celui de la mélancolie. À présent elle est juste derrière mon dos. Je ne la vois pas mais je le sais.Je sens son souffle, qui se rapproche. Oui, cette femme se glisse doucement dans mon cou. Sans le toucher, mais je la sens, la sens respirer tout contre ma peau, derrière la nuque.C’est alors que ses doigts me touchent. Non pas directement, mais je sens une légère pression de sa main contre mon gant. Elle l’ôte délicatement, toujours en étant placée dans mon dos, sans un regard, sans une parole. Ma main est à présent nue, et je la sens qui, du bout du doigt effleure ma paume. Le contact est délicieux. La peau de la femme est étrangement froide, même pour cette nuit d’hiver, mais j’en ai à peine conscience. Tout mon esprit est concentré sur ce souffle dans mon cou, et sur ce doigt qui parcourt alors ma paume, sur l’ongle qui remonte lentement jusqu’à mon poignet. Alors elle pose ses lèvres sur moi. Elle dépose un léger baiser sur ma peau, comme on effleure un pétale de rose, puis m’embrasse de nouveau, plus passionnément cette fois, et accompagne son geste d’un mouvement de bassin, qui la colle tout contre moi.Je peux enfin la sentir. La sentir contre moi. Je sens sa poitrine généreuse se presser contre mon dos, je sens sa bouche qui n’en finit plus de m’embrasser dans le cou, le mordillant légèrement. Je sens ses mains qui se placent alors contre le haut de mes cuisses et remontent en appuyant fortement, frôlant ma virilité, qui durcit instantanément. Je sens ses mains qui, tels des reptiles se faufilant vers leur proie, se glissent sous mon manteau, se fraient un passage entre les pans de ma chemise, et viennent griffer mon torse. Elle laisse échapper un soupir lascif avant de m’embrasser encore sous l’oreille, à pleine bouche à présent. D’un geste impérial cependant, et avec vigueur, je la saisis par les poignets, et me dégage de son étreinte, avant de la rejeter d’un mouvement ample, pour aller la plaquer contre le mur proche.Nous nous faisons à présent face. Son visage est à quelques centimètres du mien, et je sens de nouveau son souffle, qui à présent vient mourir sur mes lèvres. Perdu dans son regard, je peux y lire sa surprise. De la surprise mais aussi de l’intérêt : elle aime le petit jeu auquel nous jouons. Peut-être même encore plus que moi. Je la sens prête à se jeter sur moi. À me dévorer entier. Pourtant, par défi peut-être, elle se retient. J’ai également envie de me jeter sur elle. Elle le sait. Elle peut le lire dans mes yeux. Elle s’approche. Encore. Encore un peu plus près, et ferme les yeux. Nos lèvres sont aussi proches qu’on puisse l’être sans se toucher. Je clos les yeux également, et me laisse aller. Qu’elle fasse de moi ce qu’elle veut. Je l’attends, je m’offre à elle. Mais je n’irai pas au-devant de son baiser. Pourtant, malgré mon attente, ce baiser n’arrive pas. Je sens sa langue qui vient lécher mes lèvres. Qui les goûte. Je les entrouvre, afin de m’unir à elle, mais elle retire sa langue. Et ne vient la reposer que lorsque je referme la bouche.Je sens sa main qui vient me caresser le torse, qui va se cacher dans mon dos, et qui descend, en dessinant des spirales contre ma peau. De ses baisers, elle accompagne cette descente, en m’embrassant sur la poitrine, s’attardant sur mes tétons, puis continuant vers mon ventre. Je n’ose y croire. Va-t-elle… ? Je préfère ne pas y penser, ayant trop peur qu’elle lise en moi, et que par jeu, elle ne s’arrête. Ses mains finissent leur périple sur mes fesses, et commencent à les pétrir, tandis que sa bouche arrive à la naissance de mon jean. Avec une dextérité incroyable, elle l’ouvre avec les dents, ce qui m’excite au plus au point. Avec ses mains, elle me déshabille, emportant avec elle mon boxer. Je me retrouve nu face à elle. Les yeux toujours clos, le sexe dressé comme jamais. Elle le lape du bout de la langue, et une onde de plaisir me parcourt l’échine, me dresse tout entier, et s’échappe par ma bouche en un soupir à peine contenu. Elle fait durer l’attente, ne m’effleurant du bout de la langue que pour maintenir la pression. Elle parcourt ma verge du bout des doigts, la caressant si subtilement qu’elle crée beaucoup plus de désir que de plaisir en moi. Elle adore jouer avec moi. Elle sait qu’elle me tient, que je suis à elle, corps et âme. Elle sait qu’elle me contrôle par chacun de ses gestes, et en profite, comme un chat jouerait avec une souris. Puis, enfin, elle prend mon sexe dans sa bouche, jusqu’à sa base, et commence un mouvement de va-et-vient. Je ne peux réprimer un nouveau soupir de plaisir, et viens poser mes mains sur sa tête, non pas pour la forcer dans son mouvement, mais pour l’encourager, et caresser ses longs cheveux soyeux. Le plaisir monte rapidement en moi. Il monte en vagues déferlant contre ma tête. Des frissons se multiplient, et secouent mon corps par spasmes alors qu’elle fait courir ses lèvres le long de mon sexe, le titille de sa langue, et que ses mains me caressent en tous points, le long de mes bourses, remontant sur mon ventre, ou glissant parfois entre mes fesses… Le plaisir monte en moi et je sens que je vais bientôt exploser.Exploser en elle. Elle doit le sentir, et se retire en un dernier baiser, avant de m’inviter par ses mains posées sur mes hanches à m’allonger. Sans mot dire, je m’exécute, et m’étale sur le sol, sur le dos. J’ouvre les yeux et la regarde. Je l’admire se déshabiller, et la contemple dans sa nudité. J’y découvre toute la beauté qu’on peut trouver chez une femme. Ses formes harmonieuses ne sont pas celles d’une adolescente anorexique ou de ces mannequins filiformes qu’on trouve dans les magazines. Elle présente au contraire ces rondeurs féminines si délectables, et sa peau pâle est sublimée par les rayons de la lune. Seuls ses yeux brillent d’un éclat ardent, et trahissent le feu qui sommeille sous la glace. Elle se dévoile telle une déesse prenant forme humaine, se flatte de l’admiration qu’elle trouve chez moi.Elle s’abaisse ensuite sur moi, s’allonge le long de mon corps. Enfin, ses lèvres rencontrent les miennes. Enfin nos bouches s’entrouvrent et laissent s‘échapper nos langues qui viennent s’unir. Elles commencent à danser l’une contre l’autre, entraînées dans quelque valse romantique. Ses hanches vont et viennent contre moi, et je sens ses autres lèvres, toutes offertes, n’attendant que d’être prises. Nos langues s’embrasent alors, et précipitent leur danse dans une passion effrénée. J’entre en elle. Un nouveau frisson de plaisir m’envahit, bien plus grand, bien plus puissant que les précédents. Je me sens homme, dans toute sa force, dans toute sa fierté. Un homme prenant femme. Je la prends dans son entier, elle m’appartient. Je multiplie les coups de reins, m’enfonçant un peu plus loin en elle à chaque fois. Réaffirmant mon autorité sur elle. Mais je reste bienveillant. Je la prends pour la protéger de ce monde. Je la prends sous mon aile, je la prends et l’enlève. Elle peut me faire confiance, elle est à moi, et rien ne pourra nous séparer, rien ne pourra l’atteindre.Sa bouche s’échappe, et elle rugit de plaisir. C’est elle à présent qui donne les coups de reins les plus violents, c’est elle qui s’empale sur moi. Elle rugit une nouvelle fois puis fond sur mon cou. Rouge. Une lumière rouge, un voile carmin s’étend devant moi. Cette fois, elle ne m’a pas embrassé. Cette fois, elle m’a mordu. Je sens ses crocs plantés en moi. Je la sens m’aspirer le sang comme elle m’ôterait la vie. Je la sens plongée en moi. Je me sens partir, pris par elle. Je me sens femme. Je me sens femme dans toute sa générosité, dans tout son courage. Je me sens femme ayant le courage de s’offrir. Qu’elle me prenne tout entier, je lui appartiens. Elle boit mon sang, gorgée par gorgée, me vidant un peu plus à chaque fois. Réaffirmant sa supériorité sur moi. Elle me prend tout autant que je la prends. Un lien unique se crée entre nous. Je sens toute son histoire. Je sens sa mélancolie, si belle, si bleue, si semblable à la mienne. Je sens son malaise dans ce monde qui n’est plus le sien. Je sens son désir de mourir, et sa rage de vivre, tout à la fois. Je sens le plaisir qui s’échappe d’elle, tout comme elle sent le plaisir qu’elle me procure. À présent nous ne faisons plus qu’un. Un corps uni comme jamais deux corps le furent. Je vivrai en elle, toujours. Je me sens happé par elle, je sens mon corps qui tressaille, comme pour un dernier adieu. Je meurs. Je pars. Je quitte mon enveloppe charnelle pour rejoindre l’éternité. L’éternité avec elle.