Ma chérie,Je te regarde dormir, si belle, avec ton air angélique, ta chevelure éparse sur l’oreiller. Ton souffle régulier me dit que ton sommeil est profond. Au-dehors, le jour se lève sans nuages : promesse d’un jour radieux. Et pourtant je suis au désespoir, tout est noir en moi depuis que j’ai appris que tu allais chercher ailleurs autre chose que tu ne peux pas trouver avec moi. Cela me ronge de ne pas comprendre, de ne pas te comprendre. C’est vrai que nos ébats ne sont pas flamboyants, mais à qui la faute ? Tu t’es toujours laissée aimer sans vraiment participer, rares sont les fois où tu es venue vers moi (qu’est-ce qui avait bien pu t’émoustiller ces fois-là  ?).Bien sûr, tu me dis aimer, lorsque dans la nuit, je viens passer une main dans l’échancrure de ta nuisette et exciter tes seins, puis accentuer mes caresses jusqu’au pubis où, invariablement, je trouve une petite culotte de voile de satin, comme une protection, de qui, de quoi ? Enfin, mes caresses buccales te font ronronner au final, avec ou sans pénétration, très souvent tu atteins l’orgasme, ou bien tu l’imites parfaitement. Bref, tu n’es pas ce que l’on nomme un bon coup, alors, qu’est-ce qu’il se passe, ou que s’est-il passé que je ne comprends pas ?Une lueur s’est faite dans mon esprit suite à un livre dont un ami m’a fait lire quelques passages. Il s’agit du livre de Catherine Millet, sa vie sexuelle. Je découvre avec effarement qu’une femme peut recevoir en elle sans broncher une quantité de sexes dans des situations, des positions, des actions les plus incroyables avec des hommes qu’elle ne veut même pas regarder. Cela semble entièrement réfléchi et ne semble pas tenir de la nymphomanie ni du sadomasochisme. Alors, c’est quoi ? Une seule réponse me semble possible : la soumission. Comment expliquer autrement cet abandon total d’une personne au demeurant intelligente et instruite ? N’est-elle pas critique d’art reconnue experte dans son milieu professionnel ? Ce livre est une confession car ce que j’ai pu en lire ne tient pas d’un roman mais d’une narration détaillée de sa manière d’accéder au sommet du plaisir sexuel.Ton sommeil est toujours paisible pendant que je t’écris ce dernier acte de notre vie commune. Je reste abasourdi devant les images terrifiantes que mon imagination déroule en mon esprit d’un avilissement sans tabou aucun.Serais-tu une femme soumise dont la jouissance ultime réside dans l’acceptation sans limite de ce que tel ou tels veulent bien t’imposer ?Mes premiers doutes sur ta ou tes doubles vies me sont venus de tes amies qui me regardent désormais avec demi-sourire, clins d’œil complices avec toi, bref narquoisement. Il n’est pourtant aucune raison qu’elles aient à se moquer de moi, ou bien ton attitude au téléphone, souvent mystérieuse, ton éloignement pour répondre à voix basse. J’aurais dû te demander : qui ? Et pourquoi ? Mais il est bien tard pour y réfléchir.Je me refusais à t’espionner, à ouvrir ton ordinateur ou ton téléphone portable, à te suivre dans tes déplacements. Seulement voilà , hier, des amis dont je tairais le nom t’ont vue il y a quelque temps bien accompagnée dans un club libertin, certes loin de notre domicile. Aucun doute, l’étrange rosace tatouée que tu as sur l’omoplate gauche ne peut être d’un éventuel sosie. Vois-tu, le libertinage doit avoir ses codes et se pratiquer honnêtement avec son conjoint, pas en cachette, c’est cela qui a révolté nos amis et les a portés à m’informer des jeux de la soirée… et quels jeux !Je n’ai pas osé leur demander s’ils en avaient profité. Ce qui m’est apparu alors est que tu sembles accepter tout, que ce soit des humains, des jouets, des légumes, ou pire… des animaux, qui sait ? Seule compte la jouissance que les situations procurent. Si je vais trop loin, excuse-moi, mais innocent de ces pratiques, il ne me reste que l’imagination.Tu profites pour cela des moments où je suis en déplacement. Que suis-je donc devenu pour toi ?? Ta vie s’est éloignée de la mienne. Pourquoi ne m’as-tu rien dit ? Serait-ce la honte qui te retient ? Il n’est pas croyable d’être à la fois la petite fille que je regarde dormir et ce sac à foutre que l’on m’a décrit. Es-tu Janus au féminin ? Je ne comprends pas, d’ailleurs, qui pourrait comprendre ?Arrivé à ce stade, il n’est plus de retour possible vers la vie d’avant et je suis au désespoir de t’avoir perdue, car vois-tu, je t’aime toujours comme au premier jour, et comble de malheur pour moi, je ne veux pas que tu souffres. Si ta vie est là , alors sois heureuse, mais moi, je ne peux le supporter, aussi, j’ai décidé d’en finir, plonger dans le néant me semble la solution.Tu ne me reverras donc plus, j’hésite encore entre plusieurs façons de disparaître :– la première : ma petite voiture atteignant quand même les 130 km/h, un arbre ou un poteau à cette vitesse ne pardonne pas… te voici veuve et libre avec l’assurance vie.– la seconde : d’avoir traversé la France en long et en large me fait connaître bien des plans d’eau, des rivières, des canaux dans lesquels je peux disparaître sans que l’on puisse me retrouver avant longtemps… là , pas de veuvage.– autre solution : je finis par renoncer à me supprimer. Je vais donc m’installer quelque part, loin, très loin… ou bien près de la maison pour t’observer.De tout cela tu ne sauras jamais ce qu’il en sera, car vois-tu, j’ai une somme d’argent liquide qui ne me fera pas utiliser la carte bleue et j’éviterais les routes à péages, on ne sait jamais…Nous voici donc dès à présent séparés de corps, mais toujours mariés. Ton mari a quitté le domicile conjugal… ce qui arrive plus souvent qu’on ne le croit et ne donne pas lieu à une enquête pour une personne majeure.Tu pourras demander le divorce dans quelque temps, si le cœur t’en dit, mais quant à savoir ce que je serai devenu, vivant ou mort, ton avocat pourra te saigner à blanc pour les recherches.Pour la suite, si besoin, je sais comment gagner ma vie sans apparaître nulle part, mais toi, ma chérie, comment vas-tu pouvoir subvenir à tes besoins, lesquels sont conséquents ?Bien sûr, tu disposes des sommes de notre compte en banque, mais quelques dizaines de milliers d’euros ne te mèneront pas loin, il va falloir travailler pour gagner ta vie… De ne s’occuper que d’œuvres caritatives, comme tu l’as fait jusqu’à présent, est noble et généreux, mais ne nourrit pas. Tes amis te seront sûrement d’un grand secours.Aujourd’hui, tu es encore jolie, mais demain ? Que deviendras-tu, devenue vieille ? Je pense finalement, si j’en ai le courage, que je vais rester et observer ce qu’il en sera.Tu trouves cette lettre écrite il y a une semaine, car avant de tirer un trait définitif sur notre couple, j’ai tenu à constater ce qu’il se passe lorsque tu me sais en déplacement. Aussi, ce soir, j’ai eu confirmation de la réalité de tes soirées libertines.Probablement aurais-je dû entrer et te demander sur place des explications pour voir ta réaction, mais à quoi bon ? Dans un tel lieu, l’arrivée impromptue du mari cocu… On dit bien que le ridicule ne tue pas, mais la honte, certainement. Si je choisis en définitive cette solution, au moins qu’elle soit digne !Après vous avoir vu disparaître dans les lieux, je suis revenu à la maison finaliser ce que tu as sous les yeux.Adieu !