Jade, l’inaccessible…En ce dĂ©but mars, les derniers frimas d’un hiver languissant avaient tendance Ă faire oublier aux femmes leurs lourds vĂŞtements pour leur faire adopter des tenues plus lĂ©gères. Dès lors, mes yeux ne cessaient d’en dĂ©tailler les formes avantageuses et offertes Ă la lubricitĂ© de mon regard de jeune mâle en soif d’aventures.VoilĂ pourquoi je peux affirmer ici, qu’assurĂ©ment c’était le plus beau cul de Paris que je suivais des yeux, Ă cinq pas de moi. Comme moi, il remontait les Champs-ÉlysĂ©es. Il n’y a pas Ă dire, il Ă©tait parfait ! Soutenu par deux magnifiques jambes montĂ©es sur des escarpins vernis noirs Ă talons aiguilles et gainĂ©es de bas blancs. La robe bleu marine Ă petits plis qui le soulignait plus qu’elle ne l’habillait se dandinait au rythme d’un dĂ©hanchement lascif. Ă€ cette vue, j’étais de moins en moins certain de pouvoir aller jusqu’au bout de ma marche, tellement mon sexe se dressait dĂ©jĂ dans mon pantalon et me faisait mal.Et toujours le cul se balançait devant moi. Son relief s’accentuait chaque fois qu’il enjambait les bordures de trottoir ou lorsqu’il Ă©vitait les plaques d’égout ou les grilles d’aĂ©ration du mĂ©tro.Toujours il avançait Ă un rythme soutenu.Le dos qui le surplombait Ă©tait droit, presque rigide, seulement Ă peine voĂ»tĂ© au niveau des Ă©paules. La taille Ă©tait fine. Le buste s’évasait harmonieusement au niveau des seins. Au ras du col, oscillant au rythme des pas, une masse de cheveux noir corbeau aux reflets bleuâtres, taillĂ©s au millimètre.Après bien des tergiversations, je me dĂ©cidai Ă doubler le magnifique cul ambulant pour voir la frimousse qu’il emportait au rythme de son dandinement. Je voulais vĂ©rifier si l’avant valait l’arrière.Je pressai donc le pas, bousculant lĂ©gèrement un couple de Japonais qui dĂ©ambulaient en sens inverse et je jetai un coup d’œil rapide sur l’avant.Mazette ! La jeune femme Ă©tait une Asiatique. Petit nez lĂ©gèrement retroussĂ©, yeux noirs en amande, pommettes saillantes, petite bouche fine au-dessus d’un petit menton juste marquĂ© par une lĂ©gère proĂ©minence. Les seins Ă peine marquĂ©s. Elle lisait une revue et ses mains Ă©taient Ă©lĂ©gantes, aux ongles rouge Ă©carlate. Elle Ă©tait coiffĂ©e comme Mireille Mathieu.Pff ! Aussi belle par-devant que par-derrière, au point que je faisais un demi-tour pour marcher Ă reculons afin de mieux l’admirer, ce qui en ce lieu n’est pas franchement conseillĂ©, et je ne cessais de la fixer en lui adressant un sourire Ă la fois charmeur, admiratif et certainement niais.Mon attitude Ă©trange, sans vraiment la troubler, a dĂ» l’amuser car elle leva la tĂŞte de sa lecture et, avec des yeux rieurs, commença Ă ouvrir la bouche, comme pour faire « Oh ! » et je me suis cognĂ© dans quelqu’un… Tournant alors instinctivement la tĂŞte pour m’excuser, je me suis rendu compte que mon dos avait butĂ© contre la vaste poitrine d’un gendarme mobile, en patrouille.— Heu… Excusez-moi, ai-je bredouillĂ© benoĂ®tement.— Regardez oĂą vous marchez, plutĂ´t ! a maugrĂ©Ă© le pandore, puis, s’adressant Ă la belle asiatique :— Il vous importune, ce jeune homme ?— Non… non… rĂ©pondit-elle en souriant— Alors, circulez, et regardez devant vous…J’étais confus. Confus mais ravi.Maintenant je savais qu’elle parlait français et j’avais trouvĂ© lĂ un moyen d’entrer en contact avec elle. AussitĂ´t, je m’empressai de la remercier comme il se doit, tout en la complimentant sur sa beautĂ©. Cela continuait Ă la faire rire et j’en profitai pour lui proposer de boire un verre pour me faire pardonner.Après avoir, avec un geste d’une grande dĂ©licatesse fĂ©minine, rapidement consultĂ© sa montre, elle accepta mon invitation en hochant la tĂŞte.Heureux hasard des rencontres, nous Ă©tions Ă la hauteur du cĂ©lèbre Fouquet’s. Cela tombait Ă pic.Nous nous sommes installĂ©s Ă cette terrasse oĂą nous avons pu ainsi faire plus ample connaissance.Son nom Ă lui seul Ă©tait un dĂ©part vers l’exotisme : Jade ! Son travail ouvrait aussi tous les plus beaux rĂŞves du monde : traductrice Ă l’UNESCO ! Mais non, elle n’était pas Asiatique, elle Ă©tait Eurasienne et tenait fermement Ă cette association transcontinentale. NĂ©e d’une mère siamoise, habitante du Siam – lĂ aussi elle tenait particulièrement Ă l’usage de l’ancien nom royal de la ThaĂŻlande – et d’un père français mais inconnu, elle Ă©tait nĂ©e Ă Phnom Penh vingt-quatre ans plus tĂ´t et disposait depuis longtemps de la double nationalitĂ©.Elle parlait d’une voix flĂ»tĂ©e, un son de voix qui Ă©tait une mĂ©lopĂ©e, un gazouillis des plus agrĂ©ables Ă mes oreilles. En l’écoutant, juste en l’écoutant, j’étais dĂ©jĂ en Asie, j’en respirais les odeurs… Elle ne semblait guère farouche, ni intimidĂ©e. Elle trouvait que la situation Ă©tait drĂ´le et prenait la vie comme elle venait.Bien entendu, nous nous sommes revus et plutĂ´t deux fois qu’une. Pourtant, Ă cet instant de mon rĂ©cit, il me faut en reprendre le fil chronologique.Nous nous sommes quittĂ©s sur le seuil du Fouquet’s en nous donnant rendez-vous pour le soir suivant, au mĂŞme endroit. Pour ma part, j’avais un repas, un tĂŞte-Ă -tĂŞte, qui m’attendait Ă deux pas de lĂ , avec mon oncle Jacques.Mon oncle Jacques, frère de mon paternel, Ă©tait un vieux monsieur aux nombreuses dĂ©corations, Ă la tĂŞte blanche mais encore parfaitement bien sur ses Ă©paules d’ancien officier parachutiste. Bien qu’il fĂ»t d’excellente constitution, sa vie aventureuse avait rendu son cĹ“ur fragile. Hormis ce dĂ©tail, très personnel et invisible, il restait un bel homme sur lequel nombre de rombières se retournaient encore bien qu’il aille sur ses quatre-vingts printemps.Financièrement très Ă l’aise, sans femme ni enfant, il Ă©tait toujours tirĂ© Ă quatre Ă©pingles, l’élĂ©gance anglaise chevillĂ©e au corps. Il disposait d’un carnet d’adresses Ă faire pâlir de jalousie bon nombre de personnes. C’est que, en-dehors du fait d’avoir Ă©tĂ© militaire, ce qu’il Ă©tait restĂ© dans l’âme et dans la dĂ©marche, c’était un ancien haut fonctionnaire de l’État français qui avait «grenouillé» dans le monde interlope du renseignement et de la diplomatie parallèle, Ă l’époque oĂą la France Ă©tait encore un empire colonial.Bref, un personnage haut en couleur, au passĂ© sulfureux, traĂ®nant dans son sillage bon nombre d’anecdotes au parfum d’aventure et aux relents de sueur et de sang, mais d’une extraordinaire discrĂ©tion quant Ă sa vraie vie, passĂ©e Ă sillonner les anciennes zones d’influence de la France Ă travers le monde.Oncle Jacques, telle Ă©tait son appellation familiale, m’avait toujours fascinĂ© et me fascinait toujours. Quand il nous rendait visite, j’aimais Ă©couter ses histoires, ses aventures – enfin, celles dont il voulait bien nous parler – et quand il Ă©tait absent pour de longues et incertaines pĂ©riodes, je guettais avec aviditĂ© ses lettres et cartes postales, venues en droite ligne du bout du monde et ornĂ©es de magnifiques timbres qui allaient grossir ma collection. Tous les jours, durant ces pĂ©riodes d’absence, je guettais l’arrivĂ©e du courrier, reconnaissant de loin son Ă©criture penchĂ©e, serrĂ©e et fine.Aujourd’hui encore, j’aime Ă partager avec cet homme quelques moments en tĂŞte-Ă -tĂŞte, et je n’ouvre jamais mes albums de timbres et d’enveloppes sans entendre dans mon oreille les descriptions des paysages qu’il a traversĂ©s.C’était aussi en raison de cette admiration que nous avions rendez-vous au restaurant de l’hĂ´tel du Prince de Galles, juste en face du Crazy Horse. Seulement, après ma rencontre avec Jade, j’arrivai au rendez-vous avec près d’une demi-heure de retard et fus fraĂ®chement accueilli. Mon hĂ´te n’avait jamais supportĂ© le moindre retard : militaire il avait Ă©tĂ©, militaire il restait !Heureusement que ma rencontre avec Jade, la belle Cambodgienne, nous permit de briser le lourd silence qui s’était installĂ© dès le dĂ©but notre apĂ©ritif, l’homme Ă©tant, de plus, rancunier. Mais je savais qu’il connaissait le Cambodge pour y avoir sĂ©journĂ©, je ne sais plus trop Ă quelle occasion, et j’avais donc bon espoir de l’entendre me narrer son expĂ©dition, espĂ©rant mĂŞme quelques rĂ©vĂ©lations. Jade devint alors notre principal sujet de conversation.Bien que je ne sache pas grand chose d’elle, la façon dont je lui parlais marquait mon trouble et mon Ă©moi. Sans agacer le vieil homme, pourtant coriace, il s’est alors lui-mĂŞme mis Ă me raconter ses longs et nombreux sĂ©jours dans ce pays, m’en dĂ©crivant les paysages, les hommes et surtout les femmes. Et, tout en Ă©voquant les femmes cambodgiennes, son Ĺ“il bleu, gĂ©nĂ©ralement froid et distant, se mit Ă briller d’étincelles que je ne lui avais jamais connues.Ainsi, je dĂ©couvrais lĂ une facette cachĂ©e de cet homme qu’en secret je vĂ©nĂ©rais, et m’apercevais que, sous son cuir rustre et son torse bombĂ©, se trouvait un cĹ“ur tendre.Très vite, il passa de l’évocation des rizières Ă celle de la brousse, puis Ă celle de la «brousse» pubienne de quelques jolis spĂ©cimens rencontrĂ©s lors de ses sĂ©jours lĂ -bas et qui, selon la coutume locale, mettaient en relief leur intimitĂ© en l’épilant avec le plus grand soin. Avec un regard perdu dans le vague de ses souvenirs, il me parlait des temples abandonnĂ©s qu’il avait pu visiter, pour enchaĂ®ner rapidement sur d’autres lieux sacrĂ©s, vouĂ©s aux dieux de l’amour, Ă©voquant au passage ces vallĂ©es cachĂ©es, encore plus intimes.Jamais, au grand jamais il n’avait osĂ© de telles confidences. Il parlait avec ferveur et Ă©motion des courbes des ventres, des chutes de reins, des seins en pomme aux petits tĂ©tons violets et pointus. Il se remĂ©morait ses instants de plaisir et de fĂ©licitĂ© dans les bras chauds et alanguis des jeunes Cambodgiennes. Au fur et Ă mesure qu’il rĂ©veillait ses souvenirs, je reportais moi-mĂŞme sur Jade ces vivantes images qu’il me dĂ©crivait, ce qui avait pour effet de tendre mon pantalon. Heureusement que j’étais assis !Mais, en homme du monde habituĂ© Ă cĂ´toyer et entretenir le secret, Ă aucun moment de ses confidences sur ses amours au Cambodge il n’avait Ă©voquĂ© un nom particulier, un souvenir prĂ©cis. Non, il Ă©tait restĂ© dans les gĂ©nĂ©ralitĂ©s, dans le vague, dans le flou, entretenant son aura d’homme mystĂ©rieux, d’aventurier.Tout Ă©baubi par ses confidences Ă©grenĂ©es d’une voix chaude et tremblotante, et sous le charme des images Ă©voquĂ©es, je suis reparti de mon dĂ®ner Ă©moustillĂ©, avec une seule hâte, celle d’être rapidement blotti dans le giron de Jade et d’entamer dans ses bras ma propre initiation aux dĂ©lices de l’ExtrĂŞme Orient.D’ailleurs, la nuit qui suivit notre dĂ®ner fut peuplĂ©e de filles magnifiques qui dĂ©ambulaient nues dans la jungle, les seins ballottant lĂ©gèrement, le ventre plat couvert d’une toison noire laissant apparaĂ®tre une intimitĂ© Ă©pilĂ©e Ă la mode du pays. Leurs lèvres aubergine s’ouvraient sur un intĂ©rieur rosâtre, presque diaphane, suintant de plaisir. J’y perdais ma langue, mes doigts, me laissais asperger de leur plaisir, m’en douchais. Chaque fois que je levais la tĂŞte, toutes avaient le minois de Jade qui me souriait.Le lendemain soir venu, je hâtai le pas en direction du Fouquet’s oĂą la belle, la sublime Jade m’attendait.Elle Ă©tait bien lĂ , assise dans son coin, feuilletant une de ces revues qu’elle semblait apprĂ©cier. Elle Ă©tait belle. D’elle semblait irradier un calme et un bonheur Ă©trangement contagieux. Son port Ă©tait si majestueux qu’on aurait dit une impĂ©ratrice au moment de son couronnement !Ă€ peine avais-je mis le pied au Fouquet’s qu’elle me fit un lĂ©ger signe – comme si je ne l’avais pas vue ! – pour me signaler sa prĂ©sence en m’adressant un large sourire.La soirĂ©e s’annonçait sous les meilleurs auspices.Le gazouillis de Jade charmait mes oreilles et je ne cessais, durant tout le temps oĂą nous fĂ»mes ensemble, de l’imaginer nue. La chose n’était guère difficile. HabillĂ©e très court, elle avait croisĂ© haut les jambes et je pouvais admirer ses cuisses, naturellement dorĂ©es. Je n’avais qu’un regret, sa poitrine si menue, juste soulignĂ©e par un lĂ©ger soutien-gorge dont j’apercevais, par transparence, les broderies. En dehors de cette « petite imperfection », son corps ne cessait de m’électriser.Après bien des circonvolutions et des tergiversations, j’avais rĂ©ussi Ă poser ma main sur son bras, puis son poignet et je m’étais emparĂ© de sa main. Sa peau Ă©tait chaude, souple, Ă©lastique, sensuelle. Ses doigts fins, aux ongles longs magnifiquement entretenus, venaient de temps Ă autre gratouiller ma paume et me lancer Ă travers le corps de longues dĂ©charges Ă©rotiques.Après un rapide mais raffinĂ© repas, je lui proposai de venir prendre un dernier verre chez moi. Je savais que, lĂ , j’aurais toutes les chances de conclure avec elle. Avec un grand sourire, elle pencha sa tĂŞte vers mes lèvres et, en guise d’acceptation, m’embrassa longuement.Surpris par cette manĹ“uvre, je lui rĂ©pondis en la serrant un peu plus contre moi. Contre mon corps, je sentais sa chaleur animale et elle devait sentir, au niveau de son ventre, mes envies… d’elle.Durant tout le trajet en taxi, nous nous sommes tenus la main, sagement, sans cesser de nous regarder, de nous observer. L’un et l’autre, nous n’avions qu’une hâte : ĂŞtre Ă nouveau enlacĂ©s, et cette perspective m’offrit l’une de mes plus belle Ă©rections.Ă€ peine la porte palière refermĂ©e, sans avoir le temps de faire les honneurs du propriĂ©taire, nous Ă©tions de nouveau enlacĂ©s, bouche contre bouche. Mes mains Ă©taient parties, instinctivement, en exploration de son corps. Elles caressaient, empaumaient, fouillaient Jade qui ne cessait de se trĂ©mousser, d’ahaner, de soupirer Ă ces indiscrets attouchements. Sous mes doigts, je devinai sa peau, son intimitĂ© chaude et mouillĂ©e, nue, comme me l’avait si bien dĂ©crite oncle Jacques.Mon sexe, prisonnier de mon pantalon, Ă©tait de plus en plus raide et Jade ne pouvait qu’en sentir la barre dure. D’ailleurs, elle-mĂŞme, d’une main papillonnante, s’enhardissait et l’excitait par de terribles effleurements qui me mettaient la tĂŞte en feu et le ventre Ă la limite de la souffrance. Ses doigts agiles eurent vite fait de le sortir de son Ă©crin et, tandis que je tentais d’explorer sa raie fessière, Jade Ă©chappa Ă mon indiscrète intrusion pour glisser le long de mon torse et porter sa bouche Ă hauteur de mon sexe, tĂŞte rougeaude et brillante, largement excitĂ©e.D’une lèvre gourmande, d’une bouche goulue, elle l’avala, l’excita, le titilla, elle m’aspira et m’absorba le plus loin possible.Je tentai bien de rĂ©sister, mais ce fut en vain. L’excitation Ă©tait trop grande, les images et la peau de Jade trop provocantes pour que je rĂ©siste longtemps Ă ce manège, et j’explosai dans le fond de sa gorge. Elle m’avala tout entier et continua Ă me retenir entre ses lèvres, jouant de sa langue Ă prolonger mon plaisir jusqu’à ce que je sois redevenu dur.Derechef prĂŞt Ă servir, je m’essayai Ă lutiner son sexe. Lieu magique oĂą son intimitĂ© dĂ©gagĂ©e laissait paraĂ®tre deux lèvres brunes, suintantes de plaisir. Mes doigts trouvèrent l’entrĂ©e de sa porte secrète et s’exercèrent Ă Ă©chauffer son minuscule clitoris, mais Jade semblait apparemment prĂ©fĂ©rer que je la pĂ©nètre de mon sexe. Jambes ouvertes, largement Ă©cartĂ©es, elle m’a attirĂ© en elle, et le mouvement de son bassin, les contractions de ses muscles intimes, la moiteur de sa peau, le sucrĂ© de sa sueur, ses petits cris ont eu rapidement raison de moi et de ma fougue. En l’espace de quelques minutes, je ne pouvais plus me retenir et m’épanchai largement en elle, puisant dans mes rĂ©serves très personnelles et les Ă©puisant pour l’instant.Je me suis senti vidĂ© et bĂŞte. De cette union, je m’étais fait une vraie fĂŞte et elle tournait court, me laissant un arrière-goĂ»t de bâclĂ©, de gâchĂ©. Alors, je me suis promis de recommencer le lendemain jusqu’à parfait unisson entre nos corps.Le lendemain soir, c’était chez elle que nous abritions nos Ă©bats. Un cinquième Ă©tage sans ascenseur, Ă gravir sur la pointe des pieds pour ne pas alerter les voisins et surtout la voisine, vieille dame qui ne cessait d’épier tout ce qui entrait ou sortait de chez Jade, et qui la couvait d’un air maternel et un peu jaloux.L’appartement Ă©tait petit, simple, presque monacal. FrustrĂ© encore de la veille, je voulais mieux explorer son corps, lui donner du plaisir avant qu’elle ne m’en donne et que nous partagions ensuite notre jouissance.Ă€ peine entrĂ©, je pris donc les initiatives et enfouis directement ma tĂŞte sous sa jupette, arrachant avec mes dents, tel un sauvage, le mince filet de soie qui lui servait de string.Des lèvres et de la langue, j’accĂ©dai Ă son intimitĂ© qui s’ouvrit largement sous mes sollicitations, obligeant Jade Ă s’allonger, Ă remonter ses genoux et s’ouvrir le plus largement possible pour me laisser accĂ©der Ă son sexe.LĂ©chĂ©e, sucĂ©e, suçotĂ©e, elle me tenait la tĂŞte pour tenter de me faire remonter Ă elle, mais je rĂ©sistais, respirant Ă pleins poumons ses odeurs les plus intimes et les plus enivrantes. AspirĂ©e, pĂ©nĂ©trĂ©e par ma langue et mes doigts, elle finit par Ă©mettre de longs gĂ©missements de plaisir qui trempèrent ma bouche, mes lèvres et mĂŞme mon menton.En Ă©change de ce long moment de plaisir, elle m’offrit une chevauchĂ©e fantastique et inoubliable. CampĂ©e au-dessus de moi, elle avait enfournĂ© mon sexe au plus profond et, sans bouger un seul muscle extĂ©rieur, elle massait ma hampe, me menant ainsi, mieux que par une sĂ©rie de va-et-vient, Ă un plaisir sans cesse repoussĂ© par le rythme des muscles de son ventre et ses lèvres intimes. L’explosion de mon plaisir conjuguĂ© au sien me laissa pantois et hors d’haleine, tout esbaudi et Ă la limite de l’inconscience durant de longues, très longues minutes.Au fur et Ă mesure de nos rencontres, qui avaient pris une cadence rĂ©gulière et quotidienne, Jade se laissait de plus en plus conduire vers son propre plaisir. Nos jeux de mains, de langues, nos corps Ă corps se prolongeaient toujours plus et nous en sortions Ă©puisĂ©s mais heureux.Seule lĂ©gère ombre Ă nos Ă©bats, Jade me refusait d’office tout accès Ă son petit trou, conservant toujours ce surprenant Ă©tat de conscience qui m’obligeait Ă abandonner, pour l’instant en tout cas, l’idĂ©e d’aller y fourrer ma langue, mes doigts ou mon sexe. Elle m’avait obligeamment expliquĂ© qu’aucun de ses amants n’avait Ă©tĂ© autorisĂ© Ă investir ce lieu.Aucun de ses amants ? Diantre ! Certes je n’étais pas nĂ© de la dernière pluie et avais compris que Jade Ă©tait une jeune femme libĂ©rĂ©e, ayant certainement connu d’autres hommes (mais combien ?) et bien entendu, j’étais parfaitement conscient de ne pas ĂŞtre son premier amant. Mais très vite j’oubliai et effaçai cette petite phrase de ma tĂŞte, prĂ©fĂ©rant imaginer que pour l’instant j’étais le seul en course… et heureux de l’être.Ainsi, au fil des jours et surtout des soirĂ©es et des nuits, notre relation s’établissait sur des bases de plus en plus stables, tantĂ´t chez moi, tantĂ´t chez elle. Nous aimions aussi nous retrouver pour jouer Ă la dĂ®nette avant de passer Ă des jeux plus osĂ©s qui nous amenaient jusqu’au matin. Ces matins oĂą j’aimais me rĂ©veiller Ă ses cĂ´tĂ©s car, au bout de quelques joutes, il nous avait paru prĂ©fĂ©rable de dormir blottis l’un contre l’autre plutĂ´t que de devoir interrompre notre nuit pour rentrer chacun chez soi.N’ayant jamais eu Ă connaĂ®tre ce genre d’aventure qui permettait de se rĂ©veiller aux cĂ´tĂ©s de l’être cher, de contempler son corps totalement abandonnĂ©, lascivement pelotonnĂ© dans les bras, surveillant son souffle, rĂ©gulier, admirant la courbe de sa nuque, le lĂ©ger rebondi d’un petit sein, terminĂ© par un petit tĂ©ton brun foncĂ© ou le creusement d’un ventre sous l’effet d’une respiration enfin reposĂ©e, qui faisait bomber un pubis ornĂ© de sa touffe Ă©chevelĂ©e et encore poisseuse des Ă©bats de la nuit… Que c’était beau de voir Jade ainsi endormie. Je ne me serais jamais lassĂ© de ce fĂ©erique spectacle.Certains jours c’est elle qui me contemplait, et elle me surprenait en me rĂ©veillant par de doux et voluptueux baisers qui tendaient mon corps de dĂ©sir et me mettaient en appĂ©tit pour toute la journĂ©e. C’est ainsi qu’au travers de mes paupières mi-closes, dans un rayon du soleil printanier naissant, elle me murmura, la première, un « Je t’aime… » qui me laissa dans un Ă©tat proche du nirvana pour le reste de la semaine.Une semaine qui, pourtant, s’annonçait morose, car, en cette fin de mois de mars, mon père venait de m’annoncer sa visite.Cela faisait donc près de trois jours maintenant que je n’avais pas pu voir Jade. D’un cĂ´tĂ© cette absence m’arrangeait bien. Depuis trois jours mon père avait dĂ©barquĂ© Ă Paris, presque sans crier gare, et il squattait chez moi – enfin, pour plus d’honnĂŞtetĂ©, chez lui, puisqu’il me logeait gracieusement dans son appartement de Paris.Il Ă©tait lĂ pour affaires, c’est-Ă -dire qu’il avait surtout dĂ©cidĂ© de m’entraĂ®ner Ă sa suite Ă ses diffĂ©rents rendez-vous, car il avait bon espoir que je prenne rapidement sa succession Ă la tĂŞte de l’entreprise familiale. Enfin, au bout du troisième soir, il m’annonça que j’avais quartier libre car il avait un rendez-vous auquel il ne souhaitait pas m’emmener.Heureux, et sans me poser de questions, je sautai sur le tĂ©lĂ©phone pour tenter de joindre Jade et lui proposer de nous voir, de passer une de ces fabuleuses nuits. Malheureusement, impossible de la joindre.Contre toute attente, je sautai dans un taxi et me fis conduire chez elle.Avec impatience, je grimpai au cinquième Ă©tage, sans ascenseur, et toquai longuement Ă sa porte, sans obtenir de rĂ©ponse. Alors que, d’humeur chagrine, je m’apprĂŞtais Ă redescendre, sa voisine, que j’avais dĂ©jĂ rencontrĂ©e plusieurs fois dans l’escalier ou sur le palier, sortit sa poubelle.Heureusement, Jade, jamais en veine de confidences pour la vieille dame, lui avait dit oĂą elle se rendait. Ce soir, elle avait un rendez-vous chez Maxim’s ! Sans rĂ©flĂ©chir, je hĂ©lai un taxi pour me faire conduire au cĂ©lèbre restaurant de la rue Royale.Pourquoi n’ai-je pas seulement pris la peine de rĂ©flĂ©chir ? Pourquoi avoir Ă©tĂ© aussi impulsif ?J’avais Ă peine dĂ©barquĂ© du taxi que je me prĂ©cipitai dans le sas d’entrĂ©e, dĂ©posai mon impermĂ©able au vestiaire et m’apprĂŞtai Ă rejoindre le bar d’oĂą je pourrais peut-ĂŞtre apercevoir Jade. Je me figeai sur place !Ă€ dix mètres de moi, Jade Ă©tait lĂ Â !Je la voyais de profil. Je pouvais voir son nez mutin lĂ©gèrement retroussĂ©, et sa bouche fine et gourmande en train d’embrasser son vis-Ă -vis, au-dessus d’un seau Ă champagne.Elle lui tenait la main gauche, tandis que la droite jouait avec un lourd collier de perles. Sur la nappe immaculĂ©e, un Ă©crin rouge qui attirait immanquablement mon regard.Que Jade entretint des relations amoureuses avec d’autres hommes que moi ne me gĂŞnait pas trop. Enfin, j’étais jaloux, mais conscient de mes limites, surtout financières. En revanche, ce qui me sidĂ©rait, c’est que l’homme qu’elle embrassait Ă pleine bouche Ă©tait nettement plus âgĂ© qu’elle et que ce n’était pas n’importe quel homme.Non, c’était… mon père !BousculĂ© gentiment par le personnel de service, je restais pĂ©trifiĂ©. Un maĂ®tre d’hĂ´tel vint vers moi pour m’inviter Ă rejoindre une table ou le bar et s’enquĂ©rir de mes dĂ©sirs. Il me fallut de longues secondes pour comprendre ce qu’il voulait. Alors qu’il me poussait dĂ©licatement hors du passage, j’avais l’impression qu’un bloc de bĂ©ton me tenait clouĂ© au sol. Je dĂ©cidai, avant qu’il ne soit trop tard, de disparaĂ®tre. Malheureusement, debout au milieu de toutes ces tables et malgrĂ© le va-et-vient du service, j’attirais Ă coup sĂ»r l’attention, d’autant que l’abondance de miroirs qui servaient de dĂ©cor Ă la salle du restaurant permettait de tout surveiller.VoilĂ comment Jade m’a repĂ©rĂ©.Instinctivement, elle s’est retournĂ©e en m’adressant une mimique interrogative. Avait-elle peur d’un scandale ? Il est certain qu’elle Ă©tait aussi surprise que moi de me trouver lĂ , plantĂ© au-milieu de l’entrĂ©e de chez Maxim’s, et qu’elle ne s’attendait Ă©videmment pas Ă me voir la surprendre en train d’embrasser un autre homme. Son insistance Ă me fixer attira Ă©videmment le regard de mon père qui, au mĂŞme moment, levait sa coupe de champagne et faillit la laisser tomber de surprise.Lui non plus ne s’attendait certainement pas Ă me voir lĂ , le surprenant en pleine embrassade avec une jeune Cambodgienne Ă qui il venait d’offrir un ravissant et très coĂ»teux collier de perles naturelles.Jade fut la première Ă rĂ©agir. Dans un grand sourire, elle fit un petit signe de la main pour m’appeler Ă ses cĂ´tĂ©s et se pencha vers mon père pour lui murmurer quelques mots. Tout en me dirigeant vers leur table, Ă pas lents et comptĂ©s, je ne cessais de le fixer du regard.Jade ne se doutait de rien. Elle me tendit ses joues pour que je l’embrasse comme une bonne camarade. Distraitement, du bout des lèvres, je dĂ©posai sur la peau de pĂŞche de ses deux joues un très lĂ©ger baiser, sans pour autant quitter du regard mon père qui restait figĂ© et silencieux. Jade entreprit de me prĂ©senter Ă son compagnon de table alors que nous nous toisions toujours du regard.— Je te prĂ©sente… commença Jade— Je connais… C’est mon fils ! coupa mon père d’une voix grave en baissant les yeux, comme un enfant pris en flagrant dĂ©lit de faute grave.Le ciel aurait pu lui tomber Ă cet instant sur la tĂŞte qu’elle n’aurait pas Ă©tĂ© plus surprise, plus figĂ©e. Elle semblait encore plus consternĂ©e que moi par cette situation et ses yeux allaient de l’un vers l’autre, sans comprendre.Avec un empressement et un zèle intempestif, un maĂ®tre d’hĂ´tel s’approcha de nous pour proposer d’ajouter un couvert. Avec rapiditĂ©, sans un mot, j’en profitai pour battre en retraite et fuis sans demander mon reste ni la moindre explication.Dehors, la fraĂ®cheur de la nuit parisienne me permit de reprendre mes esprits, sans pour autant clarifier les idĂ©es qui s’embrouillaient dans ma tĂŞte et sans apaiser l’immense colère qui montait en moi et me faisait un mal de chien, jusque dans la gorge. Tout se bousculait en moi : Jade, mon père, moi. Le couple qu’ils formaient, le couple que nous formions, mes rapports avec mon père…Groggy, sonnĂ© comme un boxeur qui vient d’encaisser un violent uppercut, j’errais lamentablement Ă travers les rues de Paris sans arriver Ă me dĂ©cider Ă reprendre le chemin de l’appartement pour y affronter mon père. J’entrai dans un bar, dans un second puis dans un troisième. J’avais la tĂŞte de plus en plus lourde, l’esprit de moins en moins clair et de plus en plus embrouillĂ© par les vapeurs d’alcool. Et plus la soirĂ©e avançait, plus j’ingurgitais d’alcool, plus Jade devenait une « vĂ©ritable salope » et mon père « un salopard d’enfoirĂ© de sa race »…Titubant, les idĂ©es mĂ©chantes et embrouillĂ©es, la tĂŞte lourde d’alcool, trĂ©buchant sur les marches en me tenant fermement Ă la rampe, j’arrivai Ă rejoindre l’appartement.LĂ , au milieu du salon, droit comme un « i », un verre de whisky Ă la main, en robe de chambre, mon père m’attendait calmement, avec ce flegme lĂ©gendaire que je lui connaissais et qui m’avait toujours impressionnĂ©.Mon père fait partie de cette catĂ©gorie d’hommes qui n’a nullement besoin d’élever la voix pour savoir se faire obĂ©ir ou respecter de sa progĂ©niture ou de son entourage. De sa personne Ă©mane une autoritĂ© naturelle et d’un simple regard il vous remet dans le droit chemin. Rares ont Ă©tĂ© les fois oĂą nous nous sommes affrontĂ©s et, chaque fois que je tentais de m’opposer Ă lui, Ă sa volontĂ©, il argumentait pour finir par me persuader que lui seul avait raison, et cela suffisait Ă me faire plier.Homme d’expĂ©rience, chef d’entreprise Ă la rĂ©ussite Ă©clatante, il avait toujours reprĂ©sentĂ© la droiture, le sens de l’honneur et surtout celui de la famille. Pour tous ses enfants, pour son entourage, pour ses collaborateurs, c’était une sorte d’exemple Ă suivre et Ă imiter. Travailleur acharnĂ©, c’était aussi un homme de goĂ»t ouvert Ă la culture, Ă toutes les cultures, et qui avait su nous inculquer la notion de curiositĂ© et d’ouverture d’esprit et de tolĂ©rance.Pourtant, ce soir-lĂ , la tolĂ©rance et l’ouverture d’esprit me semblaient particulièrement Ă©loignĂ©es de mes prĂ©occupations du moment. L’image idĂ©ale du « pater familias » venait d’un seul coup de se lĂ©zarder mĂ©chamment, et l’image idyllique que je m’en faisais avait volĂ© en Ă©clat dans la grande salle de chez Maxim’s.Pourtant il n’y eut ni drame ni reproche de sa part. Au contraire, au contact de ce calme et de cette sĂ©rĂ©nitĂ© dans ce moment si dĂ©licat, j’en oubliai mĂŞme mes acrimonies et mes ressentiments envers lui et son attitude pourtant si choquante.Constatant mon Ă©tat d’ébriĂ©tĂ©, sans un mot de rĂ©probation, il me poussa sous la douche froide. Pendant que je me sĂ©chais, il me prĂ©para un cafĂ© fort puis m’installa en face de lui, dans un des moelleux fauteuils de cuir du salon, avant d’entamer un long monologue.De ses remarques, de son discours, il ne me reste que quelques vagues souvenirs.D’abord, il m’a expliquĂ© qu’il avait rencontrĂ© Jade trois ans auparavant, lors d’un congrès professionnel oĂą elle servait d’interprète. Il avait eu le coup de foudre pour son sourire, son visage puis son corps. Depuis, tous les mois, sous prĂ©texte d’affaires, il montait Ă Paris et la rencontrait en secret. De temps en temps, lors de voyages d’affaires Ă l’étranger, il l’emmenait avec lui.Ă€ la maison, bien sĂ»r, rien n’avait transpirĂ©, personne ne s’était rendu compte de rien. Mon père Ă©tait la prudence mĂŞme. Ma mère n’était pas au courant et il valait mieux… Quant Ă mes frères et sĹ“ur, il les considĂ©rait comme Ă©tant beaucoup trop jeunes pour ĂŞtre mĂŞlĂ©s Ă de telles affaires. MĂŞme oncle Jacques ne savait rien.C’était jusqu’alors un secret particulièrement bien gardĂ© et mon père Ă©tait en train de m’expliquer que j’étais le seul Ă le connaĂ®tre et Ă le partager avec lui. Eh oui, il savait aussi pour Jade et pour moi, mais il eut le bon goĂ»t ou la discrĂ©tion de ne faire aucun commentaire Ă notre sujet.Après un long moment de silence, gĂŞnĂ©, il me fĂ©licita pour mon bon goĂ»t, avec sa façon si particulière de faire de l’humour.Il ne fallait pas ĂŞtre sorti des grandes Ă©coles pour comprendre combien cette situation Ă©tait embarrassante pour lui. Non seulement c’était dĂ©sobligeant pour lui de s’être fait pincer en compagnie de sa maĂ®tresse, mais en plus il se rendait parfaitement compte de l’incongruitĂ© de la situation : il devait se rendre Ă l’évidence, il partageait sa maĂ®tresse avec son fils.MĂŞme si ce genre de situation peut s’avĂ©rer relativement courant dans la sociĂ©tĂ©, pour mon père, elle Ă©tait non seulement inĂ©dite mais inconvenante.Pour moi aussi, cette situation Ă©tait indĂ©cente, peut-ĂŞtre mĂŞme plus pour moi que pour lui.Partager sa maĂ®tresse avec son père n’était pas chose facile Ă admettre. Pour ma part, je me voyais mal continuer Ă vivre une telle situation.Tous les deux, nous savions qu’il allait falloir trancher dans le vif et que, quelle que soit la solution adoptĂ©e, elle ferait des victimes et laisserait des cicatrices.Oui, il lui fallait prendre une dĂ©cision. Cependant, considĂ©rant l’état de dĂ©crĂ©pitude dans lequel je me trouvais, j’étais dans l’impossibilitĂ© de prendre une quelconque dĂ©cision.Alors, sur ses conseils avisĂ©s, je suis allĂ© me coucher.Dire que je n’ai pas rĂ©ellement dormi ne devrait pas vous Ă©tonner. Dans les quelques moments de mon lourd sommeil, mes cauchemars Ă©taient remplis de Jade marchant, nue, au bras de mon père, tandis qu’il me tenait loin de lui Ă bout de bras pour Ă©viter les coups de pieds que je tentais de lui lancer en souriant.Au matin, le tĂŞte-Ă -tĂŞte du petit dĂ©jeuner fut encore plus pĂ©nible.D’abord lourd de silence et de regards pleins de sous-entendus, jusqu’à ce que mon père prenne enfin la parole. Sur un ton sentencieux, avec son esprit analytique et rationnel qui avait repris le dessus, il reprit son rĂ´le de père de famille, dĂ©cideur et autoritaire.Il m’annonça que j’embarquais le soir mĂŞme pour une tournĂ©e professionnelle. Devant mon Ă©tonnement, il prĂ©cisa qu’il venait de me nommer « directeur du dĂ©veloppement international », poste encore inexistant dans l’entreprise puisque c’était jusqu’alors sa chasse gardĂ©e. Il m’expĂ©diait, durant quelques semaines, visiter clients et fournisseurs rĂ©partis Ă travers la planète. Ainsi espĂ©rait-il m’occuper l’esprit, me faire oublier Jade et m’éliminer de son champ d’action.En mĂŞme temps, la prĂ©cipitation de cette annonce lui permettait aussi d’éviter que je puisse revoir sa maĂ®tresse dès qu’il aurait le dos tournĂ© ou que j’aille me rĂ©fugier dans le giron maternel pour y noyer mon chagrin, ou pire, tout lui raconter.Dans la vie, on n’est jamais trop prudent et gouverner, c’est prĂ©voir !Sur ses ordres, plus que ses conseils, je me rendis Ă un ultime rendez-vous afin de pouvoir faire mes adieux Ă Jade. Cela se passerait Ă midi, dans un restaurant. Il avait lui-mĂŞme soigneusement choisi le lieu de rendez-vous, suffisamment peuplĂ© et huppĂ© pour Ă©viter toutes effusions et tout drame d’adieux dĂ©chirants entre deux amants sĂ©parĂ©s de force… et par la force des choses.Ă€ l’heure dite, j’entrai dans la salle oĂą, dĂ©jĂ , Jade m’attendait sagement, le visage baissĂ©, les yeux fixĂ©s sur l’assiette vide.Ă€ mon arrivĂ©e, elle a levĂ© vers moi sa figure si mignonne, m’adressant un pauvre sourire. Ses yeux, gĂ©nĂ©ralement rieurs, Ă©taient cernĂ©s de fatigue et, malgrĂ© la profondeur noire de son regard, je pouvais clairement y lire de la dĂ©tresse et de la tristesse. Nos premiers mots furent difficiles Ă formuler. D’ailleurs, que dire ? Que faire ? L’engueuler ? Crier ? TempĂŞter ? Pleurer ? Ă€ quoi cela aurait-il servi ? Les jeux semblaient bel et bien faits. Le hasard de la vie avait jouĂ© Ă l’apprenti sorcier et tous les deux, nous nous y Ă©tions brĂ»lĂ©s nos jeunes ailes.Je tentai bien de mettre la main sur la sienne pour la rĂ©conforter, mais elle la retira d’abord rapidement. Pourtant après un peu d’insistance, elle en accepta le contact. En jeune femme asiatique, ayant appris Ă se soumettre aux caprices de la vie et des hommes, elle semblait accepter cette situation avec rĂ©signation.Le repas fut vite expĂ©diĂ© car je n’avais nullement l’intention de me soumettre totalement Ă mon père et Ă ses diktats.Je proposai alors Ă Jade de rejoindre une chambre d’hĂ´tel de l’autre cĂ´tĂ© de la rue, pour qu’une fois encore, une dernière fois si c’était lĂ son souhait et celui de mon paternel, nous puissions jouir de nos corps. Je l’ai sentie rĂ©ticente et tiraillĂ©e par un douloureux combat intĂ©rieur. Elle aussi avait envie de faire l’amour – elle avait toujours envie de faire l’amour – mais en mĂŞme temps elle devait se demander si elle en avait le droit.Nous nous sommes retrouvĂ©s enlacĂ©s dans une chambre minable aux volets Ă moitiĂ© clos, assombrie par de lourdes tentures fanĂ©es et poussiĂ©reuses. Dans la pĂ©nombre de cette chambre impersonnelle, blottie sur mon Ă©paule, elle s’est mise Ă pleurer en me demandant pardon. Comme si tout cela Ă©tait de sa faute !CollĂ© Ă elle, je sentais Ă la fois la chaleur de son corps et les hoquets de ses sanglots qui roulaient sur mon Ă©paule.Ce corps que j’aimais, que j’avais appris Ă connaĂ®tre et Ă aimer, oĂą j’aimais perdre ma bouche, ma langue, mes doigts, ce corps Ă©tait en train de m’échapper. Ă€ cet instant prĂ©cis, ma vie semblait ne plus avoir de sens, ni valoir la peine de continuer. Mais il fallait aussi que je montre Ă Jade que j’étais capable d’être fort. Bien sĂ»r, moi aussi j’étais au bord des larmes. Et l’odeur de ses cheveux, la souplesse de son corps contre moi, la raideur qui commençait Ă faire une bosse dans mon pantalon, tout me faisait comprendre qu’il me fallait l’aimer au moins une dernière fois, si dernière fois il devait y avoir.Alors, tendrement, avec douceur, nous nous sommes embrassĂ©s, nous nous sommes touchĂ©s, nous nous sommes Ă©treints.Elle m’a laissĂ© promener longuement mes lèvres sur tout son corps, explorer ses replis les plus intimes, y compris ceux de son petit trou, oĂą j’ai pu me dĂ©lecter de ses odeurs fauves et goĂ»ter les premiers sucs qui en exsudaient.Dans un dernier Ă©lan d’amour – geste inoubliable pour l’amant interdit que je devenais – elle m’a offert cette virginitĂ©. Avec une tendresse immense j’en ai assoupli les bords, dĂ©clenchant cris et gĂ©missements, suintements et jets de plaisir. Au moyen de ma langue, puis de mes doigts, je l’ai pĂ©nĂ©trĂ©e, avant qu’elle ne m’y guide de sa main tremblante aux doigts si fins. Ainsi participait-elle volontairement Ă cet accouplement que jusqu’alors elle avait refusĂ© Ă tous ses amants, y compris mon père.Et l’idĂ©e de cette victoire sur lui, alors que j’étais enserrĂ© dans ce fourreau Ă©troit et glissant de plaisir, a fait que je n’ai pu retenir très longtemps ma jouissance. Jade semblait heureuse. Durant quelques minutes j’ai mĂŞme cru qu’elle avait oubliĂ© notre situation, que rien n’avait existĂ©, que nous avions vĂ©cu un simple cauchemar, un mauvais rĂŞve.Mais non. Malheureusement, la rĂ©alitĂ© Ă©tait bien lĂ . Il me fallait la quitter, peut-ĂŞtre Ă tout jamais. L’abandonner lĂ , Ă Paris, aux bras de mon père… L’insurmontable sentiment de haine qui montait en moi risquait de me faire devenir violent, et Jade comprit qu’il fallait abrĂ©ger nos adieux.Ă€ la dernière minute, alors que j’embarquais dans un taxi pour prendre l’avion, Jade, après m’avoir longuement embrassĂ©, m’annonça dans un souffle qu’elle savait que mon pĂ©riple passerait par le Cambodge et elle me confia une lettre pour sa mère. Elle me fit promettre d’aller la voir pour la lui remettre en mains propres. Avec quelques sanglots dans la voix, j’ai promis, avant que le taxi ne dĂ©marre en trombe, laissant sur le bord du trottoir Jade, son chagrin, ses amours avec mon père… et ses contradictions.Au bout d’un long pĂ©riple, l’un des derniers pays que mon père avait inscrit dans mes visites Ă©tait bien le Cambodge, comme Jade me l’avait annoncĂ© en me remettant la lettre pour sa mère. Une mère qu’elle n’avait pas revu depuis longtemps. Cette lettre Ă©tait aussi mon seul lien « physique » avec Jade et elle ne m’avait pas quittĂ© un instant. Ă€ tout moment, je portais les doigts sur le bord de l’enveloppe et, en sentant le contact du papier, j’avais l’impression de toucher un peu Jade. Son souvenir, loin de s’estomper, devenait au contraire encore plus vivace.Selon la promesse que je lui avais faite avant de partir, je ne lui avais ni Ă©crit, ni tĂ©lĂ©phonĂ©. Ce n’est pas que l’envie m’en ait manquĂ©Â ! Mais une promesse doit rester une promesse, mĂŞme si elle vous coĂ»te cher.En me forçant Ă m’éloigner, mon père avait eu malheureusement raison : il m’avait permis de rĂ©flĂ©chir, mais pas comme il l’avait souhaitĂ© ni envisagĂ©. Après ces quelques semaines d’une solitude forcĂ©e, j’étais bien dĂ©cidĂ©, en rentrant Ă Paris, Ă avoir une vraie conversation avec lui, d’homme Ă homme. Je voulais lui dire que je ne pouvais pas me passer de Jade… et tant pis pour lui !Moi, ma vie Ă©tait Ă faire, la sienne Ă©tait faite, sans compter qu’il y avait aussi ma mère ainsi que mes frères et sĹ“urs.J’étais aussi dĂ©cidĂ© Ă lui mettre le marchĂ© en main : il se devait de m’abandonner Jade, de m’embaucher dĂ©finitivement – avec un excellent salaire – et de me laisser l’appartement de Paris. En Ă©change de quoi, bien sĂ»r, je ne disais rien de son aventure extraconjugale.Autrement… je ne savais toujours pas comment me dĂ©brouiller avec la suite de cette menace…Autrement… quoi ?… VoilĂ Ă quoi bon nombre de mes soirĂ©es de cĂ©libataire forcĂ© avaient Ă©tĂ© consacrĂ©es durant ce laps de temps.Autrement… J’avais bien pensĂ© Ă diffĂ©rentes menaces, dont celle de rĂ©vĂ©ler ce lourd secret Ă ma mère. Cette solution, souvent Ă©voquĂ©e, aurait eu comme consĂ©quence immĂ©diate de briser son mĂ©nage, de lui causer du chagrin et, surtout, de me rendre odieux vis-Ă -vis d’elle. Ça, je ne pouvais m’y rĂ©soudre.D’autres idĂ©es Ă©taient aussi venues m’effleurer l’esprit. Par exemple, une rupture avec le cercle familial… Mais j’en avais vite rejetĂ© l’idĂ©e, par peur de perdre Jade qui m’avait semblĂ© si attachĂ©e Ă cette notion de cercle familial.Et pourtant, je ne me voyais franchement pas introduire officiellement Jade dans ma famille. Comment pourrait-elle considĂ©rer mon père – son ex-amant – avec les yeux d’une « bru » ? Et comment devrait-elle se comporter avec ma mère, sorte de « rivale » ?Et moi ? Comment n’aurais-je pas eu de doute quant Ă sa fidĂ©litĂ© ou Ă celle de mon père ? Oseraient-ils continuer Ă se frĂ©quenter, Ă faire l’amour ? Comment affronter le regard de mon père, mĂŞme une fois mariĂ©s ? Un regard oĂą je pourrais lire cette petite lumière coquine, chaque fois que je le verrais et qu’il me trouverait les traits tirĂ©s ? Je pourrais y lire une forme de connivence, inacceptable Ă la longue…Et plus je tournais dans ma petite cervelle toutes ces donnĂ©es, plus la situation me semblait inextricable. Pourtant, un fait Ă©tait certain : j’aimais Jade, et la perspective de la perdre, de ne plus jamais la voir, de faire une croix sur notre aventure me rendait fou de douleur. Dans ces moments-lĂ , loin d’elle, loin de Paris et de mon père, je le haĂŻssais !DĂ©bat cornĂ©lien s’il en fĂ»t !C’est dans cet Ă©tat d’esprit que je dĂ©barquai Ă Phnom Penh, terme de mon voyage forcĂ©, Ă la fois heureux de savoir que c’était lĂ ma dernière Ă©tape avant de rentrer, et inquiet Ă la perspective de ce retour et de cette situation que j’allais devoir affronter rĂ©ellement.Ă€ peine dĂ©barquĂ© Ă Phnom-Penh, j’expĂ©diai rapidement mes premiers rendez-vous pour profiter de la fin d’après-midi chaude et harassante et rendre visite Ă la mère de Jade afin de lui remettre la lettre qui m’avait Ă©tĂ© confiĂ©e.J’étais assis sur un vieux siège dĂ©mantibulĂ©, dans un rickshaw tirĂ© par un vĂ©lo poussif dont la chaĂ®ne grinçait, et qui se frayait un passage Ă travers une foule grouillante prenant la chaussĂ©e pour un trottoir ; il nous fallut traverser Ă peu près toute la ville et nous enfoncer dans les ruelles sombres, au milieu de taudis et d’enfants dĂ©penaillĂ©s Ă la figure d’ange, qui me suivaient d’un regard inquisiteur. Le rickshaw s’immobilisa enfin dans un grand grincement de freins, juste devant une maison Ă un Ă©tage, peinte en blanc, aux portes basses et aux volets rouge cramoisi.J’arrivais Ă l’heure oĂą les enfants rentraient de l’école par petits groupes volubiles, et dont les ensembles blanc et bleu marine contrastaient avec le fatras et les tas d’immondices.Évitant de m’enfoncer dans le bourbier de la voirie, je sautai sur le seuil de la maison. En me pliant en deux, j’entrai dans la masure et traversai une sorte de corridor sombre pour dĂ©boucher au milieu d’un patio oĂą poules et coqs s’ébattaient en toute libertĂ©.Assise dans une nacelle de bambou, une vieille femme fumait une longue pipe. Elle avait mis sa main en visière Ă mon approche pour mieux me distinguer et, le tuyau coincĂ© dans sa lippe sans dents, elle ameuta la maisonnĂ©e. Sur le pas d’une autre porte se tenait une jeune et jolie Cambodgienne, copie conforme de Jade, mains jointes, buste incliné ; elle me souhaita la bienvenue dans un anglais approximatif et m’invita Ă entrer dans la pièce.Me pliant aux coutumes locales, j’ôtai mes chaussures et la suivis.Nous ne pouvions communiquer qu’au moyen d’un anglais approximatif, mĂŞlĂ© Ă quelques mots de français. Oui, c’était la petite sĹ“ur de Jade. Elle Ă©tait heureuse de faire ma connaissance et battit des mains en dansant sur place quand je sortis l’enveloppe de ma poche pour lui demander de la remettre Ă sa mère. Rapidement, elle disparut, me laissant seul quelques instants dans la pièce qui devait servir Ă toute la famille pour vivre.Au mur pendaient diverses hardes et des bannières couvertes d’idĂ©ogrammes. Dans un coin, un petit autel tout dorĂ©, surmontĂ© d’un Bouddha, Ă©tait dĂ©diĂ© aux ancĂŞtres et Ă la famille. Devant la statue se consumaient des bâtons d’encens et des bougies. Quelques photos sĂ©pia ou en noir et blanc illustraient ces fameux ancĂŞtres. Je m’approchai pour mieux regarder une photo qui reprĂ©sentait certainement Jade bĂ©bé ; derrière celle-ci se trouvait la photo d’un couple.Avec dĂ©licatesse je m’emparai de la photo. Elle reprĂ©sentait une jeune Cambodgienne au bras d’un Blanc, un grand type en tenue camouflĂ©e de parachutiste, le bĂ©ret crânement posĂ© de travers sur la tĂŞte. En regardant mieux les traits de cet homme, je ne pouvais que reconnaĂ®tre, sans me tromper, oncle Jacques !La surprise ne me permit mĂŞme pas d’entendre la sĹ“ur de Jade entrer dans la pièce, accompagnĂ©e de sa mère qui s’approchait de moi Ă pas menus.Sans prendre la peine de saluer, en vrai mufle, je lui tendis la photo sous le nez en l’interrogeant :— Quel est cet homme ?— Qui ?Elle rĂ©cupĂ©ra prestement la photo, fit sortir sa fille de la pièce, et m’invita Ă m’asseoir sur une natte. Son français semblait meilleur que l’anglais de sa fille, et c’est dans cette langue qu’elle me raconta une histoire que mes oreilles n’étaient pas prĂŞtes Ă entendre ni Ă croire.Cet homme, sur la photo, c’était le seul souvenir qui lui restait et qu’elle avait pu sauver de la folie meurtrière des Khmers Rouges.Il Ă©tait Français et avait travaillĂ© Ă l’ambassade pour tenter de sauver le Roi. Oui, ils s’étaient aimĂ©s, et de cet amour Ă©tait nĂ©e une enfant, Jade, qui ne connaissait pas son père. Non, il ne savait mĂŞme pas qu’il avait une fille, ni qu’elle, sa mère, avait failli trĂ©passer dans les camps de rĂ©Ă©ducation parce qu’elle Ă©tait fille-mère d’une Eurasienne.Heureusement, elle avait eu la vie sauve grâce Ă des relations et parce qu’elle n’était pas Cambodgienne mais ThaĂŻlandaise. Sans ĂŞtre autorisĂ©e Ă quitter le pays, elle avait pu mener une vie misĂ©reuse mais honorable.Quand Jade eut atteint l’âge de cinq ans, elle avait rĂ©ussi Ă la faire Ă©vader, lui trouvant refuge chez des cousins Ă Paris. Depuis, elle n’avait jamais revu sa fille chĂ©rie. De temps en temps elle recevait un courrier transmis de la main Ă la main, comme celui que je lui amenais aujourd’hui. Jamais elle ne donnait de nouvelles Ă sa fille.Bien sĂ»r, elle savait, elle, le nom du père ; il Ă©tait d’ailleurs notĂ© sur un paquet de lettres qu’elle donnerait plus tard Ă Jade ; jamais elle n’avait essayĂ© d’entrer en contact avec lui, car ainsi allait la vie, pour elle.Sur ma demande, elle partit Ă pas menus chercher ces lettres, me laissant seul Ă ruminer. Cet homme dont tout, la description, le travail, le moment du sĂ©jour, correspondait exactement avec mon oncle… cet homme serait-il vraiment mon oncle ? Et Jade… ma cousine ?Abasourdi… J’étais soudain abasourdi par cette nouvelle et ses sombres perspectives.VoilĂ qu’après avoir fortuitement dĂ©couvert que Jade Ă©tait la maĂ®tresse de mon père, je me rendais compte que Jade pouvait aussi ĂŞtre ma cousine…Et puis, soudain, la VĂ©ritĂ© criante et hurlante m’a soudain sautĂ© Ă la gorge… Si Jade Ă©tait ma cousine, elle Ă©tait aussi… la nièce de mon père… et ce saligaud avait donc couchĂ© avec… sa nièce !Une effroyable chair de poule d’horreur me faisait dresser les cheveux sur ma tĂŞte, tant j’étais interloquĂ© et abruti par cette Ă©normité…Comment cela serait-il possible ? Serais-je tombĂ© amoureux de ma cousine ? En plus, j’avais couchĂ© avec elle ! Et mon père… avec sa nièce ! Et l’oncle Jacques qui n’était mĂŞme pas au courant de l’existence d’une fille qui vivait Ă Paris… et qui Ă©tait la maĂ®tresse de son frère et de son neveu ! Comment lui dire ? Comment lui faire comprendre, lui expliquer…Tout se bousculait dans ma pauvre tĂŞte…Sous le coup de cette dĂ©couverte, je tentai de remuer la tĂŞte pour en chasser les idĂ©es cauchemardesques qui m’assaillaient tandis que de longues larmes salĂ©es m’empĂŞchaient de distinguer, debout devant moi, la mère de Jade ; elle sortait d’une pochette un paquet d’enveloppes, dĂ©liant avec un soin extrĂŞme les faveurs en velours rouge qui les tenaient serrĂ©es.Elle me tendit le paquet de vieilles enveloppes au papier extrafin, des enveloppes « par avion », estampillĂ©es Ă Paris.L’écriture, fine et serrĂ©e, correspondait Ă celle que je connaissais, celle de mon oncle, je n’avais aucun doute quant Ă son Ă©criture. Pensez donc, j’avais tant et tant de fois guettĂ© ses lettres quand j’étais adolescent, pour ĂŞtre le premier Ă rĂ©cupĂ©rer les timbres, qu’aujourd’hui encore je pouvais distinguer son Ă©criture entre mille autres.Alors, je n’ai mĂŞme pas pris la peine d’ouvrir les enveloppes pour lire sa prose. Il m’a seulement suffi de lire le nom de l’expĂ©diteur.Oui, c’était bien lui.MalgrĂ© le temps, vingt-quatre ans, l’encre avait peu pâli et l’on distinguait encore très bien le nom et le prĂ©nom tracĂ©s d’une main ferme en lettres capitales.Les doigts tremblants, les yeux piquants de larmes, je ne pouvais plus ni bouger ni respirer. J’étais tĂ©tanisĂ©.Mon trouble inquiĂ©ta la mère de Jade. Elle ne comprenait pas ce qui me chagrinait dans ces lettres. Au contraire, elle Ă©tait calme, sereine et avenante. Pour me rĂ©conforter, elle me proposa un verre d’un alcool fort.Après avoir avalĂ© presque la moitiĂ© de la bouteille – il me fallait bien ça pour digĂ©rer cette nouvelle – je quittai rapidement la petite maison, sans mot dire.Aurait-elle seulement pu comprendre ? Et puis, quel choc pour cette pauvre femme !Alors je me suis contentĂ© de la remercier pour son accueil et, comme un voleur, je me suis Ă©clipsĂ© dans la nuit tombante, Ă la recherche d’un rickshaw pour me ramener Ă l’hĂ´tel.Une fois Ă l’abri de ma chambre, le tĂ©lĂ©phone dĂ©crochĂ©, la porte fermĂ©e Ă clef, je me suis laissĂ© tombĂ© en travers du lit et, la tĂŞte lourde de l’alcool de riz, j’ai pleurĂ©, pleurĂ© toute la nuit, Ă gros sanglots, serrant très fort l’oreiller dans mes bras. J’ai pleurĂ© de dĂ©pit, de rage, j’ai pleurĂ© de colère. J’en voulais Ă la terre entière et Ă ma famille en particulier. J’en voulais au destin. J’en voulais Ă la vie !Quelle saloperie, la vie, quand elle vous manigance un coup pareil ! Elle n’avait pas le droit, la vie, de me faire ça ! Non, ce n’était pas juste, elle n’était pas juste avec moi, la vie.Le matin venu, la tĂŞte lourde, agitĂ© encore par toutes les pensĂ©es de la nuit et toujours sous le coup de l’émotion de ma stupĂ©fiante dĂ©couverte, j’annulai tous mes rendez-vous et trouvai une place pour rentrer le plus vite possible Ă Paris. Il fallait que je voie Jade ou mon père ou mon oncle. Il fallait que je voie quelqu’un, que je parle, que je m’épanche, ou alors j’allais devenir fou.Ă€ Paris, je n’ai pas vu Jade.J’ai vu mon père, mais je n’ai pas pu lui expliquer quoi que ce soit. D’abord parce qu’il m’a annoncĂ© que son aventure avec Jade Ă©tait terminĂ©e. Elle n’avait pas pu supporter de partager le père et le fils, ni voulu faire de choix et avait demandĂ© sa mutation dans un autre service de l’UNESCO.VoilĂ , elle Ă©tait partie ! Il n’en savait pas plus et n’avait pas cherchĂ© Ă le savoir.Mon père semblait suffisamment abattu et repentant pour ne pas avoir Ă subir une avanie supplĂ©mentaire. Alors je lui ai volontairement cachĂ© la filiation qui existait entre son frère et Jade.Je n’ai pas eu le courage non plus d’affronter la rĂ©alitĂ© lors d’un nouveau tĂŞte-Ă -tĂŞte avec oncle Jacques. J’avais peur que l’annonce tardive de sa paternitĂ© lui soit fatale. MalgrĂ© sa vigueur et la soliditĂ© apparente de sa santĂ©, son cĹ“ur Ă©tait de plus en plus fragile.Bien sĂ»r, quand nous nous sommes vus, quand nous avons dĂ®nĂ© ensemble pour fĂŞter mon retour, il a tentĂ©, avec l’obstination d’un vieillard tĂŞtu, d’orienter la conversation vers les merveilleuses Cambodgiennes… et Jade en particulier. J’ai dĂ» faire un très gros effort sur moi-mĂŞme pour Ă©luder ses questions, mentir et finir par lui avouer seulement qu’avec Jade, c’était de l’histoire ancienne, passĂ©e, oubliĂ©e.Certes, le brave homme a compati Ă mon chagrin, m’expliquant avec son esprit macho qu’à mon âge, une de perdue, dix de retrouvĂ©es… Mais moi, il me fallait surtout lutter pied Ă pied pour tenir ma langue, cacher le secret dont j’étais dorĂ©navant le seul dĂ©tenteur, et faire taire cette petite voix intĂ©rieure qui me rappelait aussi que, si j’avais perdu Jade c’était Ă cause de lui, l’oncle Jacques que j’admirais tant, et aussi Ă cause de mon père. Et cette petite voix me disait « Vas-y, venge-toi, dis-leur la vĂ©ritĂ©Â ! Mets-les en face de leurs responsabilitĂ©s ! »Eh bien, non. Je n’ai pas Ă©coutĂ© la petite voix. Je l’ai Ă©touffĂ©e, enfermĂ©e au fond de moi. Oui, j’ai tenu ma langue, et maintenant j’en tire une certaine fiertĂ©. Non, je n’ai pas parlĂ© de cette paternitĂ©, ni avec mon père ni avec oncle Jacques. Peut-ĂŞtre qu’ils ne m’auraient pas cru, pensant l’un et l’autre que j’avais inventĂ© cette sombre histoire de famille par simple esprit de vengeance.Pourtant, je suis toujours amoureux de Jade.Un amour que je sais impossible. Alors, c’est vrai, chaque fois que je vois maintenant une jolie paire de fesses ou un casque de cheveux noir corbeau cachant en partie un mignon minois asiatique, mon cĹ“ur s’arrĂŞte un instant de battre et mes pensĂ©es s’envolent vers Jade, l’inaccessible…