Je suis venue au rendez-vous…Je suis venue au rendez-vous…Je suis venue au rendez-vous. J’ai trois quarts d’heure d’avance. Le temps d’être sĂ»re de savoir ce que je fais, le temps de le regretter… Je devrais faire demi-tour. Et si un ancien professeur du lycĂ©e, une connaissance de mes parents ou encore leur banquier, que sais-je, me voyaient lĂ , les bras ballants, maquillĂ©e comme pour un mariage, Ă attendre dans une obscuritĂ© aussi morbide qu’un enterrement Ă Ornans… ? Je commence Ă avoir un peu froid. Des tas de petits frissons m’envahissent et je ressens un poids Ă©norme dans le bas du ventre.C’est très agrĂ©able…Je reste. Je me moque du banquier. D’ailleurs, que viendrait-il faire Ă une heure pareille dans un endroit pareil ? Comme moi, certainement. Il ne serait pas fier de me croiser. Il baisserait les yeux et monterait aussi rapidement qu’un furet dans une petite voiture rouge dans laquelle un petit homme tout droit sorti du casting des sosies des Village People l’attendrait. Il paraĂ®t en effet que c’est ici le point de rencontre des gays coquins solitaires… Qu’est-ce que je fous lĂ Â !… Je suis seule, du moins je pense, sur ce rebord de dĂ©partementale et l’air frais du mois fĂ©vrier ressuscite mon corps angoissĂ©. Au loin, j’entends les murmures de la grande ville ; elle s’endort, doucement… Je marche le long de la route, je me retourne : derrière il y a de grands champs cultivĂ©s et des abris en bois faiblement Ă©clairĂ©s par la lune. Je me dirige vers un gros caillou blanc qui fera parfaitement office de charmant banc taillĂ© dans la pierre polie. Lorsque j’approche, une ombre sursaute. Je fais de mĂŞme. L’ombre s’éloigne, puis se retourne et m’observe. Deux yeux d’agates brillent dans le noir et semblent me questionner. Je hausse les Ă©paules. Moi-mĂŞme, lui dis-je, je ne sais pas vraiment pourquoi je suis là … La rĂ©ponse paraĂ®t lui convenir. Les yeux d’agates, espiègles, trottinent jusqu’à moi et se jettent sur mes genoux. Je caresse la fourrure du matou qui me remercie par de chaleureux ronronnements. Je regarde ma montre. Pas encore l’heure… Il m’a dit qu’il serait ponctuel.« Il », c’est un garçon que j’ai rencontrĂ© mardi Ă une fĂŞte chez Élodie. Je ne l’avais jamais vu auparavant. Il ne fait pas partie de la « bande », comme disent les jeunes dont je suis malheureusement membre. J’ai tout de suite Ă©tĂ© attirĂ©e par lui. J’avais de toute façon envie de « nouveauté ». Les autres commencent Ă m’ennuyer ; c’est toujours les mĂŞmes phrases, les mĂŞmes blagues, les mĂŞmes dĂ©bats idiots qui reviennent comme une rengaine. Je les connais par cĹ“ur. Je retourne toujours aux fĂŞtes car ils sont, quoi qu’il en soit, mes seuls amis. Et je prĂ©fère occuper mes soirĂ©es avec eux que de rester cloĂ®trĂ©e dans ma chambre miteuse Ă lire des comics toute la nuit ou Ă fantasmer sur mon prof de natation.Lundi matin, Élodie et son adorable petit ami sorti tout droit d’une rĂ©union syndicaliste d’étudiants aux cheveux longs m’ont croisĂ©e en ville et m’ont invitĂ©e Ă leur soirĂ©e bière, drague et politique. Je me demande pourquoi ils continuent Ă penser Ă moi pour leurs fĂŞtes… Non pas que je sois une fille dĂ©sagrĂ©able qui saccage toute bonne ambiance, mais disons que je ne participe que très rarement aux conversations proposĂ©es. Par exemple, lorsqu’il s’agit de filles : « Peut-on coucher sans amour ? » Pour les mecs : « Peut-on parler de baise en Ă©tant amoureux ? » Et pour les cheveux longs, filles et garçons : « Ne penses-tu pas que la beautĂ© cristalline de la poĂ©sie de Rimbaud est la seule Ă pouvoir nous permettre une Ă©vasion loin de ce monde matĂ©rialiste et hiĂ©rarchisĂ© qui nous aliène ? »Ce genre de soirĂ©e peut aussi Ă©videmment offrir l’occasion d’expĂ©rimenter toutes sortes d’alcools et tester gaiement nos rĂ©sistances physiques face aux mĂ©langes entre certains. Soyons honnĂŞtes, on ne vient bien souvent que pour ça. Histoire de boire en public et ainsi se donner l’excuse de s’amuser. Pour ma part, je ne bois essentiellement que pour deux raisons : pour m’aider Ă sĂ©duire quelqu’un lorsque je n’en ai pas le courage Ă jeun (une fille soi-disant saoule Ă tout Ă fait le droit de se vautrer dans les bras virils d’un jeune homme sans qu’on lui en tienne rigueur… Mon Dieu, comme les filles simulent…) ou pour oublier que je passe une soirĂ©e merdique et que mon quotidien est dĂ©finitivement merdique. – Je prĂ©cise : il s’agit lĂ bien Ă©videmment de pensĂ©es spĂ©cifiques de personnes victimes d’un trop grand abus de ce qu’il faut gĂ©nĂ©ralement consommer avec modĂ©ration, et grâce au ciel, je n’ai pas toujours ce genre de rĂ©flexions en tĂŞte !…J’ai tout de mĂŞme une amie Ă qui je tiens beaucoup et qui heureusement participe de temps en temps Ă ces pseudos salons philosophiques prĂ©-pubiens. Elle s’appelle Luz et elle est originaire d’Espagne, comme son prĂ©nom l’indique. Elle est nĂ©e Ă Ronda et vit ici, Ă Versailles, depuis deux ans pour apprendre le français. Elle ne parle que très rarement de sa famille et je me demande parfois si elle lui manque. Je n’ose pas lui poser de questions car j’aurais trop peur de faire naĂ®tre chez elle des larmes, chose qui passerait pour totalement surrĂ©aliste pour une fille comme Luz. C’est en effet une personne très vive et drĂ´le, et elle ne pense que très rarement Ă ĂŞtre triste ou Ă se plaindre de quoi que ce soit sur sa vie. Elle est aussi très « cultivĂ©e » sexuellement. Elle me raconte tout, dans les moindres dĂ©tails, et j’avoue que j’envie souvent ses expĂ©riences extra-scolaires…Pendant trois semaines, je l’ai accompagnĂ©e Ă ses rendez-vous, histoire de voir du monde et de rencontrer de potentiels amants. Au dĂ©but, j’avais refusĂ© violemment : je trouvais sa proposition obscène (elle l’est d’ailleurs…). Je ne voulais surtout pas admettre mon retard par rapport aux autres filles de mon âge. Ă€ dix-neuf ans, la plupart de mes amies Ă©taient dĂ©jĂ dĂ©pucelĂ©es, moi non. J’en avais très honte, mais je faisais mine de ne pas y penser et Ă©vitais au maximum le sujet. Étrangement, ce qui me gĂŞnait le plus n’était pas le fait de ne point avoir d’amoureux, comme disent les petites filles romantiques, mais surtout de n’avoir suscitĂ© de dĂ©sir, le plus primaire soit-il, chez aucun homme. Je mourrais d’envie de savoir ce que l’on ressentait sous des caresses et sous le corps lourd et suant d’un amant. J’arrivai finalement Ă en parler Ă Luz qui trouva mes envies « passionnantes » (dixit Luz) et Ă©tonnantes pour une fille. Elle me dit qu’elle Ă©tait ravie de savoir que je me questionnais sur le sexe et que je n’attendais pas stupidement qu’un quelconque prince charmant vienne m’en dĂ©goĂ»ter un beau jour. Je riais de son cynisme, et lui rĂ©pondis que je n’étais pas aussi insensible qu’elle et que j’attendais tous les soirs Ă ma fenĂŞtre le « gentil rossignol de mes amours ». Mais cependant, les volets restaient clos, il Ă©tait vrai que la question du sexe m’obsĂ©dait.J’avais eu des petits amis… Non, je reprends : je n’avais eu que très peu de petits amis et rien n’avait jamais Ă©tĂ© sĂ©rieux. La relation se rĂ©sumait Ă quelques bĂ©cotages brefs et rapides avant de rentrer en cours, ponctuĂ©s, en musique de fond, par les gloussements niais de mes fabuleuses copines. Attention : copines du collège. Car ce ne fut qu’à cette pĂ©riode que, dĂ©corĂ©e d’acnĂ© et d’un Ă©norme sac Ă dos, je connus mes seuls succès discrets avec les garçons… Allez comprendre. Ce fut aussi l’époque oĂą je dĂ©couvris la joyeuse expression « sortir avec », que je trouve encore aujourd’hui d’une pudeur charmante.Puis vint le lycĂ©e, lieu de perdition, oĂą je cessais d’être une première de la classe, me mis Ă sortir avec des tas de gens « cools » dont je ne connaissais et estimais Ă peine que la moitiĂ©, Ă boire et Ă fumer. J’ai d’ailleurs arrĂŞtĂ© depuis ; c’est tout compte fait immonde. Bref, je passais des annĂ©es que l’on peut titrer « adolescence », et j’étais rĂ©ellement en pleine crise. Je pensais passer les plus belles annĂ©es, heureuses et insouciantes, de ma vie, mais avec le recul, ce furent les pires. Tout ce que je vivais n’était qu’un bonheur forcĂ©, hypocrite, hystĂ©rique. Au fond, j’étais seule, et je le savais bien. Durant ces trois annĂ©es, je n’eus pas un seul copain. Je devins distante avec eux, quoique, le mot exact serait plutĂ´t timide. Je ne voyais pas de quelle manière j’aurais pu plaire, et ce fut un temps oĂą je me mis Ă fantasmer sur des rencontres et des corps poilus et virils uniquement sur papier, en Ă©crivant le soir, « après une dernière cigarette », mes premiers rĂ©cits pseudos-Ă©rotiques.Encore aujourd’hui, je possède cette rĂ©ticence Ă me mettre en valeur, n’étant toujours qu’à moitiĂ© sĂ»re de mon charme. Ce « charme » dont je parle, c’est mon père qui me l’a attribuĂ©. Il a Ă©mergĂ© un beau soir de ses rĂŞveries pour s’étonner que je n’aie point de Jules. Il a dit : « Dis-moi, ma puce, tu ne nous parles jamais de tes amours… » J’ai rĂ©pondu que c’était normal, qu’il n’y en avait pas. « Hum, a-t-il ajoutĂ©, c’est Ă©tonnant, tu es pourtant… charmante. » Je ne sais pas s’il entendait par là « gentille » mais, toute heureuse, j’ai pris la remarque pour un compliment sur ma beautĂ© – chose rare, les compliments, chez mon petit papa. Je ne suis pas une fille totalement moche, et il m’arrive mĂŞme de me plaire certains soirs devant le miroir (non, pas ces soirs oĂą je faisais des pitreries en pyjama en expĂ©rimentant le maquillage de ma mère, les autres). Mais je dois avouer que j’ai une insuffisance de sensualitĂ© qui s’explique par mon manque de confiance en moi… Ă€ peine ai-je le dĂ©sir de sĂ©duire par le regard ou par d’autres outils fĂ©minins tels le sourire, les lèvres ou un certain dĂ©hanchement qui, selon Luz, fait fondre les hommes, que je me sens soudain grotesque et en proie Ă un ridicule profond. Je rougis, perds toute assurance et finis par stagner dans un coin sur ma chaise Ă attendre que les lumières du bar s’éteignent.La première fois que j’accompagnai Luz Ă un rendez-vous, je m’étais habillĂ©e de sorte Ă passer inaperçue. Suite Ă ses insistances, j’avais acceptĂ© de venir avec elle jusqu’au cafĂ©, de discuter cinq minutes avec son prĂ©tendant, puis prĂ©tendre avoir une course Ă faire et m’enfuir le plus vite possible, fière d’avoir humĂ©e une ambiance de sĂ©duction qui allait forcĂ©ment se terminer bestialement au lit, connaissant Luz. Cela ne se passa pas du tout ainsi. Ma chère Luz n’avait pas invitĂ© un prĂ©tendant au cafĂ©, mais deux. Et je compris vite son petit plan. Le second Ă©tait soi-disant un copain du premier qui passait lĂ par hasard et qui se rĂ©jouit bien vite de ma prĂ©sence. Luz avait tout de mĂŞme bien choisi, car il Ă©tait plutĂ´t sĂ©duisant. Elle me dit plus tard qu’elle les avait connus en discothèque et qu’ils ne cherchaient Ă©videmment rien de sĂ©rieux, juste Ă s’amuser avec des filles « ouvertes d’esprit », comme ils se plaisaient Ă le dire. Bertrand, mon « soupirant », en vint droit au fait. Au bout de quelques plaisanteries, que je n’ai d’ailleurs toujours pas saisies, il posa doucement sa main sur ma cuisse et s’approcha de moi pour me dire que je lui plaisais. J’eus un petit rire niais et lui rĂ©pondis qu’il Ă©tait très beau. C’était idiot, plat et pas totalement vrai, mais je ne m’attendais pas Ă ce qu’il me dise cela aussi rapidement, et je n’avais sur l’instant aucune rĂ©partie potable. Il ne m’en tint rigueur et passa sa main dans mes cheveux. Je tremblais. Ă€ cĂ´tĂ©, Luz batifolait avec Jules (je ne me souviens plus de son prĂ©nom, mais celui-ci lui va très bien).A la suite d’autres rendez-vous, oĂą je flirtais plus ou moins chastement avec de nouveaux « soupirants » (mais guère intĂ©ressants), j’eus l’occasion de revoir Bertrand et notre relation devint de plus en plus… rapprochĂ©e. Elle commença par un baiser, assez mĂ©canique, dans le cafĂ© de notre première rencontre et se termina par une bise un soir, après un repas chez Luz.Entre ces deux saynètes, il y eut un intermède plus ou moins long de caresses, mais nous n’alliâmes jamais jusqu’à l’acte sexuel Ă proprement parler. Nous nous Ă©tions retrouvĂ©s nus une fois dans son appartement et il avait rĂ©veillĂ© en moi des endroits que je croyais endormis Ă jamais ou mĂŞme inexistants. Il aimait embrasser mes seins, qu’il tenait le plus souvent fermement dans ses mains, et il les lĂ©cha alors pour mon plus grand plaisir, et se dirigea vers mon nombril sur lequel il dĂ©posa un baiser et descendit jusqu’aux hanches. Il enfouit son visage entre mes jambes et je tenais ses cheveux entre mes doigts crispĂ©s par le plaisir. Puis il revint contre moi et passa une main experte derrière mon cou. Il m’embrassa. Je fus surtout fascinĂ©e, ce soir-lĂ , par son sexe qui se redressait impulsivement sous les passages discrets de mes doigts timides et maladroits. Cette fantaisie dura jusqu’à ce qu’il s’impatiente et que je finisse par lui dire que je ne voulais pas aller plus loin.Il se rhabilla très vite, ne manifesta aucun reproche Ă mon Ă©gard mais ne me regarda plus pendant un long moment. Il finit par aller dans la salle de bains oĂą, peut-ĂŞtre, il se lava les mains ou se masturba, ou bien les deux. Lorsqu’il revint, je n’étais toujours pas sortie du lit et je restais nue sous les draps frais, perdue dans mes pensĂ©es. Je sentis alors son regard sur moi et je lui lançai des yeux remplis d’excuses. Il ne sembla pas les remarquer. Il marchait dans la chambre et paraissait soucieux. Je lui tendis la main et lui proposai de venir s’asseoir près de moi. Ce qu’il fit. Il parla enfin. Il me demanda si j’étais amoureuse de lui et si c’était pour cette raison que je voulais ainsi attendre pour faire l’amour. DĂ©cidĂ©ment ce garçon me surprenait dès qu’il ouvrait la bouche. Non… non, je ne suis pas amoureuse de toi, Bertrand. Je ne l’avais jamais Ă©tĂ© et ce n’était pas ce que je cherchais dans cette relation. Je n’avais cependant pas le temps de lui rĂ©pondre ; il avait tout de suite enchaĂ®nĂ© en m’expliquant qu’il ne voulait en aucun cas avoir une relation sĂ©rieuse avec moi, que j’étais juste une amie avec qui il passait du bon temps et qu’il n’avait pas envie de « se prendre la tĂŞte » (expression qu’il ne cessait de ruminer depuis notre rencontre). Je le rassurai, lui promettant de ne pas lui en demander plus. Je me rhabillai et me dĂ©cidai Ă partir. Je lui fis un baiser sur la joue et m’excusai une dernière fois. En partant, je me retournai devant le seuil de porte et je lui avouai que si je n’avais pas pu continuer, c’était certainement parce que j’étais encore vierge et que j’avais un peu peur. Il rit de bon cĹ“ur, comme si je disais une blague tordante. Son rire disparut petit Ă petit, devenant de plus en plus gĂŞnĂ©. Il comprit que je ne plaisantais pas. Je baissai la tĂŞte et lui dis doucement au revoir. Je le revis quelques jours plus tard chez Luz et il resta assez distant avec moi pendant tout le repas. Ă€ la fin de la soirĂ©e, il me raccompagna jusqu’à ma voiture et me fit un câlin très correct et très rĂ©confortant. C’était un chic type.Cela fait quelque temps maintenant que je n’ai plus accompagnĂ© Luz dans ses rencontres. Elle est un peu déçue. Elle l’est aussi du fait que je n’ai pas donnĂ© suite Ă ma relation avec Bertrand. Je crois savoir maintenant que ce qui me bloquait n’était pas, comme il le pensait, parce que j’étais amoureuse de lui, mais au contraire parce que je ne l’étais pas. Le fait que je sois vierge n’avait finalement rien Ă voir. J’avais de toutes façons envie de sexe, m’impatientais de connaĂ®tre, d’en savoir plus. Je n’avais qu’une peur en vĂ©ritĂ©Â : regretter que ce soit lui le premier. Je n’ose pas parler de cela Ă Luz, j’ai peur qu’elle ne comprenne pas et me dise d’un air dĂ©sinvolte que je suis bien trop fleur bleue. J’ai essayĂ© d’être comme elle pendant ces quelques semaines, et j’en tire de nombreux avantages. Je ne vire dĂ©sormais plus maladivement au rouge tomate lorsqu’un mâle viril tente d’élaborer une conversation avec moi. Je sais que je peux plaire. Je connais Ă prĂ©sent certains de mes atouts et aussi les points sensibles de mon corps (merci Bertrand). Cependant, je sais que je ne pourrais pas continuellement mener la vie sentimentale (car je la soupçonne d’en avoir plus que ce qu’elle prĂ©tend) que Luz mène depuis des annĂ©es… C’est très plaisant, je l’avoue et je continuerais peut-ĂŞtre plus volontiers si je n’avais pas rencontrĂ© « il », ou plutĂ´t Christophe, l’adorable garçon de la soirĂ©e d’Élodie qui a fait fondre mon cĹ“ur. Si Luz m’entendait, oui, elle aurait le droit de dire que je suis fleur bleue en ce moment !Nous nous sommes tout de suite plu. Comme des aimants, nous nous sommes rapprochĂ©s, progressivement, et j’ai mis fin Ă cette attraction physique en posant mes fesses sur le sofa près de lui. Durant la soirĂ©e, nous avons plus ou moins flirtĂ© et j’avoue avoir eu recours (quelle honte !…) Ă la simulation de la fille saoule pour bĂ©nĂ©ficier d’un câlin contre lui. J’étais aux anges. Plus tard dans la soirĂ©e, il m’a proposĂ© de sortir pour discuter dans le jardin. J’ai acceptĂ© gaiement. J’ai fait mine de dire que je sortais Ă quelques personnes (qui s’en moquaient pas mal) pour me donner une contenance.Je le suivis dehors. Il se tenait debout devant moi depuis la première fois de la soirĂ©e et je me rendis compte qu’il Ă©tait très grand et mince. Il me plaisait beaucoup. Je trouvais son corps parfait ; il semblait ĂŞtre dessinĂ© pour moi. Il dĂ©gageait une assurance Ă la fois virile et touchante et je sentais, alors que je le connaissais Ă peine, que je lui appartenais dĂ©jĂ . Sur le chemin qui menait Ă l’entrĂ©e de la maison, il se retourna et prit ma main. Il le fit avec douceur et je ne sais comment l’expliquer, mais sa poignĂ©e de main exprimait quelque chose de profondĂ©ment gentil et de tendre.On s’assit sur la pelouse de la petite villa d’Élodie. Il m’expliqua qu’il Ă©tait le cousin de la jeune fille et qu’il Ă©tait venu voir ses parents dans la journĂ©e ; l’Élodie radieuse l’avait alors suppliĂ© de passer la soirĂ©e avec elle et ses amis, lui promettant qu’il passerait un moment « gĂ©ant » (dixit la demoiselle hĂ´tesse). Il avait finalement acceptĂ©, mais commençait Ă trouver le temps long et les amis « gĂ©ants » peu loquaces avec lui. Je lui rĂ©pondis des mots en vrac, que je savais sur le coup absurdes et incomprĂ©hensibles et dont je ne me souviens plus du tout aujourd’hui. Mais ce devait ĂŞtre finalement charmant, car il me sourit et me dit qu’il n’espĂ©rait pas voir une jeune fille aussi mignonne et drĂ´le dans cette soirĂ©e prĂ©tentieuse. Je ne vois pas ce que j’ai pu dire de drĂ´le cette nuit-lĂ , mais peut-ĂŞtre que ma gĂŞne dĂ©gageait quelque chose de sympathique. Quoi qu’il en soit, l’attirance qu’il avait pour moi et qu’il montrait sans retenue me donna du courage et me fit oublier mes rĂ©pliques Ă la Beckett. Puis il me raconta rapidement sa vie, comme on le fait lorsqu’on veut embrasser une personne et qu’on ne sait pas quoi raconter en attendant le moment oĂą l’on se dĂ©cide.Il habitait Ă Paris et donnait des cours d’anglais en tant que remplaçant dans un lycĂ©e. Il me dit qu’il avait beaucoup voyagĂ© ces trois dernières annĂ©es, car ses parents avaient divorcĂ© et sa mère Ă©tait partie en Cornouailles vivre avec son nouveau mari qui gĂ©rait une industrie dans le papier. Il l’avait suivie et vĂ©cu six mois lĂ -bas, Ă©tudiant Ă la facultĂ© de Exeter. Cependant, son beau-père et lui ne se supportaient pas et suite Ă de nombreuses crises, il avait dĂ©cidĂ© de partir et de laisser les deux tourtereaux barboter dans leur orgie de bonheur en papier. Il s’installa ensuite Ă Bristol – peut-ĂŞtre en hommage Ă son beau-papa le « roi du carton » – oĂą il travailla quelques mois, car l’argent qu’il recevait de son père ne lui permettait pas de payer le voyage jusqu’à Édimbourg oĂą il avait postulĂ© pour donner des cours de français dans une Ă©cole de commerce. Il louait une chambre dans un quartier Ă©tudiant près d’un parc immense et passait les plus beaux moments de sa vie. Cependant, les pubs et la pluie, qui selon lui Ă©tait d’une beautĂ© exquise en Écosse, n’arrivèrent pas Ă lui supprimer le mal du pays et il revient au bout de deux ans vivre chez son père. Ce dernier avait, lui, le mal de son enfant. Il rĂ©sidait donc Ă Paris depuis, et il m’avoua trouver la pluie très jolie ici aussi.Je me mis à « autobiographier » Ă mon tour. Je n’avais cependant pas autant d’aventures Ă conter. Je lui dis, un peu gĂŞnĂ©e, que je n’avais jamais eu la chance de vivre de telles escapades. Il me rĂ©pondit que ce n’était pas un tort et qu’il aurait prĂ©fĂ©rĂ© ne pas en vivre certaines. Je lui racontai que j’aimais souvent m’échapper et aller Ă Paris en bus, juste pour flâner et regarder les grandes façades haussmanniennes et les ponts. Je lui parlai de l’école de dessin et de natation que je suivais cette annĂ©e et essayai, de manière très confuse, alcoolisĂ©e et ponctuĂ©e de rires de notre part, d’expliquer le lien existant entre ces deux disciplines. Et puis, je ne sais pourquoi, je lui racontai mon histoire avec Bertrand. Peut-ĂŞtre Ă©tait-ce parce que je me sentais en confiance et je pouvais enfin raconter ce que je n’avais pu dire Ă Luz ou peut-ĂŞtre Ă©taient-ce les vapeurs d’alcool qui me faisaient dire n’importe quoi. Quoi qu’il en soit, il resta attentif Ă mon discours et me dit qu’il n’avait pas eu, lui non plus, de relations sĂ©rieuses depuis très longtemps avec une fille (ciel ! Il Ă©tait donc cĂ©libataire…).Nous continuâmes de parler jusqu’à la fin de la soirĂ©e. Et au cours de la conversation, je m’abritai progressivement dans ses bras. Je me sentais bien près de lui, aussi rassurĂ©e que dans les bras d’un grand frère et aussi excitĂ©e que lorsque qu’on touche du doigt un fantasme tant espĂ©rĂ©. Il me caressa longtemps le long du bras et arriva enfin jusqu’à ma main qui l’attendait impatiemment. Par un jeu complexe de frottements tendres, nos pouces se cĂ´toyèrent fort sensuellement pendant un très long moment. Puis, nos doigts, fous de dĂ©sirs, s’enlacèrent subitement. Je me tournai vers lui et l’embrassai. Il se laissa faire. Il lâcha ma menotte et passa ses bras autour de mon corps. Nous restâmes longtemps ainsi, Ă savourer ce moment charnel. Il me souffla Ă l’oreille qu’il avait très envie de moi. Il posa sa main sur ma joue et descendit le long de mon cou, puis sur mon Ă©paule qu’il serra et enfin s’arrĂŞta discrètement sur le cĂ´tĂ© de mon sein. Je posai ma main sur la sienne et lui dis que je serais d’accord de le revoir. Il me demanda pourquoi pas ce soir et je dus avouer que je vivais toujours chez mes parents et que j’avais confirmĂ© que je rentrerais après la soirĂ©e. Je lui expliquais qu’ils Ă©taient du genre Ă attendre mon retour et que je prĂ©fĂ©rais ne pas les inquiĂ©ter. Il me dit en souriant que j’étais une gentille petite fille et je fis mine de bouder et d’être vexĂ©e par son ironie pour qu’il me rĂ©conforte.Il me demanda un rendez-vous. Je ne sais alors pourquoi je le lui ai donnĂ© sur cette dĂ©partementale qui ne se trouve pas loin de chez Élodie. Peut-ĂŞtre parce que c’est un endroit joli en Ă©tĂ© et que j’aimais y aller lorsque j’étais enfant. Ou peut-ĂŞtre parce que c’est aujourd’hui devenu, le soir, un lieu de rendez-vous coquins !… Je l’attends. C’est bientĂ´t l’heure. Deux voitures viennent de passer. Mon cĹ“ur tout excitĂ© a fait des bonds, mais déçu, il est retournĂ© se nicher dans sa caverne. J’ai hâte qu’il soit lĂ . J’ai hâte de le connaĂ®tre. Et j’ai hâte qu’il me connaisse. Et j’ai hâte qu’il me caresse… Le chat s’est enfui. Je suis seule Ă prĂ©sent Ă attendre dans la nuit.Une autre voiture… Elle s’arrĂŞte.Je monte.