Marie-Groseille sort de sa maison et tire la porte derrière elle.— Doux Jésus, qu’il fait froid ! Un temps à même pas mettre un canard dehors…La neige couvre la campagne alentour d’un manteau si épais et si uniformément blanc qu’on ne voit plus le chemin. Si elle n’avait possédé un sens inné de l’orientation, et si elle n’avait pris l’habitude d’aller toutes les semaines chez Mère-grand, c’est sûr, elle aurait choisi l’option « planquée au chaud sous la couette », Noël ou pas.Mais Marie-Groseille est une fille intrépide, au parler haut et clair, faite pour braver tous les dangers, voire pour les attirer. D’ailleurs, elle arbore en tout temps – spécialement les jours de visite chez Mère-grand – des vêtements écarlate dont l’utilité principale semble de se faire remarquer du plus loin qu’il est possible, surtout dans la partie du chemin qui traverse le bois, à l’ombre des frondaisons bruissantes de la brise matinale, où la lumière capturée dans une fine brume de rosée teinte d’un bleu tendre et brillant les lieux que la rumeur populaire peuple de monstres terrifiants.— J’t’en ficherais des montres terrifiants et des frondaisons bruissantes.En ce jour de Noël, Marie-Groseille est d’humeur joyeuse et insouciante.Marie-Groseille a revêtu ses bas rouge, ses jupes rouge, son surcot rouge, ses pantalons rouge, sa capeline rouge, ses gants rouge…— Je hais le rouge. C’est une idée de mes vieux.… et ses moon-boots vertes.— Y’avait plus ma taille en rouge.Marie-Groseille s’avance prudemment dans la neige sans cesser son charmant babil… haut et clair, comme on a précisé plus haut.— Le prénom aussi, c’est une idée de mes vieux. Canards de vieux !Marie-Groseille porte un large panier.— Remarquez, ils auraient pu m’appeler Gertrude…Pour se protéger des quelques flocons qui voltigent dans l’air frais du matin, elle rabat son capuchon rouge bordé d’un blanc duvet de dinde : c’est elle-même qui a customisé sa capeline à l’aide d’un boa, tout exprès pour les fêtes, et elle en est très fière. Ça la change du chaperon ordinaire, c’est un peu comme si elle allait à une soirée chic.Dans le même ordre d’idée, elle s’est dit que Mère-grand devait en avoir assez de manger toutes les semaines son petit pot de beurre et sa galette.— Tu parles ! Elle doit en avoir ras-le-pompon !Aussi a-t-elle décidé d’améliorer le concept : aujourd’hui, c’est foie gras et galette des rois. Certes, pour cette dernière, elle a un peu d’avance, mais elle adore tirer les rois.— Pourvu que la vieille ait pensé au champagne !À force de l’avoir parcourue, Marie-Groseille connaît la route par cœur, elle sait que bientôt, après le village, elle traversera la forêt, qu’ensuite elle tournera à gauche, puis longera la petite marre aux canards, à côté du champ de Mère-grand, avant de parvenir à sa porte.Elle est très connue dans le pays. On l’a surnommée le Petit Chaperon Rouge et, bien que depuis longtemps elle ne soit plus une enfant, même pas petite, c’est resté. On continue à lui faire moult recommandations sur les dangers de la forêt et les bêtes sauvages qui l’habitent, en particulier le grand méchant loup. Il s’est même trouvé des gens pour raconter que le loup avait dévoré Mère-grand et avait pris la place de la vieille, avant de la dévorer, elle. De petits malins ont aussi expliqué qu’elle était tranquille depuis l’intervention de valeureux chasseurs qui les avaient sorties toutes les deux de l’estomac de la bête immonde. Les gens racontent vraiment n‘importe quoi.En réalité, la seule mésaventure qu’elle ait eu à déplorer, c’est la première fois où elle a eu l’idée d’une entorse au menu : fromage et bouteille de rouge. Ils ont attiré la convoitise d’un corbeau. Il a fondu en piqué sur le panier et s’est envolé avec, en haut d’un arbre. Marie-Groseille était consternée. Un renard par l’odeur alléché est passé dans le coin, a récupéré le fromage après négociations et s’est barré avec le butin, le corbeau ayant déjà sifflé toute la bouteille. Vraiment le pompon !Elle en revint aux vraies valeurs :Galette et petit pot de beurre. Adoncques, si les gens réfléchissaient deux minutes, ils sauraient qu’elle n’a jamais croisé le loup. Pas dans la forêt, en tout cas.Elle arrive à la dernière maison du village.— Eh ! Petit Chaperon rouge ! T’as quoi dans ton panier ? C’est vrai que le loup a de grandes dents ? Et c’est quoi ces moon-boots vertes ?Petit-Pierre. Le garçon le plus nul du monde. Sa bête noire. Il en loupe pas une. Enfants, ils étaient tout le temps fourrés ensemble. Il est devenu très bête en grandissant. Mignon, certes, mais vantard, collant et pas subtil pour deux sous. Ce qui l’agace le plus, c’est sa manière de tourner autour du panier, de demander ce qu’il y a à l’intérieur, alors qu’il en connaît fort bien le contenu, comme s’il en avait uniquement après son petit pot de beurre et sa galette. Elle le lui collerait volontiers à la gueule, mais il a un grand-père sympa, c’est un vieil ami de Mère-grand. Et puis, c’est Noël.— Joyeux Noël, Petit-Pierre !Petit-Pierre n’aime pas qu’on lui accole « petit ». La réponse fuse : un paquet de neige qui vient s’écraser sur le chaperon.— Mes plumes de dinde !Marie-Groseille pose son panier et saisit la neige à pleines mains.— Allez ! Dis-moi ! Y’a quoi dans ton panier cette f…Le coup bien ajusté cloue le bec de Petit-Pierre.— Mes oignons !— Et quand on les a épluchés, on trouve ton petit pot de beurre ?— Canard ! Occupe-toi de ton chat !— P’tite dinde farcie !La bataille est interrompue.— Bonjour Marie-Groseille. Pierre, au lieu de jouer, aide-moi à charger le traîneau !Le grand-père est sorti de la maison.— Joyeux Noël, Grand-père !Marie-Groseille saisit son panier rageusement – mais dignement – et poursuit sa route.— Joyeux Noël, Marie-Groseille !Prenons un peu de hauteur et suivons la scène à quelque distance. La gracieuse petite tache rouge qui se meut sur un blanc étincelant laisse derrière elle la trace de son pas furieux et quelque peu sinueux.L’avantage de la neige, c’est qu’elle absorbe tous les sons dans une atmosphère cotonneuse et nous offre ainsi tout loisir de suivre Marie-Groseille sur la route sans interrompre ses douces récriminations. De loin, on perçoit un léger et constant bourdonnement qu’accompagne le frottement feutré des moon-boots dans la poudreuse.Les arbres de la forêt ont abandonné leur feuillage. L’hiver les couvre de son blanc manteau, accrochant aux branches noueuses et tordues des franges de glace qui capturent parfois les pâles rayons du soleil et jettent fugacement de brillants éclats. Silhouettes de géants figés dans leurs habits de givre.Marie-Groseille tend la main, attrape une stalactite à sa portée, et la glisse dans sa bouche. Sucer la glace est un petit plaisir qu’elle s’offre volontiers sur le chemin, qui lui paraît alors moins long. Elle profite mieux du paysage. Le froid intense commence par lui brûler la langue et les lèvres, puis, doucement, la glace fond et elle aspire à petits coups le liquide qui se forme. Parfois, elle aspire plus fort et la stalactite se colle à sa langue, refusant de s’en arracher. Elle attend alors que son souffle chaud fasse son œuvre : la pression se relâche progressivement et Marie-Groseille peut continuer à faire glisser la stalactite entre ses lèvres rougies. Jusqu’à la dernière goutte.Son humeur massacrante s’apaise. Son corps s’est défendu contre la vive morsure givrée en propageant dans tous ses membres une chaleur bienfaisante qui achève de la détendre complètement. Elle s’offre le luxe d’une deuxième glace, et savoure pleinement ce temps neigeux qui rend la campagne si belle et si calme !C’est le sourire aux lèvres qu’elle arrive à l’entrée du jardin de Mère-grand. Elle n’a rencontré personne en chemin, aucune trace qui lui indique le passage d’autres êtres vivants, sauf ces deux traînées parallèles sur la route, devant le petit portail. Mais les flocons qui tombent en abondance, à présent, effacent ces traces-là.Marie-Groseille traverse le jardin, arrive à la porte.Tire la bobinette, la chevillette choit. Elle entre.À l’intérieur, il fait très bon. Un grand feu flamboie dans la cheminée. Devant, sur une table basse, du champagne et des petits fours ! Le grand fauteuil est tourné vers la cheminée.— Joyeux Noël, Mère-grand !Elle se débarrasse de ses gants rouge, sa capeline rouge, son manteau rouge, ses pantalons rouge…— Joyeux Noël, mon enfant !Marie-Groseille se fige un instant : la voix est drôlement grave.— Heu… Mère-grand ?— Eh bien, eh bien, ne fais pas ta timide, viens partager l’apéritif.Suave et chaleureuse. Aimable, en outre. Mère-grand a donc un invité. Pourvu qu’il reste pour le dessert et la galette des rois.Elle dépose son panier sur la table à manger et s’approche de la douce flambée.Elle recule de surprise, se prend les pieds dans les peaux de loups qui servent de tapis, perd l’équilibre, bat des mains, se rattrape comme elle peut et échoue dans les bras d’un bonhomme rouge avec une barbe blanche dont les yeux pétillent de malice. Le Père Noël !— Quel empressement mon enfant ! Plus tard le cadeau, plus tard.Confuse, la jeune femme se remet maladroitement d’aplomb.— Mais où est Mère-grand ?— Partie faire un tour de traîneau avec Mère Noël.Les traces de traîneau ! Tout s’explique !— Bon, mon enfant, reprend le Père Noël, comme tu peux le voir, ta grand-mère et Mère Noël ont déjà achevé une bouteille de champagne, mais il reste les autres, alors ne te prive pas.Elle ne se fait pas prier deux fois et s’assied dans l’autre fauteuil, en vis-à-vis.Le Père Noël est un homme charmant. Il l’a tout de suite mise en confiance, tant ses yeux vifs, son regard rieur et débonnaire lui semblent familiers. Il a retiré sa capuche, et sa chevelure blanche a des reflets soyeux qui charment Marie-Groseille. La barbe n’est pas très longue, mais elle a l’air douce et, si elle osait, elle irait volontiers perdre un peu sa main dans ces fils de soie aux boucles abondantes. Mais pour l’instant, c’est lui qui les lisse distraitement alors qu‘il semble concentré sur la conversation et les réponses de la jeune femme. Pour une fois qu’elle a droit à autant d’attention !Il parle de son travail et Marie-Groseille est surprise d’apprendre que Noël se prépare tout au long de l’année et pas seulement à la réception du courrier. Sa voix grave résonne doucement dans la pièce et trouve sans peine les fibres sensibles de son interlocutrice, jusque dans le creux de son ventre. Un enchantement !Quelques coupes de champagne plus tard, le Petit Chaperon Rouge est beaucoup plus à l’aise et peut enfin parler du foie gras et de la galette des rois qu’elle a apportés dans son panier. Elle veut même les lui montrer. Elle se lève, légèrement chancelante. Ça monte à la tête, le champagne.— Vraiment très seyantes ces moon-boots vertes, fait le Père Noël.— Les moon-boots ?La jeune femme regarde ses pieds, l’air consterné. Elle a oublié de les enlever tout à l’heure. Elle ne s’en est même pas aperçue. Elle se penche pour le faire maintenant, tout de suite, mais se raccroche au dossier du grand fauteuil.— Ouh la, souffle-t-elle, ça tourne.— Tiens-toi, je vais le faire.Et tandis que le Père Noël délace les gros après-ski, Marie-Groseille regarde ses mains. Ses grandes mains. Des doigts longs, larges, des paumes puissantes. Quand la première chaussure est retirée, son pied semble tout petit à côté, si petit qu’il disparaît un instant dans le creux de la gigantesque paume. Toute chaude. L’autre pied à présent. Il est enveloppé, lui aussi, et Marie-Groseille, fascinée, s’amollit :— Père Noël, que tu as de grandes mains.— Petit Chaperon rouge, que tu as de jolis pieds.Les mains s’attardent sur une cheville, fine. Elles suivent le galbe du mollet et la jeune femme profite de la chaleur qu’elles diffusent à travers son bas rouge. Une main rencontre jupes et jupons. Froissement.— Père Noël… que faites-vous ?— Je tâte votre robe, l’étoffe en est moelleuse.La main s’immisce sous les épaisseurs et suit les courbes de la jambe, jusqu’à l’endroit où le bas finit et où la peau est nue. Marie-Groseille a peine à garder son équilibre.— Père Noël… que faites-vous, là ?— Je cherche le petit pot de beurre.Non, ça ne doit pas être ça. Elle respire plus fort.— Mais Père Noël… je n’ai pas amené de petit pot de beurre.— Ah bon ? Vraiment ?La main est parvenue en haut des cuisses. Une fine barrière de tissu s’interpose encore, mais elle porte déjà les traces palpables du désir de la jeune femme qui vacille dangereusement.— Oui… j’ai amené du foie gras… et la galette des rois…— Comme c’est intéressant…Le Père Noël écarte le tissu et ses doigts se glissent dans la fente humide et brûlante. Il murmure :— J’ai trouvé la fève, je crois…Marie-Groseille oscille à présent, dans un balancement régulier qui accompagne la caresse insistante de son partenaire. La fève est tour à tour effleurée, enveloppée, pressée, relâchée, ne laissant aucun répit à la jeune femme. À mesure que son plaisir s’intensifie, ses mouvements prennent de l’ampleur. Son buste heurte parfois le visage de l’homme, et y reste collé de plus en plus longtemps, comme aimanté par la force d’un regard impérieux.La main quitte le lieu qu’elle fêtait avec tant de douceur et Marie-Groseille gémit de frustration.— Père Noël… que tu es cruel !— C’est pour mieux t’éplucher, mon enfant, tu es fagotée comme un oignon.Et en effet, les bas glissent le long de ses jambes, les jupes et jupons tombent un à un, le surcot est défait et tombe à son tour. En dernier, le Père Noël tire sur la rubanette et la chemisette choit, dévoilant des seins ronds, blancs, aux petites pointes rouges comme deux groseilles, dont sa bouche s’empare avec empressement.— Père Noël… que tu as une grande bouche… non, non, ne dis rien… je sais… c’est pour mieux me manger…— Te déguster, mon enfant, te déguster…Sans plus attendre, il allonge sa proie consentante sur les peaux de loup et pas une parcelle du corps nu de la jeune femme n’échappe aux lèvres brûlantes et à la langue indiscrète de son ravisseur. Elle est léchée, sucée, aspirée, fouillée, happée, avalée, ses sens bouleversés, pour son plus grand plaisir. La barbe soyeuse glisse sur sa peau et ses vagues effleurements soulèvent des déferlantes de désir.— Père Noël… que tu as une barbe douce !Le Père Noël ne répond rien. A-t-il seulement entendu ?Marie-Groseille, impatiente, l’enserre entre ses jambes ; il la pénètre enfin, profondément, lui arrachant un cri de bonheur.— Père Noël… je ne t’ai pas… ah… demandé…— Qu… quoi… mon… enfant ?— Par où… hou… hou… es-tu… uh… uuuuuhh… entré ?— Par la cheminée, mon enfant… la… che… mi… née…— Aahh… aaaaaaah… jooyyy… yeeuuux… Noël !Appendice : Une variante de cette histoire circule, prétendant que le Père Noël se serait barré avec le foie gras et la galette, laissant seulement ce mot sibyllin :Apprenez, mademoiselle, que tout baiseurJouit aux dépens de celle qui l’écoute.Cette leçon vaut bien un foie gras, sans doute. Cette version n’a pas pu être vérifiée.Quelques petits malins ont également suggéré l’implication de Petit-Pierre.De toute façon, les gens racontent vraiment n’importe quoi.