Tartine MariolJe revenais de Tarbes et remontais sur Bordeaux.Au volant de ma fidèle Lancia, j’étais content de mon coup, cette guitare avait une petite gueule sympa et sonnait exactement comme il fallait.J’étais tombé dessus en furetant sur un site de matériel de musique d’occasion et une conjonction de circonstances avait fait que je m’étais fendu de la « balade » jusqu’à Tarbes pour aller voir ce qu’il en était.Avec les copains du groupe, on adorait monter tout un tas de vieux trucs, c’était notre fonds de commerce Old School Rock’n Roll : Chuck Berry, Creedence, Stones… Que du doux !Justement, à propos de doux, on s’était décidé à s’attaquer à « Brown Sugar » et là , pour le riff il fallait un son bien particulier, « agressif, sale propre ». Très « Stones ».Quand je tombais sur l’annonce, l’extrait de son que le vendeur avait mis sur le site fit que cela fit « tilt » tout de suite : cette « gratte » avait le son qu’il fallait…Tarbes… loin ! Par contre, c’était une jolie petite guitare, Telecaster blanche, super son et pas cher : cent quinze euros… j’adore les guitares, et cette petite « Valley and Blues » avait tout pour me plaire. J’y allai comme vers une rencontre.Je me levai donc ce matin-là à cinq heures et en route, plein Sud !L’affaire avait été rondement menée, nous étions restés un long moment avec le gars qui vendait, très sympa, à jouer des trucs et des machins qui n’en finissaient pas…— Et ça… ça te dit ?— Ah ! Doctor Feelgood…Ok !Un vrai plaisir… on y serait encore !Donc affaire faite, nous nous séparâmes et je repris la route… cette route que j’aime… parce qu’elle te parle tout du long… et que tu ne sais pas ce qu’elle va te dire.J’étais du côté de Vic-de-Bigorre et elle me disait que cette succession de ronds-points était parfaitement soûlante… cela s’apaisa dans une montée de collines douces, intimes, dans laquelle elle me dit qu’il suffisait d’ouvrir les yeux pour sentir la vie des gens, leurs efforts pour faire que les choses, parfois, sachent être douces à ton regard… ces paysages qui font que tu reconnais l’homme et l’outil à sa place dans l’harmonie du monde… Il existe des endroits comme ça…Puis il y eut cette longue ligne droite dans laquelle un camion qui tournait m’obligea à ralentir.Je me rappelle avec exactitude cet endroit car j’y notai une pancarte qui proposait des « Haricots tarbais à la ferme ». Nouillans, c’était le nom du village. Et je m’en souviendrai d’autant plus que c’est là que je la vis.Dans une blouse imprimée à fleurs aux couleurs vives, à l’élégance tout droit sortie de nos marchés de province, silhouette improbable, un large chapeau de paille coiffant ses cheveux blancs, sur cette route à grande circulation, imperturbable, hors du temps, elle pédalait sur son vieux clou, droite, calme… reine impavide que rien ne semblait pouvoir atteindre.« Oh ! Bordel ! Mémé… Partageons la route… ! Je veux bien, mais là , tu m’as fait peur ! »La doublant, j’admirai cette élégance qui se foutait de tout.Au bout de la ligne droite, j’avais le choix : au rond-point (encore !), je pouvais prendre à droite sur Maubourguet ou à la deuxième sortie emprunter une rocade qui évitait le village.Pour l’avoir déjà traversé, je me souvenais d’un joli petit bourg à la grand-rue ombrée de platanes… je mis le clignotant à droite.C’était jour de marché. Coup de veine… Immédiatement, je pensai : « Oignons de Trébons ». C’était l’occasion, nous étions début septembre, de trouver le trésor de ce terroir que je mangerais sur la tête d’un pouilleux, dit l’expression… Oui, bon, il ne faut cependant pas exagérer !Voiture garée, je me dirigeai vers la grande halle couverte, où se trouvaient les étals qui vu l’heure étaient quelque peu dégarnis, preuve que le commerce marchait bien et tâchai de me renseigner :— Bonjour Madame ! Je cherche des oignons de Trébons, savez-vous où je pourrais…— Ah Bah ! Monsieur, j’en ai plus… Mais demandez à la petite jeune là -bas !Elle me désigna un étal où se trouvaient deux femmes.L’une des deux, grosse femme, engoncée dans une cape de laine, était au téléphone.L’autre, jeune, vêtue d’une chemise rouge, jeans noirs, un physique de garçon, me dit qu’il ne lui restait que ces trois kilos. Trop content, je les pris, et repartis vers la voiture où j’enfermai mon trésor.Un peu le nez au vent, prendre un pot, et regarder les choses… Il y avait du monde partout, comme la province sait en avoir, tranquille avec bonhomie, une moyenne d’âge peut-être un peu élevée… mais c’était agréable. Je m’assis à une terrasse de bistrot, deux gars à côté de moi étaient attablés devant un steak-frites, et parlaient fort… je commandai une bière.Un bourdonnement caractéristique se fit entendre : des hélicos… Pas un… Une trollée… huit. Nous n’étions pas loin de Tarbes.Le type à côté vit que j’étais intéressé :— Trois « Caracals » et cinq « Tigres… ! »Je me demandai ce qu’il pouvait voir de mieux que moi de là où il était… Je hochai la tête vers « Œil de lynx ».On ne quitte jamais vraiment la cour de récréation…Je me levai et allai régler.Alors que je sortais, sur le trottoir, je reconnus le grand chapeau de paille et la petite blouse imprimée aux couleurs vives. Dedans, il y avait une jolie petite vieille, bras nus, alerte… Tout en elle dégageait une telle impression de bienveillance et d’aménité que j’osai :— Bonjour, Madame, excusez-moi de vous aborder comme ça, mais permettez-moi de vous féliciter… je vous ai doublée, tout à l’heure sur la route à Nouillans… Bravo !— Ah, Bien ! Vous m’avez vue… Jeune homme (c’est là que tu vois comme tout peut-être relatif), figurez-vous que je fais ça chaque mardi pour le marché…Elle avait une jolie voix douce et roulait les « r » comme l’Échez roule ses cailloux.— Madame, je vous admire ! Et vous venez de loin… ?— De Liac, c’est à côté, à quinze kilomètres. (C’est là que tu vois là aussi que « à côté » tout est relatif !)Et nous commençâmes à blaguer…J’avais devant moi une adorable petite personne, toute menue, de ces physiques que l’âge a asséchés tout en leur conservant vigueur et énergie. Tout en elle, dans ses gestes et dans son regard, disait encore la sève et la vitalité. Son visage mince à la complexion délicatement couperosée sans rides gardait une expression de jeunesse au-delà de l’âge, ses yeux clairs aux paupières presque sans cils, embués de larmes, avaient un regard direct et se plantaient dans les tiens avec une candeur de jeune fille.Elle était beaucoup plus mignonne, et n’avait pas son menton en galoche mais dégageait une telle impression d’énergie, qu’avec ma manie de donner des surnoms, je la rebaptisai in petto Tartine Mariol, du nom de la magnifique grand-mère, héroïne de la BD de mon enfance à laquelle elle me faisait irrésistiblement penser.Nous étions là , depuis un grand moment, sur ce bord de trottoir au milieu des passants à blaguer, et si je sentais chez elle cette volonté de se confier, d’être écoutée et prise en compte, j’avais moi cette curiosité, ce besoin de savoir qui était vraiment la personne que le hasard avait jetée là , sur le bord de ma route.Nous étions devant le troquet où j’avais pris ce pot.— Madame, je m’apprêtais à aller déjeuner ici, et je me demandais si vous accepteriez d’être mon invitée…— Eh, bien ! Figurez-vous jeune homme que c’est là que je déjeune chaque mardi et comme cela fait longtemps qu’un bel homme ne m’a pas invitée… j’accepte avec plaisir.Nous entrâmes dans la vaste salle, bondée. En habituée qu’elle était, elle fut de suite accueillie.— Bonjour Thérèse. Monsieur… Installez-vous ! J’arrive…Thérèse, donc, se dirigea sans hésitation vers une table, le long du mur, sous le grand miroir et s’installa avec des gestes que je sentais ritualisés. La salle avait le décor typique de ces restos de province rassurants où tu savais qu’on ne t’y servirait pas du « Gastronomique… » mais la seule odeur qui embaumait la salle suffisait à te rassurer…Ma Tartine ne cessait de babiller, heureuse d’avoir un interlocuteur, et je dois dire que la jolie petite vieille me fascinait.C’était curieux, elle passait du coq à l’âne mais avait le don dès les premiers mots de capter l’attention, elle émaillait son discours d’expressions gasconnes, dont certaines que je ne connaissais pas… et petit à petit, je commençais à me faire une idée de cette belle personne qui m’intriguait…Elle était l’épouse d’un riche cultivateur, veuve depuis plusieurs années, elle vouait un culte à ses hommes : son père et son mari, elle appartenait à cette génération de femmes qui avaient grandi dans la stricte obédience et le plus total respect au mâle… heureux temps aujourd’hui regrettablement révolu… obédience absolue qui, j’étais loin de m’en douter à ce moment, allait amener l’obéissante épouse à prendre de surprenants chemins de traverse se teintant parfois d’un certain avant-gardisme…Elle prenait le même menu tous les mardis : confit, frites… pur terroir ! J’eus envie de la suivre mais m’aperçus que mon péché mignon figurait à la carte : ris de veau sauce financière… je ne pouvais pas faire l’impasse, je me devais de les goûter…— Oh, Té, je change ! Je vais prendre pareil… ça fait si longtemps ! Per Diou ! Bonne idée !Je commandais une bouteille de Madiran, dont le patron me dit que je ne le regretterais pas… Dans le coin, ç’aurait été dommage !Ce fut un petit repas sympa et goûteux à souhait, Thérèse me répétant combien elle était contente de m’avoir suivi sur les ris…Elle me racontait son enfance, son père, ce héros au sourire… pas si doux que ça.— Et j’avais quinze ans, eh bé… vous savez monsieur… Il me dit : « Tu le vois l’Adour… Tu vas le traverser à la nage… ! » J’avais peur, eh ? Mais j’avais pas intérêt à lui refuser, j’aime mieux vous dire ! Ah ! C’était un homme, lui !Je me gardai bien de lui dire qu’aujourd’hui, c’était le genre de truc qui se serait terminé devant les tribunaux… elle n’aurait tout simplement pas compris !Je lui proposai un dessert :— Oh ! Écoutez, monsieur, c’est mon régal… Une mousse au chocolat… et ils la font bien, ici… !Je la suivis.Quand le patron apporta les desserts, Thérèse me toucha la main dans un geste de simple gentillesse alors qu’elle me parlait de son chasseur de mari… Cela n’échappa pas au patron.— Alors, ça se passe bien, les amoureux… ?— Ah ! Quin’ coun aqueut’ maïnadge*… ! Et le bonhomme s’en fut en riant…Elle me parla d’elle aussi… chuchotant presque :— Vous savez, j’étais une jolie femme, et je plaisais bien aux hommes… ils me l’ont prouvé, j’étais une coquine…Ça ne collait pas… ma curiosité piquée, je lui posai la question sur le même ton…— Et votre mari, dans l’affaire… ?— Vous avez un peu de temps, dites-moi… ? Je voudrais bien vous en parler… un peu plus tranquillement…— Bien sûr, Thérèse, tout le temps que vous voudrez…Elle eut presque l’air gênée…— C’est pas un traquenard, eh ? (Elle rit) Au lieu de boire le café ici, je vous l’offre à la maison…Je n’eus aucune hésitation.— Avec le plus grand plaisir, Thérèse…Ma Tartine était en mal de confidences et voulait jouer les prolongations… et franchement, intrigué comme je l’étais, j’étais preneur !Je démontai la roue avant du vieux clou, le mis dans le coffre que je dus laisser ouvert, et direction Liac où demeurait ma gentille Tartine.Elle habitait à la sortie du village dans la vaste et vieille maison de ce qui avait été une exploitation agricole, de nombreuses dépendances et servitudes entouraient la demeure, la cour où picoraient des poules était plantée d’un verger, sur la gauche se trouvait un grand jardin potager.Pendant le trajet, je l’avais sentie sur la réserve, maintenant réticente, une sorte de retenue qu’elle n’avait pas eue jusqu’à présent semblait s’être installée… Je lui proposai alors de me tutoyer et de m’appeler par mon prénom, ce qui eut pour effet de détendre l’atmosphère.— Ah ! Écoute… je veux bien… tu sais que tu m’es très sympathique…Nous fîmes quelques pas dans la cour, et Thérèse me fit rapidement faire le tour du propriétaire.— Tout est à moi… Cent trente hectares de bonne terre et de bois… Tu vois, je suis à l’aise… mon Armand a eu le nez creux, il m’a fait une donation : je suis la seule propriétaire. Si le fils la veut la ferme, il n’a qu’à bien se tenir… Non, je dis ça… je rigole ! Il est très gentil. Mais… la patronne, ici, c’est moi !— Allez, viens… je vais te faire le café.La porte d’entrée, peinte en bleu lavande, s’ouvrit et j’entrai derrière ma Tartine dans la vaste cuisine…Je fis un bond de trente ans en arrière. Tout ici était resté « comme avant », du carrelage de tomettes cirées, à l’imposante cuisinière à bois, au toupin qui y était posé, jusqu’à la vieille cafetière d’émail bleue, tout y était. Le temps s’était figé chez ma vieille au bois dormant et je retrouvais avec émotion les décors de mon enfance.— J’aime comme c’est chez vous Thérèse… C’est très beau… !— Ah ! tu trouves… ? Ça me fait plaisir. Installe-toi, je vais préparer le café.Je tirais une chaise de formica bleue et m’installai à la table recouverte d’une toile cirée à motif de fruits et de fleurs.— Tu veux rester dans la cuisine ? On peut aller au salon si tu préfères…— C’est très bien la cuisine… ça me convient tout à fait !Pendant que le café passait, ma Tartine s’éclipsa un moment pour revenir avec plusieurs albums et une grande boîte de métal qu’elle posa sur la table.Elle tira une chaise à côté de moi et s’assit, prit un des albums et l’ouvrit.J’en eus le souffle coupé. La photo en noir et blanc, style studios d’Harcourt, était celle d’une jeune femme merveilleusement belle… que je reconnus…— Putain… ! Thérèse ! Que tu es belle !Je ne parlais plus avec le respect que je devais à ma bonne vieille Tartine, c’était une expression d’admiration sincère et enthousiaste devant la beauté de cette sublime jeune femme.Thérèse souriait, flattée…— Tu le penses… ? Vraiment ?— C’est la photo d’une des plus belles femmes que j’aie vue depuis longtemps, sans flagornerie, je vous assure…Je n’eus pas besoin de faire de « morphing » mental tant le look était actuel, ses cheveux bruns coupés courts barraient d’une mèche le haut front pur, de jolis yeux clairs en amande souriaient sous l’arc gracieux des sourcils, elle avait un joli nez aux ailes délicates, la jolie petite bouche s’entrouvrait sur la nacre des dents, le mignon petit menton et cette fine ossature de visage… je pensai à une jeune chatte… la fragilité délicate que j’avais ressentie un jour en regardant une photo d’Audrey Hepburn…Elle portait un ample chemisier blanc au large col ouvert sur le haut de sa gorge ornée d’un rang de perles, sous lequel se dressaient ses seins menus. Un pantalon noir soulignait la sveltesse de ses hanches… Tarbes Studio Lafon 1953.— Quel canon… !— Canon ?— C’est un terme qu’on utilise pour dire « Très belle ! »… Non, Thérèse, là , franchement… je suis amoureux !Elle rit…— Tiens, regarde celle-ci… et celle-là …En maillot de bain… une silhouette délicieuse, longiligne et d’une élégance… je le lui dis.— Ils me trouvaient trop maigre…— Votre mari ?— Non… Tous !Nous y étions… ! Je me tournai vers elle plissant les yeux, jouant l’inquisiteur, avec un sourire voyou…— Oui… Vous m’avez dit que vous étiez coquine… !Elle prit le bas de son visage dans une main, baissant la tête, me regardant par en dessous.— Pire que ça… !Et elle rit…— Tiens, regarde celle-là …Encore une qui me montrait cette jolie jeune femme au sourire éblouissant et disait son éclatante joie de vivre.Et tout en me montrant les photos, Thérèse m’apprit qu’elle avait rencontré son Armand à l’atelier de son père qui était forgeron et maréchal-ferrant, à Artagnan. Elle ne manquait pas de prétendants, belle comme elle était, mais Armand qui était plus âgé qu’elle de neuf ans était riche, il y avait chez eux du bien au soleil et Monsieur Papa savait mieux qu’elle, ce qui était bon pour sa fille… elle n’eut pas à protester et Armand fut autorisé à venir lui faire sa cour… Ils se « fréquentèrent » pendant un an puis se fiancèrent. Armand était très amoureux et Thérèse sentait souvent son impatience lorsqu’elle dansait dans ses bras au bal ou quand il l’embrassait dans les coins sombres.Sa mère lui avait bien recommandé de ne pas se comporter « comme une pute » et d’arriver vierge au mariage, lui affirmant qu’elle le vérifierait elle-même, cette collabo ! Thérèse avait donc promis…Cependant, la chair est faible et souvent la jolie Thérèse supportait très mal ce supplice de Tantale, d’autant qu’Armand se faisait pressant, prétendant que lui aussi n’en pouvait plus… alors d’abord elle le soulagea de sa main… puis de sa bouche, Armand lui faisant plaisir aussi de ses doigts puis de sa bouche lui aussi…— Oh ! j’adorais ça, et lui aussi, tu peux me croire… Il était comme un fou ! Il me disait qu’il m’aimait… qu’il m’adorait… je lui ai même vu les larmes aux yeux un jour. Et puis…Et puis, ils arrivèrent au mariage… La collabo ne vérifia pas, mais elle aurait pu…— Au début, il m’avait fait mal… parce qu’il l’avait très grosse mais après… par derrière… que c’était bon ! je crois bien que c’est ce que je préfère…Que la mariée était jolie, avec le sérieux, la solennité qui sied à ce genre d’occasion qui lui donnait un air presque grave qu’elle n’avait pas sur les autres photos. Armand, lui, engoncé dans son costume et dans son rôle d’homme marié, tenait fermement le bras de sa jolie épouse, fier comme un coq.— Je te prie de me croire que j’ai eu droit à un festival pour ma nuit de noces… et je lui en ai fait voir à lui aussi… Perdiou !Installés dans leur nouvelle vie, les deux époux coulaient des jours tranquilles dans un bien-être que leur conférait l’aisance matérielle, Armand avait hérité d’un domaine vaste et riche, exigeant pour ce qui était du labeur mais qui était en même temps d’un excellent rapport.Thérèse qui aimait se sentir belle, allait souvent chez le coiffeur, chez sa couturière et même chez l’esthéticienne à Tarbes, était considérée comme la « pin-up » du coin. Et la défiance qu’elle suscitait chez les femmes n’avait d’égal que l’intérêt et la convoitise qu’elle inspirait aux hommesArmand en chasseur invétéré qu’il était, ramenait souvent à la maison ses amis Nemrods après leurs matinées de chasse sur ses terres, pour un apéritif ou un couaneut* improvisé… et bon nombre d’entre eux, sensibles à ses charmes, tournaient de près autour de leur jolie hôtesse qui, troublée, ne savait pas très bien comment accueillir ces manifestations d’intérêt… Elle en riait souvent, c’était flatteur mais assez gênant.Armand qui avait sûrement remarqué ce manège n’avait pas l’air de s’en émouvoir… elle décida donc de lui en parler.— Lequel préférerais-tu ?Thérèse lui répondit que la question n’était pas là … elle voulait savoir ce qu’il en pensait.— Tu veux savoir, Eh ? Eh bé ! Je vais te le dire… Il y a que, plus je te regarde plus je te trouve belle et plus j’ai envie de voir un autre homme te faire l’amour, ma chérie… et je veux te voir faire l’amour avec Louis. J’ai envie de vous regarder baiser tous les deux. Et tu vas le faire… la prochaine fois qu’il vient, je veux qu’il te prenne devant moi, et moi, pendant ce temps, je vous regarderai.Thérèse abasourdie protesta, lui disant qu’elle ne comprenait pas, qu’il devait se moquer d’elle… elle pleura.Et le soir au lit, il le lui répéta, alors qu’il la prenait…Elle passa une semaine dans l’angoisse se demandant si son homme n’était pas devenu fou… Lui était d’une gentillesse et d’une attention…— C’est bien simple, j’avais l’impression d’avoir retrouvé mon fiancé…Le dimanche suivant, il partit chasser à la pointe du jour, et Thérèse ne le vit pas mais la veille au soir alors qu’il la câlinait avec peut-être plus de douceur que d’habitude, il lui avait répété que demain…Lorsqu’il rentra de la chasse, il n’était accompagné que de Louis qui évitait de la regarder… mal à l’aise… peut-être autant qu’elle. Elle savait qu’elle lui plaisait et qu’elle l’attirait, il l’avait confié à Armand qui le lui avait répété… C’était un bel homme grand, costaud, à presque quarante ans toujours célibataire, il vivait avec sa sœur et sa mère dans une petite ferme d’un village voisin.Débouchant une bouteille de vin blanc, Armand s’installa dans un des fauteuils après avoir fait asseoir Louis dans le canapé, à côté de la grande cheminée.— Viens avec nous, ma chérie… Tiens, installe-toi à côté de Louis… Voilà  !Il lançait à sa belle épouse terrorisée des regards très doux et avait de petites mimiques et gestes d’encouragement…Thérèse était dans un état second, bourrelée d’angoisse et de gêne, elle n’en était pas moins totalement excitée…Approche-toi de Louis, mon amour… Louis, embrasse-la… allez !L’homme se pencha doucement sur la jolie femme et embrassa sa joue avec douceur en lui chuchotant :— Oh ! Thérèse, Thérèse… Tu es si belle… !Il paraissait si totalement bouleversé. Était-ce le ton de sincérité du compliment, était-ce de le sentir aussi ému qu’elle… ? La belle tourna son beau visage vers celui qui devenait son amant et lui offrit ses lèvres. Il s’en empara dans un baiser sauvage et passionné qui chavira la mignonne… le premier depuis Armand.Avec des gestes fébriles, la couvrant de baisers et de caresses alors que le cœur battant la chamade, gémissante, la belle l’aidait, il la déshabilla…Armand le regard extatique entrait dans une transe qui le clouait à son fauteuil, les doigts crispés sur les accoudoirs.Louis la prit alors sous les yeux de son mari, la faisant jouir comme elle n’avait jamais joui…— Parce que si Armand était bien monté… Louis, je te le dis, c’était quelque chose !Il la prit dans ses bras, pantelante, après l’orgasme, la couvrant de baisers, lui murmurant des mots d’amour brûlants, mouillés d’acide.Pour la jolie môme, comblée, c’était une révélation… elle répondait avec ferveur aux baisers de son nouvel amant… un immense sentiment de gratitude la tendait vers Armand qui l’avait poussée à accepter cette expérience fondatrice…Tout en se laissant embrasser, elle eut un geste vers son mari et l’appela dans un sourire.Armand les rejoignit sur le canapé et la belle, assouvie et radieuse, s’offrit reconnaissante aux caresses et aux baisers de ses deux mâles.Puis ils montèrent tous trois enlacés le grand escalier de pierre et de fer, et dans la pénombre de la chambre aux rideaux tirés firent l’amour tout l’après-midi et une partie de la nuit.Louis partit au milieu de la nuit, après qu’ils se soient étreints une dernière fois et balbutié des promesses enflammées…La jolie Thérèse passa une semaine rayonnante, les souvenirs de ce dimanche merveilleux, les frissons que son ventre lui faisait éprouver à évoquer ces sublimes moments d’amour la transportaient… elle était sur un petit nuage.Elle choyait son Armand, lui rendant grâces pour les moments divins qu’il lui avait offerts.Ils se retrouvaient, émerveillés l’un de l’autre…Louis revint et revint encore… les réunissant dans d’autres moments de délicieuse folie, tous trois, pour se retrouver encore et toujours. Tout ce bonheur… ! Puis il y eut le printemps, l’été… les foins, les moissons…Armand, Louis… ses deux hommes ! Que c’était bon !Un jour d’octobre, alors qu’ils rentraient d’une partie de chasse…— Je vis qu’il y avait un autre homme avec eux. Je compris tout de suite…Le cœur bondissant dans sa poitrine, la jolie jeune femme se prépara à un sacrifice qu’elle appelait de tout son corps… Trois… ils allaient la prendre à trois !Tout le monde s’installa au salon devant la cheminée, et cela commença par une conversation badine, pendant laquelle elle vit que l’homme, un beau type d’une cinquantaine d’années, la regardait en souriant de manière vicieuse, passant sa langue sur ses lèvres dans une mimique dont l’obscénité faisait parfois détourner le regard de la belle qui lui rendait ses sourires, mais l’excitait terriblement.Il s’appelait Henry et était commerçant à Tarbes. Armand et lui avaient fait connaissance à son magasin, lors de l’achat de matériel agricole… le reste était venu au cours de conversations typiquement masculines…Armand commença, caressant sa femme, la dévêtant avec une lenteur calculée la jetant dans des affres de plaisir qui la faisaient se tordre, avec de longs soupirs sous les regards avides des deux autres. Alors que, jambes écartées, elle se laissait aller à l’obscène et divin baiser d’Armand, Henry s’était approché et après l’avoir sauvagement embrassée avait sorti son mandrin que la belle empoigna et prit en bouche…S’en suivit un après-midi de débauche au cours de laquelle la jeune femme connut des tempêtes de jouissance qui la laissèrent épuisée de bonheur sous les regards vainqueurs de ses amants.— Tu sais, j’ai voulu t’en parler parce que j’ai senti que, toi, tu pouvais comprendre… Autrement, personne ne le sait, sauf Marie, ma sœur à qui je dis tout, que si j’avais su, je ne lui en aurais jamais parlé… elle m’a dit, en rigolant, que j’étais tarée… Toi aussi, tu dois nous prendre pour une jolie bande de détraqués…— Pas du tout Thérèse ! Détrompez-vous ! Vous ne le savez peut-être pas mais ce sont des pratiques vieilles comme le monde et qui sont très en vogue aujourd’hui, un tas de gens s’adonnent à ça et certains couples recrutent par petites annonces ou sur Internet, et cela porte même un nom : le candaulisme…— Eh bé ! Écoute… ça me fait plaisir… tu sais que souvent j’ai pensé que j’étais une salope, une tarée, comme dit ma sœur… alors comme ça je suis « caudaulisme »… alcoolisme, je connaissais, mais ça, c’est moche… Eh bé ! Je suis bien contente de t’en avoir parlé… Et mon Armand… il était normal alors ?— Oui, Thérèse… sans aucun doute, comme nous le sommes tous… plus ou moins. En tout cas, je suis heureux pour vous qu’il ait ouvert cette porte dans vos vies, à tous les deux… Je crois qu’il vous aimait beaucoup.Ses yeux s’embuèrent un peu plus…— Oui, tu as raison… Il m’aimait très fort, et moi aussi je l’aimais mon Armand… tu peux me croire, même si parfois il était pas marrant.— Il était dur avec vous ?— Il m’attrapait, des fois… alors il me prévenait : « Pren garde à tu, Thérèse ! Bas atrapa une mique ! »*… Ça n’est pas arrivé souvent… Il faut dire aussi que j’étais parfois très désobéissante…Ma petite Thérèse, tu étais donc restée toute ta vie, et tu gardais encore cette attitude de petite fille qui baissait la tête quand elle se faisait gronder par son seigneur et maître, parce qu’elle avait désobéi… par-delà les années, tu restais une vilaine petite fille !Car tu avais fauté ! Ne discute pas ! Quand ? Comment veux-tu que je le sache… mais, tu avais fauté ! Tais-toi ! … Avant… dans une autre vie… Si ce n’était toi, c’était donc ta sœur…Et quand bien même ! Tu avais bu au sein maternel la certitude que tu étais de la race des servantes.Et je songeai à ces générations de femmes, nos grand-mères, qui, comme toi, avaient dû sans même s’en rendre compte accepter l’odieux ordre établi par le mâle, despote bercé trop près du mur sur lequel étaient inscrites les certitudes du dogme : « La Femme, enfant malade douze fois impure »… asséné avec l’autorité du poète : M. Alfred de Vigny… pourtant « La mort du loup » c’est loin d’être con !Ou enfonçant le clou avec l’autorité du génie : « La femme est la seconde faute de Dieu. » De M. Nietzsche. Savoir que même un génie, ça peut dire des conneries peut rassurer, certes… Mais, Nietzsche, quand même… Merde !Comment veux-tu t’en sortir indemne ?Alors oui, ma Tartine… ! J’étais reparti dans une de mes digressions compulsives, mais c’était ta faute aussi… que de tendresse j’éprouvais pour toi !Les bonheurs qu’on t’avait permis, et ceux-là , personne ne pouvait te les enlever, ces bonheurs dont tu me parlais avec tant de verdeur et de sève ne t’avaient été accordés que par la grâce et le caprice de ton seigneur et maître.Quant à toi, Armand, cher vieil Armand que tes chimères soient remerciées, quel bonheur, pour ta petite Thérèse que ton caprice… ce qui se cachait dans les méandres baroques de tes obscurs désirs de mâle lui ait ouvert tous ces possibles. Béni soit ton esprit pervers !Elle me fit encore bien d’autres confidences, dans lesquelles, je la sentais revivre, la coquine, les moments qui avaient sûrement été les sommets de sa vie… Ce n’était pas Tartine Mariol que j’avais devant moi, mais la belle délicate jeune femme de la photo avec son sourire sage dont je savais maintenant les secrets si délicieusement pervers.Et puis, il fallut partir… l’heure, dans notre dos, encore une fois avait tourné…J’embrassai ma jolie petite amoureuse de quatre-vingt-deux ans, après qu’elle m’eût offert deux douzaines d’œufs, frais pondus, et un cageot de pommes.— Des Bénédictins… Mange-les avec du pain et beurre… un délice !Je serais à Bordeaux à dix heures… Et la route me disait que j’avais bien fait de mettre le clignotant à droite, de ne pas éviter le joli petit bourg et cette si belle rencontre.Je lui souhaite mes vœux chaque année… parfois elle oublie… nous nous téléphonons de temps à autre.Je ne manque jamais de passer la voir chaque fois que je « descends » en Vallée d’Aspe ou à Saint-Lary. Et c’est chaque fois le même rituel, je vais la chercher à Liac et nous allons déjeuner en amoureux à notre « Café du Centre ».Je suis heureux d’avoir eu la chance de rencontrer ma jolie Tartine, elle est la grand-mère que je n’ai pas eue et l’amante que j’aurais rêvé d’avoir._________________________________________Ah ! Quin’ coun aqueut’ maïnadge… : Ah ! Quel con ce type !Couaneut : Gueuleton.Pren garde à tu, Thérèse ! Bas atrapa une mique ! : Fais attention, Thérèse ! Tu vas te prendre une baffe !