La petite annonce était libellée comme suit :Recherche gouvernante pour gérer maison : ménage, cuisine, linge, rôle de dame de compagnie + logée, nourrie + SMIC.Isabelle sonna à la double porte vitrée d’une maison cossue, s’attendant à devoir prendre en charge une vieille dame. Un grand gaillard vint lui ouvrir, son fils peut-être. Impressionnant de taille et de carrure, le poil grisonnant et la moustache soignée, il portait avec élégance un costume trois-pièces, peu courant de nos jours. Il la questionna en réponse à son salut :— Vous êtes Madame ?— Madame Védère, je viens pour l’annonce.— Oui, bien sûr, entrez et assoyez-vous, j’en ai encore pour quelques instants.Il n’avait pas l’air commode. Elle eut presque envie de franchir la porte dans l’autre sens puis se ravisa. Il faisait bon dans ce hall, belles boiseries, portes doubles, grand escalier à deux volées, ça humait l’aisance sinon le luxe. Une porte s’ouvrit, une grosse dame en sortit un cabas au bout d’une main, dandinant ses kilos excessifs en traînant la savate et soufflant fort. Le gaillard la suivait, la salua.eT se retourna :— À nous, Madame. Entrez, je vous prie.Elle pénétra dans ce qui devait être le salon, pièce immense et traversante, cheminée, meubles cossus. Tout de suite, elle s’y sentit bien, retrouvant d’un coup le courage d’affronter le potentiel employeur.— Alors, dites-moi ce qui vous a amenée à répondre à mon annonce.— Eh bien, tout d’abord j’ai été intriguée par sa formulation, disons… quelque peu surannée, mais néanmoins précise. Je ne vous présenterai pas de diplômes correspondant aux tâches évoquées, mais je pense être capable de tenir ce rôle qui me semble être celui d’une maîtresse de maison.— Laissons tomber les diplômes, si vous le voulez bien. La dame qui vient de sortir en avait un d’aide à domicile, mais j’avoue que je n’aurais pas supporté d’entendre à longueur de jour son pas traînant. Cependant, si vous avez bien lu, le fait d’être logée et nourrie implique que cet emploi demande une disponibilité totale en résidant dans cette demeure.— Je l’ai bien compris ainsi et ça ne me pose pas de problème, n’ayant plus aucune attache.— Pardonnez cette remarque, mais vous paraissez bien jeune pour être dans cette situation ?— Relativement, effectivement, j’ai quarante-deux ans. Je suis veuve d’un chef d’entreprise qui a mis fin à ses jours, suite à la situation financière catastrophique de son entreprise. Il y avait tout investi, tout hypothéqué à mon insu pour tenter de redresser la barre, il a échoué, ne l’a pas supporté, et… on m’a tout repris. Je suis à la rue…— Oh ! Je vois… ce doit être terrible pour vous.— Un peu, en effet. C’est pourquoi, en lisant votre annonce… j’ai besoin de cet emploi… Je ne vois pas comment m’en sortir… J’habite dans une chambre de bonne à trois cents euros par mois, alors que je n’ai que six cents d’aides… je suis au bout du rouleau… excusez-moi.Elle réprima quelques sanglots et tamponna délicatement ses yeux. Ses gestes, ses paroles, avaient une certaine élégance naturelle qui plut au bonhomme, et cette histoire le toucha.— Laissez-moi expliciter ce que j’attendrais éventuellement de vous. Cette maison, qu’on appelait « bourgeoise » peut paraître grande, mais en fait n’est pas immense : ce salon d’un côté, de l’autre une salle à manger et la cuisine, à l’étage deux chambres qu’il faudrait appeler « suites », chambre, boudoir, commodités. Ceci pour la partie « ménage ». Du point de vue culinaire, je mange simple, frais, bon et bio, je ne demande pas trois macarons au Michelin. Et pour le linge, je pense disposer de tout le matériel nécessaire, mais je n’ai pas le savoir-faire.— Ah bon ? Parce que… Ce n’est pas à votre vieille maman qu’il faut tenir compagnie ?— Pas du tout. C’est moi-même qui suis confronté aux tâches domestiques, où je n’excelle pas, et à une solitude qui ne me convient guère. Elle me procure de l’ennui.— Bien, je pense pouvoir assurer l’essentiel et, avec un peu d’application, apprendre à faire comme il vous convient.— Votre réponse me plaît, vous ne prétendez pas d’emblée à tout maîtriser parfaitement. C’est un bon point, ça évitera de nous heurter en confrontant des convictions différentes. Mais l’essentiel pour moi est ailleurs. Je suis veuf et désormais retraité. Après une carrière militaire puis une charge de haut- fonctionnaire, je n’ai pas cultivé de goût pour la solitude. Il ne me semble pas avoir déjà l’âge de la résidence pour seniors, cependant je ne me vois pas non plus tourner en rond entre ces quatre murs, si agréables soient-ils, sans parler, échanger, discuter, débattre, sourire… bref, sans relations humaines en dehors de la journée hebdomadaire à mon cercle. Comprenez-vous ce que je veux dire ?— Tout à fait, et ce serait peut-être mon domaine de prédilection dans ces différentes tâches. En tant qu’ancienne épouse d’un chef d’entreprise, ne travaillant pas, j’ai été amenée à recevoir beaucoup, à « faire salon » en quelque sorte. Et puis je souffre également de solitude en tournant en rond dans les dix mètres- carrés d’une chambre de bonne.— Parfait tout cela. Que diriez-vous de visiter les lieux de fond en comble, que vous mesuriez l’étendue de la tâche qui vous incomberait ?— Volontiers. Mais permettez que je quitte mon manteau, il fait bon chez vous.Elle eut la surprise de voir cet homme, son éventuel futur patron, se précipiter pour l’aider à se dévêtir.Très vieille France, songea-t-elle, mais ça n’a rien de désagréable, au contraire.Ils traversèrent l’entrée, elle put apprécier la salle à manger cossue de dix places assises autour d’une grande table ovale, et surtout la grande cuisine parfaitement équipée. Le propriétaire commentait :— Voyez-vous, durant toute ma carrière, j’ai été logé par l’État au titre de la « nécessité absolue de service ». C’est en voyant la retraite approcher que j’ai acquis cette demeure en bien mauvais état. Je l’ai fait restaurer à mon goût, mais hélas ma pauvre épouse ne l’a même pas vue terminée. Il y avait au départ quatre pièces par niveau. J’en ai réuni deux pour le grand salon et de ce côté j’ai conservé cuisine et salle à manger. J’ai fait rapporter sur l’arrière une sorte de véranda, une pièce vitrée que j’appelle « le jardin d’hiver ». On y accède par ces portes-fenêtres, en lieu et place des anciennes fenêtres, donnant sur le salon et la cuisine. C’est un ovale avec un triple vitrage très isolant et qui supporte une terrasse ouvrant sur les chambres…— C’est magnifique ! Excellente idée.— Oui, je trouve ce lieu très agréable en demi-saison. Venez, allons voir l’étage.Ils gravirent le grand escalier à deux volées jusqu’au vaste palier desservant deux portes et une porte-fenêtre vers la terrasse. Le tout est clair, spacieux, malgré deux grandes bibliothèques de style Empire.— Voici mon domaine, dit-il en ouvrant l’une des portes. N’ayant que faire d’un boudoir, j’en ai fait mon bureau. J’y passe pas mal de temps, généralement en tenue décontractée. Une porte vers ma chambre, une autre vers les commodités, dressing, toilettes et salle de bain.— C’est… impressionnant. Je crois en effet que l’on peut nommer cela « une suite ». C’est très bien conçu.— Merci. De l’autre côté du palier, voyez, vous disposez exactement de la même configuration symétrique. Ce serait là votre hébergement si nous faisions affaire.— Vous voulez dire que c’est le logement de la gouvernante ?— Bien sûr. Je n’allais tout de même pas loger cette personne sous les toits comme du petit personnel. C’est bien pour cela qu’il ne m’est pas venu d’autre terme à l’esprit que « gouvernante ». Je voudrais que la dame qui occupe cet emploi se sente ici « chez elle » et gère cette maison comme si elle était sienne.— Je vois… Mais, vous n’avez pas de famille, d’amis qu’il serait souhaitable d’héberger temporairement ?— Je n’ai qu’un frère, qui ne me parle plus depuis que j’ai embrassé la carrière militaire, soit plus de trois décennies. Quant aux amis, je les retrouve chaque semaine à mon cercle. Toutefois, les combles sont isolés et aménageables éventuellement. Je le ferai peut-être un jour. Souhaitez-vous y jeter un œil ?— Il n’y a pas d’urgence. Et donc là , cette porte-fenêtre donne sur la terrasse ?— C’est bien cela. Ah, un détail, la terrasse est commune aux deux chambres. Peut-être faudrait-il envisager une séparation centrale…— Ce serait dommage de couper cet espace très agréable. Oh, et cette vue sur le parc, mais c’est immense !— Croyez-vous ? Hélas non. De grands espaces en centre-ville auraient été hors de la portée de ma bourse. Il s’agit en fait d’une astuce, un trompe-l’œil conçu par un ami paysagiste. C’est remarquable, nous irons le parcourir tout à l’heure. Je veux d’abord vous montrer le sous-sol, c’est plus important pour vous.Ils descendirent au sous-sol, enterré jusqu’à un mètre des plafonds voûtés et éclairé par des vasistas. On y retrouvait la même configuration qu’aux autres niveaux, un espace relativement modeste entre deux murs porteurs au centre et deux espaces latéraux d’une cinquantaine de mètres carrés.— Au milieu, le local technique : armoire électrique, pompe à chaleur, ballon d’eau chaude, adoucisseur et centrale d’aspiration. Oui, car dans chaque pièce vous disposez d’une prise dans la plinthe, généralement cachée derrière une tenture, sur laquelle vous branchez un tuyau extensible d’aspirateur. C’est très pratique, il n’y a que ce tuyau léger à transporter, et extrêmement puissant. Gare aux chats qui passent alentour !— Très bien. Et l’on vide le réservoir aux poubelles, je suppose ?— C’est cela, une fois par mois environ. Par ici c’est la buanderie, seul espace chauffé du sous-sol, avec ce qu’il faut pour traiter le linge, lave-linge, sèche-linge, centrale vapeur, fils d’étendage. J’ai placé là les congélateurs parce qu’un congélateur chauffe à l’extérieur. Je ne voulais pas troubler la température de ma cave. À côté, c’est un petit bric-à -brac, espace nécessaire dans une maison, avec un petit atelier pour effectuer de menues réparations.— Très, très bien. Tout semble parfaitement organisé.— J’essaie de l’être, c’est un gros reproche que l’on me fait souvent, l’esprit militaire peut-être : une place pour chaque chose et chaque chose à sa place. À mon avis, c’est un gain de temps et d’efficacité. Et de ce côté-ci voici la cave, les conserves et confitures, les pommes de terre, les citrouilles, et derrière cette cloison, la cave à vin, une petite collection.— Je suis impressionnée. Mais ces conserves sont produites où ?— La plupart viennent de mon potager. Il faut bien que je m’occupe et que je fasse un peu d’exercice. Il est temps d’aller le voir, comme le reste de ce que vous appelez « le parc ».Ils remontèrent dans l’entrée, il ouvrit un placard dissimulé dans les lambris et se munit d’un pardessus et d’un chapeau. Elle trotta au salon récupérer son manteau, et il se prit à admirer ce joli postérieur pommé et ces longues jambes gainées d’un pantalon étroit noir, disparaissant dans des bottines à talons. Un haut de maille vieux rose, serré sur une taille fine, laissait flotter un court volant sur ces jolies fesses, le même aux poignets. Belle femme, d’autant que son minois de rousse auburn, criblé d’éphélides, était vraiment charmant. Son regard gris-bleu notamment. Voilà une femme d’une élégance certaine qu’il aurait plaisir à côtoyer quotidiennement.Ils parcoururent l’allée en trompe-l’œil, large de trois mètres à l’entrée et seulement d’un mètre au bout, cinquante pas plus loin, bordée d’arbres de plus en plus petits et de plus en plus serrés. Elle s’extasia sur cette astuce qui donnait l’impression d’une allée de plus de cent mètres de longueur. À droite, le garage bordait le terrain, en partie dissimulé derrière une roseraie qui se prolongeait, cachant un potager étroit et tout en longueur le long du mur parfaitement entretenu.— Chère Madame, je me dis une chose : il est déjà midi et nous n’avons pas encore pris de décision vous concernant. Si nous poussions l’entretien un peu plus loin en vous gardant à déjeuner. Nous pourrions ainsi le poursuivre agréablement et sans précipitation. Qu’en dites-vous ?— Rien ne m’en empêche si ce n’est la crainte d’abuser.— Abuser de quoi ? Peut-être que bientôt cette situation sera notre quotidien.Il avait prévu à son menu une blanquette de veau qu’il remit à chauffer en entrant dans la cuisine, en même temps qu’une casserole d’eau salée pour cuire une tasse de riz bio de Camargue. Il mit le couvert sur une table bistrot près de la fenêtre et fit un roux pour préparer la sauce avec le jus de cuisson, un jaune d’œuf et un jus de citron.— Comme je vous disais, je fais simple et nous mangerons à la cuisine si vous le voulez bien.— Ma foi, ça sent si bon, je n’y vois pas d’inconvénient. Mais vous vous débrouillez comme un chef !— N’exagérons rien, mais il est vrai que je ne déteste pas cuisiner, moins que faire le ménage et surtout m’occuper du linge. Depuis que je suis seul, j’ai appris quelques recettes de base que j’ai quelque plaisir à réaliser. Ce qui m’ennuie, c’est la répétition quotidienne de la chose.— Ce qui m’étonne, c’est que vous n’alliez pas manger dans un restaurant, une brasserie, voire au mess des officiers.— Il est bien évident que j’y ai pensé et que je l’ai même fait. Au début. Mais je dois avoir un tube digestif assez délicat, et la cuisine d’assemblage au quotidien en perturbait le fonctionnement.— Qu’appelez-vous cuisine d’assemblage ?— Celle pour laquelle il suffit d’ouvrir un sachet de viande, un sachet de légumes et un sachet de sauce, d’assembler le tout dans une assiette et de la passer trois minutes au micro-onde.— Ah d’accord. Et vous pensez que cela se pratique beaucoup ?— Hélas, quasiment partout. L’agroalimentaire a fait d’énormes progrès dans ce domaine, et en dehors de certaines tables à plus de quarante euros, elle a le quasi-monopole de nos assiettes. Qu’y a-t-il de meilleur qu’un poulet rôti ? Eh bien, prenez du poulet dans une brasserie et coupez votre cuisse. Il n’est pas besoin d’insister beaucoup pour en couper l’os avec la viande. Mais sur le marché, vous trouvez encore des poulets qui ont couru au lieu de passer leur courte vie dans une boîte à chaussures, qui ont picoré des vers dans un champ et non pas des granulés d’aliments concentrés chargés d’antibiotiques. Parce que serrés comme ils le sont, qu’un seul tombe malade et c’est une hécatombe, donc une perte financière.— Vous pensez cela vraiment ? Même les grandes marques réputées ?— Ha-ha ! Dont les poulets sortent un quart d’heure juste pour la photo. Il suffit de comparer un de ces poulets avec un vrai poulet élevé comme autrefois dans une ferme avec des épluchures et un peu de blé. Dès la découpe, vous le savez : pour l’un c’est du beurre, pour l’autre c’est une épreuve. Tenez, nous allons commencer par cette petite terrine à ma façon.— Hum… C’est délicieux. Elle aussi est « maison » ?— Bien sûr. Une rouelle de porc, c’est une tranche dans le jambon frais, avant qu’il ne soit salé, hachée avec un cul de lapin. Tout cela est très sec, alors je mouille avec un peu d’armagnac et de l’huile d’olive, qui est le second aliment le plus digeste après le lait maternel.— C’est remarquable, bravo. Je crois avoir beaucoup de choses à apprendre…Elle continua de s’extasier et de dévorer. C’est vrai qu’elle était un peu maigrichonne, certainement qu’elle ne mangeait pas tous les jours à sa faim avec si peu de revenus. Après le fromage et les fruits, elle sembla rassasiée.— Oh-là -là  ! Je n’ai pas autant et aussi bien mangé depuis une éternité. Mais dites-moi, je vous prive d’un de vos prochains repas ?— N’ayez crainte, je me remettrai en cuisine un jour plus tôt. Mais voyez l’une de mes caractéristiques : un plat me plaît, je suis capable d’en manger plusieurs fois de suite sans me lasser, du moment que c’est bon. Aussi vous pouvez ne cuisiner que deux ou trois fois par semaine et réchauffer les autres jours. Une chose aussi : j’aime bien faire un solide repas le midi, entrée, plat, fromage, dessert. En revanche le soir, une collation plus légère me suffit. Un potage et un peu de fromage, ou une petite surprise plus délicate et plus coûteuse, mais en petite quantité, comme une douzaine d’huîtres, par exemple.— Je vois, mais je demanderai à l’écailler de les ouvrir.— Sachez que ce n’est pas un problème pour moi, homme de la mer. Alors, pour en revenir à cet emploi, j’ai comme l’impression que vous vous y voyez déjà . Je me trompe ?— Non, pas du tout. J’avoue que je serais bête de refuser cette opportunité si vous pensez que je peux convenir.— Disons que j’ai passé un excellent moment avec une femme charmante. Et cela, pour moi, est le plus important de cet emploi. Le reste suivra. Voyez, je ne demande pas plus : avoir une interlocutrice qui me réponde, c’est bien mieux qu’une présentatrice de télévision. On signe le contrat et j’annule les rendez-vous de l’après-midi ?— Oh volontiers, merci mille fois… je… je ne sais pas quoi dire… c’est presque un conte de fées…— Allons, allons, attendez d’avoir de la peine pour pleurer.— Vous n’imaginez pas ce que c’est que de se retrouver au fond d’un trou sans entrevoir la moindre issue. Vous m’offrez un logement de tout confort cinq fois plus grand que celui que j’occupe, de la bonne nourriture à tous les repas et en plus un salaire… C’est inespéré !— Oui, alors parlons-en justement de ces « avantages en nature ». Vous en êtes consciente et c’est bien ainsi, car votre salaire pourrait vous paraître dérisoire au vu du temps passé sur ce qu’on va appeler votre « lieu de travail ». C’est en gros autour de mille deux cents euros nets. Mais il faut tenir compte de la valeur locative du logement, cinquante mètres carrés dans le secteur c’est au moins mille euros mensuels. La nourriture, disons dix euros par jour soit trois cents euros par mois, et puis les fluides, eau, gaz et électricité, le chauffage, la taxe d’habitation que ne payerez pas, tout ceci pour environ deux cents euros par mois. Ce que je vous offre donc, c’est un revenu réel de deux mille sept cents euros par mois avec une couverture sociale. Les mille deux cents euros sont en fait votre « argent de poche ». Vous me suivez ?— Oui, parfaitement. Merci.— Non, je ne vous demande pas de merci, mais juste de mesurer l’effort que je fais, moi pour vous avoir près de moi quasiment en permanence. Ah, sachez que le jeudi, je suis au cercle, j’y déjeune, et donc vous avez quartier libre, c’est votre liberté hebdomadaire. Pour vos congés, nous en reparlerons un peu plus tard, il faut que vous cumuliez un certain nombre de jours travaillés. Vous avez droit à deux jours et demi par mois travaillé.— Eh grand dieu, pour aller où ?— Cela vous regarde, c’est juste la loi.— Mais j’aurai… le droit de rester chez moi, je veux dire ici ?— Bien sûr, je ne vais pas vous jeter à la rue. Le droit aussi de m’accompagner si le cœur vous en dit et si vous n’êtes pas lassée de voir ma bobine. Mais nous verrons cela le moment venu. Je vous incite cependant à faire l’effort de prélever sur votre salaire le montant d’une mutuelle complémentaire ainsi qu’une assurance, ce serait mieux en cas de pépin.— Vous avez tout à fait raison, je ferai le nécessaire dès que j’aurai touché mon premier salaire. Je commence quand ?— Disons le premier du mois prochain si vous le voulez bien, c’est-à -dire dans trois jours.— Parfait, je vais donc m’arranger pour déménager mes petites affaires et donner mon congé.— Si j’ai bien compris, vous ne devez pas avoir grand-chose à transporter, ma voiture suffira, non ?— Pas sûr, il faudra peut-être plusieurs voyages. Je suis tombée sur un huissier assez sympathique qui m’a pris ma maison, mes meubles, ma voiture, mes bijoux, mais qui m’a généreusement laissé ma garde-robe parce que les vêtements n’étaient pas neufs et donc n’avaient plus guère de valeur marchande. C’est généreux, n’est-ce pas ? Il ne me reste donc plus que cela, avec le collier, la bague et les boucles d’oreilles que je portais ce jour-là …— N’y pensez plus, vous en achèterez d’autres.Le déménagement se fit avec la Jaguar de Thomas Demisène, deux tours suffirent. Il fut cependant ébahi par l’étendue de la garde-robe qui remplit deux fois la voiture, pourtant grande, jusqu’au toit, le coffre étant chaque fois rempli de paires de chaussures. Isabelle s’installa dans la belle demeure avec un plaisir manifeste. Elle se mit à la tâche avec enthousiasme, prenant progressivement ses marques. Dans un premier temps, son patron lui demanda de se concentrer sur le ménage, point sur lequel il avait pris un certain retard. Ce n’était pas ce qu’elle préférait, mais il lui fallait bien gagner son salaire. Lui-même assurait les courses et la cuisine. Puis ils cuisinèrent ensemble afin qu’elle connaisse ses habitudes et ses préférences, l’assaisonnement notamment. Pour le reste, il mit à sa disposition une tablette dédiée aux recettes culinaires qu’il utilisait de temps à autre.Au bout d’une quinzaine, elle lui demanda timidement une petite avance sur son salaire, oh juste cinquante euros. C’était pour s’acheter quelques produits de maquillage qu’elle estimait indispensables pour être présentable. Si le matin elle œuvrait avec aspirateur et lingettes de micro-fibres, simplement vêtue d’un caleçon et d’un sweater usagés, à midi elle se douchait et se pomponnait pour le repas, changeant de tenue selon l’humeur. Cela lui valait toujours un compliment agréable. Le bonhomme appréciait fort que sa « dame de compagnie » soit impeccable et, ma foi, fort agréable à regarder.Le printemps arriva, une certaine harmonie s’était installée dans leur fonctionnement. Elle travaillait énergiquement tous les matins aux tâches ménagères pendant qu’il restait enfermé dans son bureau. L’après-midi, ils passaient beaucoup de temps dans le jardin d’hiver, où il préparait des dizaines de petits godets de graines. Elle parcourait la presse, ils discutaient des nouvelles, événements ou politique. Thomas se sentait bien, ayant trouvé le moyen de rompre agréablement sa solitude. Isabelle semblait heureuse d’avoir retrouvé un cadre de vie aisé, fut-ce au prix de tâches qu’elle aurait bien volontiers déléguées à une employée de maison. Mais au moins savait-elle pourquoi elle devait se faire violence en travaillant.Vers la fin d’avril, une fois le potager totalement planté et ensemencé, Thomas déclara qu’il allait faire un petit séjour d’une quinzaine dans sa maison natale, en Normandie.— Vous pouvez m’accompagner si vous le souhaitez, mais je vous préviens que le confort n’y est pas au niveau de cette maison, c’est un peu spartiate. Mes parents étaient de simples éleveurs de moutons de prés-salés, leur maison est une ancienne ferme réaménagée a minima.— Ce n’est pas un problème pour moi, peut-être l’occasion de mieux encore apprécier notre confort au retour. Et puis changer d’air me fera du bien. Je ne connais pas la Normandie, nous allions toujours sur la Côte d’Azur. C’est l’occasion.Isabelle jubilait durant le long trajet dans la Jaguar et son confort feutré. Après Avranches, ils piquèrent vers la côte par des routes à peine plus larges que le gros véhicule jusqu’au bourg de Genêts. La limousine s’arrêta devant le mur d’enceinte d’une longère traditionnelle en schiste et granit. Austère, la longue bâtisse semblait sombre et froide. Une vieille dame en sortit et sauta au cou du grand homme :— Ah bonjour mon p’tit Thomas. Déjà arrivé ? Je viens de recharger les feux, vous aurez bien chaud. Bien le bonjour, Madame.— Madame Védère, ma gouvernante. Comment allez-vous Maman Garette ?— Oh, toujours avec mes vieilles douleurs. Passez un bon séjour, mes enfants.Elle fila, un peu courbée dans sa blouse et son châle gris, couleur des murs. Thomas ouvrit le portail de bois, rentra la voiture et déchargea les bagages. Rien de folichon, il est vrai : la porte s’ouvrait sur une grande salle avec une énorme cheminée où ronflait un feu d’enfer, une grande cuisine à droite servant aussi aux repas et, à gauche, trois chambres en enfilade avec une salle de bain vieillotte. Les literies sentaient un peu le renfermé. Ils dînèrent dans une crêperie du bourg. C’est le lendemain matin, quand le soleil se leva, que le miracle s’accomplit. En ouvrant les volets, la Merveille apparut inondée de lumière pâle, au bout des herbus où gambadaient quelques agneaux d’autres éleveurs, le Mont-Saint-Michel. Isabelle fut fascinée et resta bouche bée un long moment malgré la fraîcheur matinale.— C’est incroyable ! Quelle vue ! Mais cette vue-là vaut une fortune…— Pas quand on est habitué. J’ai racheté sa part à mon frère pour quelques milliers d’euros à la mort de nos parents.— Mais vous la louez cette maison pendant les vacances ?— J’ai essayé. Bilan, cinq mille euros de travaux pour trois mille de location en deux mois. Les gens sont ignobles. Je préfère la conserver fermée aux bons soins de la vieille Lucie.Ils arpentèrent les sentiers littoraux, visitèrent le Mont, Cancale, Saint-Malo, Granville, se gavant de succulents produits de la mer et profitant d’une quinzaine très clémente. Chaque soir, Thomas espérait sans oser se l’avouer que cette superbe femme qui avait été pendue à son bras toute la journée viendrait gratter à sa porte et se couler sous sa couette. Il n’en fut rien. Ce n’est qu’en fin de séjour que la maison perdit son parfum de renfermé, un peu tard. Sur la route du retour, Isabelle se confondit en remerciements pour cette délicieuse escapade.— Nous y reviendrons à l’automne, si cela vous chante. Les touristes seront rentrés dans leurs niches, et l’hiver il fait trop humide.L’été se passa essentiellement en jardinage, cueillettes et conserves. Les vieux murs de pierre, la bonne isolation et une gestion rigoureuse des volets gardaient la maison fraîche et agréable. Avec la montée de la température, les tenues vestimentaires de la gouvernante devinrent de plus en plus minimalistes, allant jusqu’à un maillot de bain microscopique. L’ancien militaire se permit un short un peu vague, supposé camoufler ses fréquentes érections. Mais rien dans son comportement ne trahissait son désir grandissant. Ils retournèrent à Genest et la vieille Lucie avait bien aéré pendant tout l’été. La maison était agréable. Thomas fit quelques travaux d’entretien, Isabelle fit grand ménage et plaça des absorbeurs d’humidité dans chaque pièce, expliquant à Madame Garette ce qu’il fallait vider et changer régulièrement pendant l’hiver. Comme à l’habitude, la vieille dame tint à embrasser son « petit » protégé qu’elle avait si souvent gardé lorsqu’il n’était qu’un bambin. Elle lui glissa à l’oreille :— Qu’est-ce que tu attends, mon grand ? Voilà une bien jolie femme et bonne maîtresse de maison. Refais ta vie, mon petit, épouse-la. Tu me ferais tellement plaisir…Il fallut attendre Noël pour que tout bascule. Isabelle avait préparé un somptueux réveillon dont elle était très fière : blinis de caviar posé sur une rondelle d’œuf dur, cailles fourrées au foie gras avec lames de truffe sous la peau, gâteau poire-chocolat, le tout arrosé de champagne. L’ex-capitaine de frégate était aux anges, mais il préféra aller chercher un vieux bourgogne pour accompagner les cailles. À la fin du repas, la gouvernante parée d’un fourreau en lamé baissa les lumières, mit de la musique et invita son patron à danser. Il accepta, tout en lui faisant goûter un très vieil armagnac hors d’âge. Valse, tango, paso-doble, l’homme du monde savait mener sa cavalière. Le CD enchaîna avec des slows, ils se collèrent l’un à l’autre. Soudain, Isabelle se recula vivement :— Mais, Monsieur… Vous… vous…— Je bande, oui, chère Madame. Désolé, mais je tiens une très jolie femme dans mes bras et… la nature est là , impérieuse.— Ça alors ! Moi qui désespérais de la moindre attention de votre part, au point de vous supposer éventuellement homosexuel…— Pas le moins du monde. Je vous présente toutes mes plates excuses.— Mais ne vous excusez pas, je reçois cela comme un hommage. Reprenons, je vous en prie.Ils s’enlacèrent de nouveau, joue contre joue, les mains fines se posèrent directement sur la chemise, puis firent glisser le veston blanc. Souffle dans le cou, souffle dans l’oreille…— Isabelle…— Thomas…Les bouches se trouvèrent enfin. Les corps immobiles, ce sont les langues qui entamèrent un slow langoureux, profond, interminable. Elle se laissa glisser le long de ce corps puissant et descendit la fermeture de la braguette.— Non, Madame, je vous en prie. En chaussettes avec le pantalon sur les talons, j’aurais l’air affreusement ridicule. Montons.Il l’entraîna dans sa suite, ils se dévêtirent en même temps, l’un dans le dressing, l’autre dans la salle de bains. Enfin ce corps sublime dont il rêvait depuis presque un an était à lui. Jamais Isabelle ne fut autant caressée, embrassée, léchée, sucée, aspirée, tripotée, triturée que cette nuit-là . Quand le pénis dru et dur la pénétra enfin, ce fut une délivrance partagée. S’ensuivit une quête irrépressible du plaisir qui aurait duré jusqu’au lever du jour si l’on n’était pas la nuit de Noël. Ils émergèrent vers midi, prirent le café en terminant le gâteau, renonçant ainsi au déjeuner, préférant retrouver la douceur et la chaleur des draps et de leurs corps insatiables.Les jours suivants furent marqués par un sensible changement d’atmosphère dans la maison bourgeoise. Les cascades cristallines du rire d’Isabelle y résonnaient, on pouvait la voir courir nue dans les couloirs ou les escaliers. Et même l’ancien haut fonctionnaire, ancien capitaine de frégate poursuivait parfois sa proie dans le plus simple appareil, pénis au garde-à -vous. Frénésie du plaisir de chair enfin retrouvé après tant d’abstinence, l’élan dura jusqu’à la Saint Sylvestre où Isabelle fit un curieux cadeau à son amant.— Qu’est-ce que c’est ?— Un petit pot de gel lubrifiant. Mais ce n’est pas cela mon cadeau, mon amour, ce n’est que l’accessoire. Ce soir, au douzième coup de minuit, je veux avoir votre superbe queue dans mon petit trou du cul, histoire de bien entamer l’année.— Isabelle, torride Isabelle. Mais vous êtes insatiable !— Oui, j’avoue. Je ne me rendais pas compte à quel point le sexe me manquait ni comme c’est bon quand on a enfin trouvé l’homme de sa vie. Baisez-moi, mon amour, baisez-moi encore et encore. Je veux votre queue, je veux votre jus partout, dans ma chatte, dans mon cul, dans ma bouche, sur mes seins… Je vous veux !Une telle supplique venant d’une femme aussi séduisante ne pouvait être ignorée, d’autant que Thomas, pourtant rigide, rigoureux, voire rigoriste, venait d’ouvrir la bonde à une liberté comportementale qu’il trouvait délicieuse. Se promener à poil dans la maison, grignoter n’importe quoi à n’importe quelle heure, boire plus que de raison, il transgressait totalement les principes de vie qu’il s’était lui-même fixés, et il ressentait cela comme le comble d’une liberté soudain conquise. C’était un peu sa révolution à lui, son mai 68. Cependant, cette reprise soudaine d’une activité sexuelle intense, aussi agréable soit-elle, avait ses limites et il se sentait fréquemment épuisé, « sur les rotules » comme on dit, alors que sa maîtresse était sans cesse plus demandeuse.Après les sensations fantastiques que lui procurèrent « ses étrennes », Thomas alla consulter, expliquant sommairement la situation au toubib militaire pour lui demander de quoi « être à la hauteur ». Dans un premier temps, les petites pilules bleues firent merveille, et sa maîtresse paraissait comblée. Au printemps, ils retournèrent passer quelque temps en Normandie. Même au volant, Thomas peinait un peu à ne pas s’endormir sur l’autoroute.— Voyez, chéri, cette voiture est très belle, mais très grosse et je ne me sentirais pas du tout à l’aise pour la conduire. C’est dommage, je pourrais vous relayer. Il me semble que Jaguar fait maintenant des SUV beaucoup plus compacts et plus modernes que celle-ci. Il faudrait vous renseigner.— Maman Garette » les accueillit dans une maison où les absorbeurs d’humidité avaient fait merveille. Aucune odeur de renfermé ni de moisi.— Mais tu as fondu, mon grand, une vraie ligne de jeune homme. Et tu sembles radieux.— Oui, chère Lucie, je suis très heureux et je crois que je vais faire ce que tu m’as conseillé.— Oh ! Formidable ! Profites-en, va vite voir le nouveau maire, c’est Alphonse, un de tes anciens camarades de classe. Il sera ravi de vous marier, j’en suis certaine.Il alla voir ce nouveau maire et conclut avec lui un acte discret, rapide, avec pour témoins le maire lui-même et la secrétaire de mairie, quelque chose de simplissime adapté à un couple de veufs. Il fallait juste attendre la dizaine légale de jours de publication des bans. C’était un délai parfait pour son projet de cadeau de noces. Laissant Isabelle à son traditionnel grand ménage d’arrivée, il fila sur Rennes préparer son « coup ».Le soir même, il invita Isabelle dans un agréable restaurant sur les falaises de Champaux, face au rocher de Tomblaine. C’est là qu’il lui fit sa demande officielle, agrémentée d’un superbe solitaire. L’ex-gouvernante éclata en sanglots, tant et si bien que le chef désespéré crut que sa cuisine ne lui convenait pas. Elle remercia son futur époux par une nuit épique, telle que même le soleil matinal et la vue du Mont ne parvinrent pas à sortir Thomas du sommeil. La belle était d’accord sur tout, un mariage rapide et discret, on ne ferait que boire une coupe de champagne avec le maire et sa secrétaire.Au sortir de la mairie, un jeune homme en salopette marquée « Jaguar » attendait le couple. Thomas lui remit les clés et les papiers de sa grosse limousine grise et récupéra les boîtiers sans contact d’un superbe SUV rouge. Tendant l’un d’eux à son épouse :— Direction Cancale, ma chérie, si vous voulez bien nous emmener.Dîner somptueux dans un restaurant très étoilé de ce bord de mer, usant de multiples épices étonnantes avec les produits locaux. Isabelle jubilait, elle ne pouvait être plus heureuse. Ils partirent ensuite pour un long périple à travers la France, descendant par Brest, La Rochelle, Bordeaux, jusqu’à Toulon, ports que le capitaine avait fréquentés durant son active. Ils rentrèrent par les Baux, le Pont du Gard, les vestiges romains de Nîmes et Arles, puis firent les trois grands lacs de montagne, Le Bourget, Annecy et le Léman avant de retrouver avec plaisir leur grande maison vers la mi-juin.— Chérie, il faut voir comment nous allons procéder vous concernant.— Me concernant ? C’est à dire ?— Eh bien oui, je ne vais pas continuer à vous rémunérer en tant que gouvernante maintenant que vous êtes mon épouse.— Mais je vais vivre comment, de quoi ? Vous voulez que j’arrête de m’occuper de la maison et recruter quelqu’un d’autre ?— Bien sûr que non, à moins que vous le souhaitiez. Je pensais qu’il serait plus simple de transformer mes comptes bancaires en comptes joints, qu’ils vous soient accessibles à votre guise. Cependant, nous continuerons de verser les cotisations sociales afin que vous soyez toujours couverte et assurée.— Ah oui, c’est une bonne idée. J’aurais encore plus le sentiment d’être attachée à vous et en plus d’avoir toute votre confiance. Merci chéri.Au fil des semaines puis des mois, le goût immodéré de la presque jeune mariée pour le sexe ne se démentait pas, bien au contraire, au point que le jeudi au cercle était devenu pour Thomas un véritable jour de repos. Non qu’il s’en plaigne, mais il devait de plus en plus souvent avoir recours à ses petites pilules bleues. Il en connaissait le danger, mais comment refuser les avances insistantes d’une superbe femme de plus de vingt ans sa cadette. Cette situation était tellement inespérée qu’il se faisait un devoir d’assurer en vaillant capitaine.Devenue la maîtresse de maison en titre, Isabelle émit quelques suggestions que, comme pour la voiture, son mari s’empressait de satisfaire. Ainsi, ils firent terminer les suites mansardées du second, quasi à l’identique des autres dans la conception, mais avec la touche de modernité qu’apportait Isabelle. Elle suggéra également d’y faire installer une climatisation, ainsi qu’un chauffage électrique dans la longère normande dans l’éventualité d’aller un jour y passer les fêtes de fin d’année. Tout fut fait selon ses souhaits. Et chaque fois, c’était l’occasion de remercier physiquement son époux par d’incroyables séances de pure folie sexuelle.Isabelle semblait avoir un goût immodéré pour les situations incongrues qui surprenaient toujours le trop classique Thomas. Il s’étonnait profondément que le sofa du salon, la table de la cuisine, la banquette arrière de la Jaguar et même la pelouse fussent des lieux de plaisir. Et son épouse n’avait pas son pareil, lorsqu’il rendait les armes, pour le pousser toujours plus loin et, lui plantant un majeur fureteur dans l’anus, lui tirer encore une ultime érection éjaculatoire. Il en était désormais à trois pilules par jour, parfois quatre, « pas plus de deux » avait dit le toubib. Mais la canicule cette année-là était terrible et ne l’aidait pas. Il dépassait la dose, certes, mais pour peu de temps, jusqu’à la fin des grosses chaleurs…Si la chaleur retomba en septembre, ce n’était pas le cas de l’appétit sexuel d’Isabelle. Elle les conduisait vers la Normandie, secouant sans cesse Thomas :— Vous ronflez, chéri !Il se sentait vidé de sa substance et en même temps habité par le désir obsessionnel de satisfaire son épouse. Il lui semblait ne plus exister que par l’activité quasi permanente de son sexe. Dès qu’il put s’échapper, il fonça dans une pharmacie d’Avranches pour renouveler son stock de pilules bleues, il en consommait désormais régulièrement quatre par jour. Bien sûr, il commençait à ressentir quelques effets secondaires, perte de sommeil, grande fatigue, et quelques tremblements récemment apparus. Mais qu’importait. C’était un tel bonheur de trousser cette jolie femme cinq à six fois par jour, les seuls instants où il se sentait vivant et libre, comme si sa vie en dépendait tout en s’échappant par sa queue. Il avait encore maigri, se trouvait une ligne de jeune homme malgré son poil grisonnant et ses rides plus marquées.— Regardez-moi ce site, ce paysage fantastique, disait Isabelle en photographiant les lieux avec une tablette.— Je suis heureux que cela vous plaise, j’y suis très attaché. Un jour, des Anglais de passage m’en ont proposé cinq cent mille euros. J’ai refusé, bien sûr.— Ah quand même ! Une vraie fortune…— Qu’en ferais-je ? Ma vraie fortune, c’est vous.**********Quand ils réintégrèrent leur demeure principale, Thomas se sentait de moins en moins bien. Il avait des vertiges et retourna voir son toubib qui lui prescrivit un nouveau médicament pour dormir. Malgré tout, il ne se sentait plus la force de jardiner comme les années précédentes, ce que ne manqua pas de lui faire remarquer son épouse. Alors il se força sans se plaindre, bêchant jusqu’à l’épuisement.C’est en rentrant de l’un de ces exercices forcés, ruisselant de sueur, qu’Isabelle l’accompagna sous la douche pour le « réconforter » à sa façon. Malgré sa fatigue, Thomas l’empala en appui contre la paroi. Il revivait soudain et sentait l’orgasme monter dans son ventre, le sang tambourinait dans ses tempes et soudain, une étrange et intense lumière l’aveugla. Il porta ses mains à sa poitrine et glissa mollement au fond du bac. Isabelle en sortit précipitamment et se sécha, se rhabilla, laissant le corps inerte sous le jet tiède. Au bout d’une demi-heure, elle revint à la salle de bain, ferma le robinet, porta deux doigts sur le cou de son époux sans plus sentir la moindre palpitation. Des écoulements suspects maculaient encore le fond du bac. Elle redescendit tranquillement et s’empara du téléphone, prenant un ton d’affolement.Le SAMU arriva un quart d’heure plus tard, trouvant une Isabelle en larmes et, semblait-il, totalement affolée. Le médecin conclut à une crise cardiaque. Comme le corps était encore tiède, on tenta massage cardiaque, défibrillateur, masque à oxygène, en vain. Le corps fut emmené à la morgue pour l’examiner, le diagnostic de l’urgentiste fut confirmé. Isabelle demanda que les volontés du défunt soient respectées et qu’il soit rapidement incinéré. Brève cérémonie durant laquelle la veuve éplorée fit connaissance des amis du cercle de Thomas. Son frère n’y assista même pas. S’ensuivirent toutes les tracasseries administratives liées à la succession. Finalement, tout se passa au mieux, car Thomas avait bien anticipé sa succession, même s’il la pensait plus lointaine. Il ne fallut que modifier les titres de propriété et en payer l’enregistrement. Mais le grand homme disposait d’un « matelas » d’économies et placements amplement suffisant. En une quinzaine, tout fut réglé.Isabelle rentra dans ce qui était désormais « sa » maison avec tous ses documents sous le bras. Elle courut dans sa chambre pour extraire un minuscule téléphone portable pliant d’une poche cachée de sa valise.***********— Allô Chris ? C’est bon, tout est plié, tu peux venir… Demain après-midi ?… D’accord. J’ouvrirai le portail et tu mettras ta voiture directement dans le garage. À demain… Moi aussi, je t’adore.Un cabriolet rouge vrombissant s’engouffra dans l’allée jusqu’au garage. Isabelle se précipita en appuyant sur la télécommande du lourd portail. Une portière claqua et une longue silhouette sortit, bottes noires, mini-short en jean, débardeur rose, redingote ouverte noire, chapeau noir, lunette de soleil, un sac de cuir à la main.— Chris !— Salut Isa. Pfiouhhh ! Pas mal la baraque !— Viens vite à l’intérieur…Une fois entrées, Isabelle se jeta sur l’arrivante, l’embrassant à pleine bouche.— Putain, ce que tu m’as manqué…— Moi aussi. Enfin, c’est fini. Tiens voilà tes affaires importantes, papiers, comptes bancaires, portable, passeport, tes godes aussi… Tu permets, je jette un coup d’œil un peu partout.La grande fille posa veste, chapeau et lunettes et promena sa dégaine dans tout le rez-de-chaussée.— Ouais, un peu ringarde la déco, mais belle piaule. La cuisine, il suffirait d’un coup de peinture. Et les étages ?— Deux suites au premier, très classes, mais ringardes aussi. Au second, j’ai tout fait refaire à mon goût.— Déjà ça. Bon faisons le point, t’en es où ?— D’abord cette baraque qui est plutôt sympa. En faisant planter une haie haute tout le tour, on sera peinardes. J’ai prévu une piscine couverte au milieu du jardin.— Pas mal ! Tu finances comment ?— Il avait pas mal de placements, environ trois cent mille. Et puis regarde, j’ai des photos, une longère en Normandie avec vue imprenable sur le Mont-Saint-Michel. Ça, les rosbifs adorent. On lui en a proposé cinq cents.— Super ! Et côté revenus ?— Deux réversions sur ses retraites, militaire et haut fonctionnaire, en gros quatre mille cinq par mois, plus l’assurance-vie qui est une rente d’environ deux mille.— Tu m’épates. Moi j’me suis faite un peu avoir. Un, l’assurance-vie était une somme, cinq cent mille quand même. Deux, ce connard avait un fils caché, illégitime. Mais il avait fait la connerie de le reconnaître. Du coup le crétin s’est pointé à la succession. Et comme les choses n’étaient pas très bien faites, malgré mon insistance, je n’avais droit qu’à la moitié. Il a fallu tout partager. Pour la baraque, je m’en foutais : regarde ces photos, des cubes empilés, « à la mode » qu’il disait. Sans intérêt. En revanche, il y avait la résidence à Rosas, en Espagne. Villa bord de mer, palmiers, soleil, bateau. J’ai négocié avec le demi-fiston, je lui laisse la baraque et je garde la méditerranée.— Waouh ! Magnifique ! C’est décidé, je vends la Normandie.— Question rente, j’aurai donc une réversion d’environ cinq mille. De quoi vivoter.— T’inquiète, j’assure. Six mille cinq celui-là , trois mille cinq le précédent, à nous deux ça fait quinze mille, on devrait s’en sortir.— Tu m’étonnes !— Bon cette fois c’est décidé, je raccroche. J’avais dit à quarante-cinq piges, j’en ai quarante-quatre, mais celui-là m’a usée. Presque un an avant qu’il ne vienne dans mon lit et autant pour en venir à bout. C’est pas rien les militaires ! Il m’a usée. Marre de simuler le désir, le plaisir, de branler, de sucer, de baiser… Marre de faire la cuisine, le ménage, le jardin, la lessive… Marre de la bonne bouffe bio, des restos étoilés, des pinards à cinquante boules. Tu sais quoi ? Je file au drive nous acheter deux énormes burgers.— Ouais, avec un kilo de frites bien grasses et quatre cocas.— Oh putain oui, du coca… à tout de suite, chérie, installe-toi.