Paradoxe ! Voici un récit qui n’a rien, mais alors rien du tout d’érotique, par contre vous découvrirez qu’il n’a rien d’innocent et que ce n’est pas le genre de texte à publier dans un recueil scolaire !À ce titre, il a selon moi tout à fait sa place dans la catégorie « jaune et non érotique » du site érotique qu’est Revebebe.Cette anecdote que je ne savais où publier est absolument authentique, seuls les prénoms et noms ont (bien évidemment) été changés…Philippe Brossard est sénateur – sénateur centriste, parce que dans les années 70 personne ne se proclamait alors de « droite ». Il a beau être sénateur, personne ne le connaît, les habituées des activités parlementaires savent simplement qu’il fut l’un des signataires de l’amendement Schuman de 1973 (je ne certifie pas la date) qui finira par tuer le cinéma X. Ce dernier a pris heureusement sa revanche car si les ébats sur pellicules continuent d’être stupidement taxés, cette loi se révéla absolument inapplicable au marché de la vidéo-cassette.Philippe Brossard parcourt la France, il n’est jamais le dernier à se porter volontaire en cas de mission parlementaire de toute sorte, et puis il y a les activités de son parti dont il se veut cacique. Il est donc souvent de corvée de réunion, mais les banquets et les buffets le récompensent bien de son dévouement à la chose publique.Mais comme je vous le dis, Philippe Brossard n’atteindra jamais la notoriété, et d’ailleurs on s’en fout, c’est pas le sujet.Philippe Brossard ne s’est jamais marié, on ne lui connaît aucune maîtresse, on n’a jamais non plus rapporté sur lui aucune frasque homosexuelle – ou frasque tout court, d’ailleurs. Philippe Brossard a apparemment une sexualité de moine contemplatif.Comme beaucoup de personnes sans enfant, Brossard s’est porté d’affection pour son neveu Jean-Luc, mais celui-ci, ne voulant rien avoir de commun avec les opinions de son réactionnaire de tonton, l’envoya bouler. Brossard, qui n’avait pas d’autre famille proche depuis la mort de son frère, en prit son parti.À quarante ans, Jean-Luc fit repentance, se souvint qu’il avait un oncle, adhéra à sa formation politique et s’essaya en vain aux suffrages de ses concitoyens, mais le rapprochement s’était opéré. Grâce à quelques appuis, Brossard propulsa le neveu à la tête d’une affaire qui eut pas mal de chance, ce n’était pas les Émirats Arabes Unis, mais Jean-Luc put quand même s’acheter un château (un petit, pas un gros).Dix ans plus tard, les choses évoluèrent encore : Jean-Luc était devenu député, ses affaires par contre n’allaient plus très fort et il se demandait s’il pourrait garder le château. Philippe, lui, devenait vieux, sortait de moins en moins et sa santé chancelait.Les deux hommes passèrent alors un accord dont certains termes firent l’objet d’un acte notarié : Philippe reprenait toute l’aile sud du Château pour lui et s’engageait à en restaurer l’ensemble ; il y habiterait, bien sûr. En contrepartie, Jean-Luc s’engageait à veiller sur le tonton.Le jour de l’emménagement, un camion plus petit suivit l’énorme véhicule contenant le mobilier et les affaires personnelles du sénateur. Lorsque vint le moment de le décharger, les ouvriers s’enquirent évidemment de savoir où déposer le contenu de ce second camion.— Dans le grenier ! répondit notre sénateur, se rendant compte à ce moment-là que, dans son repérage des lieux, il avait tout simplement oublié celui-ci !Mais, horreur et damnation, tous les greniers de l’aile étaient pleins à craquer, occupés qu’ils étaient par des meubles divers en état médiocre que les anciens occupants avaient donc laissés et que personne n’avait l’idée de débarrasser.Notre sénateur piqua une crise.— Mais enfin ! protesta Jean-Luc. Vous avez assez de pièces dans cette aile, il suffit de mettre tout ce fourbi dans l’une d’entre elles.— Non, je veux un grenier !— Mais pourquoi diable un grenier ?— Parce que je veux un grenier !Eh oui, quand quelqu’un refuse la discussion, on ne peut pas discuter dirait La Palisse.— Alors déposons-les dans une pièce de façon provisoire et on vous fera débarrasser un des greniers le plus tôt possible !Mais notre sénateur était trop trempé dans la politique et ses formules prometteuses pour ne pas ignorer que « le plus tôt possible » pouvait très bien signifier « si un jour on y pense », et il se lança dans une tirade où il signifia haut et fort qu’il n’entendait pas se contenter d’une solution mi-figue mi-raisin. Il n’entrait pas dans le planning des déménageurs de débarrasser de suite l’un des greniers de l’aile, c’était donc la crise… quand la femme de Jean-Luc se souvint brusquement (et presque à regret) que dans leur aile à eux, il y avait un grenier bien vide à défaut d’être bien propre… Peut-être que cette solution conviendrait au vieux sénateur ?Elle lui convint !Il n’emménagea pas seul, il fut accompagné d’une infirmière, d’une cuisinière et d’une femme de ménage. Trois femmes pour lui tout seul, ils les avaient choisies jeunes et plantureuses… Cela intrigua bien sûr Jean-Luc, mais jamais il ne put constater quoi que ce soit de bizarre, voire d’anormal, dans les rapports entre ces dames et son oncle. Jean-Luc essaya même de les draguer, il en fut pour ses frais !La vie s’organisa donc, Chacun vivait dans son aile, cela avait été convenu comme cela. Ils se voyaient de temps en temps, pas plus que ça. Mais il y avait autre chose, et la première fois que Jean-Luc vit l’oncle déambuler de bon matin dans les couloirs, en robe de chambre et charentaises, ni rasé, ni coiffé et probablement pas lavé non plus, il en fut stupéfait, lui qui avait l’habitude de voir son sénateur d’oncle toujours tiré à quatre épingles et propre comme un sou neuf.— Eh bien, mon oncle, que vous arrive-t-il donc ?— Mais rien du tout, mon neveu, je me rends dans mon grenier, ne faites pas attention à moi !Il resta un certain temps dans le grenier, personne ne savait évidemment ce qu’il y fabriquait, c’était généralement le matin qu’il s’y rendait mais pas forcément, et ses séjours y duraient parfois des demi-journées entières.On le rencontrait ainsi, marchant péniblement aidé de sa canne anglaise, il ne dérangeait personne, tenait malgré tout à préciser au cas où on en aurait douté :— Je vais à mon grenier !Ou alors :— Je reviens de mon grenier !Tout dépendait dans quel sens on le rencontrait ! Mais qu’il y aille ou qu’il en revienne, c’était toujours les mains vides !Jean-Luc était intrigué par ce manège, il aurait bien été y frapper, comme ça, un jour où le vieux y était, mais il n’osait pas – il n’avait jamais été très courageux, Jean-Luc. Pourtant il lui brûlait de savoir. Il avait le double des clés et s’était bien gardé de le dire à son oncle : une nuit, après s’être assuré que la lumière fût éteinte chez le tonton, il s’en fut dans le grenier.Cela faisait bientôt un an que le sénateur le visitait plusieurs fois par semaine. Il entra : des caisses, des cartons, des croûtes, quelques soi-disant sculptures hideuses, et puis des bouquins, des revues… Tout cela était recouvert de poussières. Il inspecta un peu les lectures, mais n’y trouva que du bien banal. Son regard fut attiré par un tabouret, posé en dessous du vasistas. Il s’approcha, constata qu’il était vierge de toute poussière. C’était donc là que le sénateur venait s’asseoir ! Et devant le tabouret, une espèce de grosse malle assez ancienne. Au-dessus de cette malle, un paquet, ou plutôt un double paquet de revues, des Paris-Match et autres littératures de salles d’attente, sans doute conservés en raison de leur caractère historique. Il en découvrit les couvertures : le premier homme sur la lune, l’assassinat de Kennedy, la mort de De Gaulle, le mariage du prince de Monaco…Le tonton venait donc ici pour lire tout ça, se remémorer les « grands » moments de l’histoire contemporaine ! Mais ça ne tenait pas debout ! Pourquoi alors ne les apportait-il pas dans ses appartements ?À moins que… À moins que l’objet des visites sénatoriales soit non pas les revues posées sur la malle, mais la malle elle-même ! Mais bien sûr que c’était ça ! Il enleva les deux piles de revues, et tenta d’ouvrir la chose. En vain, il ne voyait même pas comment ce machin pouvait s’ouvrir ; après une heure d’effort, il y renonça.Il revint plusieurs nuits de suite, sans plus de succès. Il eut alors l’idée de se payer le luxe de demander les services d’un serrurier qui opèrerait la nuit. Il paya l’homme de l’art une fortune, mais ce dernier se révéla incapable d’opérer ; cette malle restait un mystère ! Jean-Luc laissa donc tomber, mais il enrageait secrètement quand il apercevait son oncle déambuler dans les couloirs avec son oeil malicieux, l’air de le narguer !Et puis un jour, le sénateur mourut !Et c’est là qu’intervient (oh, si peu) ma modeste personne dans l’histoire, car il se trouve que j’étais employé à l’étude du notaire chargé de la succession.Succession par ailleurs catastrophique. Le sénateur laissait surtout des dettes…Mais il y avait la malle…Certes, elle revenait de droit à Jean-Luc, que son oncle avait rendu légataire universel, mais il fallait bien payer les frais de succession, et pour les payer, encore fallait-il savoir y compris ce que contenait cette malle mystérieuse.On en chercha d’éventuelles clés dans les appartements de sénateur, on n’en trouva pas !Quelques semaines après le décès de Brossard, je fus donc chargé de m’occuper de l’ouverture de l’objet !— Si on ne sait pas faire, on l’ouvrira à la scie circulaire !Le notaire avait toujours été très romantique.Je trouvais dommage d’abîmer un si bel objet, découvris, sur les pages jaunes de l’annuaire téléphonique, un spécialiste en serrures anciennes, lui envoyai un polaroïd de l’objet. Il nous répondit qu’il connaissait ce genre de système et qu’il en aurait raison au bout d’un quart d’heure maximum. Je téléphonai à Jean-Luc qui en jubilait de bonheur. Je n’ai jamais aimé ce mec !Il fut alors convenu que la malle serait ouverte avec une certaine cérémonie. On avait donc ce jour-là préparé le grenier, il avait été balayé et débarrassé de ses toiles d’araignée les plus voyantes. Sur un petit guéridon avaient été disposées une courte nappe blanche, quelques bouteilles de champagne et les coupes pour le sabler. Nous sommes arrivés vers 16 heures, le notaire, le serrurier et moi, la famille était au grand complet, c’est-à-dire Jean-Luc, son épouse, leurs quatre enfants et leurs époux et épouses respectifs, et même quelques petits-enfants ; ça commençait à faire du monde.Nous prîmes place autour de la malle et le serrurier s’apprêta à opérer. Manifestement l’affaire lui donnait du mal, tant et si bien qu’au bout du quart d’heure fatidique, rien n’était ouvert, mais comme il ne perdait pas espoir, alors l’assistance non plus. Je vous laisse imaginer le suspense ! Qu’allait-on trouver là-dedans ? Ce que le sénateur Brossard venait cajoler presque tous les jours, mais il venait cajoler quoi ? Des lingots d’or, des pièces, des bons du trésor, des bijoux anciens, des objets de collections extrêmement rares, des gravures de maîtres, des manuscrits authentiques, à moins que ce ne soit quelques secrets d’État glanés pendant sa carrière politique… Non, cette dernière hypothèse ne se prêtait guère à la négociation. Bref il ne restait qu’à attendre… dans quelques minutes, tous ces gens sauf moi seraient riches et sableraient le champagne !— Ça y est ! clama enfin le serrurier en un soupir de victoire !Et zlouf ! Tout le monde se rapproche de vingt centimètres !Le couvercle se soulève, tout le monde se penche ! Il y a une toile qui empêche de voir à l’intérieur, et sur la toile, une enveloppe.Le notaire se saisit de l’enveloppe, et la décachète !— Attendez ! tente-t-il d’intervenir, quand il voit quelqu’un retirer la toile de tissu.Mais il est déjà trop tard, le contenu est dévoilé, tout le monde se penche !Désarroi général !— C’est quoi, ce fourbi ?— Il s’est foutu de nous, le vieux !— Attendez, c’est peut-être au fond !Et tout le monde de sortir de la malle des objets plus insolites les uns que les autres, un chausse-pieds, un journal, un autre chausse-pieds, un paquet de cigarette entamé, un chausse-pieds, un briquet, un chausse-pieds, sans doute plus de cent chausse-pieds et des tubes de rouge à lèvres, des peignes, des brosses, des bibelots à quatre sous ! Personne ne fait attention à ces objets. On les sort, on les met à côté, et bientôt il faut se rendre à l’évidence : la malle est vide, il n’y avait aucun trésor de caché !Jean-Luc et son épouse sont blancs comme des linges, la déception est terrible ! Machinalement, il ramasse l’un des chausse-pieds, il y découvre une minuscule étiquette : Corinne 5/82 ! Il ne comprend pas, il en ramasse un autre… chaque objet est étiqueté d’un prénom féminin et d’une date. Livide, il se tourne vers le notaire !— La lettre !— La lettre ? Il n’y a rien d’intéressant !— Il n’y a rien dedans ?— Si ! Mais je vous dis… rien d’intéressant !— Dites toujours !— C’est simplement marqué « Merci, Mesdames ! »On n’a pas bu le champagne, on a laissé la famille Brossard descendre de ses illusions ! Ainsi, le sénateur gardait un souvenir de ses amours tarifées et venait s’en remémorer les meilleurs moments en farfouillant en solitaire dans sa malle !Sacré Brossard ! L’histoire est finie, mais je peux, maintenant que j’ai depuis longtemps quitté cette étude, y ajouter… qu’il y avait aussi une petite pochette, dans la malle, que j’avais lâchement chapardée : elle contenait diverses choses dans intérêt, mais il y avait aussi une collection de tickets de cinéma. Notre sénateur, grand croisé anti-porno, fréquentait assidûment le cinéma érotique du boulevard Saint-Michel, celui qui se situait à quelques centaines de mètres du jardin du Luxembourg, siège du sénat. Et puis il y avait aussi un tout petit carnet, dans lequel Brossard avait noté quelques réflexions très intimes. Ce n’était pas très intéressant à vrai dire, sauf celle-ci, en plein milieu : « Lorsque j’ai voulu m’installer, je me suis acheté deux choses : un martinet et un chausse-pieds. » Sophie 1975 »…Ainsi, quand il ne pouvait voler un objet, il volait alors des mots…Estonius, 5/2002