Dans les starting-blocksJe larguerai les amarres demain à la première heure. L’excitation éprouvée prenant l’ascendant sur la raison, je m’apprête à ne pas fermer l’œil de la nuit…, moi qui ne dormirai pourtant certainement plus beaucoup durant les jours à venir.Je viens de passer des années de navigations à peaufiner mon bateau ainsi que ma technique, j’ai aussi minutieusement potassé les différents schémas météo et routes maritimes pour espérer boucler au mieux ce tour du monde. J’ai souffert des mois durant dans les salles de sport à affûter mon cardio et à soulever de la fonte… Je me suis infligé tant de labeurs et de rigueurs dans ma préparation pour pouvoir réaliser mon rêve, que ça y est… le fantasme qui ne cesse de me hanter est enfin sur le point de se concrétiser !–––oooOooo–––Le déclic se créa lors d’une conférence organisée au palais des congrès de la Grande Motte pour Philippe Jeantot, à l’issue de son premier tour du monde. Certes, il ne s’agissait pas encore du « Vendée Globe », mais du « BOC Challenge »… cette course en solitaire traversait déjà trois océans, mais elle, elle comportait trois étapes : Le Cap, Sydney, et Punta del Este.Je buvais ses paroles et me délectais de son récit, car il symbolisait pour moi la liberté personnifiée, l’aventurier avec un énorme « A », celui qui incarnait en fait à mes yeux le marin par excellence.À l’époque, beaucoup de jeunes de mon âge rêvaient de dribler un ballon rond tout en portant un maillot vert, pour ma part je ne souhaitais qu’enfiler des bottes et un ciré… Mes fantasmes ne se nourrissaient qu’essentiellement du grand large.Ce jour-là, du haut de mes sept ans, j’avais eu la chance de pouvoir lui parler et de glaner un poster dédicacé de son bateau. En posant sa main sur l’épaule de mon père, cette icône lui avait dit : « voilà l’avenir… le marin de demain » Puis, me surplombant de sa robuste carrure, la moustache intimidante, il me confia ces quelques mots qui changèrent incontestablement mon existence : « Donne-toi les moyens de tes ambitions, moussaillon… et rien ne pourra entraver ton chemin ».Je m’étais alors empressé d’épingler ce trophée au mur de ma chambre pour le contempler régulièrement, en rêvassant, avec la ferme intention de respecter le conseil ainsi prodigué. Je me promis donc de marcher dans ses pas…L’aventure peut commencer !Je détache enfin la dernière amarre reliant encore mon voilier au quai, afin que le Zodiac accompagnateur puisse me remorquer vers la sortie du port.La foule amassée sur les digues s’écrie, interpelle les concurrents qui défilent dans le chenal menant à la mer, et brûlent des fusées de détresse. Je les vois à peine, mon esprit vagabonde déjà.Alors que les premiers embruns salés me balayent le visage, je regarde, l’air absent et un peu effrayé, cette foule venue nous saluer… Nous les marins qui nous apprêtons à réaliser cet exploit : boucler le tour de la planète bleue en solitaire et à la voile. Je devrais me sentir fier et flatté, mais toute cette exubérance m’angoisse. En fait, je trépigne surtout d’impatience de me retrouver seul, vraiment seul… loin de toute cette agitation.Ayant toujours été un ermite un brin introverti, je n’ai jamais couru après la gloire ou la reconnaissance. L’intérêt se trouve ailleurs : amoureux de la mer et de ce sport, participer à cette régate ultime est pour moi une consécration, tout le tapage médiatique qui en résulte m’importe peu.Mes équipiers provisoires hissent les voiles… moi, je reste pensif, le regard déjà fixé vers l’horizon. Une heure me sépare du coup d’envoi, ces soixante longues minutes à attendre me paraissent interminables, j’ai tellement hâte d’y être.C’est parti ! Je m’élance au bon plein, presque au près serré. Loin de la rive, le vacarme assourdissant émanant de la côte devient plus acceptable et seuls quelques pétards en fond sonore se font encore entendre.Mettant le cap au sud-ouest sur 500 miles pour contourner la pointe de « Estaca de Bares », je filerai par la suite toutes voiles dehors vers les Açores pour, au grand largue, rallier les mers du Sud.–––oooOooo–––Presque sept jours se sont écoulés et je commence en fait tout juste à m’acclimater à la solitude pour savourer la chance qui m’a été donnée.J’écoute mon bateau respirer, l’effet hydrodynamique des foils fendant la mer crée une vibration accompagnée d’un sifflement permanent qui se propage de la proue à la poupe. Dans ses conditions somme toute inconfortables, un certain temps d’adaptation s’avère inévitable pour vraiment réussir à dormir, mais l’on se fait à tout, maintenant cela me bercerait presque.Le Pot au Noir m’accorde toutefois une petite pause dans la course effrénée que je menais, me permettant de profiter de quelques heures salvatrices de répit.Avec pour seule compagnie une mouette rieuse venue chercher un peu de repos sur le bastingage de mon voilier, l’étendue d’eau qui m’encercle à perte de vue crée en moi une sensation de vertige. Le ciel se confond à la mer la journée, et la nuit, la voûte étoilée me surplombant paraît plus profonde et lumineuse qu’à l’ordinaire.Ce spectacle est magnifique, tout semble si grandiose qu’il serait bien difficile de ne pas relativiser mon existence, je me sens tel un microscopique grain de poussière perdu dans l’immensité de l’univers.–––oooOooo–––Me voilà déjà en train de franchir l’équateur ! Il m’aura fallu à peine plus d’une semaine pour changer d’hémisphère, tandis que Bernard Moitessier en avait presque mis cinq, soixante ans auparavant. Aucune comparaison ne s’avère pourtant justifiée, le matériel tout comme les objectifs diffèrent tellement.La quête de ce grand homme demeurait bien plus philosophique que la mienne : après presque sept mois passés en mer, il décidait finalement de ne plus rentrer. Me concernant, mon 60 pieds IMOCA, emporté par des alizés généreux à un rythme soutenu, vole à près de vingt nœuds et je compte bien boucler ce tour du monde en moins de soixante-dix jours.Une fois l’anticyclone Saint-Helen contourné, j’ai franchi le cap de Bonne-Espérance pour aborder l’océan indien avec une légère appréhension. Les « quarantièmes rugissants » se rapprochent et le cap Leeuwin, dans le viseur de mon compas, ne se situe plus qu’à quelques encablures de navigations.Une passagère impromptueLes mers du Sud n’ont pas usurpé leur réputation. Malgré les deux prises de ris dans la grand-voile ainsi qu’une petite trinquette en guise de seul foc, mon bateau se retrouve malmené par un vent de 50 nœuds établis et surfe de déferlante en déferlante.Une angoisse incontrôlable me gagne, j’ai peur, mais ne me suis paradoxalement jamais senti aussi vivant. Je subis clairement face à la force des éléments, la fureur de cet endroit austral, froid et hostile, s’avère malgré tout à la hauteur de la beauté qui s’en dégage. Je ne compte plus le nombre de départs au lof et me demande systématiquement si le suivant ne sera pas le dernier. La coque craque et se tord sous la pression. Une vague me submerge. Les voiles faseillent un instant, les écoutes claquent, puis mon bateau se relance… cette montagne d’eau qui me pousse ne demeurera pas l’ultime…, mais pour combien de temps ?Cela fait deux jours que je n’ai rien mangé de consistant si ce n’est quelques barres de céréales. Je n’ai rien bu de chaud non plus… Comment pourrais-je me préparer quoi que ce soit dans ce grand huit qui me secoue dans tous les sens ?Éreinté, je n’ai pas dormi depuis je ne sais quand… Le boucan émit par l’étrave fracassant la mer, les seaux d’eau projetés sur le pont, mais aussi le mât qui travaille à chaque rafale de toute façon m’en empêche.Un autre surf et tout vibre dans le cockpit. Me retournant, ce que je vois me glace le sang… la vague qui m’entraîne avec elle s’avère monstrueuse. M’agrippant comme je peux, je me cramponne et ferme les yeux.Que faire hormis attendre et espérer ? Je ne donne plus cher de ma peau, mais quoi qu’il en soit, si cette vague surpuissante décide de m’épargner, qu’adviendra-t-il à la prochaine ? Cela était bien utopique de ma part de penser que je pourrais me confronter à cette nature sauvage et aujourd’hui tellement déchaînée.Un boucan de tous les diables annonce un énième départ au lof et le bateau se couche. La déferlante s’écrase. Projeté sur la table à cartes, j’entends un bruit sourd, puis… plus rien : le néant !–––oooOooo–––— Réveille-toi, s’il te plaît !Cette voix ! Harmonieuse et chantante. Elle me berce, me réconforte et m’apaise. Un air gracieux et enivrant fredonne un refrain entêtant, alors qu’un nuage de tendresse m’enveloppe d’une onde agréable et envoûtante.— Allez, debout maintenant, il est temps !Mes yeux s’entrouvrent doucement, d’abord un peu perdu, je ne réalise pas de suite ce qu’il m’arrive. La mémoire me revient peu à peu : la tempête, la mer déchaînée, la lame écrasant mon bateau.Je devrais être mort, et pourtant, mon corps semble irradié de chaleur alors qu’une main, légère et protectrice, me caresse gentiment le visage. Étrangement, je n’éprouve aucune douleur et me sens bien, juste bien…— Bonjour, Marc ! J’ai bien cru que tu ne reprendrais jamais connaissance.Entrebâillant dans un premier temps à peine les paupières, je ne distingue qu’une ombre…, le mot est mal choisi, cette vision d’une clarté intense ressemblerait en fait plutôt à celle d’un ange.Une fois les yeux complètement ouverts, c’est un visage d’une infinie douceur qui m’apparaît, et ce dernier me renvoie un magnifique sourire d’une sincérité désarmante. Une divine créature, penchée sur moi, les pupilles d’un vert éclatant brillant de mille feux, m’observe sereinement sans que rien ne semble la perturber.— Mais… qui êtes-vous ? Où suis-je ?— Est-ce bien important ? me répond-elle, l’air désabusé.Un rapide coup d’œil périphérique me suffit pour constater que je me trouve bien à bord de mon bateau, mais bizarrement, rien ne bouge, le calme est revenu.— Comment êtes-vous arrivée là ? lui demandé-je, complètement déboussolé.— J’ai juste croisé ton chemin. Tu avais besoin d’aide, alors me voilà !Tout paraît surréaliste, une sensation de plénitude m’envahit pourtant, me permettant d’occulter toutes incohérences concernant cette apparition stupéfiante.— Vous…, comment…, comment vous appelez-vous ? bafouillé-je timidement.— Moi, c’est Abby ! Tu as une chance inouïe que je sois passée par là au bon moment… Juste à temps, semblerait-il !— Aidez-moi, s’il vous plaît ? Il faut absolument que j’évalue la situation et l’état de mon bateau…Abby s’empare donc de mon bras pour le placer sur ses épaules afin de me soutenir, et péniblement, je me relève. La promiscuité de nos deux corps me trouble. Bien que les conditions de son arrivée demeurent un mystère, sa présence à mon bord me semblerait maintenant presque naturelle… je me sens si bien tout contre elle !Bizarrement, les instruments électroniques sont éteints. Regardant par le hublot, je ne distingue pas grand-chose : une épaisse brume encercle mon IMOCA qui vogue sur une mer d’huile ; les voiles quant à elles donnent l’impression d’être suspendues en apesanteur, comme figées par l’absence de la moindre risée. Ce calme plat au beau milieu des quarantièmes rugissants crée tout simplement une ambiance surréaliste !Une fois sur le pont, l’air chaud et humide me surprend d’abord. La banquise ne se trouve qu’à quelques miles, le climat devrait être polaire, à défaut, j’entreprends de retirer ma veste de ciré. Arrivant dans mon dos, Abby se saisit de l’encolure de ce dernier pour me prêter assistance tout en me déposant un baiser dans le creux de l’épaule.Ce contact enivrant me procure des frissons me parcourant l’échine de la pointe des oreilles aux orteils… prenant une grande inspiration, je m’imprègne de cette attention tout aussi agréable qu’inattendue.Me retournant, mon ange gardien, entièrement nu, me fait face. Les surprises décidément s’enchaînent… quelle beauté, j’en reste sans voix ! Son sourire admiré à sa première apparition demeure inchangé, son regard quant à lui, troublant, empli d’un désir intense, me fait fondre. Abby me dévore littéralement des yeux et ses intentions inavouables ne prêtent pas à confusion, je l’embrasse à mon tour.Il réside bien, enfoui dans un recoin de ma tête, un soupçon de raison. Je tente de me persuader que je nage en plein délire et que rien de tout cela n’existe. Je repense pour m’en convaincre à la tempête que j’essuyais…, mais alors que je ne maîtrisais plus rien et que le naufrage me guettait, tout semble maintenant si paisible.Me voilà donc, de façon complètement improbable, au beau milieu d’un océan tranquille et accueillant, en compagnie d’une femme à la beauté ensorcelante, offerte à mon plaisir.Pourquoi vouloir à tout prix tout expliquer ? Abby dégage quelque chose de rassurant et de tellement attirant… Comment résister ?J’admire un instant son corps, magnifique, aux courbes sensuelles d’une pureté toute féminine. Sa peau, blanche, certainement d’avoir trop souvent été cachée du soleil, appelle à la tendresse, alors je l’effleure du bout des doigts avec délicatesse avant d’y déposer mes lèvres. Elle frémit et semble apprécier, encourageant d’autant mon initiative.Mes caresses opèrent plus franchement et mes baisers deviennent plus téméraires, plus passionnés au fur et à mesure qu’ils apprivoisent cette enveloppe charnelle jusqu’ici inconnue, mais tellement enivrante.Très vite, le bas puis le haut de mon ciré rejoignent le sol et je me sers sans retenue du festin m’étant ainsi proposé. Je la prends, Abby laisse échapper à l’ébauche du coït un gémissement de béatitude en m’hébergeant.Quel bonheur ! Un tourbillon de délices plane et nous emporte avec lui. Une sensation de plénitude incommensurable m’envahit. Puis, ses yeux rivés dans les miens, mon ange se dévergonde et impose le rythme, toujours plus puissamment, plus profondément encore… ma bienfaitrice se déchaîne comme si le temps nous était compté pour atteindre l’exquise délivrance.En un dernier coup de reins un peu plus appuyé, Abby se cambre et, en un ultime frisson, s’avachit contre moi, apparemment comblée en feulant de plaisir. La serrant dans mes bras, je voudrais que ce moment n’en finisse jamais pour garder éternellement son corps contre le mien, nos peaux collées l’une à l’autre. Sa tête posée sur mon épaule, la tension s’apaise et je me laisse bercer par son souffle chaud qui reprend une cadence plus régulière.Mes idées redeviennent plus concises sans pour autant dissiper mes interrogations, je tente donc d’en savoir plus et la questionne.— Mais qui es-tu ?— Ne l’as-tu pas compris ?— Je n’ai pas survécu à la tempête… c’est ça ?— Bien sûr que tu es vivant, je ne serais pas avec toi autrement…— Alors, comment ?— Pour un marin, j’en ai connu de plus perspicaces. Je suis là pour ton salut… n’as-tu jamais entendu parler des sirènes ?— Une sirène ? La légende décrit plutôt ces dernières comme des tentatrices déviant les navigateurs avec leurs chants mélodieux dans le but de les échouer sur les récifs… serais-je tombé dans un piège ?— Les croyances sont souvent erronées ou déformées… l’unique raison de ma présence est de te venir en aide ! Il est maintenant grand temps que je te quitte.— Non, pas déjà ! Je ne veux pas, je ne veux plus…— Réveille-toi, Marc !— Pourquoi ?Abby se redresse et, à califourchon sur mon bassin, entreprend de me ceinturer le cou des deux mains. Son visage si doux au demeurant devient plus sévère et, les yeux injectés de sang, elle serre plus franchement ses doigts contre ma trachée en hurlant d’une voix rauque et profonde :— Réveille-toi… MAINTENANT !Les magnifiques jambes de mon ange se changent alors comme par magie en une queue de poisson, argentée et scintillante. Abby me regarde une dernière fois avant de repartir, puis retourne à la mer. D’un sursaut d’effroi, je reprends connaissance.Abby a disparu et la tempête est revenue. Les bips intermittents provenant des alarmes emplissent l’habitacle ; les instruments de navigation s’affolent et clignotent tels des juke-box ; les voiles claquent contre le mât en faseillant ; le chaos règne à nouveau. Tout a valdingué : les cartes marines éparpillées jonchent le sol tandis que mon bateau, lui, roule, malmené par la houle.Une douleur aiguë à la tête me donne la nausée, je me lève pourtant et jette un coup d’œil à l’extérieur… Un énorme iceberg pointe à peine à un demi-mile de mon étrave.Le grand retourPlus que quelques heures me séparent des Sables-d’Olonne. À défaut d’inscrire mon nom au palmarès du Vendée Globe, il me restera malgré tout la satisfaction d’égaler l’exploit de Philéas Fogg lors de son périple. En effet, cela fera 80 jours que je serais parti.Le retour depuis le cap Horn, sous gréements de fortunes, s’est parcouru plus lentement que prévu. Mes voiles ayant souffert dans les cinquantièmes hurlants lors de mon accident ne m’étaient plus d’un grand secours pour enchaîner les performances.J’arriverai donc demain, épuisé, mais en un seul morceau. Enfin, indemne, il faut le dire vite…, une partie de moi restera malgré tout inexorablement dans l’océan austral. L’expérience extraordinaire vécue dans ces eaux glacées ne pourra que laisser des traces indélébiles. Quelques heures dans le brouillard, au sens propre comme au figuré, et je me réveillai juste à temps pour échapper au pire. Heurter cet iceberg m’aurait à coup sûr envoyé vers le fond, Abby m’avait sauvé du naufrage.Je sais bien que cette dernière n’était certainement due qu’aux fruits de mon imagination, pourtant… Les moments passés en sa compagnie m’avaient semblé si réels que depuis, je ne cesse d’être troublé et de douter… ai-je vraiment rencontré une sirène ?–––oooOooo–––Cela fait deux mois que je foule à nouveau la terre ferme. Passé les conférences de presse, le calme est revenu et je devrai me satisfaire de cette existence paisible. Quelle ineptie, l’ivresse du grand large me manque et la dépression me gagne.Une vie formatée confortable me tend les bras, mais les codes à respecter pour garder sa place dans cette civilisation se révèlent pour moi de véritables contraintes. Je n’ai jamais ressenti tant de solitude qu’au beau milieu de cet enfer citadin aseptisé, noyé dans une foule d’anonymes stéréotypées où l’image, le fric et le sexe règnent en dictature.Je n’éprouve plus ce besoin destructeur de rentrer dans les cases pour exister. L’océan est dans l’absolu l’unique endroit où je me sens bien, sans pression aucune, sans risquer le jugement réprobateur d’une société dans laquelle je n’ai finalement pas désiré me trouver.Dieu a créé la mer et il l’a peinte en bleu pour qu’on soit bien dessus.Plus question de Vendée Globe, plus de régates ni de performances, plus de contraintes… a contrario, je me prépare un vieux ketch de quarante pieds, solide, fiable et fin comme un oiseau. Il ne s’agit pas d’un foudre de guerre ni d’une bête de course, non… Je ne souhaite plus faire tomber les records, mon seul désir est désormais de me rendre là où le vent me mènera et de vivre au rythme de Poséidon.J’aspire juste à me reposer et à méditer durant les périodes d’accalmie, et humblement apprivoiser les tempêtes qui fatalement me rattraperont. Mes derniers vœux ne consistent plus qu’à écouter l’albatros hurleur lorsqu’il se perchera à mon bastingage, et à admirer le ciel étoilé les nuits de pleine lune en rêvant de terres inconnues. L’électronique restera au port, une carte marine, un compas, une règle Cras et un sextant comme tout équipement me suffiront.Jeantot m’avait envoyé de la poudre aux yeux, j’aurais dû me fier à Moitessier. Oui, je repars… et peut-être aurais-je la chance de recroiser Abby ? Si tel est le cas, pourvu qu’elle me garde auprès d’elle… nous pourrions alors devenir, les amants de l’Antarctique.