Elles sont enfin arrivées. La nuit tombe sur les lagons, les grenouilles font un concours de chant avec les criquets. Seules quelques voitures viennent casser un peu cette musique du couchant. L’avion s’est posé presque à l’heure, laissant Paris à sa grisaille, à ses manteaux et ses écharpes. Michelle et Hélène sont encore encombrées de pulls, de jeans, les pieds enfermés dans des chaussures maintenant trop chaudes. La marina garde la chaleur du jour, de ce soleil tropical tant désiré. Yan les accueille et les conduit à bord. Un magnifique 50 pieds, catamaran de croisière où Luce les attend. Yan embrasse Hélène, son amie depuis des années, fidèle à cette escapade en mer presque chaque mois de janvier. Michelle était invitée avec Eric, il les rejoindra dans cinq jours à Antigua, cette île posée sur l’eau au nord de la Guadeloupe. Les valises paraissent incongrues sur ce bateau, Yan se charge de les descendre dans les cabines. Le carré est très grand, un immense canapé en U fait penser à un salon plutôt qu’à un voilier. Luce a préparé un punch planteur, au jus de goyave, bien glacé. Les filles se débarrassent de leurs pulls, leurs bras blancs contrastent avec la peau dorée de Luce, métissée, une « chabine » comme on dit ici. Plutôt longue, des cheveux bouclés et clairs qui effleurent ses épaules. Un débardeur très flottant couvre à peine de jolis seins qui se dévoilent un peu lorsqu’elle se tourne, se penche. Un paréo bleu nuit autour de hanches à peine rondes, ses jambes apparaissent, lisses et soyeuses terminées par des chevilles très fines et de craquants petons, bronzés dessus, blanc dessous.Hélène délace ses bottines, libère enfin ses pieds, meurtris par la longueur du vol, la pressurisation les a fait gonfler douloureusement. Elle soupire de bonheur en massant ses pauvres orteils rosis et moites, se réjouissant de ne plus avoir à les enfermer pendant ces deux semaines. Michelle se moque gentiment d’elle, lui rappelant qu’elle lui avait recommandé de mettre de vieilles baskets bien confortables. Mais Hélène, même dans le désert resterait coquette… Luce est en bas, dans la cuisine qui se trouve dans la coque droite. Plus loin, vers l’avant, une cabine à deux bannettes d’équipiers, superposées. Et puis un petit cabinet de douche, le genre d’endroit où l’on doit se contorsionner pour se savonner. Encore vers l’avant, la cabine du skipper, Yan, qu’il partage avec Luce, ces deux là sont inséparables, sur mer comme sur terre. Dans la coque gauche, certains diront bâbord, deux cabines identiques à celle de Yan, vastes, avec un grand lit tout à fait semblable à ceux d’une maison, le plafond plus bas et l’espace quand même réduit, pas de mobilier sinon un petit ventilateur fixe et deux placards où l’on ne rangerait pas une garde robe. Entre les deux cabines, une autre douche, un peu plus grande que de l’autre côté. Moins de risque de se cogner. Après leur punch, Yan aide les filles à s’installer dans les cabines bâbord. Hélène a emmené trois fois trop de choses, comme toujours. Et des crèmes, solaires, avant solaire, après solaire, nuit, jour, on se croirait dans une boutique. Michelle est plus sobre, moins d’accessoires, juste des tee-shirts, des shorts mais quand même une robe droite, plutôt courte, au cas où une escale permettrait une sortie.Dans les cabines, il fait chaud, les marinas ne sont pas ventilées et les filles auraient bien plongé pour un premier bain mais là, c’est impossible, l’eau des ports est sombre et sale. Il faudra attendre le lendemain, au premier mouillage, à Marie Galante. Dans sa cabine, Michelle se déshabille, jetant pour de bon son jean au fond du placard. Le sweat s’envole aussi, suivi de ce soutien-gorge qui lui laisse des marques dans le dos et sur le bas de ses seins lourds, prisonniers trop longtemps. Ne reste que cette culotte qui ne tarde pas à rejoindre le sol. Michelle se contemple dans le miroir. À son avis ses hanches sont trop larges, ses seins ne sont pas assez hauts. Pour se casser le moral entièrement, elle se désespère sur ses cuisses un peu enrobées. Elle cache ce « désastre » dans une épaisse serviette et entre dans la douche.Ce voyage aérien, ces heures assise coincée entre un obèse et une bavarde, Michelle est épuisée. Hélène était plus loin dans l’avion et bien sûr, s’était débrouillée pour être près d’une femme. Même pour un vol de huit heures, elle est capable de tout pour ne pas laisser échapper une rencontre. En peu de temps, elle avait proposé à cette femme de venir sur le bateau si le cœur lui en disait. Michelle est toujours surprise de l’audace de cette amie pour qui tout semble facile.La pression de la douche n’est pas très forte, l’eau ne fouette pas assez sa peau pour se débarrasser de cette impression de crasse, comme si l’atmosphère confinée de l’avion avait pu la salir autant qu’un train à vapeur. L’eau envahit ses cheveux, perle sur son visage, ruisselle dans sa bouche par le coin des lèvres. D’un souffle, elle la fait resurgir en pluie fine devant son visage. À grandes frictions, elle frotte sa peau, d’un savon parfumé de vanille, épargnant néanmoins à ses seins ce traitement trop violent. Ses mouvements se font alors plus doux, ses mains les enferment dans un geste circulaire. Son corps disparaît bientôt sous le savon, ses mains viennent le long des hanches, puis adossée à la cloison, relevant une jambe, la parcourent jusqu’au pied. Ses doigts massent doucement la plante, le pouce en dessous appuyant presque trop fort. Elle change d’appui, venant offrir à son autre jambe le même geste. Et puis remonte des deux mains par l’intérieur des cuisses, jusqu’à son sexe, jusqu’à ses fesses rondes, loin d’être si horribles qu’elle le pense. Elle a des rondeurs, oui, sans excès, sans aucun pli ou bourrelet, juste des formes pleines, appétissantes, un ventre à peine naissant. Son visage est ovale, le nez droit, une bouche aux lèvres très roses et de jolies dents. Ses yeux verts soulignés par de longs cils et d’épais sourcils, très bruns, comme ses cheveux courts. À peine quelques rides, rien de disgracieux. Pas très grande mais bien proportionnée. De son petit nombril, part un très léger duvet qui rejoint un pubis plutôt dense, des poils d’un noir brillant.— Tu me fais une place ? Hélène est entrée, nue, les cheveux en choucroute, le sein arrogant.Michelle est surprise, s’étouffant presque. Elle bafouille – J’ai… J’ai fini, oui, je te laisse la place, tentant de cacher ce qu’elle peut, maladroitement.— Eh, je ne te chasse pas ! Hélène rit, regarde effrontément Michelle, sans aucun complexe.— Tu vas pas rougir, à ton âge ! Je t’ai déjà vue nue, oh !— Oui mais pas dans une douche, comme ça, sans prévenir !— Je voulais savoir si tu étais toujours aussi bien fichue, c’est bon, j’ai vu.— Tu as vu quoi ? Je passe un test ? Michelle s’enrobe comme elle peut dans sa serviette.— Trente cinq ans, rien à jeter, tu es reçue, félicitations. Faudra juste épiler quelques trucs stratégiquement incompatibles avec le port du string !Cette fois, Michelle éclate de rire, sort de la douche, reçoit un baiser furtif sur l’épaule et s’enfuit comme si le choléra la poursuivait. Hélène a encore gagné, une vraie peste !— Tu ne me frottes pas le dos ?— Non, je te vois venir, toi !— Mais non, justement, tu ne me verras pas venir, je suis une surprise…— Arrête, je suis hétéro et mariée !— Nulle n’est parfaite, je peux t’arranger ça !Michelle est rouge de honte, se réfugie dans sa cabine et s’enferme pour s’habiller. Des années qu’Hélène joue à ce jeu, sûre de trouver une faille tôt ou tard où elle se précipitera.Et là, elle chante sous la douche ou plutôt, massacre un vieux hit de W.Houston. Les autres sur le pont, réclament un sursis, histoire de préserver la météo capricieuse des tropiques.Luce propose d’installer dès demain Hélène dans l’annexe, un petit zodiac à cinq mètres en arrière du bateau.La nuit tombe, Yan et Luce ont préparé le dîner et Michelle apparaît, décontractée, dans un large pantalon de toile noire et un simple tee-shirt écru. Un instant plus tard, couvée du sourire de ses amis, Hélène est là, renonçant pour un temps à provoquer la pluie.