On nie le destin. Nos chaĂ®nes cachent la prison. Le masochiste dĂ©sire la punition, mais n’aurait-il choisi autre libido s’il avait pu ? Et le maĂ®tre est-il libre, ou lui aussi pĂ©tri de forces transcendantes ? Pouvons-nous nous fier Ă nos reprĂ©sentations ?C’est l’histoire d’un couple. Non, de deux couples. Enfin, pas vraiment. C’est l’histoire d’un sale petit garçon et d’une prostituĂ©e, d’un phallus maltraitĂ© par une madone, d’une grosse paire de couilles, de la VĂ©ritĂ©, la LibertĂ©, la Naissance et la Mort.–x–Quand le rideau se lève, elle a les yeux bandĂ©s. Elle est nue. Un complexe entrelacs de cordelettes la maintient verticale et cambrĂ©e. Deux anneaux d’or transpercent les pointes de ses seins surlignĂ©s et gonflĂ©s par les ligatures. Ses mains, derrière son dos, paraissent menottĂ©es.Deux gorilles patibulaires l’encadrent, mal rasĂ©s, aussi menaçants qu’immobiles, vĂŞtus de simples pagnes et les cheveux en vrac, leurs biceps sertis d’anneaux de lourd mĂ©tal. Elle paraĂ®t minuscule, entre les deux barbares, et les spectateurs hommes et femmes en sont ravis d’avance.Une autre femme s’annonce d’un claquement de fouet, entrant en scène. Deux bottes noires et luisantes montent Ă la moitiĂ© de ses cuisses longilignes. Un bustier constrictor lui relève les seins et lui serre la taille comme un diabolo. Elle a des yeux de biche et les cheveux tenus en un chignon serrĂ©.L’effet est saisissant. Si les lignes Ă©purĂ©es du corps de la maĂ®tresse la rendent irrĂ©elle, parfaite, inaccessible, la victime, elle, semble trembler d’excitation dans l’attente du supplice. L’artiste a su capter l’expression de cette fille avec un rare talent.Agnès repose la gravure sur la table et se tourne vers Jean-Marc.— C’est ça qui t’excite ? demande-t-elle.L’autre ne rĂ©pond pas, si ce n’est d’un regard univoque. Il n’aime pas Ă©noncer les Ă©vidences. Elle rĂ©pondra toute seule Ă cette question idiote.Agnès hĂ©site alors encore une seconde, puis elle baisse les yeux et murmure qu’elle est d’accord. Jean-Marc savoure l’instant et rĂ©flĂ©chit Ă sa première demande.— Parfait. DĂ©shabille-toi, dit-il. Je veux te voir Ă poil.Agnès avale sa salive, mais se lève et croise les bras pour tirer son pull par-dessus sa tĂŞte. Jean-Marc louche sur sa poitrine, qui tend le devant d’un t-shirt court. Agnès enlève bientĂ´t ce dernier, rĂ©vĂ©lant d’abord son ventre, avant son soutien-gorge ornĂ© au milieu d’un fin bouquet de perles, comme trois gouttes blanches. Jean-Marc respire fort. D’une Ĺ“illade mutine, elle capte son regard tandis qu’elle dĂ©grafe le bouton de son pantalon, et c’est en l’obligeant Ă la regarder dans les yeux qu’elle baisse sa fermeture et laisse ses mains glisser sur ses hanches, ses cuisses, ses mollets, pour effacer le fourreau de toile jusqu’à ses chevilles… et se rendre compte qu’elle aurait dĂ» commencer par enlever ses chaussures.— Ce n’est pas grave, l’interrompt Jean-Marc. Reste comme ça.Agnès est gĂŞnĂ©e par cette maladresse et l’inĂ©lĂ©gance de sa position, mais elle obĂ©it. Elle se redresse, en sous-vĂŞtements, les pieds entravĂ©s dans son pantalon. Jean-Marc se lève et s’approche. Il la regarde, la dĂ©taille, tourne autour d’elle, la savourant des yeux par anticipation. La chair tendre criera bientĂ´t sous ses doigts. De l’ongle d’un index, il effleure son dos, remontant la colonne du creux du coccyx jusqu’à l’agrafe du soutien-gorge. Il soulève celle-ci de son doigt en crochet, et la tire vers l’arrière, mais pas pour la dĂ©faire. Au contraire, il la lâche et la laisse claquer contre le dos d’Agnès.— AĂŻe, laisse-t-elle Ă©chapper.Mais son cri est coupĂ© par une autre douleur. Jean-Marc lui tirant les cheveux en arrière.— Chhhht. Pas crier, lui souffle-t-il Ă l’oreille.D’un claquement de doigts sur l’agrafe, il libère les seins d’Agnès. La dentelle perlĂ©e s’effondre sur le sol et rĂ©vèle deux lobes fermes, tendus de peau sensible. D’une main, il maintient la tĂŞte d’Agnès en arrière, tirant par les cheveux. L’autre, il la pose sur le ventre de sa conquĂŞte. Agnès est moite et elle tremble un peu. Les perles de sueur qui glissent sous les doigts de l’homme se rĂ©pandent en frissons perceptibles. Il remonte les cĂ´tes, s’arrĂŞte avant les seins, la laisse soupirer, puis contourne ses hanches, insiste sur ses reins, la surprend en haut des cuisses. Elle se cambre. Elle ne l’a pas voulu. Une claque sur ses fesses sanctionne son impudeur.Il la fait se tourner vers lui. Elle n’ose pas le regarder.— Les mains derrière le dos, ordonne-t-il, et les Ă©paules en arrière.Elle obtempère, bien sĂ»r, et offre sa poitrine aux dĂ©sirs du bourreau. Les doigts, d’abord lĂ©gers, se posent aux bases de ses seins. Elle ferme les yeux. Elle retient son souffle tandis que les ongles glissent et se referment avec lenteur sur ses deux mamelons. C’est un dĂ©chirement. Un frisson devenant une contraction vive, depuis les cervicales jusqu’au pĂ©rinĂ©e, la tendant Ă l’extrĂŞme lorsque Jean-Marc prend ses tĂ©tines en pince entre pouce et index, de plus en plus fort, ne relâchant l’étreinte qu’au seuil d’une douleur intenable. Et le mouvement reprend, du large au plus serrĂ©, du lĂ©ger Ă l’intense. Ă€ chaque fois Agnès s’élève un peu plus haut quand ses cuisses se crispent. Elle sent qu’elle va partir.Mais Jean-Marc semble avoir d’autres projets pour elle. Il l’abandonne un instant en lui ordonnant de ne pas bouger et revient quelques interminables secondes plus tard, une petite chaĂ®ne chromĂ©e dans sa main. Agnès frĂ©mit. Ă€ chaque bout de la chaĂ®ne, une pince mĂ©tallique ne semble destinĂ©e qu’à lui meurtrir les seins.— Regarde-les bien, lui explique Jean-Marc en actionnant les mĂ©canismes sous ses yeux. Elles pincent fort, et beaucoup plus si on tire sur la chaĂ®ne.D’abord, il pince entre deux doigts le tĂ©ton gauche d’Agnès, assez fort pour que la première pince, relâchĂ©e derrière ses doigts, ne la surprenne pas d’une morsure soudaine. Ensuite il lâche la chaĂ®ne et la laisse balancer. Elle tire le mamelon vers le bas et resserre la pince de son simple poids. La douleur est vive mais supportable. Pour le deuxième sein, il est moins prĂ©venant et les dents de mĂ©tal croquent le mamelon sans sommation. Agnès mord sa lèvre infĂ©rieure, mais reste cambrĂ©e, la poitrine en avant et les mains dans le dos.— On va jouer un peu, explique Jean-Marc. Je vais tirer sur la chaĂ®ne et tu vas rĂ©sister. Je n’arrĂŞterai qu’à une condition : que tu te mettes Ă genoux devant moi. Et si tu te mets Ă genoux, ça sera pour sucer comme une pute. Est-ce que tu comprends ?Agnès acquiesce d’un signe de tĂŞte.Alors Jean-Marc commence Ă tirer sur la chaĂ®ne et les minutes qui suivent ne sont que contorsions, geignements et grimaces d’une Agnès tenaillĂ©e, Ă©lectrique, tiraillĂ©e de sensations antagonistes et sentant malgrĂ© elle son sexe, en train de fondre, s’ouvrir ou se serrer suivant que la douleur ne foudroie que ses seins ou transperce tout son corps. Quand elle tombe Ă genoux, elle est prĂŞte Ă offrir sa bouche grande ouverte.Le sexe de Jean-Marc est dĂ©jĂ dur pour elle. Agnès pantelante le laisse s’enfoncer entre ses lèvres molles et glisser sur sa langue jusqu’à toucher sa glotte. Elle rĂ©prime un haut-le-cĹ“ur mais rouvre la bouche. Jean-Marc l’empoigne par les cheveux et dĂ©cide de se satisfaire sans la laisser Ĺ“uvrer, l’invitant Ă tirer elle-mĂŞme sur la chaĂ®ne, ce qu’elle fait plusieurs fois pour son propre plaisir tout en laissant Jean-Marc coulisser dans sa gorge.Des lèvres distendues de la docile Agnès, s’écoule un filet gras qu’elle ne peut retenir et ses larmes diluent Rimmel et mascara sur ses tempes et ses joues. Quand la saucĂ©e arrive, elle ne veut qu’avaler, sentir le jus crĂ©meux asperger ses papilles, l’aspirer par gorgĂ©es. Mais les lourdes giclĂ©es s’écrasent sur sa face et, pour la femme avide au visage souillĂ©, ne restent que les gouttes accrochĂ©es sur le nĹ“ud Ă sucer. Elle s’en rĂ©gale comme d’une rĂ©compense. Enfin, elle se retourne vers la camĂ©ra et nous fait « bye-bye » d’un signe de la main, avec petit sourire et clin d’œil coquin.Fondu au noir. GĂ©nĂ©rique de fin. Musique de merde.— Il Ă©tait pas mal, celui-lĂ , pour le coup, commente JĂ©rĂ´me en Ă©teignant l’écran. J’aime bien la dernière scène. La nana est craquante et elle prend cher. Tu voulais pas voir les bonus, hein ?— On les regardera demain, lui rĂ©pond sa femme. Mais j’ai vu qu’une pauv’ chienne forcĂ©e Ă sucer un idiot. J’appelle mĂŞme pas ça du SM. J’appelle ça du mime. Et on ne sait mĂŞme pas pourquoi ils baisent.— C’est parce que tu ne regardes que les images. Tu n’imagines pas tout ce qui peut se passer dans la tĂŞte des personnages.— Oh ben, ce qui lui passe par la tĂŞte Ă ce moment-lĂ Â ? Une bite !— Pas les acteurs, les personnages. Leur histoire, leur ressenti.— Non, mais tu me raconteras. Ça avait l’air intĂ©ressant, vu ta gaule. Mais moi, j’aurais prĂ©fĂ©rĂ© qu’elle prenne vraiment son pied. Qu’il l’encule au moins. Et moi, tu sais qu’il faut m’attacher. C’est ce que je prĂ©fère. Ça m’a refroidie, qu’elle ait les mains libres.— C’est vrai, ma Caroline, qu’il te faut du sĂ©rieux, Ă toi. Mais rassure-toi, je vais devenir plus pervers en vieillissant.— Heureuse perspective. Et en attendant, je prends un amant ?— Je vais te punir d’y avoir simplement pensĂ©.— Oh oui. Baise-moi Ă mort, salaud. J’ai besoin d’une bonne queue.— ArrĂŞte de faire la conne et attends-toi Ă dĂ©coller ce soir. J’ai quelque chose pour toi. Tu vas voir…Alors il l’emmène en voiture vers un lieu inconnu, une sorte de hangar, un endroit toujours sombre.Quelques minutes plus tard, Caroline se trouve nue, ligotĂ©e et les yeux bandĂ©s, ses mains menottĂ©es dans son dos. Des cordelettes croisĂ©es maintiennent son corps tendu et un courant d’air balance les anneaux d’or ornant ses seins percĂ©s. Devinant deux lourdes prĂ©sences, accompagnĂ©es d’une odeur mâle, de part et d’autre de son corps, elle entend tout Ă coup un rideau se lever sur un murmure de spectateurs, puis le claquement d’un fouet et celui de talons pĂ©nĂ©trant sur l’estrade martèlent les trois coups du dĂ©but du spectacle.CachĂ© dans l’auditoire sur un strapontin, un fantomatique graveur que personne ne remarque immortalise la scène au stylet. Il sait dĂ©jĂ Ă qui il va la vendre. Un rĂ©alisateur sera intĂ©ressĂ©, c’est dans l’ordre des choses. C’est son travail.Ce qui est le plus dur Ă transcrire, se dit-il souvent, c’est ce tremblement sur les lèvres de Caroline, quand elle rĂ©alise ce qui lui arrive. Cette femme a une bouche si expressive qu’en traduire les nuances est un travail d’orfèvre. Ă€ chaque « sĂ©ance », cependant, il y arrive mieux. Et il y arrivera, il n’en doute jamais. Il a l’éternitĂ©.