C’est Ă©trange comme le destin peut vous jouer des tours, vous prendre comme bouc Ă©missaire et s’amuser Ă chambouler votre vie de façon si cruelle. Tout me souriait : une vie heureuse et sereine, un boulot passionnant, une amante adorable, et en si peu de temps tout vient de s’écrouler. Assister Ă ma propre chute sans me battre me semble logique, un juste châtiment, le prix Ă payer pour des annĂ©es d’égoĂŻsme, de boulot acharnĂ©, de course Ă la promotion, et tout cela aux dĂ©pens de ma vie amoureuse… AnĂ©antie, je me traĂ®ne pitoyablement comme une âme en peine, abandonnant toute dignitĂ©. Qui s’en prĂ©occupe maintenant ? C’est avant que j’aurais dĂ» rĂ©agir, m’inquiĂ©ter ou sentir venir le danger, et tout faire pour que cela n’arrive jamais. Aujourd’hui, il est trop tard, j’ai tout perdu.De la culpabilitĂ©, de l’amertume, du dĂ©sespoir, c’est un mĂ©lange perfide de tout cela qui me laisse sans forces. Quel nom donner Ă ce trou bĂ©ant qui vient de s’emparer de tout mon ĂŞtre ? Je ne sais pas, mais j’en connais le rĂ©sultat final, une horrible vĂ©ritĂ© que je ne suis toujours pas prĂŞte Ă affronter. Je traverse le salon d’un pas chancelant, sur des jambes lourdes qui ont du mal Ă me guider, comme si elles appartenaient Ă quelqu’un d’autre. J’ai la dĂ©sagrĂ©able impression d’être une marionnette manipulĂ©e par une volontĂ© pleine de bonnes intentions mais manquant rĂ©ellement d’expĂ©rience dans son art.Je me fais violence pour sortir de cet Ă©tat vĂ©gĂ©tatif dans lequel je sombre lamentablement, fonçant sur ma tĂ©lĂ©vision d’une dĂ©marche un peu plus assurĂ©e. Ma dĂ©cision est prise. Je dois connaĂ®tre la vĂ©ritĂ©, mĂŞme si le mal est dĂ©jĂ fait. Le seul moyen d’en ĂŞtre sĂ»re est de visionner ce foutu film. LĂ , j’en aurai enfin le cĹ“ur net, ce sera le triste dĂ©nouement d’une sombre histoire. Tant de folies qui me paraissent incomprĂ©hensibles, qui ont pris ici des proportions dĂ©mesurĂ©es. C’est ce matin de fin d’étĂ© que tout s’achève, et l’apprĂ©hension de ce que je vais voir me fait encore hĂ©siter. La vĂ©ritĂ© me flanque la frousse, je ne peux le nier, mais j’éprouve la sensation encore plus forte et plus insidieuse de satisfaire une curiositĂ© presque malsaine.— Ne regarde pas, fous le camp d’ici !Mais au lieu d’écouter cette voix, voilĂ que je me penche sur le cĂ´tĂ© de l’écran, Ă l’endroit oĂą sont regroupĂ©es toutes sortes d’entrĂ©es et sorties audio et vidĂ©o. Je dois m’y reprendre Ă trois fois avant de faire les bons branchements, ne sachant pas trop comment relier le camĂ©scope Ă mon tĂ©lĂ©viseur. J’y parviens, appuie sur la lecture. Je m’installe nerveusement sur mon canapĂ©, gardant d’abord les yeux fixĂ©s sur la table basse, lĂ oĂą sont posĂ©s un verre et une bouteille de Martini. Un petit remontant dont je vais bien avoir besoin…J’évite le papier qui traĂ®ne Ă cĂ´tĂ©, ce message immonde qui vient de me frapper en pleine figure, il y a deux minutes : Ta copine m’appartient, elle est Ă moi maintenant, et en voici la preuve. SignĂ©, Laure.Pour l’instant, je ne peux me rĂ©soudre Ă regarder l’écran. Je ferme les yeux, retiens mon souffle, rouvre les yeux en levant la tĂŞte. Je laisse Ă©chapper l’air de mes poumons, avec le sentiment de fondre sur place en affrontant les premières images. Ce n’est pas un camĂ©scope numĂ©rique, la qualitĂ© s’en ressent pĂ©niblement. Une image affreuse, des couleurs qui bavent, avec des dĂ©fauts de granulations et de contrastes dans les scènes sombres qui accentuent le cĂ´tĂ© glauque et rĂ©aliste du film amateur.Je distingue un enchevĂŞtrement de corps nus, de membres entrelacĂ©s, de seins et de pubis qui apparaissent dans un flou qui n’a rien d’artistique, et pendant un long moment il m’est impossible de reconnaĂ®tre qui que ce soit. L’image tremblante se perd d’un coup vers le plafond, si haut qu’il en est invisible dans les tĂ©nèbres, puis redescend le long de pierres dures et lisses, couleur grenat, faiblement Ă©clairĂ©es par quelques torches qui brĂ»lent dans des niches creusĂ©es dans la paroi. Les murs sont Ă peine dĂ©corĂ©s de tissus perlĂ©s et de rares sculptures en cire, comme ces visages de femmes aux traits figĂ©s dans un masque de luxure, abaissant leurs regards torves vers le sol. Leurs tĂŞtes coupĂ©es sont inclinĂ©es dans un angle grotesque, qui ne les rend que plus sinistres.De toute façon, tout semble lugubre et macabre, un dĂ©cor gothique assez effrayant, renforcĂ© par l’architecture imposante, Ă©crasante mĂŞme. Mais le dĂ©cor me semble vite anodin lorsque l’image descend et se fixe sur une dizaine de lits immenses, recouverts de lin, posĂ©s dans le mĂŞme alignement Ă distance Ă©gale. Le camĂ©scope va rapidement de l’un Ă l’autre, comme cherchant quelqu’un, et ce Ă une telle vitesse que je ne distingue plus rien. Enfin, l’image s’arrĂŞte sur un lit et ne bouge plus. Un zoom plus prĂ©cis se fixe sur les personnes qui s’y Ă©battent joyeusement dans une mĂ©lodie de soupirs extasiĂ©s.La chevelure claire de DaphnĂ© Ă©tincelle un instant dans ce mĂ©lange de chairs impudiques, mais pas son visage qui reste enfoncĂ© dans la fourche de cuisses fĂ©minines. Celle qui accueille tous ces Ă©loges dans sa plus grande intimitĂ©, une belle femme Ă la longue chevelure rousse et flamboyante, jette de temps en temps des regards insolents Ă la camĂ©ra, comme prenant Ă tĂ©moin les futurs spectateurs ou spectatrices du plaisir qu’elle veut leur faire ainsi partager.En voilĂ une qui passe du bon temps et qui ne fait rien pour s’en cacher. Le dĂ©cor est maintenant plantĂ©. On est lĂ en pleine soirĂ©e Ă©changiste, dans un pseudo temple dĂ©diĂ© aux plaisirs de la chair, pour de longues nuits de dĂ©bauche. Ici, les clientes se livrent Ă toutes sortes de perversions, parodiant quelques cĂ©rĂ©monies antiques et obscènes, au cours d’orgies interminables. Les grands lits occupĂ©s par des femmes qui gĂ©missent et se tordent les unes sur les autres me donnent raison Ă cent pour cent. Mon cĹ“ur se serre d’angoisse lorsque l’image plonge soudainement au cĹ“ur mĂŞme de l’action, oĂą toutes ces peaux luisantes qui s’emmĂŞlent me font penser Ă l’étreinte sinueuse des serpents, un fouillis Ă la fois immonde et voluptueux.Imaginer MĂ©lanie dedans me procure une excitation si vive et si inadmissible que je la chasse aussitĂ´t. Honteuse, je m’accroche Ă l’espoir de ne pas l’y trouver, mais je n’y crois pas trop. Ă€ quoi bon alors ce message et cette cassette qui l’accompagnait ? L’attente me devient insupportable, et je ne peux m’empĂŞcher pendant ce temps de laisser dĂ©river mon esprit en arrière.Au dĂ©but, il n’y a que les tĂ©nèbres, puis la confusion, avec l’impression de vivre simultanĂ©ment dans le passĂ© et le prĂ©sent. Quelques dĂ©tails se gravent enfin avec une prĂ©cision redoutable, revenant souvent Ă cette fois oĂą l’on a croisĂ© Laure dans le couloir de l’immeuble, alors qu’elle venait d’emmĂ©nager. Elle nous a fait un effet immĂ©diat, et apparemment beaucoup plus Ă MĂ©lanie, ce que je n’aurais jamais soupçonnĂ©.Laure est une femme qui impressionne, qui en jette, avec un look ravageur qui attire d’emblĂ©e les regards, dans le genre gothique, Ă©nigmatique et vĂ©nĂ©neux. Souvent vĂŞtue de cuir noir ou d’habits aussi sombres, elle dĂ©gage un sex-appeal et une sensualitĂ© dĂ©bordante, avec un naturel dĂ©sarmant. Son beau visage ajoute encore du charme, elle n’a rien Ă jeter : yeux noirs qui brĂ»lent d’un feu intĂ©rieur, grande bouche pulpeuse, nez aquilin, maquillage tĂ©nĂ©breux qui accentue son cĂ´tĂ© sombre et mystĂ©rieux. Sa beautĂ© rebelle a rĂ©ellement du piquant. Avec piercing et tatouage d’un ange sur l’épaule gauche, elle affiche un tempĂ©rament de femme libre et anticonformiste. Bref, tout le contraire de MĂ©lanie, qui est plutĂ´t classique, un peu BCBG, timide et discrète en toutes circonstances, et qui ne fera jamais rien pour se dĂ©marquer.Contre toute attente, malgrĂ© leurs diffĂ©rences, le courant est très bien passĂ©, un peu trop mĂŞme… Et moi, stupide et aveugle, je n’ai rien vu, trop prĂ©occupĂ©e par ce poste de rĂ©dactrice en chef que je souhaitais absolument obtenir, travaillant jour et nuit sans relâche, dĂ©laissant complètement ma petite chĂ©rie. Certes, notre vie amoureuse n’était dĂ©jĂ pas au beau fixe ces derniers temps, nous Ă©tions enlisĂ©es dans le triste refrain boulot dodo, mais comment faire autrement lorsque le couple travaille beaucoup trop chacune de son cĂ´tĂ©, avec très peu de temps libre et de loisirs ? Bon, je n’essaie pas de me trouver des circonstances attĂ©nuantes, cela n’excuse pas tout, mais une vie si active ne facilite pas l’intimitĂ© ou le dialogue.J’aurais dĂ» avoir la puce Ă l’oreille lorsque MĂ©lanie s’est montrĂ©e plus indĂ©pendante, plus Ă©mancipĂ©e, subissant l’influence nĂ©faste de la voisine, sans que je m’en rende compte rĂ©ellement. Et, de mĂŞme, j’aurais dĂ» avoir plus tĂ´t des soupçons sur les orientations sexuelles de Laure, qui ne recevait que des filles. On peut dire que ça dĂ©filait chez elle, des filles de tout genre et toutes nationalitĂ©s, dont cette immense et sculpturale femme, DaphnĂ©, que je n’ai jamais aimĂ©e. Elle avait ce petit air moqueur et condescendant qui veut vous rabaisser, celle-lĂ je ne pouvais pas l’encadrer ! Laure, elle, Ă©tait plus avenante, mĂŞme si elle me donnait l’impression de se forcer un peu, pour mieux me tromper sans doute, pour que je ne me braque pas contre elle et interdise catĂ©goriquement Ă MĂ©lanie de la voir.J’aurais dĂ» Ă©galement deviner ses intentions rien qu’à sa façon de la regarder, comme si elle voulait la manger Ă la petite cuiller. Comme j’ai Ă©tĂ© stupide ! J’ai atteint le sommet de la bĂŞtise humaine en laissant MĂ©lanie seule durant toute une semaine. Je n’avais pas trop le choix, ce foutu sĂ©minaire Ă Toulon m’avait Ă©tĂ© imposĂ© par le patron, mais j’aurais dĂ» quand mĂŞme refuser. L’abandonner si longtemps fut la plus grosse erreur de ma vie. Et j’avais tellement confiance, croyant en son amour indĂ©fectible et absolu. Comme je fus naĂŻve aussi ! C’est cette fameuse semaine qu’il s’est passĂ© quelque chose, car elle fut ensuite diffĂ©rente. Oui, plus aucun doute, alors que j’y repense, le changement radical s’est opĂ©rĂ© Ă ce moment-lĂ . Depuis, elle se montre distante, absente, perdue dans ses rĂŞves, dĂ©laissant le mĂ©nage et ses petites manies domestiques, fuyant ma prĂ©sence le peu de fois oĂą l’on se voit.Je ne sais pas ce qui lui est arrivĂ© mais je crois que je vais bientĂ´t le savoir, et certainement le regretter. Je reporte mon attention sur la tĂ©lĂ©, me concentrant sur les images qui se font plus nettes, dans un plan plus gĂ©nĂ©ral. Enfin, tout m’apparaĂ®t clairement. Aucune trace de MĂ©lanie, et je me sens soulagĂ©e, avec l’infime espoir que je me suis inquiĂ©tĂ©e pour rien. Sur le lit, quatre femmes font l’amour, et il me semble reconnaĂ®tre DaphnĂ© dont la peau claire contraste violemment avec celles de ses compagnes. Je ne connais pas les trois autres.La scène est maintenant Ă©clairĂ©e plus distinctement par un chandelier Ă sept branches, aux lueurs blafardes. Un mouvement brusque me signale qu’il va y avoir du changement. Les trois femmes inconnues basculent sur le cĂ´tĂ©, toujours Ă©troitement enlacĂ©es, libĂ©rant ainsi DaphnĂ© qui en profite pour sortir du lit. Elle ondule, splendide dans sa nuditĂ©, et s’approche de Laure qui, la laissant venir Ă elle, s’étire avec une grâce fĂ©line tout en regardant fixement la personne qui filme, une autre femme sans aucun doute. Les yeux de Laure sont des fentes brĂ»lantes, et c’est comme si elle me voyait Ă travers l’objectif.Je repousse ce sentiment absurde. Étrangement, elle est habillĂ©e d’une combinaison de cuir noir qui la moule Ă©troitement, avec un dĂ©colletĂ© plongeant Ă donner le vertige, et malgrĂ© moi je dois reconnaĂ®tre qu’elle n’a jamais Ă©tĂ© aussi sexy. Elle dĂ©tourne les yeux, inspectant les lieux avant de diriger son regard dans la mĂŞme direction que DaphnĂ©, droit devant. Cette dernière se passe souvent la langue sur les lèvres, avec des hochements de tĂŞte approbateurs. Je ne sais pas ce qu’elles lorgnent ainsi, mais cela a l’air de leur plaire drĂ´lement. Elles se dirigent ensemble vers un escalier de pierre qui s’enfonce dans la pĂ©nombre. Le camĂ©scope suit maladroitement leur progression, faisant en mĂŞme temps un plan serrĂ©. Une magnifique silhouette, silencieuse et immobile, s’encadre dans le champ de vision. Je la reconnais tout de suite : MĂ©lanie. Mon cĹ“ur ne fait qu’un bond.Je sens monter en moi une panique irraisonnĂ©e. Évidemment, je m’en doutais, mais jusqu’au bout j’osais croire le contraire, avec l’entĂŞtement de celle qui refuse la vĂ©ritĂ©. Cela risque de modifier Ă jamais ma façon de vivre, de m’obliger Ă rĂ©aliser que l’amour peut engendrer bien des folies et des aberrations, si loin de mes principes et de ce bon sens auquel j’ai toujours cru. MĂŞme si ce n’est que justice d’en faire cruellement les frais, j’aimerais avoir une deuxième chance, rĂ©parer mes erreurs, tout recommencer Ă zĂ©ro. J’ai envie de crier, de tout arrĂŞter, d’avertir MĂ©lanie, de la mettre en garde et de lui ordonner de s’enfuir le plus loin possible de cet endroit dĂ©cadent oĂą l’attendent les pires sĂ©vices. Je parviens Ă me maĂ®triser ; cette rĂ©action est aussi puĂ©rile que stupide, je connais le rĂ©sultat final et mon inquiĂ©tude n’y pourra rien changer.MĂ©lanie, comme inconsciente du danger qui la guette, ne bouge toujours pas. Sa prĂ©sence a quelque chose d’irrĂ©el, de choquant. Elle n’est pas Ă sa place, elle paraĂ®t si fragile, si innocente. Sa beautĂ© ingĂ©nue illumine Ă elle seule la vaste pièce, et mĂŞme l’image granuleuse de la vidĂ©o qui se fige sur elle ne peut l’enlaidir. Elle est tout de blanc vĂŞtue, un chemisier Ă moitiĂ© dĂ©boutonnĂ© laisse entrevoir sa gorge dĂ©licate, et Laure entreprend d’ouvrir davantage ce chemisier. MĂ©lanie est figĂ©e, la respiration haletante, se laissant faire mais crispant tout de mĂŞme ses mains sur son pantalon alors que celui-ci glisse Ă ses pieds. Elle ne rĂ©ussit qu’à retenir son slip qui commençait Ă descendre avec. Elle s’y accroche faiblement, poussant un petit râle de protestation.Laure abandonne provisoirement, soupesant les seins de MĂ©lanie par-dessus le chemisier. Elle tente mĂŞme de glisser ses doigts dessous, mais son geste est retenu – Ă mon grand soulagement – par ma petite chĂ©rie qui lui bloque le poignet. Laure n’insiste pas, enlacĂ©e par DaphnĂ© qui se colle dans son dos, lui caresse les bras, comme pour lui communiquer son excitation, une excitation qui n’a fait que croĂ®tre en assistant Ă ce dĂ©licieux spectacle. Maintenant, elles la dĂ©vorent du regard, comme deux lionnes se dĂ©lectant Ă l’avance d’un mets de choix dont elles vont profiter savamment. MĂ©lanie en reste pĂ©trifiĂ©e.Elle est maintenant juste vĂŞtue de son petit slip en soie, de couleur blanche, et je devine dessous l’ombre du pubis qui se dessine. Je me surprends encore Ă admirer la dĂ©licatesse de sa gorge offerte, la douceur satinĂ©e de ses Ă©paules nues, la finesse de sa taille Ă©lancĂ©e, le galbe parfait de ses petits seins. Comme elle est belle et dĂ©sirable ! MĂ©lanie, MĂ©lanie… Mon seul et unique amour, la femme de mes rĂŞves, mon ange… DĂ©jĂ cinq ans que l’on vit ensemble, et j’ai tout gâchĂ© en croyant stupidement que notre bonheur nous Ă©tait acquis pour l’éternitĂ©.En si peu de temps je l’ai perdue alors qu’il m’a fallu plusieurs mois pour la conquĂ©rir. Depuis notre rencontre Ă la piscine municipale, il y a six ans, elle m’obsĂ©dait jour et nuit, occupant mes pensĂ©es avant que j’aie le courage de l’aborder. Chaque mercredi, je restais stupide et paralysĂ©e, bouche bĂ©ante, observant en silence cette jeune femme d’une Ă©tonnante beautĂ© qui reprĂ©sentait Ă mes yeux la grâce la plus Ă©mouvante qu’il m’eĂ»t jamais Ă©tĂ© donnĂ© de voir, et la tĂŞte me tournait Ă force de la contempler. Oui, son souvenir m’avait rĂ©ellement hantĂ©e, me rĂ©duisant Ă l’état d’amoureuse transie. Et plus j’attendais, plus il m’était difficile de l’approcher. Enfin, je fis le premier pas. Maladroitement, je le reconnais, bafouillant et oubliant la phrase que je pensais spirituelle et que j’avais longuement rĂ©pĂ©tĂ©e, mais cela eut au moins le mĂ©rite de l’amuser, ce qui me sauva du dĂ©sastre…On devint amies. Pour attirer son attention, il fallait la faire rire et la surprendre. MĂ©lanie avait fui sa province avec prĂ©cipitation. Elle Ă©touffait dans un contexte familial ringard et Ă©triquĂ© qui se complaisait dans les conventions petites bourgeoises de bas Ă©tage, et c’est ainsi qu’elle dĂ©cida d’affronter seule le monde du travail alors que ses Ă©tudes Ă©taient inachevĂ©es. La destination la plus proche et la plus excitante Ă©tait Ă©videmment Marseille, oĂą elle trouva vite un emploi de secrĂ©taire mĂ©dicale. Elle occupait en location un studio bien trop cher et ses soucis financiers devinrent pour moi une aubaine car je lui proposai vite de cohabiter dans un appartement bien plus grand et bien plus luxueux.LĂ , je pensais que les choses seraient plus faciles pour lui dĂ©voiler mes sentiments, mais je me trompais. En effet, il me fallut six mois pour lui faire comprendre que j’attendais plus qu’une simple amitiĂ©. D’un naturel timide et rĂ©servĂ©, elle Ă©tait de surcroĂ®t naĂŻve, ne voyant le mal nulle part – mais peut-on parler de mal lorsqu’une femme se sent attirĂ©e par une autre femme ? – et elle Ă©tait donc longue Ă la dĂ©tente. Ma première tentative se solda par un Ă©chec cuisant, j’eus l’impression que le ciel me tombait dessus et que ma vie s’arrĂŞtait lĂ , brutalement, parce qu’elle ne valait pas d’être vĂ©cue sans elle.MĂ©lanie Ă©tait hĂ©tĂ©ro, ce dont je me doutais, mais il n’est jamais trop tard pour comprendre ses erreurs, il n’y a que les imbĂ©ciles qui ne changent pas d’avis… Elle se rĂ©vĂ©la donc particulièrement avisĂ©e, après trois mois de confusion et de malaise, quand elle se laissa faire lorsque je pris l’initiative de venir la rejoindre au lit. On passa la nuit ensemble, sans faire l’amour, juste blotties dans les bras l’une de l’autre, cherchant chaleur et rĂ©confort, un ineffable besoin de tendresse et de bien-ĂŞtre. Pour manifester mon amour, je crois aux relations platoniques, au respect et Ă la noblesse d’esprit, Ă la complicitĂ© fĂ©minine qui peut s’instaurer sans ĂŞtre obligatoirement dĂ©montrĂ©e par le sexe. On peut ĂŞtre bien ensemble sans se sentir obligĂ©es de coucher le plus souvent possible.Issue d’une famille très catholique, j’ai reçu une Ă©ducation stricte et austère et, sans approuver tout ce que l’on m’a enseignĂ©, j’en garde des traces profondes qui continuent d’influencer de façon manifeste mon quotidien. Ainsi, après cette nuit magique, ce souvenir me transporta d’un tel bonheur et d’une telle fĂ©licitĂ© que j’en vins Ă retourner Ă l’église pour prier et chanter des louanges. J’étais une femme heureuse et comblĂ©e. Le PACS fut par la suite la concrĂ©tisation de notre bonheur. Du moins c’est ce que je pensais…Ce qui aurait dĂ» m’alerter dĂ©jĂ et qui ternissait un peu notre Ă©quilibre, c’est cette incomprĂ©hension sexuelle. MĂ©lanie, malgrĂ© son jeune âge, Ă©tait possĂ©dĂ©e d’un feu intĂ©rieur qui dĂ©notait une voluptĂ© prĂ©coce et une curiositĂ© que j’étais incapable de satisfaire ou d’assouvir. Lorsque nous faisions l’amour, une fois par semaine en moyenne, pas plus parce que je n’en ressentais ni l’envie ni le besoin – cela n’entrait vraiment pas dans mes prioritĂ©s – il y avait en elle une passion et un appĂ©tit dĂ©routants. C’était toujours elle qui sollicitait les relations sexuelles, j’y rĂ©pondais de temps Ă autre avec plaisir, mais aussi souvent par obligation, un peu comme ces femmes hĂ©tĂ©rosexuelles qui se plient aux corvĂ©es conjugales pour avoir la paix. Et lĂ , lorsque MĂ©lanie m’en demandait un peu trop, cherchant Ă m’entraĂ®ner dans des Ă©bats trop intenses et prolongĂ©s, j’y mettais fin un peu hâtivement, tempĂ©rant vite ses ardeurs et l’obligeant Ă adopter une attitude plus sage.Elle Ă©tait mon ange, pure et innocente, correspondant Ă cet idĂ©al fĂ©minin que je ne voulais pour rien au monde souiller. Je ne voulais pas la voir autrement, fermant les yeux sur ce qu’elle pouvait ĂŞtre si je cĂ©dais Ă ses envies. Maintenant, je regrette d’être restĂ©e hermĂ©tique dans ce domaine, c’est sans doute pour cette raison que je viens de la perdre. C’est une jeune femme si jolie, si rayonnante de joie et d’innocence qu’elle illumine chacun des endroits dans lesquels elle se rend, attirant le regard admiratif ou concupiscent des hommes et, plus grave, celui des femmes. Il y avait donc danger Ă la dĂ©laisser, je le rĂ©alise trop tard en regardant avec horreur les deux femmes qui s’approchent d’elle, gagnĂ©es par un trouble si flagrant et si palpable que je le sens comme si l’air Ă©tait chargĂ© d’électricitĂ©.Laure semble fiĂ©vreuse et impatiente, elle se colle au plus près de MĂ©lanie, caressant son visage de poupĂ©e avec des gestes nerveux.— Comme tu es belle ! murmure-t-elle.Je crains que MĂ©lanie Ă©clate en sanglots, comme bouleversĂ©e par ce compliment. Laure profite de son avantage. Elle dĂ©pose ses mains sur les Ă©paules nues de MĂ©lanie qui ne bouge toujours pas, toute raide. Ses bras pendent sur ses flancs comme ceux d’une poupĂ©e de chiffon alors que Laure referme sa main droite sur l’un de ses seins, frĂ´lant de sa paume l’extrĂ©mitĂ© du mamelon. MĂ©lanie rĂ©agit brusquement, secouĂ©e de frissons voluptueux alors que le bout de ses seins se durcit et augmente de volume, comme Ă vif. Elle se mord les lèvres, comme prise en faute, totalement dĂ©stabilisĂ©e. Elle ne s’attendait pas du tout Ă ce que son corps rĂ©agisse de cette façon. Mais sa rĂ©action involontaire n’a pas Ă©chappĂ© Ă Laure qui sourit victorieusement. Elle renouvelle l’expĂ©rience, pinçant les bouts durcis des deux mains, les malaxant, tantĂ´t avec douceur tantĂ´t avec brusquerie, selon les exclamations stupĂ©faites qu’elle provoque.Quand elle se penche pour mordre la pointe d’un sein avec une tendre sauvagerie, MĂ©lanie ne peut retenir un cri. Elle tremble nerveusement, comme si les ondes de plaisir qui irradient de son mamelon se rĂ©pandaient Ă travers tout son corps sans qu’elle puisse les contenir. Pour y Ă©chapper, elle tente de s’écarter, mais Laure la retient avec une lĂ©gère pression des dents. Puis elle la libère pour mieux laisser sa bouche vagabonder sur toute sa poitrine, pĂ©trissant et pinçant la chair de tendres morsures, mouillant et lĂ©chant la peau de coups de langue vifs et tenaces. Elle remonte le visage, cherchant maintenant la bouche.