– 1 -Christophe a souvent pour moi des gestes de grand frère protecteur, il passe un bras autour de mes épaules, amicalement, même quand Sébastien est avec nous dans la salle des profs. Où serait le mal ? Sa femme Nathalie est une brunette toujours de bonne humeur. Ils ont deux enfants, dont l’aîné entrera au collège l’année prochaine. Comme ils sont installés dans la vie ! Ils viennent même d’acheter une maison, une ancienne ferme à l’écart d’un village, avec un grand terrain autour.— Vous viendrez bien quand nous pendrons la crémaillère, dimanche prochain ?— Avec plaisir, Christophe.— Ce sera le jour du passage à l’heure d’hiver.— Il faudra avancer ou reculer les montres ? Je me pose la question chaque fois.— À trois heures du matin, il sera de nouveau deux heures, les journalistes le disent chaque année.Nous prenons le café seuls, ce jour-là, lui et moi. Le déjeuner à peine fini, Nathalie m’a dit qu’elle m’empruntait Sébastien pour quelques minutes et qu’à la place elle me prêtait Christophe. Elle avait sans doute quelque chose à dire à mon cher et tendre, à propos d’élèves communs. Ils se sont mis dans un coin du bistrot. Nathalie agrippe parfois l’avant-bras de Sébastien et le secoue avec véhémence, comme pour être plus convaincante. C’est une de ses habitudes, de souvent toucher les gens à qui elle parle, dès lors qu’elle les connaît un peu. Mais quand même pas avec cette brutalité. Christophe leur tourne le dos. Il me regarde avec une bienveillance teintée d’ironie. Je viens à l’instant même de comprendre qu’il y a quelque chose entre sa femme et Sébastien, et qu’il le sait. Obscurément, je les trouvais bien trop proches, complices. Pure amitié ? Foutaise ! Mais Christophe parle encore. Pétrifiée, je n’écoute plus.— Pardon, tu peux répéter, je n’ai pas bien entendu ce que tu viens de dire ?— Je pensais à cette heure bizarre, qu’on vit deux fois. Il est vrai qu’en règle générale c’est en dormant.Mais ils nous rejoignent, les deux tourtereaux.— Je te le rends, me dit Nathalie.Je ne lui rends pas son Christophe, je ne le lui avais pas pris. Elle se glisse à côté de lui, pose une main sur sa cuisse, lui demande s’il a mis du sucre dans son café, lui dit : merci, mon chéri. Une chatte amoureuse. Sébastien est normal. Mais quels hypocrites !- 2 -Le soir venu, il n’y a rien à la télé, c’est habituel. Sébastien a envie de moi, nous sommes sur le canapé, il tripote mes seins. Les pince-t-il, ceux de Nathalie ? Les tète-t-il ? Et son clito, l’aspire-t-il entre ses lèvres, le lèche-t-il d’une langue agile ? Je me lève et je vais dans la salle de bains me brosser les dents. Sa langue dans la bouche de Nathalie. La langue de Nathalie dans la bouche de Sébastien.— Viens, viens tout de suite !Il rigole, le benêt, tout fier. Il veut me chauffer, s’attarde en bagatelles, mais les pointes de mes seins sont déjà dures à me faire mal et mon clito est bandé. Je suis trempée, qu’il me bourre comme jamais ! Et han, et han, c’est Nathalie qu’il baise. Un puissant orgasme me laisse pantelante. Il en sourit, le benêt, tout fier.- 3 -J’ai eu trop chaud pendant la nuit, Sébastien était tout contre moi. Chercherait-il à se faire pardonner ? Nathalie ne doit pas user du moindre parfum, mais elle a une odeur, comme tout le monde. En lui faisant les bises matinales, il faudra que je la renifle, pour la retrouver ensuite sur Sébastien.Petites femelles aguicheuses, en classe. Des seins arrogants à treize ans, des regards de luxure vers ces dadais de petits mâles qui ricanent, la bouche ouverte. Au tableau ! Parlez-moi donc de Pythagore, petits gorets ! Et du principe fondamental de l’hydrostatique : tout phallus plongé dans une vulve entraîne une poussée… Un supplice pour moi, certes, mais une bizarre jouissance aussi, quand c’est celui de Sébastien qui plonge dans celle de Nathalie.- 4 -Nous disposons d’une heure, elle et moi, avant le déjeuner. Il y mieux à faire que corriger des copies.— Marre de la salle des profs, Nat, tu viens faire un tour avec moi ?Une terrasse de bistrot. J’ai un canevas en tête, qui vaut ce qu’il vaut, mais…— Je suis crevée !— Tu nous couves une petite grippe, Virginie !— Non, j’ai très mal dormi cette nuit.— Tu vois bien !— J’ai très peu dormi, plutôt. J’ignore ce qu’il a, Sébastien, mais pour le moment sa libido est particulièrement déchaînée.Je la regarde en douce. Elle se marre.— Ben t’en as, d’la chance, ma vieille ! Moi, c’est pas avec Christophe que ça m’arriverait. Plutôt flapi, lui, pour le moment ! L’amour à la papa le samedi et basta ! Bon, j’exagère un peu. Des fois le mercredi après-midi, quand les gosses sont au stade. Ah, sacré Sébaste ! Sébaste au Popaul infatigable ! Veinarde !Ou c’est une comédienne de première bourre, ou je ne suis pas cocue. Mais elle en fait un peu trop, quand même. Ce pourrait être par dépit. Si elle a couché avec mon homme, elle a quand même dû s’y attacher, au moins un peu, et elle devrait être jalouse. Je ne suis plus sûre de rien. J’avais envisagé de lui poser carrément la question, décontractée, l’air de celle qui s’en fout pas mal : il me fatigue, si tu en prends ta part, tant mieux. Ce ne serait pas crédible. Par ailleurs, elle a quand même bien dû remarquer que son Christophe me fait les yeux doux. Serait-ce en mon honneur qu’il la baise moins ?— Tu crois que Chris te trompe ?— Bien sûr que non ! Oh, comme tout le monde, on a envie de temps à autre d’aller voir ailleurs si l’herbe est plus verte, mais comme on sait que ce sera décevant, que ça finit toujours mal, que ça complique tout, on se résigne, on se contente du peu qu’on a… Mais qu’est-ce que tu as, à rigoler comme ça ? Tu en pleures ! Qu’est ce que j’ai dit de si comique ?— Attends, file-moi un kleenex ! …Merci. C’est nerveux. Figure-toi que je m’étais mis dans la tête que tu couchais avec mon bonhomme.— Ah bon ! Tiens, ça ne m’est pas encore venu à l’idée. Et toi, tu as envie du mien ?— Ben non, mais…— Continue, tu m’intéresses.— Voilà, je vais tout te dire : en faisant l’amour, je vous ai imaginés, Séb et toi, en faire autant.— Et alors ?— C’était épouvantable, bien sûr, mais ça m’a incroyablement excitée. Un mélange de détresse et de plaisir, tu vois. Je t’imaginais à ma place, et j’ai joui comme rarement.— Mais tu es une perverse, Virginie !— Je crois bien, Nathalie. – 5 – Jeudi, entre deux cours, je suis avec elle dans la salle des profs.— Tu sais, Virginie, me dit-elle à mi-voix, il y aura beaucoup de monde à la ferme, dimanche. On invite pas mal de copains. La fête, quoi ! Mes parents viendront chercher les gosses vers neuf heures du soir. Ceux qui ont des enfants partiront assez tôt. Pour les autres, ce sera vers les dix ou onze heures, peut-être minuit. Mais Sébastien et toi, vous pourriez rester. Il y aura de la place pour coucher.Mon coeur bat si vite que je colle une interrogation écrite en arrivant dans la salle de cours, faisant fi des protestations indignées du troupeau. J’ai besoin de réfléchir.- 6 -— Alors, c’est d’accord ? Tu en as parlé à Sébastien ?— Non.— Pas eu le temps, hein ? Vous avez encore passé la nuit à baiser comme des mouches ?— Pourquoi comme des mouches ?— T’as jamais observé ? Elles restent collées ensemble pendant des heures. Et elles montent aux rideaux. Au plafond, même ! Bon, laisse-moi faire.À table, Sébastien est l’unique objet de son attention. Il est question du profond silence de la campagne, du ciel étoilé qu’on ne voit plus en ville, en raison de l’éclairage public, et patati et patata. Elle en vient enfin à la crémaillère.— Vous viendrez, n’est-ce pas ? Vous pourrez rester pour coucher, il y a une chambre d’amis.Il me regarde. Je m’empresse de répondre, en minaudant :— Si cela ne vous dérange pas, ce sera avec plaisir !— Si ça nous dérangeait, on ne vous le proposerait pas. D’ailleurs il n’y aura personne d’autre que nous quatre, une fois les autres partis.- 7 -Un samedi matin royal ! Sébastien fort amoureux, aux petits soins, au service de mes fantasmes.— Ne bouge pas ! Tu es une femme objet, je fais de toi ce que je veux. Si tu bouges, je t’attache.Naturellement, que je bouge ! Ne serait-ce que pour empoigner sa verge turgescente, comme on dit dans les livres cochons, et en approcher mes lèvres avides.— Bon, tu l’auras voulu !Il se lève. Il a de belles fesses, de quoi plaire à Nathalie. Devant aussi. Il fouille dans l’armoire. Foulards de soie, écharpes d’hiver, mes poignets sont emprisonnés. Accroupi, il noue soigneusement les tissus aux pieds du sommier, son gland décalotté cogne contre son ventre. Au tour de mes chevilles, ensuite, et me voici crucifiée, jambes ouvertes. À sa merci.Ou de tout autre… Il serait soudain glacial, cacherait sa belle nudité sous une robe de chambre écarlate, s’installerait devant le micro, dirait à voix haute le message qu’il enverrait :— Jeune et jolie jeune femme blonde, attachée nue sur le lit, bras et jambes écartés, attend le bon vouloir d’un inconnu. Se présenter immédiatement au 24 de la rue Sainte-Opportune, troisième étage, porte de gauche.Non, il ne me connaît pas suffisamment pour faire cela. Il prend son temps, du dos de la main droite il effleure mes lèvres, mes seins, mes cuisses. Tourne autour du puits d’amour dont nulle vérité ne sortirait sans me faire rougir de confusion, tant je me sens délicieusement garce.Sage, Virginie ! Ne ferme pas les yeux, ce n’est pas Christophe qui te baise, mais Sébastien qui te fait l’amour. Tout à fait convenablement. Comme si j’étais Nathalie ?- 8 -Il est content de lui. Tout juste s’il ne me demande pas : Alors, heureuse ? Il le voit bien, que je suis comblée, ah, le joli mot ! Au point de juger l’instant propice :— Fabuleux ! Je suis morte ! Tu es divin !Il me regarde avec inquiétude, se demandant si par hasard je ne me foutrais pas de lui. Mon regard clair le rassure, et aussi mes soupirs d’intense satisfaction. De bête assouvie, comme disait… mais peu importe ! Il sort de moi. Il bande moins, presque plus. Qu’il n’en soit pas humilié, tout cela a fort bien rempli son office. Abondamment, même, sa semence et ma cyprine coulent gentiment sur le drap.— Je veux te confier quelque chose, Sébastien. J’ai cru que tu couchais avec Nathalie.— Mais tu es folle !— Eh bien tu vois, j’étais totalement désespérée, bien sûr, mais…— Mais quoi ?— Eh bien, en même temps, j’étais très fière de toi, contente que tu sois heureux de la baiser. Physiquement, je veux dire. Sexuellement, quoi, sans y mettre du sentiment. Simplement, je t’en voulais de ne pas me l’avoir dit.Il me regarde, abasourdi. Il a l’air un peu stupide.— Je vais même t’avouer que mardi soir, parce que je croyais que tu étais son amant, pendant que tu me faisais l’amour je t’ai imaginé le faisant avec Nathalie, et ça m’a excitée, excitée…— Mais tu es perverse, Virginie !— Je crois bien, Sébastien.- 9 -Il en reste songeur. Pas vraiment fâché, me semble-t-il. Il commence à délier le foulard qui immobilise ma cheville gauche.— Non, laisse-moi attachée encore un peu, s’il te plaît. J’aime tellement cette sensation d’être entièrement soumise à toi, mon chéri. Tout à l’heure, j’ai pensé que Nathalie aurait pu être là, à ma place, attachée comme moi, et toi en train de l’embrasser, de mordiller ses seins, qui sont sûrement plus beaux que les miens, de caresser l’intérieur si doux de ses cuisses, d’écarter les petits poils noirs de sa chatte, d’y glisser ta langue, d’aspirer son bouton d’amour entre tes lèvres, et de mettre entre les siennes ton sexe si beau. Puis d’entrer en elle comme tu entres en moi, vigoureusement. Sébastien, c’était atroce et délicieux.— Mais je vis avec une folle !— Je suis folle à lier, tu le savais, c’est pour cela que tu m’as attachée.— Alors, quand tu fais l’amour avec moi, tu penses que Nathalie pourrait être à ta place, et ça t’excite ?— Oui. Et toi aussi, ça t’excite : tu bandes de nouveau, mon chéri !— Pas vraiment.— Ah bon ! Eh bien, qu’est-ce ce sera quand tu seras vraiment dans les bras de Nathalie !- 10 -Il reste bizarre jusqu’au soir. Il me demande enfin si j’étais vraiment sérieuse ou si c’était pour de bon.— Quoi donc, Séb ?— Que tu voudrais que je fasse l’amour avec Nathalie.— Mais évidemment, mon chéri !— Et elle, elle serait d’accord ?— Le contraire m’étonnerait. Sans être un Adonis, tu as un certain charme, et tu es plutôt bien bâti.— Et toi ?— Quoi, moi ?— Tu baiserais avec Christophe ?— Pas sûr du tout, il est à moitié impuissant. Là n’est pas l’essentiel, de toute façon.Il ne me croit pas, son visage se ferme, il boude. Dodo, à l’hôtel du cul tourné. Il se réserve pour le lendemain. Je jubile.- 11 -On appelle ça un baise-en-ville. Quelques sous-vêtements de rechange. Un chemisier pour demain matin. Une seconde jupe ? Mais oui, la petite mauve qui ne descend qu’à mi-cuisses. Un problème, Sébastien ? Il me regarde faire, silencieux. Je n’ai pas jugé à propos de prendre le moindre vêtement en me levant. Je vais, je viens, mes seins pendouillent quand je me penche, ça les met en valeur. Accroupie, j’écarte les cuisses. Il ne résiste pas longtemps.Il dit viens et je viens, brave petit soldat des évangiles. Il me prend sans fioriture et me baise comme un furieux. Il pense à Nathalie. Il n’est pas idiot, il sait que je pense à Christophe. Je ne le lui demande pas, mais il pince la pointe de mes seins, cruellement. Je lui crie que je l’aime, ça lui fait tellement plaisir.- 12 -— Séb, tu prends un boxer ou un slip ? Je te verrais bien avec ce petit slip taille basse.Il sait que j’adore voir son gland en émerger gentiment, quand il bande. Il ne me répond pas, il est un peu triste, il a peur de me perdre, du moins je l’espère, mais il a envie de Nathalie.— Et pour moi, ce coordonné rouge ?Le slip est tout petit, le soutien-gorge aussi. Je sais que certains bonshommes interdisent à leur copine de porter une culotte. Question hygiène, ça laisse à penser. Et c’est tellement agréable de se la faire enlever par des mains fébriles !— Pour toi, Sébastien, ce sera cette chemise de soie. Tu seras superbe. Tu plairas beaucoup à Nathalie.Il n’ignore pas qu’elle est si légère, cette chemise, qu’elle épouse ses tout petits tétons, qu’il me plaît souvent de pincer délicatement et de prendre entre mes lèvres en laissant un peu de ma salive sur le bleu de la soie.— Et ce pantalon de toile. Non, plutôt celui-ci, le beige. Tes mocassins, ton blouson.Il est d’un beige légèrement plus foncé, qui donne un camaïeu plutôt flatteur. Nathalie parlera plutôt de décamaïeu, elle qui boit trop de café et joue avec les mots.— Pour moi, cette longue jupe blanche, hein ?Elle est boutonnée devant. Un bouton saute entre chaque danse. Mais dansera-t-on ?— Mes chaussures blanches à talons ? Tu sais, ça redevient à la mode depuis Ségolène. Je les emporte au cas où. Mais je prendrai mes chaussures à lanières, plus confortables.Je dispose bien d’un porte-jarretelles, également rouge, et de plusieurs sortes de bas qui vont avec, hors d’age, mais en bon état, vu que jamais je ne les porte, tellement rangée que je suis depuis que je vis avec mon Sébastien. J’ai même une paire de bas résille quifait un peu pute. Je la sors, la toise, la rejette.— Non, je peux pas mettre ça, quand même. Mais le porte-jarretelles, pour une fois, hein ?Qui ne dit mot consent. Il a envie de Nathalie. Le prix à payer, c’est de me laisser libre de batifoler avec Christophe, éventuellement. Il se fait facilement une raison. Je laisse tomber ma jupe sur le sol, j’enlève mon petit slip rouge, je positionne mon porte-jarretelles. Assise sur le lit, je glisse mes petits petons dans la soie blanche enroulée, je lève une jambe pour la gainer, puis l’autre. Je me suis bien gardée de remettre mon slip. Sébastien ne me quitte pas des yeux. Je suis satisfaite qu’il bande de nouveau, mais il ne fait pas mine de vouloir me baiser derechef. Nous déjeunons d’une pizza réchauffée.- 13 -L’église, la boulangerie à côté. Prendre à droite, passer devant la mairie. Ne pas s’y arrêter pour se marier. Humour à la Nathalie. Passer devant le cimetière sans y prendre pension. Tourner à gauche, puis prendre la deuxième à droite pour deux kilomètres. Nous y sommes. Une maison banale, mais grande. Un étage et un grenier à lucarnes. Devant, une cour avec d’autres bâtiments en face. C’est derrière ceux-ci, dans un pré, qu’il faut garer la Clio. Il y a déjà six voitures, j’en reconnais deux. Au milieu de la cour, une immense table : des tréteaux et des planches recouvertes de papier. Des pinces à linge de couleur l’arriment au bois des planches. Je pense à Sophie qui aimait tant jouer avec sur la pointe de nos seins. Nous ne l’imiterons sans doute pas cette nuit.Bises, sourires dans la cuisine. Christophe est en survêtement.— Que tu es belle, Virginie ! Moi, je me changerai tout à l’heure.Nathalie est en pantalon de cuir ! Ou de skaï, plutôt. Quelle dégaine ! Elle doit bien avoir une cravache, dans cette ancienne ferme. Mon Sébastien, à genoux devant elle : Oh oui, maîtresse, punissez-moi avec la plus grande sévérité ! — Tu sembles en pleine forme, Virginie.— Tu es superbe, Nathalie.— Arrête de te payer ma tête, tu veux. J’ai mis ma tenue de combat pour bosser, mais je vais me changer. Vous restez bien, ce soir ?— Tu maintiens ton invitation ?— Et toi, tu persistes à vouloir me prêter ton bonhomme ?— Mais oui, Nathalie.— Quant à Christophe… Des nouveaux venus l’interrompent. Je ne les connais pas. Des cousins. Ah bon ! La fille porte une chemisette d’homme, pas tellement boutonnée, et pas grand-chose dessous. Enfin si, des nichons aux pointes très affirmées. Deux ados qui glandaient dans les parages la dévorent déjà du regard, des enfants de collègues, ils ressemblent à leur mère. Elle rapplique et les expédie dehors. Un génocide de jeunes spermatozoïdes est au programme.D’autres gosses arrivent en courant et crient qu’il y a une étable avec des chaînes pour attacher les vaches. La mère des deux garçons me parle de la future grève des trains.- 14 -— Tu veux faire le tour du propriétaire, Virginie ? Sébastien est dans la souillarde avec Nathalie, elle l’a réquisitionné pour l’aider à préparer les toasts.— Je te suis, Christophe.L’escalier, les chambres des enfants, une chambre d’amis. Le bureau de madame, celui de monsieur. Je vais à la fenêtre. Il devrait se mettre derrière moi et appuyer son bas-ventre contre mes fesses, qu’est-ce qu’il attend ?— La salle de bains est à côté. Notre chambre est au rez-de-chaussée.La souillarde, j’y ai droit ou non ? C’est non, mais oui pour leur chambre. Il ne faut pas y faire de bruit, un bébé dort dans un couffin posé sur le lit. Qu’il est mignon !— C’est celui de la documentaliste, me murmure Christophe.Tout contre moi, il passe un bras autour de mes épaules. Je rapproche un peu ma hanche de la sienne, oh, à peine, et je tourne la tête vers lui, mes lèvres légèrement entrouvertes. Il me lâche et va vers la fenêtre. Elle donne sur un petit jardin encore fleuri, derrière la maison. Il a balbutié quelque chose que je n’ai pas compris.- 15 – Assis à l’extrémité de la table, des collègues parlent politique. – Le second tour des présidentielles, ce combat entre deux cocus. Vous avez remarqué que Sarko a parfois des mimiques qui le font ressembler à Stan Laurel ? La fausse colère de Ségolène était d’un grotesque ! Et draguer Bayrou, notre ancien ministre, quelle dérision ! Des enfants jouent au ballon dans la cour. Où est donc cette ancienne étable ? La porte grince. Un vieux four. Je dérange un garçon et une fille aux lèvres gonflées. Je les envie. L’étable est plus loin. Un bambin est accroupi dans une stalle.— Je sais où tu es, Romain ! lui crie une petite fille. Sors de là, j’ai peur des souris.Un collègue me demande si je ferai grève, le mardi 20.— Naturellement.— Et Sébastien ?— Aussi.— J’ai quelque chose à lui demander. Tu sais où il est ?— Avec Nathalie. Ils font des sandwichs dans la souillarde.— La souillarde ?— C’est un mot de par ici. Une sorte d’arrière-cuisine, sombre et fraîche. Un endroit où l’on souille, et où l’on est souillé.Il me quitte en rigolant.- 16 -Elle s’ouvre enfin, cette porte, devant les enfants de Nathalie, un plateau couvert de toasts dans les mains. Leur mère les suit. Que fait Sébastien ? Encore des toasts. Abeille laborieuse, va !— Tiens, Virginie, tu veux bien emporter ce plateau ?Je veux bien. Dehors, Christophe étreint un petit tonneau qui paraît bien lourd. Il le dépose sur une vieille table, le cale avec deux bûches.— Je vais chercher l’autre.Étiquette sur l’un : Vin rouge. Sur l’autre : Vin rosé. Les gamins posent sur la table une flopée de verres dépareillés. Duralex. Sed lex ?Mangeaille. Certains parlent la bouche pleine. Nathalie, qui riait à perdre haleine en écoutant Sébastien lui parler à l’oreille, renverse son verre sur le chemisier, fort seyant, qu’elle venait de mettre.— Oh, Sébastien, vite, du sel !Il y a une salière à côté d’un beurrier. Mon Sébastien sait que le vin ne tache pas quand on met du sel. Sous quelques rires complices, il aventure une main sous le chemisier de Nathalie. Les deux boutonneux de tout à l’heure sont très rouges. Une bosse sous son pantalon beige, Sébastien me regarde, faraud.— Merci, Sébastien, lui dit Nathalie. Virginie, tu veux bien venir avec moi ?Je veux tout ce qu’on veut, moi. Elle m’entraîne dans leur chambre, me fait signe qu’il ne faut pas y faire de bruit, ouvre une armoire, me montre quelques corsages en m’interrogeant du regard. Je lui désigne un beige, satiné. Elle s’en empare, ôte son chemisier. Elle porte un soutien-gorge blanc qu’elle enlève, car il est taché lui aussi, la main de Sébastien n’a fait qu’étendre la souillure.Encore un peu bronzés, les seins de Nathalie ; nulle trace de maillot. À son regard interrogatif, je réponds par un non de la tête, elle me sourit et enfile son chemisier. Ses beaux tétons roses pointeront libres sous le satin.Le dos contre la porte qu’elle vient de refermer, elle me dit à mi-voix qu’elle a parlé à Christophe, habilement (enfin, elle le pense…) du fantasme de certains hommes qui veulent livrer leur compagne à un autre.— Et alors ?— Comme il a oublié d’être bête, il m’a dit que si je voulais coucher avec Sébastien, autant le dire tout de suite. Je lui ai répondu que tu étais à l’origine de tout cela, parce que l’idée de me prêter ton mec t’excitait. Naturellement il m’a demandé ce qu’il ferait avec toi, pendant ce temps-là, et il a émis l’hypothèse que vous tiendriez la chandelle.— Mais quel mufle, ton mec !Je me serais donc fait des idées, en pensant qu’il me draguait ?- 17 -Tiens, des retardataires ? Non, ce sont les parents de Nathalie qui viennent chercher les gosses. Ils prennent quelques toasts. Nathalie m’a présentée à son père. Très civil, il me tend du pâté, des rillettes.— J’ai déjà mangé, merci.— Un petit verre de rosé, alors, pour me tenir compagnie ?Il a le regard fatigué, les tempes blanches. Il vous déshabille du regard, comme machinalement. Baise-t-il encore ? Il me dit qu’il me trouve très séduisante et me quitte pour parler à d’autres.Quelques invités commencent à partir. Il va falloir prendre une petite laine. La documentaliste emporte son bébé, le père n’est pas venu. Les parents de Nathalie s’en vont avec les gosses. Ceux qui étaient avec des enfants partent aussi. Il reste une petite dizaine de couples. Il est question de danser un peu dans la cuisine. On ne va pas laisser traîner dans la cour les verres vides et les assiettes de carton.— Mais non, laisse donc cela, Virginie, on a tout le temps.— Ça sera vite fait. Tu as une poubelle ? Moi je mets les verres sur les plateaux.Il faut ensuite se frayer un chemin entre les couples qui se trémoussent. Sébastien danse avec Nathalie, dont les seins tressautent en cadence. Plus besoin de petite laine.Quand vient enfin le temps des slows, il est largement plus de minuit. Seul, le feu de la vieille cheminée éclaire la cuisine. Sébastien bande comme un taureau, il vient de se frotter contre Nathalie, sa chemise de soie contre le satin de ses seins dardés. Leurs bas-ventres doivent être une fournaise. Et le mien, donc ! Tous les hommes me serrent de près en me chuchotant que c’est bien sympathique de se retrouver ailleurs qu’au boulot, qu’il faudra remettre ça plus souvent, et que je suis très jolie. Certains disent : désirable. Ceux que j’aime bien ont mes paumes sur leur nuque, ou carrément mes bras autour de leur cou. Lèvres contre lèvres ou presque. Mon bas-ventre va à la rencontre de leurs braguettes dilatée. Même Christophe bande, mais avant même de me prendre dans ses bras. Il grommelle que je ne suis qu’une allumeuse et que je le déçois beaucoup. Mon coeur se gonfle d’allégresse.— Mais c’est toi que je veux allumer, Christophe, toi seul.— J’aimerais savoir à quoi tu joues, et à quoi vous jouez, toutes les deux, Nathalie et toi.— Mais c’est bien simple, il sera bientôt deux heures. J’ai pensé à ce que tu m’as dit, cette heure que l’on vit deux fois. Il faut en profiter, pendant les premières soixante minutes. Tu as envie de moi, je suis bien placée pour le savoir. Moi aussi, j’ai envie de toi. Tu n’es pas bien, dans mes bras, tout contre moi ?— Tu vas briser nos deux couples.— Cesse de jouer le père la pudeur, tout cela n’est pas grave, une heure après tout rentre dans l’ordre, et on oublie tout.— Mais je ne t’oublierai pas comme ça, Virginie, si nous faisons l’amour ensemble !— Tu es gentil. Un grand sentimental, hein ? Tant mieux !- 18 -Quelques nuages chahutés par un vent de sud. La lune est dans son dernier quartier, elle nous éclaire faiblement. Nathalie a dit qu’il nous fallait absolument rester dehors, à jouir du silence, ce luxe qu’on ne connaît plus en ville. Les autres sont partis. Nous n’avons ni faim ni soif.— Orion, là-bas. La Grande Ourse, bien visible, et Vénus, de ce côté, soupire Christophe.— Ah bon !Il voit bien que je m’en moque. Nathalie dit qu’il fait un peu froid, quand même, et qu’elle va chercher des couvertures. Elle en apporte deux, jette l’une sur mes épaules et l’autre sur celles de Sébastien.— Fais-moi une petite place, lui dit-elle en se coulant contre lui.J’écarte la mienne et d’un sourire j’invite Christophe à me rejoindre. Il a le regard sombre des mauvais jours, mais comme il fait nuit… J’insiste :Il regarde sa femme, blottie tout contre Sébastien. Je vais me mettre à pleurer, je pleure facilement, on ne résiste pas à mes larmes. Il daigne enfin se rapprocher et saisit le pan de la couverture pour la refermer sur nous. Je m’appuie sur son corps solide. Tout à l’heure, ma tête trouvera sa place au creux de son épaule.Le silence dure. En face bouge la couverture, des mains sont à l’oeuvre dessous. Christophe ne bouge pas. Sébastien penche légèrement la tête, ses lèvres cherchent celles de Nathalie et les trouvent sans peine. Et ce dadais de Christophe, va-t-il enfin les imiter ? Si j’aventure ma main en territoire stratégique, il risque de s’enfuir. A-t-on jamais vu pareil empoté ?— Nathalie, plus rien ne sera comme avant, entre nous, pleurniche-t-il tout à coup.— Et pourquoi donc ? Sébastien et moi nous allons passer une heure dans la chambre d’amis. Je suppose que pendant ce temps tu seras dans notre chambre avec Virginie, ou alors c’est que tu es bien bête ! Quand il sera de nouveau deux heures, je viendrai reprendre ma place auprès de toi et Virginie ira retrouver son Sébastien, la parenthèse sera refermée, et voilà tout.— Ce qui se sera passé pendant cette heure-là…— Cela comptera pas, puisque cette heure n’existe pas. Sébastien, ne pince pas trop fort, les pointes de mes seins sont très sensibles.Christophe se lève brusquement, emportant la couverture.— Mais je rêve ! Tu es folle, Nathalie ! Nathalie, je croyais que tu m’aimais, et tu vas coucher avec Sébastien !— C’est bien plus honnête que si je te cocufiais en cachette. Arrête de prendre cet air de chien battu, ou Virginie ne voudra pas de toi. N’oublie pas que tu ne disposes que d’une heure. Allez, Sébastien, suis-moi !- 19 -Me voilà encombrée d’un cocu pas content, qui ne comprend rien à ce qui lui arrive : sa petite femme si fidèle, la mère de ses enfants, l’amour de sa vie part s’enfermer avec mon mec dans leur chambre d’amis. Pour une heure, sous prétexte que c’est l’heure de trop !Il reste planté là, debout, sa couverture dans les bras. Il donnerait gros pour qu’ils fassent soudain demi-tour, en riant très fort :— On t’a bien fait marcher, hein !Eh bien, c’est ce qu’ils font, et nous nous gaussons tous de la bonne, de l’excellente plaisanterie. Je passe une nuit délicieuse dans les bras de mon compagnon, pendant que Nathalie et Sébastien mettent en chantier un troisième enfant.- 20 -Oui, ce serait une fin possible. Mais pas de danger, ils y tiennent trop, à baiser ensemble, ils ne se retournent pas, ils courent, main dans la main, vers la chambre d’amis.— Comme tu as confisqué la couverture, Christophe, je suggère que nous allions au moins dans la cuisine, à défaut de la chambre puisque tu sembles avoir fait voeu de chasteté.Il y prend une chaise et regarde le feu, pensif. Mais quel nigaud, ce type ! Je suis derrière lui, debout.— Puisque tu ne veux pas me regarder, Christophe, je vais te dire ce que je fais. Je me débarrasse de ma petite laine, je la pose sur la table de vieux chêne. Je sors de ma longue jupe blanche le bas de mon chemisier, je l’ouvre sans trop me presser. Je l’enlève. Mon soutien-gorge est rouge, je ne l’ôte pas encore. Je déboutonne ma jupe. Comme tu l’as remarqué quand je dansais, les boutons du bas ont déjà sauté, on voyait mes genoux quand je tournais sur moi-même pour faire tourner les têtes, mes genoux et un peu mes cuisses, beaucoup peut-être, parfois. Rappelle-toi, tu en étais jaloux. Il ne me reste que deux boutons à défaire. Un. Deux. Elle tient encore par la ceinture, mais elle est entrebâillée sur mon petit slip, rouge lui aussi. Voilà, je défais la ceinture, la jupe tombe à mes pieds. Je n’enlève pas encore mes chaussures blanches à talons. Je vais te tourner le dos, comme il se doit, pour dégrafer mon soutien-gorge… Voilà qui est fait, je le jette sur la table. Les mains en coquilles sur mes seins dont les pointes me font presque mal, je me retourne. J’écarte les bras.Tu ne te précipites pas contre moi, qui t’attends pourtant ! Bon, je patienterai. Je fais maintenant descendre mon petit slip rouge. Il franchit le genou droit, le genou gauche, la cheville droite, la cheville gauche. Le voici sur la table. Il me reste mon porte-jarretelles et mes bas. Je détache celui de droite, je l’enroule délicatement autour de ma cuisse. Ah, il faut que je me débarrasse de ma chaussure. Je détache celui de gauche. Le voilà enlevé, lui aussi. Je suis pieds nus, désormais, les tomettes du sol sont bien froides. Je dégrafe mon porte-jarretelles. Je suis nue, Christophe…— Mais… balbutie-t-il, la tête enfin tournée vers moi.— Eh bien oui, je suis encore habillée, qu’est-ce que tu croyais ? Il est préférable que tu me les enlèves toi-même, mes vêtements, non ?- 21 -Long baiser, très long baiser, mon dos contre la porte de leur chambre. Sa langue est chez elle dans mon palais. Petite laine et chemisier gisent déjà sur le sol. Mes mains se glissent sous sa chemise, trouvent sans peine de petits tétons qu’elles se plaisent à légèrement pincer. Fébriles, ses doigts défont l’attache de mon soutien-gorge et ses lèvres se jettent sur les pointes de mes seins. Je récupère difficilement mes mains pour caresser sa nuque. Ma jupe tombe. À genoux, Christophe appuie longuement sa bouche sur le devant de mon slip.— J’aime ton odeur.— J’ai envie de toi depuis si longtemps !Il fait descendre mon petit slip rouge, écarte de ses doigts les lèvres de mon sexe et aventure sa langue. Mes mains enserrent ses tempes, j’y sens battre ses artères.— Relève-toi, laisse-moi faire.Chemise, pantalon, slip. Comme il bande fièrement ! Hop, un petit coup de langue sur l’oeil ovale du gland.— Viens, Virginie, viens, je veux être en toi !Mais c’est que je ne demande pas mieux, moi !- 22 -— Si on arrêtait les pendules ? suggère-t-il quand approche l’échéance.— J’allais te le proposer. Je crois que les deux autres n’y verront pas d’inconvénient, ils ne font pas mine de venir nous chercher.C’est aussi une fin possible. Nuit délicieuse, etc. Et de quoi aurions-nous l’air, au petit jour, après avoir ainsi triché ?- 23 – La vieille comtoise de la cuisine vient de sonner trois fois, il convient de se lever et de contraindre la grande aiguille à faire un tour complet en arrière. Quatre pieds nus descendent l’escalier. Nul d’entre nous n’a jugé bon de prendre le moindre vêtement.— Je te le rends, me dit Nathalie.— Merci. Moi aussi, je te rends le tien.- 24 – Grandiose ! Une fin de nuit divine ! La mise en concurrence a du bon, n’en déplaise aux défenseurs du monopole : Sébastien met tout son coeur – et aussi le reste ! – à me prouver que j’ai intérêt à le garder. En bas, si j’en crois ses hululements, Nathalie est également à la noce.- 25 -Il est plus de midi quand nous nous levons, car il a bien fallu dormir un peu. Nous finissons les toasts et visitons, dans l’après-midi, quelques chapelles romanes des environs, sans reparler de notre passage à l’heure d’hiver.