Dans son sac résonne la vibration désormais familière. Détachant ses yeux de la somptueuse toile de Matisse, « le rêve », Léonore consulte son portable pour lire le SMS annoncé.« Retrouve-moi au fond du jardin, à droite derrière les ifs ».Décharge électrique dans les reins, direct.Avant même son départ de Paris, les SMS s’étaient succédé à un rythme soutenu. Il lui avait tout d’abord imposé la liste des vêtements et accessoires à mettre dans sa valise : robes souples et amples, sous-vêtements légers et transparents en dentelle ou mousseline… et les sex-toys qu’il avait pris soin de lui faire envoyer par une société spécialisée.Puis, installée dans le TGV elle avait reçu : « Va aux toilettes et enlève culotte et soutien-gorge Ensuite, s’étant exécutée : « Laisse tes sous-vêtements dépasser de ton sac afin que ton voisin devine que tu ne les portes plus, mais ne lui montre rien ». Il lui avait réservé un siège en première classe, tablant sur une fréquentation plus masculine et ne s’était pas trompé. En face d’elle, de l’autre côté du couloir, un homme en costume sombre travaillait sur son ordinateur en la couvant des yeux.Ensuite « Soutiens son regard et souris-lui, puis retourne à ton journal sans plus lui prêter attention ». La lecture du Monde l’avait prétendument absorbée un bon moment, même si l’article sur les élections au Mali dansait devant ses yeux tandis qu’elle sentait le regard insistant de l’homme sur ses jambes nues. Elle prenait garde à tourner les pages régulièrement pour camoufler son trouble. Garder son sang-froid tandis qu’il bouillait déjà entre ses cuisses était presque le plus excitant de l’affaire.Plus tard il lui demanda si elle se tenait jambes croisées, et sur sa réponse positive lui enjoignit de les décroiser sans quitter son journal des yeux, et de les tenir ainsi, décroisées, mais cependant serrées.Elle s’exécuta, et sentir sur elle le regard de l’homme aux aguets fit rosir ses pommettes.Plus tard, à plusieurs reprises, il lui commanda d’ouvrir légèrement les jambes. Au bout de quelques minutes durant lesquelles l’acuité du regard de l’homme lui brûlait la peau, il lui ordonnait de les refermer.Plus tard encore, il lui ordonna de lever les yeux afin de croiser le regard de l’homme : celui-ci la salua en inclinant la tête, un sourire ironique aux lèvres. Il semblait presque savoir à quoi s’en tenir, elle se demanda même s’il ne faisait pas partie du programme, placé là tout exprès par son commanditaire pour la surveiller et vérifier qu’elle suivait bien à la lettre les instructions reçues…Celles-ci continuèrent à se succéder. Elle retourna aux toilettes pour mettre en place le rosebud envoyé à l’avance. C’était un bijou élégant et sobre, en métal brillant, terminé par une pierre taillée à facettes. Elle l’inséra d’abord dans son sexe déjà humide afin de le lubrifier, puis le glissa dans son cul avec une facilité confondante, savourant ce si particulier et délicat plaisir mêlé de contrainte. Regarder dans la glace ses fesses ainsi ornées la fit frissonner. Difficilement, elle résista à l’envie de se toucher et rabattit sa robe : il lui avait interdit depuis plusieurs jours de se procurer le moindre plaisir solitaire.Elle était déjà chaude comme la braise, deux heures avant l’arrivée…Ça promet, pensa-t-elle.L’insertion du rosebud ne pourrait guère être vérifiée par le passager mystère, pensa-t-elle en rejoignant sa place, croisant son regard inquisiteur. Sauf si… elle frémit en imaginant ce que le prochain SMS pourrait lui demander : retrouver l’homme aux toilettes ? Elle rougit violemment à cette idée, d’abord de frayeur, puis de ce qui ressemblait fort à de l’excitation. Le ferait-elle ? Il lui semblait bien qu’elle en serait capable, capable d’aller jusqu’au bout de cette soumission qu’elle subissait avec un plaisir coupable. Trempée, elle s’agita sur son siège, inquiète à l’idée de laisser sur l’arrière de sa robe une tache de forme si reconnaissable. Toujours sous le regard du passager, elle déroula son écharpe sur le siège et s’assit par-dessus en dégageant l’arrière de sa robe. Le souvenir d’Histoire d’O, la manière dont son amant lui ordonnait de s’asseoir toujours, lui traversa l’esprit et acheva de l’embraser. Le voyage serait long, décidément, et Le Monde aurait bien du mal à capter son attention.À l’arrivée à Nice, elle devrait monter dans la voiture envoyée par son commanditaire, poser sa valise à l’hôtel et y vérifier la présence de l’enveloppe contenant ses honoraires puis, sans se changer ni se laver, avait-il précisé, se rendre à l’exposition « Matisse et Picasso, la comédie du modèle » au Musée Matisse.Les sensations procurées par cet état d’obéissance correspondaient en tout point à ses espérances quand elle s’était lancée dans cette aventure.Depuis longtemps le fantasme de la prostitution occupait son esprit. Loin de considérer cette position comme humiliante, elle tendait à la voir comme puissamment excitante. Imaginer un homme la désirant au point de payer pour l’avoir, de payer cher, flattait son narcissisme et excitait son imagination.Toujours, dans le sexe, le désir de l’autre avait été son moteur : les compliments sur son corps, l’expression du désir et du plaisir qu’il provoquait la comblaient.