L’objet faisait penser à un bouchon de carafe. Il pendait au bout d’une chaînette dorée. Lentement il oscillait, se balançant de droite à gauche et la voix derrière lui s’éloignait de plus en plus. Assise dans la pièce, je regardai cette scène avec circonspection. Mona étendue sur une sorte de divan de cuir fauve dodelinait de la tête. Lentement elle partait dans un sommeil artificiel, voulu par cet Harold. Quand elle s’était retrouvée endormie, d’un mouvement entendu du menton, il me fit savoir que je devais sortir. Ce qui se dirait là , je ne devais pas l’écouter.Pas par souci de confidentialité, non ! Simplement m’avait-il au préalable expliqué que ce que pourrait raconter mon amie Mona risquait d’influencer mon propre sommeil. Je devais à mon tour passer sur le divan pour la séance suivante. Seule Léa assisterait aux deux interventions, mais elle devrait s’abstenir de dire quoi que ce soit. Écouter, entendre, savoir, mais ne rien divulguer. Muette comme une carpe, aucun commentaire, c’était ce que lui avait clairement énoncé le docteur. Elle, si sceptique, pourrait ainsi se forger une opinion sur cette méthode médicale révolutionnaire dont monsieur Damhani était un précurseur.Il me semblait qu’une éternité s’était écoulée avant que le médecin vienne me chercher. Mona et Léa, assises côte à côte sur une banquette, me regardaient entrer. L’une avait l’air de se réveiller, mais Léa baissait les yeux. Pour ne pas croiser mon regard ? Peur de ce que je pourrais lire dans le sien ? Tant de choses défilaient dans ma tête. Puis le cristal qui pendulait à nouveau, mais cette fois, mes mirettes fixaient l’objet aux mille facettes. Enfin la voix… de plus en plus caverneuse, feutrée. Quelque part, je me sentais mollir, m’enfoncer dans un océan de coton. La voix, il n’y avait plus que cela qui dominait l’univers dans lequel je m’enlisais inexorablement.Le son restait, telle une planche de salut, un pont entre ma nuit forcée et la vie. Puis la musique des mots qui revenait, inlassablement pour me poser des questions. L’étrange sensation que, pour la seconde fois de mon existence, mon esprit était à la merci d’une entité inconnue, mais celle qui me parlait restait courtoise, rassurante, presque bienveillante. Ma mémoire remontait à la surface par bribes éparses. L’orage, la moiteur et les draps repoussés. Puis ce soleil, juste au-dessus de ma maison, il brillait à nouveau de tous ses feux. Avec lui le sentiment que je n’étais plus maîtresse de mon destin !Pourtant le bruit qui me parvenait se trouvait être tout différent de celui de cet instant-là  ! Me revenaient aussi les dires de ce spectre qui me parlait d’enfant. L’enfant des étoiles… un parmi bien d’autres. Je revivais cette fameuse nuit, et m’agitais sans cesse. Puis il y avait eu cette formidable explosion dans mon ventre. Une forme très excitante de ressenti d’une partie de sexe hors norme. Je n’avais pas assez de vocabulaire pour en exprimer ne serait-ce qu’une infime partie. Je revoyais l’instant « T » où l’être inconnu faisait de moi une femme à part entière. Puis le dépôt de son don qui devait me rendre mère.Un long tunnel qui allait m’éclaboussant de ses myriades d’étincelles, alors que, sans même poser une patte sur moi, la chose me rendait folle d’envie, de luxure et créait un vrai besoin. Une nécessité absolue de faire l’amour agitait mon corps, alors que des questions fusaient de partout dans les alentours immédiats de l’endroit où j’étais allongée. La voix, elle n’était pas dans mon crâne comme la première fois, non, elle s’exprimait à l’extérieur, mais me pénétrait le cerveau avec l’impossibilité de lui résister. Cependant l’envie de sexe que je ressentais ne demeurait qu’un pâle reflet de ce que j’avais déjà connu avec mon visiteur.Enfin, il y avait eu un véritable arrachement. Mon esprit qui refluait vers une partie plus sombre de moi-même. Un retrait puissant, violent retour en arrière, comme si la voix m’ordonnait de sortir de mon endormissement. Pas de lumière, aucun moyen pour me demander d’oublier à nouveau tout ce que je revivais une seconde fois. Le cauchemar touchait à sa fin. Mais quelle douloureuse expérience que ce repli involontaire de mon âme vers le cabinet du docteur Damhani ! J’en étais triste au possible. Et trois paires d’yeux qui me scrutaient, étais-je si pitoyable ?Un grand silence, pareil à ceux suivant les grandes catastrophes… un silence de mort oserais-je dire. Pour que Léa gardât une mine de chienne battue, il fallait sans doute que j’aie dit d’énormes bêtises. Le premier à rompre l’angoisse du vide qui nous enveloppait fut bien Harold Damhani.— Vous êtes bien certaines que vous ne vous étiez jamais rencontrées avant votre visite à l’hôpital ?— Bien sûr que nous ne nous connaissions pas avant. Ni Léa ni Jade, je n’avais jamais vu aucune des deux auparavant.— C’est si grave que cela, ce que j’ai pu débiter comme conneries ?— En soi, non ! Ce qui est plus que troublant serait plutôt que deux esprits féminins à des kilomètres de distance puissent inventer un scénario identique.— Ah bon ? Nos histoires se ressemblent donc à ce point ?— Ma pauvre Jade… je ne sais pas où tu es allée chercher tout ce que tu viens de raconter. Mais une chose est sûre, c’est que Mona a vécu des faits similaires.— Si vous me racontiez un peu, je serais moins bête ce soir pour dormir, non ?— Peut-être que tu ne pourras plus dormir quand tu sauras ce que tu nous as narré.— … ? Ça veut dire quoi ?— Que toutes les deux, vous semblez avoir vibré dans une rencontre avec des inconnus. Que ceux-ci n’ont pas eu seulement besoin de vous toucher pour vous mettre enceintes.— Vous rigolez là , Docteur ?— Pas le moins du monde ! Le plus incroyable, c’est que vous aviez l’air de le revivre vraiment cet évènement. Vous et Mona ! Il n’y avait pas une chance sur un milliard pour qu’une expérience identique puisse être inventée par deux personnes inconnues auparavant.— Que voulez-vous insinuer ? Que nous nous serions concertées pour vous monter un bateau ?— Non ! Jade, ce que monsieur Damhani veut te faire comprendre, c’est que non seulement vous avez reçu une visite, mais qu’apparemment, vous n’êtes pas des cas isolés. D’après vos dires, d’autres cette même soirée ou nuit d’orage ont été fécondées de la même manière que vous.— Ma parole, on est tous tombés sur la tête ! Quels inconnus auraient intérêt à nous faire subir ce genre de traitement ?— Ça… ça reste à déterminer, mais visiblement, on ne peut nier l’évidence. Votre amie, Mona, et vous Jade avez été contactées par une entité inconnue qui vous aurait engrossées. Jusque-là , on peut le concevoir ! Mais la manière dont il semblerait que vous avez été mises enceintes relève plus de la chimère…— De la chimère ? Mais… mes amies ont bel et bien un polichinelle dans le tiroir, alors où est l’erreur dans cette affaire ?Le trait cinglant assené soudainement par Léa m’avait surpris. La violence avec laquelle ces paroles venaient d’être prononcées montrait que son affect était touché. Elle avait acquis la certitude que je ne mentais pas et cela me faisait très plaisir. Le médecin n’avait pas de réponse à nous opposer, pas de solution miracle. Il avait fait son job, nous avait ramenées à cette fameuse nuit d’orage. L’unique point positif de cette étrange remontée dans le temps nous laissait supposer que tout avait démarré le 6 juillet précédent. Pour Mona et moi, c’était un pas de géant. Mais qu’en était-il de nos mystérieux visiteurs ?Nous ne pouvions que faire des suppositions. Tout demeurait flou dans nos mémoires, même si la thérapie originale de notre bon Harold ouvrait une brèche dans notre brouillard. Nous étions donc sorties du cabinet de monsieur Damhani avec plus de questions encore qu’à notre arrivée. Puis Mona avait d’autres ennuis. Elle nous expliquait à Léa et à moi que sa famille, suite à son état, l’avait plus ou moins évincée. Pas encore mise à la porte, mais c’était imminent. Alors, tout en buvant une limonade dans un bar avant de nous séparer, n’écoutant que mon bon cœur, je lui remettais mon adresse personnelle.— Tu viens quand tu veux ! Je n’ai pas une grande maison, mais tu y seras accueillie comme chez toi. Si la situation empire, viens ! J’ai une chambre d’ami et tu pourras en disposer comme il te plaira.— Tu es… un ange, Jade !— Je confirme, Mona ! Jade est une véritable amie, sur qui on peut compter en toutes circonstances. Je suis presque jalouse.Nous avions éclaté de rire toutes les trois devant l’air pincé pris par la belle Léa pour dire ces quelques mots. Puis notre amie nous avait laissé et nous avions refait le chemin en sens inverse, avec plein de trucs qui nous tournaient dans le crâne.— Tu te rends compte, Jade ? Les extraterrestres sont peut-être venus chez toi ! Tu portes un enfant de l’un d’eux et tu ne sais même pas comment il est fait ! Et tu veux que je te dise ? Quelque part, j’aimerais presque être à ta place !— À ma place ? Mais je te la laisserais volontiers ! Crois-tu vraiment que c’est rigolo de devoir porter le gosse d’un inconnu ? Puis le terme… extraterrestre, il me fout les jetons ! Je t’assure, j’ai la trouille à contrecoup. Je me demande pourquoi je n’ai pas été tétanisée de frousse ce soir-là  !— Parce qu’ils ne sont pas méchants, tout simplement. Ils ont raison de plus. Les êtres humains font de notre vieille terre, une poubelle. Regarde ce qu’ils en ont fait en moins d’un siècle. Des déchets partout, dont on ne maîtrise plus rien. Et notre société qui ne vit que dans et pour le profit.— Et tu crois que ce sont deux ou trois enfants de plus sur cette planète qui vont changer la donne ? Seule la bonne volonté de tous peut endiguer le flot de conneries de l’homme.— Mais ces enfants, ces « fils des étoiles », viennent peut-être pour imposer leurs idées, avec des pouvoirs que n’ont aucun des gosses normaux qui naissent aujourd’hui.— Tu penses vraiment ce que tu racontes là  ? Tu imagines que dans mon ventre, il pourrait y avoir un super héros ? Un de ceux comme le Captain Marvel ? Tu connais ce héros, Shazam, créé par Charles Clarence Beck dans les années quarante ? Tu crois vraiment ça !— Je sais juste que nous nous posons trop de questions et pas forcément les bonnes.— Et lesquelles devrions-nous nous poser à ton avis ?— La première… savoir ce que tu veux en faire de ce qui grandit dans ton petit bidon, ma belle ? La manière dont il a atterri là n’est pas claire, donc c’est une des conditions pour une possible… éviction.— Tu me parles d’avortement, je t’entends bien ? Merde alors ! Je n’aurais jamais pu un jour croire que nous aurions une telle conversation. Quelque chose au fond de mes tripes me dicte que c’est juste impossible. Et la peur de ce qui pourrait en découler… un sixième sens me tarabuste ! Il me souffle qu’il est impératif que je porte à son terme cette incroyable aventure humaine. Je n’ai jamais réellement songé à une maternité, mais le destin en a décidé autrement.— Tu en as de bonnes, toi ! Le destin… il a bon dos, celui-là  ! Et puis c’est peut-être aussi un monstre qui va sortir de ta bedaine, ma belle ! Tu y as pensé ?— Je ne fais que cela, retourner dans tous les sens les images que cet Harold Damhani a fait ressurgir en moi. Ce fantôme qui est venu me visiter, pourquoi aurait-il pris la peine de faire tout cela pour engendrer une anomalie gigantesque ? Il était presque sympa finalement… mais toi, Léa, je crois que j’ai compris que le bon docteur t’avait un peu tapé dans l’œil.— Je l’avoue ! Il n’a rien d’un martien, encore que je ne sache pas comment ils sont faits, ceux-là . Mais c’est vrai que s’il venait coucher chez moi, je ne m’installerais pas dans la baignoire. Je dois dire aussi que je me suis sentie… envahie par ce type.— Un peu comme moi avec mon visiteur, alors ?— C’était bien ? Parce que ton récit montrait qu’il avait laissé des traces indélébiles dans ton cerveau ce… type venu d’ailleurs.— Comment cela des traces indélébiles ?— Si tu avais vu comment Mona et toi en parliez de ce moment… où… vous aviez fait l’amour avec eux ! Vous étiez en extase. Et là , j’ai assisté aux deux séances. Celle de Mona et la tienne, mais il en ressort que la manière dont vous avez sans doute joui était… hors norme pour toutes les deux !— C’est tout toi ça ! Voir d’abord le côté pratique de la chose. Comment veux-tu que je sois certaine de ce qui s’est réellement passé ? Je crois pourtant qu’il ne m’a même pas touchée.— Faire un bébé sans toucher une femme me semble relever de l’ordre de l’utopie. Enfin, réfléchis ! Pas de pénétration, pas de sperme, pas d’enfants, c’est aussi simple que cela.— Pas si sûr que les choses soient aussi lisses que tu veuilles le croire. Puis il me semble que l’autre m’a dit : « C’était seulement l’image que tu voulais avoir de moi ! Et je n’ai participé que dans ton esprit, juste pour ensemencer ton ventre. »— Tu es bien certaine de cette phrase ? Elle paraît surréaliste et erronée puisque ton ventre garde les stigmates de son passage.— Je n’en sais rien et ça va finir par me rendre folle à mon tour. Je comprends la position de Mona… si en plus sa famille se mêle de ses affaires !— Reconnais que si quelqu’un venait te raconter un truc pareil… tu appellerais rapido l’asile pour le faire interner. Tout le monde le ferait sans sourciller… du reste, si je n’étais pas ton amie…— Laissons tomber cela, veux-tu ! On va manger un petit bout ? Je sais que tout va ressortir, mais j’ai faim.— Tu as des envies balaises ? De fraises ou d’aliments introuvables ? C’est vrai que ça arrive ce genre de désir ?— Je n’en sais rien… je veux juste remplir mon estomac, pour calmer mon appétit. Et pas avec des fruits…— C’est vrai ! Tu dois manger pour deux. Je sais déjà que tu vas le garder n’est-ce pas ? Et ça n’a rien à voir avec un quelconque point de vue religieux ou éthique… il est déjà dans ta caboche, c’est déjà « TON » gamin ! Je me trompe ?— Non ! Je sais… je suis une idiote, mais… c’est comme ça !— xxxXXxxx —Les deux valises renfermaient tous les effets vestimentaires personnels de la petite jeune femme qui venait d’entrer dans ma maison. Mona était là , la mine triste et le teint plutôt cireux. Elle avait appelé au téléphone un peu avant midi et à seize heures, elle débarquait chez moi avec arme et bagage. Curieuse comme une chatte, elle avait en me suivant, fait le tour du propriétaire. Elle ne s’était pas étendue sur le sujet et sur l’objet de sa décision de venir vivre chez moi ! J’en savais les raisons et c’était inutile de retourner le couteau dans la plaie. Ma chambre d’ami n’attendait plus que son arrivée.Toutes les deux, silencieusement, nous avions préparé le grand lit puis, c’était seule qu’elle avait arrangé ses affaires dans le dressing attenant à la chambre. Un peu plus tard, le bruit de l’eau qui coulait m’indiquait qu’elle prenait une douche. À son retour dans le salon où je lisais, elle semblait plus fraîche et surtout plus détendue.— C’est sympa à toi, Jade, de m’accueillir comme ça.— Je crois que nous sommes dans la même galère et que nous devons faire front ensemble. Nous serons mieux armées pour faire face. En tout cas, tu as repris quelques couleurs et tu m’en vois ravie.— Ce n’est pas de gaîté de cœur que je suis là  ! Pas moyen de discuter avec mes parents. Pas question que ma mère entende raison. Depuis que je lui ai appris mon état, je suis devenue la pire des cochonnes. Une salope qui s’est fait tringler par tout un régiment, et les scènes devenaient quotidiennes. Plus moyen de discuter. En plus, ma tentative de… enfin, je crois que ça n’a rien résolu du tout.— Là , je suis d’avis que c’était bien inutile ! De là à te harceler pour cela… je veux simplement ta parole que tu n’as plus aucune idée de ce genre dans la tête.— Mais non ! J’ai saisi… grâce à toi qui es venue me visiter à l’hôpital, que je n’étais et ne serais plus jamais seule.— Je m’en passerais bien aussi, tu sais, de cette petite chose qui enfle en moi. Mais j’en ai pris mon parti. Je me dis qu’il y a bien une raison pour que cela nous soit arrivé, à nous et pas à certaines autres. Je me contente de me laisser vivre. Mais j’ai bien peur de ne plus pouvoir travailler encore longtemps.— Bah ! On devrait jouer au loto. Après tout avec le pot que nous avons…— Ce n’est pas une si mauvaise idée. Nos visiteurs nous donneront un coup de pouce, qui sait !Finalement les jours se suivaient et se ressemblaient singulièrement. Nous réapprenions à vivre différemment. Mona retrouvait le calme et des marques perdues. Quant à moi, je devais faire des efforts pour me réhabituer à ne plus vivre seule. Mes nausées s’étaient atténuées au fil de l’arrondissement de mon bidon. Pour ma colocataire aussi les rondeurs de sa bedaine devenaient visibles. Il y avait aussi quelque chose d’assez bizarre dans notre relation. L’impression que Mona me regardait d’un drôle d’air sans que je comprenne vraiment pourquoi.Léa passait régulièrement à la maison et toujours très nature, elle faisait parfois des réflexions assez brutes de décoffrage. Elle ne s’embarrassait d’aucun préjugé et les propos plutôt directs qu’elle m’avait tenus un jour où Mona était absente, m’avaient fait réfléchir.— Vous ne trouvez pas que vous avez l’air d’un vieux couple ?— Qu’est-ce que tu racontes encore, Léa ? Vivre sous le même toit n’implique pas forcément d’avoir des échanges tels que tu les conçois !— Ah non ? Ben, les regards que te porte Mona sont pourtant très suggestifs. Tu ne vas pas me dire que tu ne t’en es pas aperçue.— Mais non, voyons ! Nous sommes amies, sans plus ! Comme je le suis avec toi et je n’ai pas envie d’autre chose.— Avec moi ou avec elle ?— Quoi ?— Tu n’as pas envie d’autre chose avec moi ou avec elle ?— Ça va ! J’avais bien entendu ! Ça ne mérite aucune attention et surtout pas de réponse. Tu vois le mal là où il n’est pas, comme d’habitude.— Mais non ! Je t’assure que cette femme donne l’impression, visuelle du moins, d’être amoureuse de toi. Tu n’as rien remarqué comme toujours.— Ben non ! Tu crois vraiment ce que tu me racontes là  ? Ce n’est pas possible.— Comme tu veux, c’est ta vie. Mais pour moi, elle s’est entichée de toi, Jade. Remarque que ça pourrait me rendre aussi jalouse. C’est vrai… tu es une fort belle femme. Et je suis ta meilleure amie, je n’ai pas forcément envie de perdre cette place privilégiée dans ton cœur.— Pour cela, tu ne risques pas grand-chose. Quand son bébé sera né, elle cherchera un travail et un appartement… j’ai beaucoup de difficultés à m’adapter à cette vie à deux.— Une vie de couple…— Pas exactement. Même si l’état de mon ventre voudrait dire le contraire. J’ai hâte que « Monsieur » vienne au monde. Tu as vu mes dernières échographies ? Un beau garçon avec deux bras et deux jambes, un bébé qui pousse normalement en moi.— J’adore la façon dont tu en parles. Tu sais, je ne te voyais pas maman, comme quoi on peut se tromper. Je t’envie aussi pour cela.— Je n’ai pas vraiment le choix, non plus. Il est là et n’est en rien responsable de son arrivée dans notre monde !— Tu n’as pas un peu la pétoche ?— Peur ? Pourquoi ? Toutes les femmes sont faites pour accoucher. Je ne fais pas, et toi non plus d’ailleurs, exception à cette règle immuable de la nature. Nous sommes des animaux comme les autres. Le seul distinguo, c’est que nous savons dominer nos émotions. Encore que parfois, ce ne soit pas toujours le cas !— Non… je parlais de ce garçon… tu n’as pas peur qu’il soit… différent ? Pas comme tous les bébés ? Et s’il avait quelque chose que les humains n’ont pas ?— … ? Pff ! Tu vois tout d’une manière sombre aujourd’hui, toi ! Tu as un problème ou quoi ? Je sais, je sens… tu es amoureuse ? Tu as rencontré quelqu’un ? Dis-moi tout ! Je veux tout entendre, tout savoir.— Je ne sais pas si… tu pourrais ne pas être contente.— Ah bon ? Pourquoi donc ? Si tu es heureuse, je devrais l’être pour toi également. Allez ne me fais pas languir dis-moi qui c’est l’heureux élu…— Eh bien… j’ai revu le professeur… Damhani… Harold est un homme charmant.— Ah ! Je l’aurais bien parié. Tes yeux t’avaient trahie lors de notre consultation dans son cabinet. Je le sentais que ce type t’attirait… et je suis contente qu’il te plaise. Vous avez déjà … comment dire ? Concrétisé ?— À ton avis ? Je ne suis pas du genre à laisser traîner les choses en longueur. Il me plaît, je me sers, c’est aussi simple que cela. Et si éventuellement Mona te plaisait… je suis certaine que tu devrais en faire autant. La vie est trop courte pour passer à côté des occasions qu’elle nous offre. De surcroît, je pense que ton invitée en serait heureuse.Ce dialogue saugrenu restait en suspens dans ma caboche, alors même que Léa me narrait ses fredaines avec Harold. En quelques minutes, j’en savais déjà beaucoup sur la manière acrobatique par laquelle ma jeune amie s’était envoyée en l’air avec un type qui aurait pu passer pour son père. Pour elle, ce détail n’offrait aucun intérêt. Elle n’avait, une fois encore vu que le côté pratique et excitant de la chose. Plus j’y réfléchissais et plus je sentais qu’elle était dans le vrai. La vérité ne suivait jamais une ligne droite bien définie. Et puis il en existait des infinités de chemins pour y parvenir.Si Léa en prenait un qui ne devait guère avoir plus de vingt centimètres et encore, seulement lorsqu’il n’était pas plongé en elle, eh bien pourquoi la blâmer de se faire plaisir et ces idées-là avaient peut-être contribuées à la suite des évènements. Après le départ de notre amie commune désormais, Mona et moi nous étions installées au salon et j’avais légèrement déboutonné la taille de mon pantalon. Mon ventre prenait un embonpoint surprenant. Celui de Mona également.— On commence à être serrées dans nos fringues, hein ?— Un peu… toi aussi ? Tu as déjà senti bouger le bébé en toi, Mona ?— Oui et j’avoue que c’est flippant. Sentir quelque chose qui gigote en soi, c’est… difficile à exprimer, mais ça m’a fait peur. Pas toi, Jade ?— Ben… je me suis fait une raison, je suppose que chaque femme vit cette aventure d’une manière différente. C’est la vie qui est là  !Mon index s’était posé nonchalamment sur le bidon rebondi de la fille assise près de moi. Mona s’était contentée de sourire et lentement elle venait de se tourner vers moi. Ingénument, je voulais le croire vraiment, elle s’était instinctivement rapprochée.— Je… je peux moi aussi toucher ?— Oh, mais bien sûr ! Attends, je crois que nous serions plus à l’aise si nous ouvrions nos chemisiers.— … ! Ah oui ! Oui, d’accord.En joignant le geste à la parole, elle n’avait pas fait que l’entrouvrir. Non, elle s’en était prestement débarrassée, et ses yeux me dévisageant, elle attendait. Quoi ? Sûrement que je l’accompagne dans son déshabillage du haut. Alors, les paroles de Léa d’un coup prenaient tout leur sens. Sans réfléchir, sinon je ne l’aurais pas fait, moi aussi je mis mon ventre à nu. Sa jupe retroussée sur ses cuisses, elle me fixait droit dans les mirettes.— Je peux alors ?— Oui, oui ! Vas-y !Une main bouillante entra en contact avec ma peau tendue comme celle d’un tambour. Puis elle inclina la tête et son oreille remplaça sa patte. Mona soupira.— Wouah ! Ça fait un de ces boucans là -dedans… il entend tout tu crois ?— On le dit, mais franchement, je n’en ai gardé aucun souvenir de ce temps passé dans un pareil endroit. Mais les gens pensent que les bébés ressentent les sons et les vibrations, la musique par exemple…— Ouais… c’est son cœur, là qui fait badaboum ?La bouche de Mona distillait de petits bisous destinés à cet être minuscule qui croissait en moi. Petit à petit les lèvres se déplaçaient sur mon abdomen, descendant plus bas que la normale. Je ne pouvais pas dire que ça me laissait indifférente. Profitait-elle de la situation, qu’elle ne s’y serait pas prise autrement. Et puisque mon pantalon était entrouvert à cet endroit… elle ne se gênait pas pour venir folâtrer de la bouche vers ce delta presque offert. Curieusement, mon excitation reprenait le dessus.Les mots de ma meilleure amie remontaient de partout en moi et je visualisais parfaitement la scène. À quel instant avais-je compris que je la laisserais faire ? Immédiatement lorsque nous nous étions mises torse nu ? Il me fallait reconnaître que ces lippes qui me chatouillaient le bidon avaient quelque chose d’irritant et de terriblement excitant. Alors lorsque l’ensemble du visage de Mona s’était redressé, dans le but non-dit d’amener ses lèvres sur les miennes, je n’avais opposé aucune résistance. Et je souscrivais sans renâcler au baiser qui s’en suivit.Une vertigineuse langue se faufila dans mon palais et je répondis avec une fougue trop visible à cet assaut lingual. J’y adhérais tellement que c’était bel et bien moi qui avais réclamé le suivant. Puis notre séance de bouche-à -bouche seulement interrompue par l’obligation de respirer, cette incroyable session de baisers ne pouvait que déboucher sur des caresses plus manuelles. Nous avions besoin de nous sentir, de nous découvrir et chacun des détails de nos corps était l’objet d’attentions particulières.Nos soupirs grevaient le silence de la maison. Le calme de la soirée se transformait en bacchanale. Moi qui n’avais jamais eu un geste déplacé envers une autre femme, je me sentais attirée vers celle qui, comme moi, arborait un ventre rond. Précautionneusement, nous nous caressions avec douceur dans une forme d’amour entre femmes qui ne m’indisposait pas plus que cela. Quand enfin, après de longues minutes à nous tripoter partout, nous nous étions totalement mises nues, je découvrais un corps si analogue au mien.L’impression que je me câlinais toute seule, que les mains de Mona étaient un prolongement des miennes, que ma bouche et ses lèvres ne faisaient plus qu’une, je me trouvais ballottée entre un désir immense et une envie de céder totalement à cette nouvelle tentation. Comment cette femme enceinte jusqu’aux yeux pouvait-elle aimer un corps déformé tel que celui que je trimballais depuis… que j’étais en cloque ? Et comment pouvais-je, moi, aimer ce jeu pervers auquel nous nous livrions ? Je n’avais plus refait vraiment l’amour depuis si longtemps et pourtant… pourtant ma bedaine débordait de n’avoir rien fait !Mona avait trouvé la brèche et s’y engouffrait avec ma bénédiction. Que pouvait-il m’arriver de plus que ce qui vivait en moi ? Rien je supposais et, ma foi, je n’avais plus du tout la moindre parcelle de lucidité, mon sexe avait déjà pris une allure de croisière et l’écume qui s’en échappait facilitait son accès à des doigts plutôt savants. Seuls du reste, les petits bruits du coulissement de ces phalanges dans cet orifice troublaient mes soupirs de bien-être et le calme feutré du salon où nous nous vautrions toutes deux.Je me fichais de l’heure et du temps, rendant coup par coup à cette chatte qui bavait autant que ma minette. Pas besoin d’apprendre longuement pour suivre le chemin tracé par une colocataire maîtresse dans l’art de lutiner. Je ne faisais que répéter la partition entreprise sur mon corps par des archets habiles. La musique se modulait en plaintes dont les gémissements ponctuaient chacune des notes. Et le crescendo du mouvement s’orchestrait au rythme de nos délires. Qui d’elle ou de moi jouirait la première ? Une question que nous ne nous posions que dans notre esprit…Alors, lorsque l’air s’était mis à vibrer tout autour de nous, que mes tempes m’envoyèrent un bourdonnement assourdissant dans le creux des oreilles, mon corps tout entier n’offrit nulle résistance à ce départ pour un monde accueillant. Les spasmes de cet abandon tétanisaient chacun de mes muscles et les prémices d’une jouissance hors du commun, m’interdisant de savoir si Mona également se sentait affectée par de similaires symptômes. L’égoïsme pouvait donc naître du plaisir qui en cet instant ne se partageait plus.Ce n’est que bien longtemps après, que pantelantes et repues, nos mains toujours enlacées, nous gagnions ma chambre à coucher. Celle qui depuis cet instant-là deviendrait unique. Elle ravalait la chambre d’ami à son but premier, recevoir d’hypothétiques visiteurs. La vie continuait avec un charme tout neuf. Nous formions, grâce à Léa un peu tout de même, un couple composé de deux entités identiques dans leurs formes initiales et porteuses de vies nouvelles. Au moins n’avions-nous pas de comptes à rendre à qui que ce soit. Les hauts murs bien solides de mon « chez-moi », nous assuraient une tranquillité bénéfique et bienveillante.— xxxXXxxx —Les mois qui passaient prodigieusement vite nous amenaient aussi vers une issue impossible à oublier. Et le soir où Mona ressentit ses premières contractions, l’impression que moi aussi je vivais cela était bien réelle. La cavalcade avec les pompiers pour transporter d’urgence à la maternité mon invitée… je l’imaginais pour ma pomme quelques heures ou jours plus tard. Au-dessus d’un berceau moderne, une petite braillarde m’émerveillait par ses cris aigus. Les rides de naissance s’estompaient rapidement au fil des heures et la fillette calmée s’endormait dans un monde qui la surveillait depuis quelque quarante-deux semaines.Son compagnon, celui qui dans mon ventre grenouillait à chaque fois qu’avec Mona, nous nous livrions à nos jeux amoureux… celui-ci tardait donc à apparaître. Conçu la même nuit, le retard de ce bébé démontrait que la maternité pouvait différer d’une femme à l’autre. La fillette et sa mère s’apprêtaient à sortir de l’hôpital quand les douleurs me surprirent au pied du berceau de Lisa. Oui ! Mona avait donné Lisa comme prénom à son bébé. Je revivais donc les affres d’un accouchement pour la seconde fois en moins de huit jours. Mais cette fois, j’en devenais bien l’actrice principale.Et les cuisses largement ouvertes… je sentis quitter son logement douillet, ce bout de moi dont j’ignorais jusqu’au nom de son père. Quelle question saugrenue aussi que celle posée par la sage-femme, la demande d’un prénom à noter sur un bracelet d’un bleu mâle… Je réalisais soudain que je n’en avais pas la moindre idée. Que je ne savais pas comment appeler ce poupon vagissant qui sur mon ventre détendu faisait son premier pas dans ce monde. Et puis l’idée que son père avait peut-être pour de bon traversé le ciel pour venir m’ensemencer me laissait toute chose.— Alors, Jade ? Comment allons-nous appeler ce joli brin d’homme ?— Comment… attendez un moment, laissez-moi le serrer contre moi ! Je peux le garder sur mon ventre un petit moment encore ?— Oui… bien sûr, c’est votre fils, un beau garçon de presque trois kilos… il ressemble à qui ? Un peu de son père sur le visage ?— Son père… son père ? Mais c’est à moi qu’il ressemble… son père… il est là -haut ! Dans le ciel…— Ah pardon ! Je ne savais pas que votre mari était décédé… toutes mes excuses, Jade…— Un prénom… ah oui… il s’appellera, enfin doit s’appeler : Célian.— C’est original… Comment ça s’écrit ? Je ne voudrais pas faire d’impair !— C-E accent aigu-L-I-A-N, Célian… ça veut dire « lune » en Grec, je crois !— Bienvenue à toi monsieur Célian, alors… Hop, c’est l’heure du bain pour toi, mon gaillard et celle du repos pour ta maman…Voilà mon fils était né, six jours après la fille de Mona. Deux enfants d’origine inconnue par leur père. Et dans la vision que nous en avions, rien ne les différenciait de tous les bébés venus au monde précédemment. De quoi me torturer l’esprit encore davantage. Et si finalement un homme avait trouvé le moyen de me faire ce gamin sans que je garde le moindre souvenir ? Oui ? Mais alors, comment expliquer que mon invitée ait eu des intuitions identiques ? De quoi devenir chèvres… et nos petits n’étaient en rien responsables de ce qui avait précédé leur naissance. De toute façon, saurions-nous un jour la vérité ?Rien n’était moins certain et puis le couple que nous formions, Mona et moi, avançait dans la vie avec un bonheur de plus en plus visible. Nous n’avions que faire du regard des autres. Elle et sa fille, mon fils et moi pourrions former sans doute une famille unie. N’était-ce pas cela qui importait ? Si nos visiteurs d’une nuit devaient revenir, il serait toujours temps d’aviser. De toute manière, nous devions continuer pour nos enfants… et la vie maintenant s’ouvrait devant eux. À nous de les guider de notre mieux.Fin de la première saison !